Le problème
La littérature en économie de la santé et en épidémiologie a largement montré que les horaires atypiques (soir, nuit, week-end…) ou flexibles (fragmentés, variables…) avaient des effets négatifs sur la santé des salariés, qu’elle soit physique ou mentale (Tucker et Folkard, 2012). Ces effets délétères passent par différents mécanismes, décalage avec l’horloge biologique, stress lié à l’imprévisibilité, mais aussi difficultés de conciliation avec la vie familiale ou avec des activités sportives par exemple. Or ces horaires non standards sont fréquents : en France, selon l’enquête conditions de travail, en 2019, 23,8% des salariés travaillaient habituellement le samedi, 11,3% le dimanche, 7,4% la nuit, 10,3% étaient en travail posté (2*8, 3*8) et 28,9% connaissaient des horaires variables (Erhel et al, 2024). Si un objectif peut être dans certains cas de réduire la fréquence de ces horaires atypiques ou variables, cela n’est pas possible dans l’ensemble des secteurs et des métiers, notamment pour tous ceux qui requièrent une continuité de service (santé, transports, aide à domicile…). Dans ce cas, l’enjeu devient de limiter leurs effets négatifs sur la santé. Une piste est de donner aux salariés plus de contrôle sur leurs horaires.
La proposition
Donner aux salariés une capacité de contrôle sur leurs horaires de travail, même si ceux-ci sont atypiques ou variables.
Comment ça marche ?
Il s’agit d’afficher un objectif de flexibilité des horaires contrôlée par les salariés, accessible à toutes et tous (y compris les travailleurs pour lesquels le télétravail est impossible), et de privilégier des pratiques de gestion des plannings donnant aux salariés une capacité de choix et d’adaptation en fonction de leurs préférences et de leurs contraintes familiales et personnelles.
En pratique, il s’agit d’utiliser des outils numériques de gestion de plannings complexes (tels que développés pour les transports par exemple) afin de prendre en compte les préférences exprimées en amont par les salariés (sur les jours et horaires de travail) dans la définition des plannings individuels. Ces outils centralisés doivent être complétés par une gestion des horaires au niveau des équipes, avec une capacité d’adaptation en cas d’imprévu.
Sur quels travaux de recherche la proposition est fondée
La littérature en épidémiologie et en économie de la santé s’est beaucoup intéressée aux effets des horaires de travail sur la santé, montrant un impact négatif des horaires atypiques, mais aussi du travail posté ou des durées longues de travail sur la santé (Tucker, Folkard, 2012). Plus récemment, des recherches ont également analysé le développement et la diffusion de nouvelles formes de contraintes horaires, en lien avec l’économie de services ou avec la numérisation de l’économie : horaires variables, horaires fragmentés, débordement du travail sur le temps personnel (Messenger, 2018). Ces contraintes ont également des effets défavorables sur la santé des salariés (Erhel et al, 2024 ; Ha et al, 2020).
En revanche, ces travaux montrent également que le contrôle des salariés sur leurs horaires a un effet positif sur la santé, et vient contrecarrer les effets négatifs des horaires atypiques ou flexibles (Bassanini et Caroli, 2015 ; Erhel et al, 2024 ; Shiri et al, 2022).
Cette perspective rejoint également des travaux de gestion des ressources humaines qui montrent depuis la crise sanitaire une accentuation de la flexibilité des lieux et horaires de travail, mais aussi la persistance d’inégalités d’accès à cette flexibilité dans les entreprises (selon les métiers) et de différences dans ses effets sur les rémunérations et les carrières. La lutte contre ces inégalités suppose une politique volontariste de l’entreprise pour donner des marges de manœuvre et éviter les freins à leur usage, en ciblant l’ensemble des salariés (Kossek et al, 2021).
Comment mettre en œuvre
Cette proposition doit être mise en œuvre au niveau des entreprises. En pratique, elle peut s’appuyer sur des solutions numériques de planification des horaires comme des logiciels qui créent des plannings sur la base des contraintes de service et des préférences affichées des travailleurs. Des ajustements sont ensuite possibles au niveau des équipes, en cas d’imprévus. La proposition doit aussi impliquer l’encadrement intermédiaire et les gestionnaires de planning, qui constituent un métier très important dans cette perspective de flexibilité contrôlée par les salariés. Elle doit s’accompagner d’une communication globale afin de montrer que cette mesure concerne tous les salariés, quelles que soient leurs situations personnelles ou leurs fonctions.
Afin de favoriser la diffusion de ce type de pratiques, une communication à destination des acteurs de la négociation en entreprise et des gestionnaires RH peut être développée, insistant sur les effets positifs de ce type de pratiques (meilleure santé, plus faible absentéisme, meilleure attractivité). Il est également possible de faire de cette question du contrôle des horaires un objet de négociation à l’échelle des entreprises et des branches.
Pour citer cet article :
Christine Erhel & Mathilde Guergoat-Larivière & Malo Mofakhami, « Donner aux salariés une capacité de contrôle sur leurs horaires de travail. Proposition 11 »,
La Vie des idées
, 30 janvier 2025.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr/Donner-aux-salaries-une-capacite-de-controle-sur-leurs-horaires-de-travail
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