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Ouroboros

Essai International

Un énorme gâchis ?
Les leçons du processus constituant au Chili (2019-2023)


par Carolina Cerda-Guzman , le 16 janvier


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L’échec des tentatives du Chili pour se donner une nouvelle constitution est l’occasion de revenir sur les processus constituants. Un peuple peut-il vouloir pour lui-même une telle transformation, ou vaut-il mieux continuer de réformer l’actuelle constitution, bien qu’héritée de la dictature ?

Le 4 septembre 2022, le corps électoral chilien a refusé à 62% l’adoption d’un projet de constitution très progressiste. Un an plus tard, le 17 décembre 2023, ce même corps a rejeté à 55,7% un autre texte, nettement plus conservateur, mettant ainsi un terme, ou au moins en suspens, le processus de changement de constitution initié en 2019. Quatre ans après ce qui a été appelé l’« estallido social » (l’explosion sociale), le Chili a fini l’année de 2023 tel qu’il l’avait fini en 2019 : avec la même constitution.

L’espoir d’un changement de constitution était pourtant grand, dans la mesure où cela faisait presque trente ans que le pays vivait démocratiquement sous l’empire d’une constitution aux origines dictatoriales. En effet, le Chili est un des rares pays dans le monde à avoir choisi de restaurer la démocratie tout en gardant la constitution rédigée par ses dictateurs. Ce choix avait été fait dans un but principal : celui de pacifier la transition démocratique. Le départ sans heurts ni violence des militaires était conditionné au maintien des grandes structures juridiques et économiques qu’ils avaient établies. Sous la dictature, menée par Augusto Pinochet entre 1973 et 1990, le pays avait subi des réformes profondes. Suivant les préceptes de l’École de Chicago, une économie néolibérale avait été mise en place, mettant à mal l’ensemble des services publics essentiels. L’éducation, la santé, les retraites ont été placées entre les mains des entreprises privées, laissant à l’État un rôle purement subsidiaire.

Pour préserver ce modèle économique, une constitution avait été élaborée et adoptée, via un référendum frauduleux en 1980. Selon Augusto Pinochet, ce texte avait pour objectif d’instaurer une « démocratie protégée ». Cette expression fallacieuse masquait mal la réalité des faits. Entre 1980 et 1989, de démocratie, il n’en était rien. Il s’agissait avant tout de maintenir les forces armées au cœur du processus décisionnel afin de veiller à la préservation du modèle économique. Après le départ d’Augusto Pinochet en 1990, les principales « enclaves autoritaires » du texte ont été retirées, à travers diverses réformes constitutionnelles. La réforme la plus marquante fut celle de 2005, sous le mandat de Ricardo Lagos, laquelle a notamment permis de mettre fin au système des sénateurs à vie. Toutefois, malgré ce « toilettage », l’esprit de la « Constitution de Pinochet » persistait. En protégeant mieux les droits économiques des personnes privées que les droits sociaux, en consacrant un droit de propriété sur l’eau, en complexifiant la procédure des lois par lesquelles l’État pouvait intervenir dans l’économie, la Constitution chilienne formait un bouclier redoutable autour du modèle économique néolibéral.

Lorsqu’en octobre 2019, plus d’un million de Chiliennes et de Chiliens manifestent dans les rues du pays, c’est précisément pour dénoncer les dégâts de cette politique sur leur retraite, leur accès à la santé, leur droit à l’éducation ou même la protection de l’environnement. La réponse à ces revendications semble toute trouvée : changer enfin de constitution. Mais quatre ans plus tard, l’objectif n’a pas été atteint. Un sentiment d’énorme gâchis peut alors nous envahir, comme cela a été le cas pour une partie de la population chilienne.

Comme un symbole, le lendemain du dernier référendum, un collectif d’artistes a installé pour quelques heures une œuvre sur la place où se réunissaient les manifestants de 2019 à Santiago. Cette œuvre représentait un Ouroboros : un serpent se mangeant la queue, mais ici le serpent avait les formes des frontières du pays. Selon le collectif (l’Instituto de Motricidad Fina), deux lectures peuvent être faites de cette œuvre d’art politique : une pessimiste et une optimiste.

