Au siècle des Lumières, le médecin viennois Franz Anton Mesmer (1734-1815) s’intéresse à la distribution d’un « fluide » dans le corps. Le magnétisme est né. Entre science et charlatanisme, cette nouvelle discipline ouvre la voie à l’hypnose.
Au siècle des Lumières, le médecin viennois Franz Anton Mesmer (1734-1815) s’intéresse à la distribution d’un « fluide » dans le corps. Le magnétisme est né. Entre science et charlatanisme, cette nouvelle discipline ouvre la voie à l’hypnose.
Qui était Franz Anton Mesmer ? Un aventurier ? Un charlatan ? Un magicien ? Un hypnotiseur de spectacle ? L’historien Bruno Belhoste propose une solide biographie de ce médecin qui éclaire et précise bien des points mal connus, trop souvent romancés ou caricaturés.
Bruno Belhoste met au jour les débats complexes que suscitent les thérapeutiques de cet homme au sujet du « magnétisme animal » et les replace dans les bouleversements politiques et scientifiques d’une Europe transformée par les penseurs des Lumières et secouée par la Révolution française.
Né en 1734 à Iznang au bord du lac de Constance, Mesmer est formé en terre germanique dans une école monastique puis un collège jésuite. Destiné à l’état ecclésiastique, il étudie la théologie, mais change d’orientation et s’inscrit à la faculté de droit à Vienne en 1759 pour finalement devenir médecin, avec une soutenance de thèse en 1766. Cette Dissertation physico-medica planetarum influxu est centrée sur l’influence des astres sur le corps humain où musique et harmonie jouent un grand rôle, sujet mois atypique qu’il n’y paraît et que Bruno Belhoste analyse longuement.
La thèse de Mesmer combine de façon originale la théorie newtonienne de la gravitation étendue en fait à l’ensemble des propriétés des corps matériels et le modèle physiologique de la circulation du fluide nerveux. (p. 50)
Médecin, Mesmer exerce à Vienne de 1767 à 1778, reconnu et respecté (au moins jusqu’en 1775), d’autant qu’il a épousé en 1768 une riche veuve qui lui apporte un palais viennois du XVIIe siècle pour lieu de travail et de vie. Il y déploie son goût pour la musique, le théâtre et la sculpture en véritable mécène. Le petit opéra Bastien et Bastienne de Mozart est joué dans sa demeure.
Le magnétisme animal est encore à inventer : un chapitre du livre relate l’enchaînement des événements compliqués et disparates qui débouchent sur sa conceptualisation en 1775, « plus intellectuelle qu’expérimentale », écrit Bruno Belhoste (p. 83).
Le processus débute un an auparavant avec une cure fondatrice, celle d’une jeune femme nommée Franzl, et son déroulement complexe est agité de contestations, voire de scandales. Après avoir minutieusement décrit cette invention du magnétisme animal, détaillant ses formes, ses pratiques, ses enjeux thérapeutiques et son ancrage dans la théorie d’un « fluide » universel, Bruno Belhoste s’attache à la confrontation de cette méthode avec celle de Gassner, un prêtre pratiquant avec succès des exorcismes qui font disparaître les maux de ceux et celles qui s’y soumettent.
Face à ces procédés, le magnétisme animal, paradoxalement appuyé sur un positivisme médical, devient le pourfendeur de la superstition et une « arme politique au service de l’Aufklärung catholique et de l’absolutisme éclairé. Mesmer y gagne des alliés et une reconnaissance officielle » à Vienne qui, malheureusement, ne dure pas (p. 127).
Le médecin peaufine ses cures en ajoutant au magnétisme l’usage de l’aimant, mais aussi de l’eau, de la musique et de l’électricité (dont la découverte est encore balbutiante). Ces soins se terminent toujours par une crise violente et souvent douloureuse, jugée salutaire pour retrouver une harmonieuse distribution du fluide dans le corps. Le magnétisme semblait donc être une thérapeutique novatrice et simple à pratiquer, mais Mesmer ne parvient pas, malgré tout, à en prouver l’efficacité.
La cure de Maria Teresia Paradis, jeune musicienne prodige devenue aveugle en décembre 1862, devait enfin apporter cette démonstration. Elle déclencha au contraire un scandale qui obligea Mesmer à quitter Vienne pour Paris. Bruno Belhoste reprend pas à pas les sources de cette affaire et en nuance l’interprétation, en soulignant combien l’échec est pour Mesmer une rupture douloureuse.
