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Classes sociales et inégalités : portrait d’une France éclatée


par La rédaction , le 13 septembre 2011


Comment les sciences sociales se représentent-elles la société française et les différents groupes qui la composent ? À travers une sélection d’articles publiés sur ce thème, La Vie des idées dresse le portrait d’une France éclatée, où persistent, voire se renforcent les antagonismes de classes et les inégalités.

Catégories supérieures et cadres

Si une évolution a été constatée sur le front des inégalités dans la France contemporaine, c’est le décollage des très hauts revenus par rapport aux autres catégories (cf. l’entretien avec Camille Landais). Les catégories supérieures font désormais l’objet d’un travail d’investigation important depuis plusieurs années. Sans doute est-ce là une forme de renouvellement de l’intérêt scientifique, les années 1990 ayant beaucoup exploré les zones de vulnérabilité et de désaffiliation ; peut-être est-ce également la prise de conscience du fait que ces catégories tirent une partie de leur pouvoir de leur invisibilité. Ainsi, les travaux d’Olivier Godechot sur la structure des hauts revenus permettent d’affiner les constats sur l’évolution des hauts revenus et de montrer le poids qu’y prend la finance, ainsi que la façon dont les traders parviennent à des rémunérations aussi importantes (cf. la recension du livre d’O. Godechot par Maya Macache-Beauvallet). Les recherches ne se sont pas concentrées sur cette franges de salariés à très hauts revenus ; les patrons français ont fait l’objet d’une synthèse sous la forme d’un dictionnaire, entreprise inédite à ce jour (cf. l’entretien avec Jean-Claude Daumas à propos du dictionnaire des patrons).

Enfin, les sociologues se sont attachés à définir les caractéristiques principales des catégories supérieures : le cosmopolitisme d’une part (cf. « La mondialisation et les classes sociales ») un rapport électif aux services publics de l’autre (cf. « L’heure des choix : les classes moyennes face à l’école ») apparaissent comme des aspects déterminants des transformations des élites.

par Maya Bacache-Beauvallet & Florian Mayneris & Thomas Vendryes [04-02-2008]

par Olivier Godechot [15-04-2011]

par Maya Bacache-Beauvallet [18-12-2007]

par Éric Monnet [08-04-2011]

par Vincent Chabault [05-12-2007]

par Georges Felouzis [11-11-2009]

par Cédric Hugrée [12-09-2011]

Ailleurs sur le web :

Classes populaires

L’étude des classes populaires fait quant à elle apparaître une tension entre deux dynamiques inverses de déségrégation et de fermeture. Les classes populaires se sont largement ouvertes depuis trois décennies (« Peut-on parler des classes populaires »). Si les ouvriers continuent à compter pour environ un tiers de la population active, les référents culturels du monde ouvrier se sont largement dissipés au profit d’un processus d’acculturation – qui n’a pas aboli les inégalités. La culture ouvrière laisse pourtant des traces, y compris chez ceux qui l’ont connu de l’intérieur et qui ont pris leurs distances avec elles (« De la chaîne à la plume »). Celles-ci se reproduisent toujours, mais sous d’autres formes. Témoin le virage opéré par les classes populaires vis-à-vis de l’école. Hier celles-ci vivaient dans une mise à distance réciproque avec le monde scolaire. Aujourd’hui, elles investissent celle-ci même si elles ne jouent pas à armes égales avec les autres classes (cf « L’école, ascenseur social ? ») [1].

À rebours de cette vision d’une forte interpénétration culturelle des classes populaires et des classes moyennes, certains soulignent la ghettoïsation et l’isolement croissant des strates les plus marginalisées de celles-ci (cf. « Le ghetto ou l’anéantissement de la politique ». Ces deux interprétations sont-elles incompatibles ? Le quartier a-t-il remplacé le travail comme support social majeur (cf. « La politique du pauvre ») ? À cette question s’ajoute celle de la dimension politique des quartiers : indiscernable comme le prétend Didier Lapeyronnie ou au contraire indéniable comme le soutient Denis Merklen ? Peut-on encore parler de travail quand celui-ci s’apparente à un privilège et est distribué aux moins qualifiés miettes après miettes ?