La première serait de considérer que le Chili est dans une boucle éternelle, dont il est incapable de sortir. Ainsi, ce processus constituant, comme tout autre processus, était une vaine tentative d’échapper à la destinée du pays : répéter sans cesse les mêmes erreurs, jusqu’à sa propre extermination. La seconde, en revanche, voit dans le processus constituant une possible renaissance et qu’à chaque erreur ou échec, le pays en tire des enseignements pour avancer. Parmi ces deux options, la seconde paraît la plus intéressante, surtout si l’on replace la tentative chilienne de changement de constitution dans une échelle plus globale. En effet, le processus chilien n’a rien d’un gâchis. Il constitue une expérience utile afin de mieux comprendre les processus constituants et les constitutions elles-mêmes.

Mieux comprendre les processus constituants

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les processus constituants, c’est-à-dire les processus permettant l’élaboration d’une toute nouvelle constitution, restent encore largement sous-étudiés par la doctrine juridique. En France, ceci s’explique en grande partie par le poids qu’ont pu avoir les pensées d’Emmanuel-Joseph Sieyès, au XVIIIe siècle, puis celle de Raymond Carré de Malberg, au XXe siècle, sur des générations de juristes. En partant du principe que l’élaboration d’une nouvelle constitution est l’expression la plus pure du pouvoir souverain, sa mise en œuvre ne peut dès lors être limitée par les règles de droit. Le pouvoir constituant peut tout ou il n’est pas. Partant, si le juriste se limite à l’étude des règles de droit, il ne peut étudier les processus constituants, qui eux relèvent du fait et non du droit. Cette théorie, particulièrement puissante, fut exportée dans d’autres pays et explique pourquoi ces processus ont souvent été étudiés par des spécialistes de science politique plutôt que par des constitutionnalistes, qui eux les observaient d’un regard extérieur et attendaient l’adoption de la nouvelle constitution pour enfin entrer en jeu.

Toutefois, cette vision a été largement battue en brèche à la fin du XXe siècle, et les processus constituants, notamment ceux mis en œuvre après le « Printemps arabe », ont confirmé le poids du droit dans l’encadrement de ce type de processus. Depuis, ils connaissent un regain d’intérêt de la part de la doctrine juridique. L’expérience chilienne, du fait de sa singularité, offre à cet égard des enseignements particulièrement riches dans ce domaine.

Les défis d’un processus constituant participatif

L’une des principales caractéristiques du processus constituant chilien est sa volonté d’associer au mieux le peuple dans l’étape de rédaction du texte. Face à une constitution illégitime par sa naissance, il fallait élaborer une constitution parfaitement démocratique et faire en sorte que le peuple chilien écrive sa propre constitution. Habituellement, le moyen le plus simple est une participation indirecte, à travers l’élection de représentants, et donc via l’élection d’une assemblée constituante. Le Chili a souhaité non seulement que ces assemblées constituantes soient les plus représentatives possible de la société actuelle, mais que le peuple ait aussi un droit de participation directe à la rédaction des différents textes.

Pour ce faire, deux assemblées ont été élues au suffrage universel direct : une première, appelée Convención constitucional, composée de 155 membres ; puis, après le rejet du texte rédigé par celle-ci, une seconde, appelée Consejo constitucional, composée de 51 membres. Ces deux assemblées se distinguent par leur composition parfaitement paritaire (il s’agissait d’une première dans l’histoire mondiale des processus constituants). De plus, la Convención constitucional avait une représentation accrue des peuples autochtones, puisque 17 des 155 sièges leur étaient réservés [1]. À côté de cela, tout citoyen pouvait soumettre devant chacune de ces chambres des propositions de norme constitutionnelle. Si elles recueillaient suffisamment de signatures de soutien, et remplissaient certains critères formels, les propositions pouvaient être examinées par les chambres et, éventuellement, être intégrées dans le texte final.