La deuxième partie de livre s’attache à l’évolution du mesmérisme, à ses succès publics en particulier (avec l’invention du baquet), mais aussi à sa réception disparate par les médecins français. Charles-Nicolas Deslon, premier médecin ordinaire du comte d’Artois, le frère du roi, est l’un des premiers à s’engager aux côtés de Mesmer. Il met toutes ses relations à son service, mais il ne peut empêcher les conflits avec des membres de la faculté de médecine de Paris pour des raisons théoriques d’interprétation de ce qu’est la maladie, mais aussi et surtout de pouvoir.
Le magnétisme animal prend néanmoins de l’ampleur avec la création de la Société de l’harmonie en 1783, qui diffuse largement le procédé et sa doctrine. Le prix élevé de la souscription enrichit rapidement Mesmer, qui y gagne notoriété et fortune, mais perd le contrôle de sa découverte. Le livre apporte de nombreux et précis éclairages sur cette société et sur la pensée de Mesmer comme sur le personnage lui-même, récusant bien des caricatures à son égard.
Mesmer profite peu de temps de ses succès et son triomphe parisien est éphémère, puisqu’en août 1784, l’existence d’un « fluide salvateur » est niée et la doctrine ridiculisée après l’enquête de deux commissions issues l’une de l’Académie des sciences, l’autre de l’Académie de médecine. Un chapitre du livre rend minutieusement compte du déroulé de la formation des commissions, des expériences et du rapport officiel.
Bruno Belhoste souligne que par-delà la question de l’efficacité thérapeutique du magnétisme animal, l’enjeu de la polémique « est plus largement de déterminer qui est dans le camp des Lumières et qui dans celui de l’obscurantisme » (p. 291). En cette fin de XVIIIe siècle, ce sont les savants plus que les médecins qui se battent contre les fausses sciences et la superstition. La condamnation du magnétisme est donc de leur fait : « Le fluide n’existe pas et tous ses effets sont le produit de l’imagination et de l’imitation », avaient-ils conclu (p. 291).
C’est dans ce contexte que s’ouvre un autre pan de l’histoire du magnétisme, avec la naissance du somnambulisme magnétique en 1784 (appelé « hypnose » après 1843), dont le découvreur est le marquis de Puységur, membre de la Société de l’harmonie. Cet état modifié de conscience n’était pas inconnu de Mesmer, mais il l’avait jugé dangereux pour ses patients, lui préférant les crises salvatrices sans parole. Bruno Belhoste étudie les conflits qui se développent entre les membres de la Société de l’harmonie et précise la pensée de Mesmer à travers certains de ses écrits, souvent mal connus.
À cette date, le rôle public de Mesmer est terminé. L’homme ne cesse de voyager : après 1785, il se rend plusieurs fois en Angleterre, puis dans le sud de la France chez des disciples, part en Suisse à Zurich, en Allemagne et retourne à Vienne. Lorsque la Révolution française éclate, il se montre favorable à ses principes, mais, craignant pour lui, se réfugie en Suisse où il demeure cinq ans. Les deux derniers chapitres de sa biographie sont d’une grande richesse de détails sur ses rencontres, ses conceptions politiques et morales, qui se situent bien au-delà du magnétisme.
Peu intéressé par les recherches scientifiques de ses contemporains (puisque ni le galvanisme, ni l’aliénisme ne suscitent ses commentaires), Mesmer réfléchit à une théorie politique fondée sur l’harmonie et continue d’écrire jusqu’à sa mort, à l’âge de 81 ans, le 5 mars 1815, dans sa retraite de Thurgovie. Le Mesmerismus, son grand et dernier ouvrage, a été publié un an auparavant, encore mal connu et d’une lecture difficile.
Franz Anton Mesmer est donc à la fois un médecin aux conceptions originales et parfois novatrices et un penseur des Lumières confronté aux bouleversements des révolutions de la fin du XVIIIe siècle. Grâce à un travail rigoureux et à la mise au jour de sources peu exploitées, dispersées dans les bibliothèques et les archives, Bruno Belhoste a su retracer l’originalité de cette longue vie de savant.
par , le 18 décembre
Nicole Edelman, « Une histoire de fluide », La Vie des idées , 18 décembre 2024. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Une-histoire-de-fluide
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