Le travail d’Alfred Schütz, philosophe des sciences sociales de la première moitié du XXe siècle, reste encore assez mal connu en France. On lui doit pourtant une analyse rigoureuse de notre perception du monde social et une interrogation profonde sur la complexité et les enjeux de la sociologie.
Pour P. Audi, la philosophie de Rousseau est tout entière tournée vers la constitution d’une éthique permettant à l’âme de jouir d’elle-même, sans être écartée de soi par la vie sociale. Mais cette interprétation reste discutable, parce qu’elle néglige l’effort de Rousseau pour ne jamais dissocier la morale et la politique.
Au moment où le thème de la souffrance, comme celui des victimes, s’impose sans discernement dans notre univers politique et social, le livre d’Emmanuel Renault apporte des éléments de clarification conceptuelle à défaut d’une enquête originale.
Si les instances philosophiques, selon M. Massin, se sont efforcées depuis la Renaissance de discréditer la notion d’inspiration, c’est parce qu’elles l’ont assimilée à un enthousiasme aveugle, voire à un dangereux mysticisme. Mais il est temps de s’affranchir de cette condamnation : il faut voir dans l’inspiration non l’intervention d’une puissance extérieure, mais une attention au discours de l’autre, qui est la condition d’une pensée vive.
Les détracteurs de la psychanalyse ont-ils déformé le projet freudien pour mieux le critiquer ? Il y a des raisons de le penser, selon Vannina Micheli-Rechtman. Il reste que défendre la psychanalyse comme elle le fait peut sembler ne pas lui faire entièrement justice.
Selon J.-M. Schaeffer, l’affirmation selon laquelle l’homme est une exception parmi les vivants parce qu’il pense a conduit à une survalorisation des savoirs spéculatifs au détriment des savoirs empiriques. C’est à critiquer cette vision du monde, véritable obstacle au progrès scientifique, et à redonner toute sa légitimité au naturalisme que son ouvrage est consacré.
Marcel Gauchet, dans L’Avènement de la démocratie, explique les crises de nos démocraties par la difficulté qu’éprouve la modernité à faire son deuil du religieux. Mais cette thèse, stimulante, souffre d’être trop systématique, en voyant dans tout désir d’unité une nostalgie du divin. Elle occulte en outre l’enjeu des luttes sociales.
Si l’esprit et le corps sont des substances séparées et distinctes, comment peuvent-ils agir l’un sur l’autre ? P. Gillot montre dans son ouvrage les différentes réponses que la philosophie de l’esprit a apportées au problème ainsi formulé par Descartes. Mais ces réponses parviennent difficilement, selon elle, à s’affranchir totalement du cartésianisme.
La loi peut-elle être un lien ? Oui, selon B. Bernardi. C’est même selon lui ce qui caractérise la modernité politique : la volonté de penser l’obligation non comme un devoir, mais comme un engagement de sa liberté qui permet de la préserver et de fonder une communauté authentique.
La sensation de déjà-vu, dont Remo Bodei décrit les manifestations et souligne les aspérités, échappe en partie à l’analyse rationnelle. Mais elle est un élément essentiel pour comprendre les traumatismes contemporains engendrés par les guerres, les génocides ou les migrations forcées.
Montaigne enseigne que l’esprit, livré à lui-même, n’est qu’inconstance et fantaisie. Comment parvenir à le régler, quand la raison n’y suffit pas ? B. Sève montre que Montaigne s’est attaché à répondre à cette question, et que c’est là que résident les effets philosophiques de sa pensée.
Le dernier livre de Bernard Sève, Montaigne. Des règles
pour l’esprit (Presses universitaires de France), sort aujourd’hui en librairie. Nous rendrons compte
très prochainement de cet ouvrage, dont nous publions ici trois
extraits.
Bergson a toujours fait l’objet d’une lecture passionnée. Dès sa publication, son œuvre n’a cessé de susciter polémiques philosophiques et débats politiques, qui l’ont souvent emporté sur l’étude rigoureuse d’une pensée profondément originale. Retrouver cette originalité suppose à la fois de réinsérer chaque texte dans son contexte et de donner les moyens de le lire pour lui-même. C’est l’ambition de la nouvelle édition critique des œuvres complètes de Bergson, dirigée par Frédéric Worms. Entretien.
Pour Christian Laval, le néolibéralisme contemporain poursuit un projet non seulement économique et politique, mais également moral et in fine anthropologique. Les principes libéraux de l’intérêt et de l’utilité ont opéré une « transvaluation des valeurs », dont les ressorts se mettent en place entre le XVIIe et le XIXe siècle, en bouleversant les représentations que l’homme occidental se fait du monde et de lui-même.
La biographie de Kurt Gödel par Pierre Cassou-Noguès est bien davantage qu’une description des peurs, des angoisses, des folies qui habitaient le célèbre logicien : elle s’interroge, au-delà du constat clinique, sur l’irrationnel qui couve au cœur notre raison et qui, peut-être, structure notre univers mental.
Pour Jean-Claude Michéa, le libéralisme politique et le libéralisme économique sont semblables parce qu’ils sont animés par la volonté de construire une société rationnelle et autorégulée, qui fonctionne sans faire appel ni à la vertu des citoyens, ni à leur sociabilité. Cette identification prête cependant à confusion.
L’œuvre d’Axel Honneth semble sur le point de s’imposer comme la dernière grande philosophie sociale de notre temps. Marquant ses distances avec ses prédécesseurs de l’Ecole de Francfort (Adorno, Habermas…), il poursuit un travail de longue haleine autour de la « lutte pour la reconnaissance ». François Dubet en analyse les ressorts et en interroge les limites.
Les livres que Deleuze et Guattari ont écrits ensemble témoignent, au-delà d’une étroite collaboration, d’une volonté de faire émerger un discours propre, né du croisement et de la combinaison de leurs pensées. C’est à comprendre l’agencement Deleuze-Guattari qu’est consacré le livre de François Dosse.
Loin de n’être qu’un résidu archaïque de la modernisation, la tentation de lier les domaines théologique et politique traverse toute l’histoire intellectuelle de l’Europe. Le nouvel ouvrage de Mark Lilla éclaire les temps présents à la lumière d’une archéologie des catégories les plus enracinées de notre pensée politique.
L’égalité des chances fait l’objet d’un consensus problématique : elle apparaît comme la seule forme d’égalité acceptable, en dépit des nombreuses inégalités réelles qui l’accompagnent. C’est à en repenser les fondements que se consacre P. Savidan.