Lévy-Bruhl a mauvaise réputation. De ses travaux, on en sait en général juste assez pour ne pas prendre la peine de les lire, et pour condamner avec indignation un concept tel que celui de mentalité primitive. Frédéric Keck revient sur cet ostracisme en mettant en évidence la postérité paradoxale de ce philosophe devenu anthropologue.
Si Sandrine Baume privilégie, dans sa lecture de Carl Schmitt, les écrits des années 1920 au détriment des textes de la période nazie, c’est parce qu’elle considère à juste titre qu’ils sont fondateurs dans sa conception de l’État. Mais n’est-elle pas conduite à restreindre la philosophie de Schmitt et à isoler sa pensée politique de ses engagements philosophiques ?
Pour Pierre-Yves Quiviger, on ne comprend bien l’œuvre politique et juridique de Sieyès qu’en la ramenant au matérialisme qui lui sert de fondement. Si Sieyès attribue ainsi un rôle majeur au Conseil d’État au sein de l’exécutif, c’est parce qu’il considère qu’il existe un ordre nécessaire à la société humaine et qu’il faut une instance délibérative au sommet de l’État pour le mettre en place.
Dans son séminaire de 1983, Cornélius Castoriadis s’appuyait sur la Grèce antique pour analyser les liens que la démocratie entretient avec l’imaginaire, et le danger qui lui est inhérent de la perte des valeurs et normes transcendantes.
Après avoir opéré un « retour au judaïsme », le philosophe Stéphane Mosès (mort en 2007) a dialogué toute sa vie avec la pensée de Franz Rosenzweig, Emmanuel Levinas, Gershom Scholem, Walter Benjamin ou encore Martin Buber. Ces entretiens évoquent son engagement à la fois spirituel et intellectuel.
Quand la neurologie donne à penser à la philosophie : le découvreur des « neurones-miroirs », Giacomo Rizzolatti, montre l’intrication de l’action et de la perception, du faire et du voir-faire.
Dans son Herbier des philosophes, J.-M. Drouin recueille et classe avec méticulosité les philosophes-botanistes en fonction des problèmes traités et des circonstances historiques. La distinction des genres, animal et végétal, botaniste et philosophe, s’estompe. Y a-t-il pour autant une philosophie botanique ?
Qu’est-ce que Henry et William James ont en commun, à part d’être frères ? Peut-être d’avoir partagé une même vision du pragmatisme. Le livre de David Lapoujade renouvelle la comparaison entre l’œuvre de l’écrivain et celle du philosophe à travers une analyse deleuzienne qui ne le cède en rien aux approches biographiques.
Pour que l’embryon soit considéré comme une personne humaine, il faudrait déjà qu’il puisse être un individu à part entière. Or, que l’embryon soit du vivant ne fait pas de lui d’emblée un être vivant. Il est donc possible, pour F. Kaplan, de déterminer en toute certitude jusqu’à quel stade l’embryon n’est pas un être humain.
Les cours au Collège de France de M. Foucault sont consacrés, en 1982-1983, à la « dramatique de la vérité », c’est-à-dire à la manière dont l’énonciation de la vérité modifie celui qui a le courage de la dire. Car le discours philosophique pour Foucault n’est pas seulement porteur d’une pensée rationnelle, il est avant tout pensée en acte.
D’après Foucault, de Philippe Artières et Mathieu Potte-Bonneville, n’est pas un livre sur Foucault, mais un livre où sa pensée est mise à l’épreuve du temps présent et de ses combats. Manière d’être le plus fidèle qui soit à une philosophie qui s’est toujours conçue comme une pratique.
S’il n’existait rien de tel qu’une pensée 68, y a-t-il eu, – y a-t-il encore – une pensée anti-68 ? Aussi novatrice que soit son anthologie de réactions, le livre de Serge Audier part du présupposé qu’il existe une restauration intellectuelle cohérente — unissant les oppositions variées à Mai 68 selon une tendance générale : une vague nouvelle d’esprit réactionnaire.
Pour Guillaume Le Blanc, la précarité, loin d’être la condition naturelle de l’homme, est socialement produite. La pauvreté, la marginalisation ou le mépris social empêchent l’individu de constituer son autonomie dans un jeu nécessaire avec les normes.
Le premier volume des Écrits et conférences de Paul Ricœur rassemble les textes qu’il a consacrés à la psychanalyse. Ricœur s’attache dans ses articles à comprendre les limites du discours psychanalytique, sans cesser de souligner toute la profondeur et toute la complexité de l’œuvre de Freud — dont la compréhension suppose moins une linguistique qu’une sémiotique des images.
