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Mort de Gustave Flourens le 3 avril 1871 - Gravure anonyme (CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris)

Recension Histoire

Un révolutionnaire inconnu

À propos de : Michel Pinault, Gustave Flourens, un intellectuel révolutionnaire. Du Second Empire à la Commune de 1871, L’Harmattan


par Michèle Audin , le 11 janvier


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Intellectuel républicain et anticlérical, théoricien des « races », Gustave Flourens a traversé le XIXe siècle, jusqu’à ce qu’il soit fauché par le sabre d’un gendarme au début de la Commune. Portrait d’un « révolutionnaire itinérant ».

« Gustave Flourens est resté certainement la figure la plus sympathique de l’époque », écrit Edmond Lepelletier [1] au sujet d’une figure familière aux historiens du Second Empire et de la Commune. Achevée brutalement par le sabre d’un gendarme cinq jours après la proclamation de la Commune, la participation de Gustave Flourens (1838-1871) à cet événement a été si brève qu’il n’a guère pu prendre place que dans son martyrologe.

Le « chéri de Belleville »

De son action pendant le siège prussien de Paris, sous le gouvernement de la « Défense nationale » (septembre 1870-février 1871), il a fait l’histoire dans un passionnant livre, Paris livré, paru le jour même de sa mort [2]. Cet ouvrage permet aussi de comprendre comment Flourens est devenu un charismatique « chéri de Belleville » et des gardes nationaux, souvent très jeunes, qui l’ont élu à la tête de cinq des bataillons du XXe arrondissement, qui l’ont accompagné lors de tentatives insurrectionnelles pendant ce siège [3], et qui l’ont même libéré lorsqu’il a été incarcéré.

Un peu plus tôt, il a été l’un des acteurs du mouvement révolutionnaire à la fin de l’Empire, autour de l’assassinat du journaliste Victor Noir et du quotidien La Marseillaise auquel tous deux collaboraient, puis contumace lors du « procès du complot » à Blois [4], alors que déjà la guerre contre la Prusse était engagée. Plus tôt encore, il avait été « révolutionnaire itinérant » en Turquie, Grèce et surtout en Crète.

Y aurait-il un autre Gustave Flourens ? On pourrait le croire en lisant la notice que lui a consacrée la Société d’éthnographie, dont il était membre :

Il se lança avec ardeur dans la politique la plus passionnée. Mais nous n’avons pas à le suivre sur ce terrain fatal où, détourné des études par lesquelles il aurait pu rendre de si grands services, il trouva la mort au sein de la plus affreuse guerre civile des temps modernes. [5]

Eh bien, non, il n’y a pas d’une part le révolutionnaire et de l’autre le savant ou l’intellectuel. Le titre du livre de Michel Pinault, Gustave Flourens : un intellectuel révolutionnaire, l’affirme clairement. Mais qui était-il donc ? Comme l’a écrit Karl Marx,

ce jeune crack-brained [fêlé] de Flourens est le fiston de late [feu] Flourens, secrétaire perpétuel de l’Académie [des sciences], qui, pendant toute sa vie, soit près de 100 ans [73, en réalité], n’a cessé de frayer avec tous les gouvernements en place et fut successivement bonapartiste, légitimiste, orléaniste, puis à nouveau bonapartiste. Il s’est fait encore remarquer, pendant les dernières années de sa vie, par son fanatisme contre Darwin [6].

Son père, Pierre Flourens, était ce que dit Marx, mais aussi membre de l’Académie française – élu en 1840 [7], pour faire échec à Victor Hugo – et bon catholique. Gustave Flourens était aussi le fils d’une mère aimante, Aline Clément d’Aerzen, fille d’un général et baron d’Empire, avec laquelle il entretint une correspondance très suivie – c’est une des sources importantes qu’exploite Michel Pinault. Ici, la transmission familiale de l’histoire s’est bien faite.

Naissance de l’anthropologie raciale

Né dans la pourpre au Muséum d’histoire naturelle, le jeune Gustave fit de brillantes études – concours général et baccalauréat au collège Louis-le-Grand, licence ensuite. À 22 ans, en 1860, il était préparateur au Collège de France, collaborateur de son père. Puis à 25 ans, sans avoir accompli aucun travail scientifique, il était professeur remplaçant (de son père) et donnait cinquante leçons, toujours au Collège de France, sur les « races humaines » et l’« histoire de l’homme ».

Le livre de Michel Pinault apporte de nombreuses informations et analyses nouvelles. Le moment lui-même est passionnant, celui de la naissance de l’anthropologie ou de l’ethnographie. La ou les théories des races étaient alors en plein développement. La première leçon de Gustave Flourens était publiée dans Le Moniteur universel, la foule se pressait au Collège de France, des articles louangeurs paraissaient. Les propos sur les « races » recueillaient l’assentiment général :

Les Gaulois représentaient le type arya dans toute sa pureté : teint blanc, cheveux blonds, yeux bleus. Ils étaient de haute taille, ils avaient la tête large, fièrement portée par un cou élevé. Ils n’écrivaient point leur histoire […] ; mais nul ne les égalait en force, en courage, en mépris du danger [8].

