Un ouvrage collectif richement illustré et documenté récapitule l’histoire du Collège de France, et retrace son étonnante continuité depuis son fondateur François Ier aux modernes cours en ligne.
Un ouvrage collectif richement illustré et documenté récapitule l’histoire du Collège de France, et retrace son étonnante continuité depuis son fondateur François Ier aux modernes cours en ligne.
Peu d’institutions académiques, au niveau mondial, peuvent se targuer d’un tel bilan : un fonctionnement quasi-ininterrompu depuis François Ier, dix prix Nobel obtenus par ses membres entre 1927 et 2012, l’accueil de savants de la stature de Marcelin Berthelot, Henri Bergson, Paul Valéry, Irène Curie, Claude Lévi-Strauss, Georges Dumézil ou Serge Haroche. Pourtant, peu restent aussi discrètes. Le Collège de France est en effet un organisme paradoxal. Ouvert à tous (l’auteur de ces lignes, alors étudiant, y écouta Pierre Bourdieu exposer les rapports entre la peinture de Degas et la politique), il reste cependant méconnu. Trois de ses professeurs, Antoine Compagnon, Pierre Corvol et John Scheid, viennent de publier un ouvrage sur l’histoire de l’institution, agrémenté par une iconographie aussi riche qu’inédite. Loin d’être un livre purement commémoratif, il décrit de manière clinique un modèle étonnant tant il allie des traditions pérennes et des audaces permanentes (fonctionnement, découvertes, champs disciplinaires).
Tout d’abord, pourquoi le Collège a-t-il été fondé, alors qu’existait déjà l’Université de Paris ? Il faut en revenir au contexte européen du début du XVIe siècle. L’humanisme encourage à la fois les recherches scientifiques et la relecture des langues anciennes. Ces besoins savants entraînent entre 1516 et 1520 la création de collèges, des « trois langues » à Louvain, de « Corpus Christi » à Oxford ou de « Saint-John’s » à Cambridge (p. 16-17). En France, cette volonté se heurte à deux obstacles. Le premier est celui des finances royales, qui rechignent à de nouvelles dépenses. Le second, plus important, est le blocage de l’Université de Paris, repliée sur les savoirs traditionnels et ses statuts garantis par le roi. François Ier inaugure alors une pratique récurrente de l’histoire de France – qu’elle soit monarchique ou républicaine –, à savoir l’ouverture d’établissements pour contourner et concurrencer les universités.
L’éclosion prend du temps : Érasme, pressenti, se défausse au profit du spécialiste de langues anciennes Guillaume Budé. Le « Collège royal », prévu dès 1517, ne recrute ses premiers lecteurs qu’en 1530, et uniquement sur trois matières (hébreu, grec, mathématiques). Pour rassurer l’Université de Paris, il n’a ni docteurs ni maîtres, tout en étant rattachée à cette dernière (les enseignants sont officiellement Lecteurs de l’Université de Paris). Il ne possède pas non plus de locaux propres : il faut attendre 1610 pour que soit posée la première pierre de son bâtiment. Les problèmes de locaux persistent : entre 1912 et 1914, les auditeurs d’Henri Bergson établissent une pétition pour protester contre l’exiguïté de la salle de cours (p. 84).
Dès les origines, l’institution acquiert cependant ses spécificités (p. 20-27). Les enseignants sont polyvalents, les cours changeant selon les besoins. Le collège s’ouvre à des disciplines nouvelles ou négligées par l’Université : ainsi, les langues et civilisations orientales (dont l’arabe en 1587), les sciences expérimentales. Le médecin-anatomiste Vidus Vidius, lecteur de 1542 à 1548, ou le mathématicien Pierre Gassendi, lecteur de 1645 à 1655, figurent parmi ces savants novateurs. Surtout, les lecteurs codifient progressivement le mode de nomination : ils conquièrent la possibilité d’élire en jury leurs nouveaux collègues (et ce dès 1566), et de définir l’intitulé des chaires. C’est une évolution fondamentale, car les chaires peuvent être redéfinies, gelées provisoirement ou remplacées selon les besoins et les nouveautés. Dès lors, l’Assemblée des professeurs devient le véritable lieu de gestion de l’institution.
Cependant, l’évolution n’est pas linéaire. À la fin de l’Ancien Régime, le Collège est intégré plus fortement à l’Université de Paris. En 1800, l’État codifie son fonctionnement, sans fixer explicitement le rôle de l’assemblée en matière de nomination. Les modifications de statuts ne manquent pas : 1829, 1857, 1873, 1911, 1932, 2007, 2014 (p. 38). De même, le nombre de chaires augmente : de 6 dans les premières années, elles passent à 20 à la fin de l’ancien régime, puis à 50 en 1927, et enfin à 52 aujourd’hui. Cependant, ces changements réglementaires et numériques ne doivent pas masquer certaines continuités. La procédure de recrutement a été institutionnalisée : on n’imagine plus des transmissions familiales des chaires, comme cela existait au XIXe siècle !
