Dossier coordonné par Nicolas Delalande & Pauline Peretz
Illustration de Sarah Williamson pour La Vie des idées.
À quoi sert la police ? À maintenir l’ordre public, certes. Mais peut-elle y parvenir si elle n’inspire pas confiance à la population qu’elle est censée protéger ? Les relations entre police et société sont au cœur du dossier que La Vie des Idées consacre à partir de cette semaine aux transformations du travail policier, en France et à l’étranger.
La dégradation des relations entre la police et la société alimente régulièrement la chronique des faits divers. Elle engendre également un sentiment, de plus en plus ouvertement exprimé, de malaise chez les policiers. Le discours de fermeté tenu depuis près de dix ans par les dirigeants politiques français s’est accompagné d’une fragilisation relative de l’institution, désormais incapable d’inspirer confiance et obligée de surenchérir dans la répression pour se faire respecter. Les années récentes ont ainsi été marquées par une évolution paradoxale dans la manière de percevoir leur travail par les policiers : ils se présentent de plus en plus comme les victimes de l’insécurité, réclamant protection et soutien à leurs autorités de tutelle, alors même qu’ils ont en charge le maintien de l’ordre public. Ce renversement de perspective a des conséquences évidentes sur la conception qu’ils ont de leur métier et sur leur identité socio-professionnelle, notamment lorsqu’ils estiment être insuffisamment soutenus, par la justice et les magistrats, dans l’exercice de leurs fonctions.
Contrairement à l’idée répandue selon laquelle l’unique fonction de la police serait de poursuivre les délinquants et les criminels en veillant à la bonne application du droit, l’histoire et les sciences sociales montrent qu’il ne peut y avoir de police efficace sans qu’existe un lien de confiance entre la police et la société, absolument nécessaire à ce que les citoyens considèrent celle-ci comme légitime. Cette place centrale accordée à la confiance, déjà présente dans les travaux du sociologue Dominique Monjardet (qui distinguait la police criminelle de la police de la tranquillité publique), est au cœur du renouveau des études sur la police en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Elle a également inspiré un ensemble de réformes, outre-Manche, destinées à rapprocher la police de la population, à la fois en termes sociologiques (intégration des minorités, pour que le policier ressemble davantage à celui qu’il police) et procéduraux (« coproduction » croissante de la sécurité, par le biais de consultations et de relations de proximité). A contrario, lorsque dans d’autres pays, comme le Mexique ou le Brésil, l’institution policière et la société entretiennent un rapport de forte extériorité, les affrontements sociaux tendent à se durcir et la régulation à se faire par la violence.
La plupart des polices, quel que soit leur modèle, ont connu d’importantes réformes au cours des années 1990-2000. Ces réformes, inspirées par un souci de manifester l’attachement de l’État à la répression et à l’obtention de résultats, ont-elles seulement pour but de soumettre le travail policier à des impératifs de productivité et de rationalisation ? Ne risquent-elles pas d’aggraver la défiance du policier à l’égard de son institution ? Ou bien sont-elles susceptibles de contribuer à renouer le lien de confiance distendu entre les sociétés et leur police ? Le parti pris de ce dossier est d’observer au ras du sol, de manière ethnographique, les mutations du travail policier engendrées par ces réformes, pour tenter de mesurer l’écart qui sépare les déclarations tonitruantes des promoteurs des politiques de sécurité et les pratiques mises en œuvre par les acteurs de terrain. Les textes réunis, abordant des contextes locaux et nationaux différents, permettent d’envisager la possibilité et les modalités éventuelles de la résistance des policiers à l’évolution de leur rôle, ainsi qu’aux pressions politiques et bureaucratiques dont ils font l’objet.
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