Cette démarche participative apparaissait, sur le papier, idéale. Le résultat fut néanmoins décevant. La composition paritaire visait à faire en sorte que les droits des femmes bénéficient d’une meilleure protection. Si cela a été le cas pour la première proposition, la seconde, plus conservatrice et qui aurait pu potentiellement limiter le droit à l’avortement au Chili, conduit à tempérer l’analyse. Concernant les propositions de norme constitutionnelle, nombre d’entre elles ne furent pas examinées (dans la mesure où elles ne remplissaient pas tous les critères formels) et lorsqu’elles l’ont été, elles ont souvent été écartées, car jugées non pertinentes. L’expérience chilienne montre la difficulté de mise en œuvre d’une procédure participative de rédaction d’une constitution, même lorsque la demande émane de la rue, et incite à imaginer de nouveaux mécanismes plus efficaces pour favoriser et faciliter cette participation.

La place des référendums dans un processus constituant

Le second enseignement à tirer de l’expérience chilienne se situe dans le prolongement du premier, mais s’avère encore plus redoutable, puisqu’il consiste à s’interroger sur la pertinence de soumettre ces projets de constitution à référendum. En toute logique, et surtout si l’on souhaite que la nouvelle constitution soit le fruit d’un processus démocratique, il convient de soumettre le projet de nouvelle constitution à l’approbation du peuple via un référendum. Le philosophe et politologue norvégien Jon Elster avait même trouvé une image tout à fait parlante pour schématiser le processus constituant idéal : celui du sablier [2]. D’après lui, ces processus doivent être larges au début et à la fin en associant le peuple via des référendums d’entrée et de sortie, mais plus étroits au milieu, en confiant la rédaction à un groupe plus réduit de personnes. Ce format permettrait de s’assurer de la légitimité du processus et du texte final, tout en veillant à son efficacité.

Le choix du référendum apparaît d’autant plus pertinent que ce procédé est connu pour son taux élevé de réussite. Selon une étude faite par Zachary Elkins et Alexander Hudson, 94% des référendums constituants organisés dans le monde entre 1789 et 2016 ont été approuvés [3]. Durant cette même période, seuls onze référendums constituants ont vu le « non » l’emporter. Les référendums chiliens de 2022 et 2023 sont donc devenus les douzième et treizième exceptions dans le monde. Si les raisons des rejets sont diverses et propres au contexte chilien [4], des interrogations sont nées de l’utilité du recours au référendum comme moyen d’approbation des textes constitutionnels en général. Roberto Gargarella, un juriste argentin, est l’un des plus critiques, les qualifiant « d’extorsion électorale » [5]. Son principal reproche tient à l’inadéquation de cet outil pour consulter la population sur des textes longs et complexes et pour lequel la population ne dispose que d’un choix binaire entre « oui » et « non ». Chaque électeur peut approuver une partie des articles soumis au vote, mais en rejeter d’autres. Il leur revient alors de faire une mise en balance des « pour » et des « contre ». Mais cette balance n’est pas une opération purement arithmétique puisqu’elle dépend du poids que chacun accorde à certains enjeux ou problématiques. Les électeurs se trouvent alors dans une situation où ils doivent parfois faire d’importantes concessions afin de préserver les articles auxquels ils sont attachés.

La conclusion selon lui n’est pas nécessairement de supprimer les référendums constituants, mais de mieux les penser. Si l’on souhaite que le corps électoral puisse faire un choix éclairé, il importe de l’associer de manière bien plus poussée au processus de rédaction du texte [6]. Au Chili, les techniques déployées dans ce sens n’ont pas été efficaces, mais il est possible d’en imaginer d’autres, et notamment des assemblées de citoyens tirés au sort qui assisteraient les rédacteurs de la constitution. Ainsi, de cet échec de nouvelles idées peuvent émerger, et en s’inspirant des tentatives opérées en Islande et en Irlande durant la décennie 2010 [7], de nouvelles formes de processus constituant peuvent être imaginées.

