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Recension Société

Anthropologie politique de la psychanalyse

À propos de : S. Lézé, L’Autorité des psychanalystes, PUF


par Hervé Guillemain , le 21 mai 2010


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Sur quoi repose l’efficacité de la cure ? Comment se forme le régime d’autorité des psychanalystes ? En déplaçant son regard vers le champ politique, l’anthropologie dépeint une autorité tout à la fois au cœur et en marge de l’espace social.

Recensé : Samuel Lézé, L’Autorité des psychanalystes, Paris, PUF, 2010. 248 p., 23 €.

Comment parler de l’efficacité de la parole dans la cure ? On le sait, la réponse de Lévi-Strauss renvoie à l’efficacité symbolique [1]. Une certaine perspective anthropologique, inspirant notamment les travaux historiques d’Henri Ellenberger [2], rapproche la psychothérapie du chamanisme, ce qui pose évidemment la question de la croyance du profane envers l’action magique du thérapeute. L’expérience se donne en effet sur le mode de la conversion et de l’initiation, voire de l’exercice spirituel. Le questionnement actuel de la psychanalyse – sur un mode polémique anti-freudien – pointe notamment cette dimension.

Une cure nommée désir

Samuel Lézé, anthropologue de la santé mentale, propose dans cet ouvrage stimulant une autre lecture des fondements de l’autorité des psychanalystes, en repartant des interrogations jadis posées par Robert Castel [3]. « Montrer la rationalité sociale de la psychanalyse, quoi qu’on puisse penser par ailleurs de sa scientificité et de son efficacité », telle est la ligne directrice courageuse, et tenue fermement, de Lézé. Il ne s’agira donc pas de parler de croyance, mais de régime d’autorité des psychanalystes français en resituant la pratique dans son écologie et dans le contexte de remise en question de cette autorité dans la dernière décennie. Si le travail de Jeanne Favret-Saada sur la sorcellerie du bocage vient en note et à l’esprit, la démarche de l’auteur est cependant différente, car beaucoup moins empathique. Au début de son enquête en 1999, l’anthropologue se heurte à une interrogation systématique de ses interlocuteurs analystes : « Quel est votre désir ? » Lézé part en effet de loin – pour lui, la psychanalyse est une idéologie, une pseudo-science ou un objet populaire sujet de plaisanterie – et cette distance est préservée coûte que coûte, ce dont témoignent les réflexions reprises de son journal de terrain : « Je souhaite montrer que l’anthropologie peut entretenir avec la psychanalyse un rapport d’objectivation. »

L’arrière-champ social et politique de la psychanalyse

L’anthropologue se doit de travailler un terrain exotique. Ici le provincial se déplace dans les cabinets parisiens et lacaniens [4], mais l’essentiel réside plutôt dans l’extraterritorialité de la psychanalyse. Une pratique difficile à situer dans l’espace social, qui est à la fois omniprésente médiatiquement et dont les acteurs cultivent une forme d’invisibilité, ce dont témoigne l’imprécision des statistiques (5 000 praticiens français ?). L’anthropologue de proximité n’en rencontre pas moins l’inhospitalité, puisqu’il se refuse à employer les bons « mots de passe ». L’enquête du non-initié patine. L’anthropologue s’épuise à négocier perpétuellement sa place aux frontières de la cure. Sans passer de l’autre côté, l’enquêteur change certes finalement de statut, de patient potentiel à médiateur, mais l’arrière-monde de la psychanalyse reste invisible. C’est donc dans le champ social et politique que l’anthropologue décide de déplacer son regard.

La souveraineté freudienne sur « la juridiction des problèmes personnels » repose, selon Lézé, sur une légitimité intellectuelle profonde et sur la réponse concrète apportée par la psychanalyse dans les champs de la psychiatrie, de la pédiatrie ou de la psychosomatique. La psychanalyse a été reçue à la fois comme un discours intellectuel critique et comme une source d’émancipation individuelle. Mais, au-delà de ces fondements bien connus, c’est l’organisation militante charismatique, c’est l’institution non académique, qui permettent de préserver une autorité tout à la fois au cœur et en marge de l’espace social. Cette « dignité » de la psychanalyse qui transparaît dans l’asymétrie patient-analyste est fondée sur une éloquence et une présence spécifiques qui rompent avec le régime de conversation usuelle et soutiennent l’individu : le « bon » psychanalyste est un corps et une voix. L’analysant s’affilie en fin de compte à un mouvement social, sa conversion étant aussi un acte militant au service de la cause. Dans ce dispositif, la cure psychanalytique peut être assimilée à un fait d’organisation politique.

L’autorité des psychanalystes

La souveraineté de la psychanalyse a, selon Samuel Lézé, perdu de son évidence dans les années 1997-2005, caractérisées par une séquence de confrontations interprofessionnelles des psychologues comportementalistes et de certains psychothérapeutes avec la psychanalyse, puis par une séquence médiatique bien connue – la part française des « Freud wars ». La démocratie sanitaire montante qui se traduit par l’intervention accrue d’associations de patients et de familles au nom de la transparence thérapeutique fragilise logiquement cette autorité analytique acquise, tout patient devenant de fait un expert à l’égal des professionnels. La passe d’armes actuelle sur la question de la prise en charge de l’autisme n’est qu’une forme exacerbée de cette mise en cause de l’influence de la psychanalyse dans le champ de la pédopsychiatrie. Pour Lézé,

« le questionnement des freudiens dans le champ intellectuel cède la place à une mise en question du freudisme. En l’espace de moins de dix ans, l’évidence de la souveraineté de la psychanalyse a donc disparu [...] Sa modernité n’est plus assurée. Elle risque de plus en plus de faire figure d’archaïsme plus ou moins toléré. De révolutionnaire, le discours psychanalytique peut en effet devenir réactionnaire si la psychanalyse ne révise pas très largement ses vues sur la famille et les patients qui forment désormais des acteurs autrement plus redoutables que les simples critiques lancées par les représentants du cognitivo comportementalisme. »

Loin des positions du manifeste pour une psychothérapie démocratique [5], et de la posture d’un Michel Onfray, les conclusions de cette anthropologie politique formulent en fin de compte une appréciation nuancée et contextualisée de la psychanalyse qui, malgré sa fragilisation en ces temps de rationalisation thérapeutique, conserve une dignité et une utilité qui fonde sa vitalité française. L’autorité des psychanalystes reste légitimement fondée sur la défense de la clinique du sujet contre sa réduction en cours à un rationalisme asséchant ; elle est en cela un terrain d’avenir pour la société comme pour l’anthropologue.

par Hervé Guillemain, le 21 mai 2010

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Pour citer cet article :

Hervé Guillemain, « Anthropologie politique de la psychanalyse », La Vie des idées , 21 mai 2010. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Anthropologie-politique-de-la

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Notes

[1C. Lévi-Strauss, « L’efficacité symbolique », Anthropologie structurale, 1949.

[2H. Ellenberger, Histoire de la découverte de l’inconscient, Paris, Fayard, 1994.

[3R. Castel, Le Psychanalysme, Paris, Maspero, 1973.

[4Une observation participante de l’auteur dans un hôpital de jour pour adolescents est la matière d’un article publié dans F. Fernandez, S. Lézé, H. Marche (dir.), Le Langage social des émotions. Études sur les rapports aux corps et à la santé, Anthropos-économica, 2008.

[5T. Nathan (dir.), La Guerre des psys. Manifeste pour une psychothérapie démocratique, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2006.

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