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Recension Histoire

Mirages de l’école coloniale

À propos de : Carole Reynaud-Paligot. L’École aux colonies. Entre mission civilisatrice et racialisation, 1816-1940, Champ Vallon


par Catherine Coquery-Vidrovitch , le 10 novembre 2021


Quelles furent les motivations des colonisateurs français en ouvrant des écoles au Maghreb et en Afrique ? Cette étude, sérieuse malgré quelques lacunes, montre comment le complexe de supériorité a fini par balayer l’idéal méritocratique et les rêves de mixité.

L’École aux colonies est une somme sérieuse et utile sur l’histoire de l’école coloniale à la française. La problématique est posée dès l’introduction : quelles furent les motivations des colonisateurs en ouvrant ces écoles ? Part ou illusion de philanthropie chrétienne, humanisme républicain, idéal méritocratique ? L’ouvrage démontre que ces courants, incontestables au début de l’histoire, vont progressivement se décomposer sous la pression de la supériorité raciale de plus en plus déployée dans le cadre de la colonisation européenne, fondée sur une volonté de dominer les populations de l’Empire.

La montée du racisme

L’ouvrage de Carole Reynaud-Paligot suit le déroulement chronologique du divorce de plus en plus accentué entre école et racisme, scindé en phases délimitées par les politiques coloniales successives : les débuts prometteurs, avec l’illusion durable de la « fusion des races », chère à Faidherbe en Afrique occidentale française (AOF) puis à Jules Ferry en Algérie. Ce dernier choisit, un moment, de privilégier l’expérience kabyle de modernisation d’une école « indigène » arabo-française publique et non confessionnelle.

Ces idées sont implacablement battues en brèche au fur et à mesure que la présence accrue des colons, puis l’arrivée de leurs familles sous la Troisième République, vont s’opposer aux tendances « progressistes » du « royaume arabe » civilisateur encore vivaces sous le Second Empire. L’Algérie devient alors le « laboratoire républicain » de cette rétrogradation par rapport à une possible mixité « raciale » dans le primaire et le secondaire. Dans les colonies triomphe l’objectif quasi exclusif d’un enseignement pratique et professionnel réservé aux indigènes. Les résistances africaines à cette tendance s’exercent surtout au Sénégal, grâce à la présence des quatre communes de droit français depuis 1917.

Dans les années 1930, à la suite de la montée et de l’apogée du « racisme scientifique », la conviction est forte, chez les responsables français, du « déterminisme psychologique » limitant les capacités intellectuelles des colonisés. Tout ceci, qu’il est important de coupler avec l’ouvrage postérieur de Delphine Peiretti-Courtis sur la fabrique du préjugé racial précisant le contexte « scientifique » de la période [1], est appuyé sur une documentation fouillée et solide.

Tintin au Congo, édition originale (expurgée par la suite).

Intérêt et lacunes

Le déroulement de l’ouvrage est assez descriptif, mais le fil conducteur est solide et constamment suivi. Les acteurs français de la politique éducative sont très bien présentés et caractérisés. On aurait souhaité en savoir davantage sur les acteurs africains, même si la tâche est plus difficile. Ils ont été nombreux en AOF et au Sénégal et leur rôle ne fut pas négligeable. Tout ce qui concerne le XIXe siècle est passionnant et souvent nouveau ; le XXe siècle souffre un peu d’être mieux connu.

L’étude démarre sur le Sénégal récupéré des Britanniques en 1816. On aurait pu souhaiter quelques mots sur ce qui a précédé, puisque les Français se sont installés à Saint-Louis du Sénégal au milieu du XVIIe siècle et que des générations de citadins créoles s’y sont implantés. On ne partait donc pas de rien.

Les parties les plus approfondies de l’ouvrage concernent l’AOF depuis ses débuts, l’Algérie et secondairement la Tunisie en Afrique du Nord et, de façon moins fouillée du point de vue archivistique, l’Indochine et Madagascar. En revanche, l’Afrique équatoriale française, dont l’aspect déshérité contraste face aux efforts réalisés en AOF, n’a droit qu’à une demi-page (p. 336). Pourtant, il existe sur la question d’assez nombreux travaux de thèse en France, ainsi qu’au Gabon et au Congo [2].

Le livre est à la fois très érudit et désarmant par certaines lacunes. Les notes infrapaginales sont nombreuses et précises, mais rien n’est dit sur la méthode de recherche et les sources. Passe pour l’absence de bibliographie en fin de volume, puisque les notes infrapaginales y remédient. En revanche, l’absence de table des sigles laisse le lecteur deviner d’où proviennent les archives, nombreuses et utiles, mais aux références elliptiques pour les non-initiés. On trouve indifféremment CAOM (Centre des archives d’outre-mer, devenu depuis plusieurs années ANOM, sises à Aix-en-Provence), mais aussi, moins intelligible, des références au Fonds RSTNF/ Indo ou encore des Mi manifestement issus des microfilms des Archives du Sénégal dupliquées à Paris. En bref une présentation sommaire des fonds d’archives consultés, manifestement nombreux, aurait été la bienvenue pour le lecteur un peu déboussolé.

En revanche, les ouvrages sont bien répertoriés, même s’il manque quelques classiques, comme le livre ancien, mais toujours inégalé, de G. Wilson Johnson sur le Sénégal ou le travail de Pascale Barthélémy sur l’École normale des filles de Rufisque . Les rapports multiples issus des colloques tenus lors de l’Exposition coloniale internationale de 1931 ne sont guère évoqués, et celui de la commission Guernut lancée par le Front populaire, pas davantage explicité. Cela dit, la documentation est globalement complète et solide.

Au résultat, il s’agit d’une synthèse sérieuse, indispensable pour tout historien de la colonisation. Elle s’arrête en 1940, au moment où des colonisés vont entreprendre de déracialiser leur système éducatif.

Carole Reynaud-Paligot. L’École aux colonies. Entre mission civilisatrice et racialisation, 1816-1940, Paris, Champ Vallon, 2020, 347 p., 25 €.

par Catherine Coquery-Vidrovitch, le 10 novembre 2021

Pour citer cet article :

Catherine Coquery-Vidrovitch, « Mirages de l’école coloniale », La Vie des idées , 10 novembre 2021. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Carole-Reynaud-Paligot-L-Ecole-aux-colonies

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Notes

[1Delphine Peiretti-Courtis, Corps noirs et médecins blancs. La fabrique du préjugé racial, XIXe-XXe siècles, Paris, La Découverte, 2021.

[2Voir Catherine Coquery-Vidrovitch, «  Access To Higher Education In French, Africa South of The Sahara  », Social Sciences, n° 10, 2021.

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