Michel Pinault détaille « racisme » et « antisémitisme » – les deux mots sont des anachronismes commodes ¬– dans les leçons de Gustave Flourens et dans les influences qu’il a subies. On lui reprochait de ne pas parler de Dieu. Le ministre Duruy refusait de prolonger sa suppléance. Gustave Flourens confirmait non seulement son athéisme, mais aussi son anticléricalisme, notamment dans une lettre à la presse, dont voici deux phrases :

C’est en me servant des ingénieuses, fécondes, sublimes découvertes des fonctions encéphaliques faites par mon père que j’anéantis le dieu dans le monde moral, que je détruis l’hypothèse d’une autre vie. Hypothèse qui ne sert point, comme on le répète par habitude, à améliorer l’homme, mais à l’hébéter, à le dépraver, en le soumettant aux prêtres [9].

On le voit, déjà en 1864, il ne reculait pas devant l’affrontement. L’anticléricalisme était un mot d’ordre des républicains dans cette fin de second Empire, notamment parmi les étudiants. Naturellement, Flourens participait, comme tant d’autres, au journal La Rive gauche.

Un jolly fellow contre Versailles

Grand connaisseur des intellectuels et des scientifiques – auteur notamment de biographies de Frédéric Joliot-Curie et d’Émile Borel –, Michel Pinault ne manque pas de reconnaître en Gustave Flourens la figure d’un intellectuel républicain, quinze ans avant la formation de l’« espèce », selon Christophe Charle [10].
En 1864, la carrière universitaire de Gustave Flourens était achevée, mais pas sa vie d’intellectuel. Il publiait encore Ce qui est possible. Ottfrid et le premier volume de Science de l’homme. Sa vie de révolutionnaire avait commencé. Écoutons encore Marx en 1870 :

C’est un très gentil garçon. Ce qui domine chez lui, c’est l’audacity. Mais il a quand même une bonne formation scientifique. Durant un an, il a donné des cours d’ethnologie à l’université de Paris, il a été partout en Europe du Sud, en Turquie, en Asie Mineure, etc. Bourré d’illusions et plein de fièvre révolutionnaire, but a very jolly fellow with all that [mais avec ça un type très agréable], tout différent de ces hommes qui se prennent au sérieux. Il a été proposé pour faire partie de notre Council [celui de l’Association internationale des travailleurs], auquel il a assisté deux fois en tant qu’invité [11].

Moins d’un an plus tard, ce jolly fellow s’élançait avec d’autres crack-brained dans une folle « sortie torrentielle » contre Versailles – et était assassiné, bien que prisonnier, par un gendarme insignifiant qui y gagna une immédiate Légion d’honneur.

Ainsi finit sa course ce bon chevalier errant que la Révolution aima [12].

Contribution importante, donc, que ce gros livre dont on ne peut que conseiller la lecture. Il reste à regretter qu’aucun éditeur sérieux ne l’ait pris en charge. Il serait d’un prix plus abordable et aurait été mieux relu avant publication, ce qui aurait permis d’y corriger quelques erreurs déplaisantes. Il est vrai qu’il y en a aussi dans les livres des grands éditeurs.

Michel Pinault, Gustave Flourens, un intellectuel révolutionnaire. Du Second Empire à la Commune de 1871, Paris, L’Harmattan, 2023, 532 p., 42 €.

par Michèle Audin, le 11 janvier

Pour citer cet article :

Michèle Audin, « Un révolutionnaire inconnu », La Vie des idées , 11 janvier 2024. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Michel-Pinault-Gustave-Flourens

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Notes

[1Edmond Lepelletier, Histoire de la Commune, III, Mercure de France (1913), p. 245.

[2Gustave Flourens, Paris livré, Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1871.

[3Une dimension romanesque bien exploitée par Jean-Pierre Chabrol dans Le Canon Fraternité (Gallimard, 1970).

[4À ne pas confondre avec le procès de l’Internationale, à Paris, quelques semaines plus tôt.

[5François Maurel, Notice nécrologique sur Gustave Flourens, membre de la Société d’ethnographie, Paris, Aux bureaux de la Société, 1872.

[6Karl Marx, lettre à Friedrich Engels du 10 février 1870, Correspondance, Éditions sociales (1985). La lettre est traduite de l’allemand.

[7L’année même où il expérimentait l’influence de la garance sur la croissance des porcelets, que les lecteurs de La Vie mode d’emploi de Perec connaissent bien.

[8 Gustave Flourens, «  Histoire de l’homme  », Le Moniteur universel, 9 décembre 1863, p. 2.

[9La Gazette de France, 21 novembre 1864, p. 2.

[10Michel Pinault, Frédéric Joliot-Curie, Paris, Odile Jacob (2000), Émile Borel, une carrière intellectuelle sous la IIIe République, Paris, L’Harmattan (2017). Christophe Charle, Naissance des «  intellectuels  » 1880-1900, Paris, Minuit, 1990.

[11Karl Marx, lettre à Engels du 28 avril 1870, Correspondance, Éditions sociales (1985).

[12Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871 (édition de 1896), La Découverte (1990).

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