par Olivier Schwartz

par Nicolas Hatzfeld [05-09-2011]

par Igor Martinache [08-09-2011]

par Ugo Palheta [18-03-2011]

par Damien Cartron & Manuella Roupnel-Fuentes [21-10-2010]

par Igor Martinache [17-06-2009]

par Thierry Oblet [09-12-2008]

Paradigmes alternatifs ou complémentaires

Ce tour d’horizon de la question des classes sociales et de leurs transformations ne serait pas complet sans évoquer deux des principaux paradigmes en apparence alternatifs mais en réalité sans doute plus complémentaires de l’analyse classiste qui permettent de faire apparaître de nouveaux rapports de force (ou qui témoignent de la mise en visibilité de rapports de force existant déjà dans le passé).

Nouveau rapport de force, celui qui s’est instauré entre les catégories d’âge de la population. En effet, si les personnes âgées ont historiquement constitué les principales victimes de la pauvreté et de la misère, les baby-boomers, ces jeunes retraités qui bénéficient à plein des avantages de l’Etat social et d’une opportunité historique inédite – et sans doute unique – dans l’acquisition de positions de pouvoir dominent de fait une société qui ne pourra rattraper leur niveau de ressources et de pouvoir. L’analyse de Louis Chauvel (« L’âge d’or des jeunes retraités ») trouve un prolongement dans celle de Cécile Van de Velde (« Devenir adulte en Europe ») qui, travaillant par comparaison internationale, montre la tension française entre les « places » sociales limitées et de ce fait très convoitées et anxiogènes d’un côté et de l’autre les aspirations plus égalitaires et identitaires de la jeunesse. La vision d’une lutte des générations est cependant nuancée par des chercheurs qui observent que les seniors sont souvent les premières victimes du chômage (« Valoriser l’expérience au travail »).

Âge

par Christian Baudelot, à propos des travaux de Cécile Van de Velde [04-03-2008]

par Nicolas Duvoux & Audrey Williamson [09-04-2010]

par Nicolas Duvoux & Audrey Williamson [09-04-2010]

Minorités

Enfin, un dernier cadre d’analyse, encore une fois plus complémentaire que concurrent à la question sociale [2] est venu redessiner le paysage de la société française : il s’agit de la question des minorités.

La représentation racialisée de la société tient à la fois à une transformation des représentations et de la réalité. Elle s’inspire largement d’une grille de lecture issue de la sociologie américaine (« Une Amérique malade des inégalités ? »). Elle a conduit à des travaux profondément originaux, qui conduisent pour partie à revisiter l’histoire sociale et culturelle de la France (« Les Noirs, une minorité française » ; « Parler d’autres langages que celui de la science »). Mais ces questionnements ne vont pas sans entraîner de vives tensions et polémiques. La prise en compte des identités dans les sciences sociales et la société ne remet-elle pas en compte les fondements des unes (« Quartiers et différences culturelles ») et de l’autre (« Virginité et burqa : des accommodements déraisonnables ? »). Enfin, ces phénomènes ne se limitent pas à la France, loin de là, la question Rom montre à elle seule les limites d’une citoyenneté conçue sur une base strictement nationale lorsqu’elle s’adresse à une population européenne. La question du genre est elle-même de plus en plus comprise comme une question de minorité (« Le féminisme comme pratique politique »).

par Mirna Safi [27-10-2008]

par Ivan Jablonka [20-01-2009]

par Michel Kokoreff [11-01-2011]

par Cécile Laborde [16-09-2008]

par Jean-Baptiste Duez [23-10-2008]

par Nicolas Delalande & Ivan Jablonka [08-01-2008]

par Mathieu Trachman [18-09-2008]