Autre aspect important, le Collège se fonde sur des « savoirs en mouvement » (p. 48-54). Les découpages disciplinaires ne sont pas ceux de l’université, ce qui permet l’émergence de disciplines nouvelles (par exemple le comparatisme, la psychologie clinique, l’archéologie, la linguistique, la physique nucléaire…). L’étude des civilisations orientales constitue un des aspects originaux de l’établissement, avec Jean-François Champollion pour l’égyptologie (1831-1832) ou Louis Massignon sur le monde arabo-musulman (1926-1954). De même, le rôle de l’expérimentation, tant dans la recherche que l’enseignement, constitue une spécificité précoce de l’institution. Claude Bernard, qui travaille sous différents statuts au Collège de France de 1841 à 1860, est un des grands théoriciens de cette approche expérimentale. Le couple formé par Irène Curie et Frédéric Joliot-Curie poursuit cette tradition durant l’entre-deux-guerres. La nomination de Michel Foucault (en 1970) et de Roland Barthes (en 1976) montre de même que le Collège de France s’est ouvert très rapidement aux nouvelles théories critiques des années 1960 et 1970. La liberté pédagogique et scientifique, la collégialité, le refus des frontières rigides entre champs de connaissance sont les trois facteurs d’une telle capacité d’adaptation.
Excellence, tradition et modernité, le Collège de France ne se réduit pas à ce triptyque académique. Ses membres agissent aussi dans la Cité. L’ouvrage souligne – et c’est un des points souvent méconnus – combien l’institution a influencé le débat public. Édouard de Laboulaye, titulaire de la chaire de législations comparées (1849-1883), est par exemple à l’origine, avec le sculpteur Auguste Bartholdi, de projet de statue de la Liberté, mais aussi de l’importation de l’idée de séparation des Églises et de l’État (p. 81). Plusieurs savants du collège sont proches ou membres du CVIA (comité de vigilance des intellectuels antifascistes), constitué en 1934. À la Libération, Henri Wallon et Paul Langevin participent à la commission de réforme de l’enseignement à laquelle ils ont laissé leur nom (« Plan Langevin-Wallon »).
En sens inverse, les pressions sociales, politiques, religieuses et idéologiques ont pesé sur le fonctionnement de l’institution. Adam Mickiewicz, Edgar Quinet et Jules Michelet ont par exemple été suspendus par le Second empire, malgré les protestations des professeurs (p. 82). De même, Ernest Renan, affirmant dans une des plus fameuses leçons du Collège de France, le 22 février 1862 que Jésus était un « homme incomparable », déchaîna les passions. Perdant par une lettre impériale le droit d’effectuer son cours quatre jours après, il est déchu de son titre de professeur en 1864, la République le rétablissant en 1870.
Autre épisode sombre, l’Occupation voit le Collège de France, connu pour ses orientations républicaines, mis sous l’étroit contrôle de Vichy et de l’occupant (p. 108-113). Plusieurs savants perdent leurs chaires du fait des lois racistes du régime, dont Marcel Mauss. Certains connaissent un sort encore plus tragique, tel Henri Maspero et Maurice Halbwachs, morts en déportation à Buchenwald en 1945. Quelques savants vont dans le sens du régime de Vichy, comme Bernard Faÿ, titulaire de la chaire de civilisation américaine de 1932 à 1944, qui participe à la persécution contre les francs-maçons. Il est révoqué à la Libération, puis condamné aux travaux forcés.
Au terme de cette passionnante et foisonnante histoire, comment se porte cette « vieille maison », pour paraphraser une formule de Léon Blum en 1920 ? Le Collège de France a inspiré la création d’institutions de prestige, comme l’Institute for Advanced study de Princeton en 1930 ou le Collège Belgique en 2007. On pourrait ajouter – même si l’ouvrage ne l’affirme pas explicitement – que certaines institutions prestigieuses, comme les ENS, l’EPHE ou l’EHESS, ne sont pas sans rappeler parfois certains traits distinctifs du Collège. De même, le Collège de France s’est révélé être particulièrement adapté à l’ère du numérique : Internet et les MOOCS (cours en ligne) reprennent sa tradition de cours ouverts à tous. En 2013-2014, 20 millions de téléchargements ont été effectués sur le site de l’établissement. L’internationalisation a été précoce : dès l’origine, des lecteurs étaient recrutés hors de France. Depuis 1976, les professeurs du Collège de France peuvent effectuer une partie de leur enseignement à l’étranger. De François Ier à l’ère globale, l’institution n’a décidément pas perdu de son originalité.
par , le 28 septembre 2015
Ismaïl Ferhat, « Le Collège de France, de François Ier aux cours en ligne », La Vie des idées , 28 septembre 2015. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Le-College-de-France-de-Francois-Ier-aux-cours-en-ligne
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