Et si le rejet du populisme n’était qu’une forme de rejet de la politique tout court ? C’est l’hypothèse que défend Ernesto Laclau, dans La raison populiste, convaincu que le populisme, loin d’être un phénomène irrationnel qui menace la vie politique, révèle ce qu’exige la construction de l’identité sociale.
Quels rapports entre la philosophie de Spinoza et les sciences sociales ? L’ouvrage collectif dirigé par Yves Citton et Frédéric Lordon montre qu’ils sont nombreux et éclairants. Spinoza a en effet pensé des thèmes-clés pour les sciences sociales comme l’économie des affects ou la constitution des corps politiques et leurs crises, et ses concepts peuvent être réinvestis dans des problématiques sociologiques. Il y a donc bien lieu de faire dialoguer Spinoza avec Tarde, Foucault, Bourdieu, Mauss ou Durkheim.
Pour Martin Breaugh, la plèbe n’est ni une multitude sans direction, ni une simple force de résistance. Les révoltes plébéiennes produisent de la liberté en abolissant les hiérarchies. Elles s’emparent du pouvoir parce qu’elles jugent que les élections finissent toujours par être une trahison.
Certaines affections neurologiques touchent l’identité des sujets et bouleversent leur économie affective. Confrontant neurologie, psychanalyse et philosophie, Catherine Malabou montre comment les patients atteints de ces pathologies (Alzheimer, Parkinson, blessés neurologiques, traumatisés de guerre…) nous obligent à repenser la question de la souffrance cérébrale et au-delà, celle de la plasticité destructrice.
Élisabeth de Fontenay poursuit sa réflexion sur le statut des bêtes, si proches de nous et pourtant à nous si soumises. En philosophe engagée, elle se penche sur le statut des animaux, déconstruisant les oppositions trop faciles et proposant de leur reconnaître certains droits.
Peut-on lire Hegel en faisant abstraction des fondements métaphysiques de sa pensée ? C’est l’ambition de Jean-François Kervégan, qui choisit de se fier davantage à l’esprit du système qu’à sa lettre, afin d’en saisir toute la dimension politique.
En utilisant le concept spinoziste de conatus pour analyser la structure intéressée de toutes les figures du don, F. Lordon nous offre une belle alliance de philosophie et de sciences sociales. Grâce au conatus, le don apparaît comme la fiction d’un désintéressement, intéressé en vérité à conjurer la violence originaire des rapports humains. Mais le conatus, tel qu’il est déployé dans la philosophie de Spinoza, ne définit-il qu’une anthropologie guerrière ? Cet article est publié en partenariat avec le Collège international de philosophie : le compte rendu de Pascal Sévérac est suivi d’une contre-réponse de Lorenzo Vinciguerra..
Le travail d’Alfred Schütz, philosophe des sciences sociales de la première moitié du XXe siècle, reste encore assez mal connu en France. On lui doit pourtant une analyse rigoureuse de notre perception du monde social et une interrogation profonde sur la complexité et les enjeux de la sociologie.
Pour P. Audi, la philosophie de Rousseau est tout entière tournée vers la constitution d’une éthique permettant à l’âme de jouir d’elle-même, sans être écartée de soi par la vie sociale. Mais cette interprétation reste discutable, parce qu’elle néglige l’effort de Rousseau pour ne jamais dissocier la morale et la politique.
Au moment où le thème de la souffrance, comme celui des victimes, s’impose sans discernement dans notre univers politique et social, le livre d’Emmanuel Renault apporte des éléments de clarification conceptuelle à défaut d’une enquête originale.
Si les instances philosophiques, selon M. Massin, se sont efforcées depuis la Renaissance de discréditer la notion d’inspiration, c’est parce qu’elles l’ont assimilée à un enthousiasme aveugle, voire à un dangereux mysticisme. Mais il est temps de s’affranchir de cette condamnation : il faut voir dans l’inspiration non l’intervention d’une puissance extérieure, mais une attention au discours de l’autre, qui est la condition d’une pensée vive.
Les détracteurs de la psychanalyse ont-ils déformé le projet freudien pour mieux le critiquer ? Il y a des raisons de le penser, selon Vannina Micheli-Rechtman. Il reste que défendre la psychanalyse comme elle le fait peut sembler ne pas lui faire entièrement justice.
Selon J.-M. Schaeffer, l’affirmation selon laquelle l’homme est une exception parmi les vivants parce qu’il pense a conduit à une survalorisation des savoirs spéculatifs au détriment des savoirs empiriques. C’est à critiquer cette vision du monde, véritable obstacle au progrès scientifique, et à redonner toute sa légitimité au naturalisme que son ouvrage est consacré.