Mieux comprendre les constitutions

Mais au-delà d’une meilleure conceptualisation des processus constituants, l’expérience chilienne nous enseigne beaucoup sur ce qu’est (et sur ce que peut être) une constitution. Les deux échecs au référendum ne doivent pas minorer le fait que, durant ce processus, ce pays est parvenu à rédiger intégralement non pas deux, mais trois projets de constitution : le projet de Constitution de 2022 de la Convención constitucional (particulièrement progressiste et rejeté par référendum le 4 septembre 2022), l’avant-projet de Constitution de 2023 rédigé par un groupe d’experts désignés par le parlement (particulièrement consensuel, mais largement remanié ensuite par le Consejo constitucional) et le projet de Constitution de 2023 du Consejo constitucional (particulièrement conservateur et rejeté par référendum le 17 décembre 2023). De ces différents textes, deux leçons peuvent être tirées.

La capacité d’innovation dans la rédaction des constitutions

La première tient à la portée innovante des nouvelles constitutions. Si l’on compare ces trois textes, on constate qu’il s’agit de propositions très différentes les unes des autres, non seulement en termes d’orientation politique (le projet de 2022 implique une politique économique de redistribution sociale, alors que le projet de 2023 préserve et protège le modèle économique néolibéral), mais aussi et surtout en termes d’originalité. À ce titre, le projet de 2022 est celui qui se distingue le plus. Ici, peu importe que le texte soit trop orienté politiquement, ce qui est intéressant est de voir dans quelle mesure il a pu proposer quelque chose de nouveau, qui pourrait constituer une source d’inspiration, soit pour de futures constitutions chiliennes, soit pour de futures constitutions étrangères.

La première nouveauté tient à la place qu’occupait la parité dans l’organisation du système institutionnel. Le projet de 2022 proposait pour la première fois l’instauration d’une démocratie paritaire. Pour ce faire, l’exigence de parité était imposée à toutes les instances collégiales de l’État, donc non seulement au parlement et au gouvernement, mais aussi à la cour constitutionnelle, les tribunaux de justice, la banque centrale, et même aux organes de décisions de la police et de l’armée. Aucune constitution au monde n’avait proposé une telle réorganisation genrée des institutions politiques et publiques. Difficile de déterminer si cela aurait pu aboutir à des résultats probants et surtout intéressants mais, quoi qu’il en soit, il s’agit d’une proposition en elle-même extrêmement innovante et qui mérite qu’elle soit étudiée de plus près.

Cette innovation se retrouve également sur un autre volet : celui de l’environnement. Ce projet avait pour ambition d’établir une « République écologique ». 22% du texte mentionnait d’une manière ou d’une autre l’environnement ou la nature. Parmi ces dispositions, certaines ont déjà des équivalents dans d’autres constitutions dans le monde (comme la consécration des « droits de la nature » ou des « biens communs »), mais le projet de 2022 proposait une synthèse inédite du fait de son caractère systématique en y introduisant en plus quelques nouveautés (comme la création d’un défenseur de la nature). Le projet constitue une proposition unique dans le monde et ne serait-ce que pour cette seule raison : le processus constituant chilien n’a pas été un gâchis.

Néanmoins, le rejet clair de cette proposition doit également interroger. S’il demeure difficile de déterminer les raisons exactes de ce refus (car parmi les réformes proposées certaines – qui ne sont pas innovations pures, comme la consécration d’un État plurinational reconnaissant des droits plus poussés aux peuples autochtones [8] – ont constitué un argument clé pour le rejet), une part non négligeable de celui-ci réside très certainement dans la non-adhésion de la société chilienne à cette constitution programmatique. Dès lors se pose la question de l’acceptabilité de telles innovations. Un peuple peut-il vouloir pour lui-même une telle transformation ? Dit autrement : une nouvelle constitution (rédigée et adoptée de manière démocratique) est-elle vouée à proposer des réformes marginales ou peut-elle imposer une transformation totale de la société ? Cette question du constitutionnalisme transformateur, particulièrement discutée dans les « pays du sud » a encore trop peu imprégné les pays occidentaux, mais, au regard des défis sociaux et environnementaux que tout pays devra affronter, cette question s’annonce comme un débat axiologique incontournable dans les années à venir, comme l’avait déjà pressenti Michaela Hailbronner [9].