Perspectives

À côté de ces entrées thématiques, les entretiens que la Vie des idées a menés montrent, à travers les perspectives théoriques développées par les différents sociologues interrogés, des transformations de grande portée des classes sociales. La citoyenneté sociale des Trente glorieuses est aujourd’hui fragilisée par un ensemble d’évolutions sociales liées au capitalisme, à l’État social, au marché du travail (« Retour sur la question sociale : entretien avec Robert Castel »). Les compromis sociaux qui maintenaient l’équilibre dynamique de la société salariale se sont brisés. La société en escalator (des classes qui s’élèvent en même temps même si les inégalités qui les séparent se maintiennent) n’offre plus une représentation adéquate de notre société. À l’opposé de cette dynamique de progrès, une représentation du phénomène du déclassement s’est imposée, préparée par les travaux de Louis Chauvel sur le destin des générations et mise en lumière par Camille Peugny (« La réalité sociale du déclassement »). Dans ce cadre, la raréfaction des opportunités ascendantes entraîne à la fois de nombreuses crises de reproduction et une stagnation pour les classes populaires. L’ensemble des domaines de la vie sociale est marqué par des inégalités qui ont cessé de diminuer, notamment du fait de l’élévation plus rapide des revenus des plus riches (« La société française : les mots et les chiffres »).

En fait, la société française est à la fois plus et moins une société de classes qu’il y a trente ans. Plus parce que les inégalités objectives se durcissent et augmentent désormais rapidement ; moins parce qu’une même matrice culturelle (de classe moyenne) intègre, à des niveaux différents, l’ensemble de la société (Vivons-nous encore dans une société de classes ?). Cette évolution place les plus fragiles dans une situation complexe où ils manquent de références alternatives à opposer aux catégories plus favorisées (c’est la thèse défendue par Louis Chauvel dans son article, « Le retour des classes sociales ? », Revue de l’OFCE, 2003).

Les sociologues contemporains ont proposé différentes interprétations de ces transformations. Peut-être cela tient-il à des transformations internes aux différentes classes ? C’est l’hypothèse de Bernard Lahire (« La fabrication sociale d’un individu ») qui, sans renier l’idée d’une détermination sociale externe et inégalitaire pour les différentes catégories de la population, montre également l’hétérogénéité interne de ces déterminations au sein de chaque classe et de chaque individu. Les modèles « durs » de séparation des classes dont la typologie ternaire de la distinction de Bourdieu fournit l’archétype (catégories dominantes ; moyennes et populaires) ne correspond plus à notre société plus individualisée – ce qui ne signifie pas que l’individu y est la source du social. Simplement, le social fabrique des individus et non plus des classes si tant est qu’il l’ait jamais fait de manière aussi nette que d’aucuns l’ont prétendu.

Peut-être enfin cette évolution tient-elle à une transformation des formes de pouvoir et à une décollectivisation des phénomènes socio-économiques depuis trente ans. Luc Boltanski (« Le pouvoir est de plus en plus savant ») revient sur la façon dont la notion de classes sociales a été structurante au point d’être incorporée par les acteurs sociaux puis sur la manière dont elle s’est évaporée et a été remplacée par d’autres référents collectifs (le genre, les groupes raciaux voire les classes d’âge).

par Thierry Pech & Nicolas Duvoux [18-11-2008]

par Lise Bernard [19-02-2010]

par Vincent Chabault [19-03-2009]

par Olivier Schwartz [22-09-2009]

par Nicolas Duvoux [04-01-2011]

par Nicolas Duvoux [24-11-2009]

Ailleurs sur le web

Les articles du dossier

par La rédaction, le 13 septembre 2011

Pour citer cet article :

La rédaction, « Classes sociales et inégalités : portrait d’une France éclatée », La Vie des idées , 13 septembre 2011. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Classes-sociales-et-inegalites

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Notes

[1Au cœur de cette tension entre ouverture et ghettoïsation des classes populaires, se trouve le rapport à l’école. Sur ce point, on lira le bilan que le sociologue Pierre Merle tire de la politique d’assouplissement de la carte scolaire qui caractérisait le mieux la façon dont la présidence de Nicolas Sarkozy a voulu réformer le système scolaire pour rendre possible une plus grande. Sur ce point, on consultera les travaux de Pierre Merle et notamment « La carte scolaire et son assouplissement », Sociologie [En ligne], N°1, vol. 2 | 2011, mis en ligne le 26 mai 2011. http://sociologie.revues.org/852

[2Didier Fassin et Eric Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, Paris, La découverte, 2006

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