Marcel Gauchet, dans L’Avènement de la démocratie, explique les crises de nos démocraties par la difficulté qu’éprouve la modernité à faire son deuil du religieux. Mais cette thèse, stimulante, souffre d’être trop systématique, en voyant dans tout désir d’unité une nostalgie du divin. Elle occulte en outre l’enjeu des luttes sociales.
Si l’esprit et le corps sont des substances séparées et distinctes, comment peuvent-ils agir l’un sur l’autre ? P. Gillot montre dans son ouvrage les différentes réponses que la philosophie de l’esprit a apportées au problème ainsi formulé par Descartes. Mais ces réponses parviennent difficilement, selon elle, à s’affranchir totalement du cartésianisme.
La loi peut-elle être un lien ? Oui, selon B. Bernardi. C’est même selon lui ce qui caractérise la modernité politique : la volonté de penser l’obligation non comme un devoir, mais comme un engagement de sa liberté qui permet de la préserver et de fonder une communauté authentique.
La sensation de déjà-vu, dont Remo Bodei décrit les manifestations et souligne les aspérités, échappe en partie à l’analyse rationnelle. Mais elle est un élément essentiel pour comprendre les traumatismes contemporains engendrés par les guerres, les génocides ou les migrations forcées.
Montaigne enseigne que l’esprit, livré à lui-même, n’est qu’inconstance et fantaisie. Comment parvenir à le régler, quand la raison n’y suffit pas ? B. Sève montre que Montaigne s’est attaché à répondre à cette question, et que c’est là que résident les effets philosophiques de sa pensée.
Le dernier livre de Bernard Sève, Montaigne. Des règles
pour l’esprit (Presses universitaires de France), sort aujourd’hui en librairie. Nous rendrons compte
très prochainement de cet ouvrage, dont nous publions ici trois
extraits.
Bergson a toujours fait l’objet d’une lecture passionnée. Dès sa publication, son œuvre n’a cessé de susciter polémiques philosophiques et débats politiques, qui l’ont souvent emporté sur l’étude rigoureuse d’une pensée profondément originale. Retrouver cette originalité suppose à la fois de réinsérer chaque texte dans son contexte et de donner les moyens de le lire pour lui-même. C’est l’ambition de la nouvelle édition critique des œuvres complètes de Bergson, dirigée par Frédéric Worms. Entretien.
Pour Christian Laval, le néolibéralisme contemporain poursuit un projet non seulement économique et politique, mais également moral et in fine anthropologique. Les principes libéraux de l’intérêt et de l’utilité ont opéré une « transvaluation des valeurs », dont les ressorts se mettent en place entre le XVIIe et le XIXe siècle, en bouleversant les représentations que l’homme occidental se fait du monde et de lui-même.
La biographie de Kurt Gödel par Pierre Cassou-Noguès est bien davantage qu’une description des peurs, des angoisses, des folies qui habitaient le célèbre logicien : elle s’interroge, au-delà du constat clinique, sur l’irrationnel qui couve au cœur notre raison et qui, peut-être, structure notre univers mental.
Pour Jean-Claude Michéa, le libéralisme politique et le libéralisme économique sont semblables parce qu’ils sont animés par la volonté de construire une société rationnelle et autorégulée, qui fonctionne sans faire appel ni à la vertu des citoyens, ni à leur sociabilité. Cette identification prête cependant à confusion.
L’œuvre d’Axel Honneth semble sur le point de s’imposer comme la dernière grande philosophie sociale de notre temps. Marquant ses distances avec ses prédécesseurs de l’Ecole de Francfort (Adorno, Habermas…), il poursuit un travail de longue haleine autour de la « lutte pour la reconnaissance ». François Dubet en analyse les ressorts et en interroge les limites.
Les livres que Deleuze et Guattari ont écrits ensemble témoignent, au-delà d’une étroite collaboration, d’une volonté de faire émerger un discours propre, né du croisement et de la combinaison de leurs pensées. C’est à comprendre l’agencement Deleuze-Guattari qu’est consacré le livre de François Dosse.
Loin de n’être qu’un résidu archaïque de la modernisation, la tentation de lier les domaines théologique et politique traverse toute l’histoire intellectuelle de l’Europe. Le nouvel ouvrage de Mark Lilla éclaire les temps présents à la lumière d’une archéologie des catégories les plus enracinées de notre pensée politique.