La force d’inertie des constitutions

Ce débat devra également prendre en compte une autre donnée qui est celle de la force d’inertie de la constitution déjà en place. Le changement de constitution n’implique pas nécessairement une radicalité dans le changement. Certains éléments, qu’ils relèvent de la tradition constitutionnelle ou des structures ou principes immuables, demeurent. Si l’on examine et compare les trois projets et avant-projets de constitution au texte constitutionnel en vigueur au Chili, on constate que des invariants persistent. Le plus intéressant est le choix de maintenir un régime constitutionnel identique, à savoir un régime « présidentialiste » octroyant au président de la République, élu au suffrage universel direct, d’importantes attributions dont celle d’initier une loi. La question d’un retour au régime parlementaire avait été envisagée au sein de la Convención constitucional, mais avait été rapidement écartée. Finalement, et pour reprendre une terminologie utilisée par Roberto Gargarella, ces trois textes maintiennent intacte « la salle des machines » [10]], c’est-à-dire la répartition des pouvoirs au sein des principales institutions politiques. Or, il s’agit d’un des éléments les plus déterminants d’une constitution, car on sait d’expérience la difficulté de parvenir à un changement réel de la pratique du pouvoir.

L’histoire constitutionnelle française constitue une parfaite illustration de ce paradigme. La constitution de la IVe République, souvent dépeinte de manière peu élogieuse, n’est pourtant pas une « mauvaise constitution ». Sa courte vie (de 1946 à 1958) ne doit pas laisser penser que le projet était en soi non pertinent, mais il s’agit d’un texte qui a souffert du poids des pratiques politiques. Elle a finalement servi de « banc d’essai » et de période transitoire permettant l’émergence d’un nouveau personnel politique, facilitant ainsi le succès de la constitution de la Ve République. Dans le cas chilien, faute de période transitoire, difficile d’imaginer un autre système politique que celui imposé de force par la dictature et maintenu en partie depuis. Dans la mesure où le changement de constitution ne s’inscrivait pas dans le cadre d’un changement de régime – il ne s’agissait pas de passer des ténèbres à la lumière – les rédacteurs des projets de constitution n’ont pas osé ou ne sont pas parvenus à développer leur imaginaire politique en proposant une nouvelle réorganisation du pouvoir. L’instauration de la parité intégrale ou la mise en place d’un État plurinational comme le proposait le texte de 2022 n’étaient finalement que des adaptations accessoires qui n’altéraient pas la répartition du pouvoir central.

Les pistes pour une nouvelle constitution au Chili

Considérer les quatre ans de réflexion constitutionnelle qu’a connus le Chili comme un gâchis apparaît finalement largement excessif. Non seulement les projets de constitution rédigés, même non adoptés, constituent une ressource unique pour développer l’imaginaire constitutionnel, mais surtout leur élaboration et leur rejet ont permis au Chili de mieux se connaître lui-même.

Ceci est d’autant plus utile que le pays n’est pas exactement revenu à la « case départ ». Certes, la constitution n’a pas été remplacée par une autre, mais durant ces quatre années certaines modifications ont été opérées au texte pour encadrer le processus constituant. L’une de ces modifications tient au seuil exigé pour adopter une révision de la constitution. Alors qu’en octobre 2019, modifier un ou plusieurs articles de la constitution en vigueur exigeait une majorité des 3/5e, voire des 2/3, des parlementaires pour son adoption, ce seuil a été abaissé afin de faciliter le vote de lois constitutionnelles définissant la procédure de changement de constitution. Il est désormais de 4/7e des parlementaires, ce qui est une majorité plus simple à atteindre. Le risque d’un changement complet de constitution a finalement conduit la droite chilienne à baisser sa garde et à accepter qu’un des principaux verrous de la « Constitution de Pinochet » soit levé.

Dans la mesure où la constitution actuelle est plus facilement révisable, il est possible que la transformation constitutionnelle chilienne tant attendue ne se fasse pas à travers un tout nouveau texte, mais plutôt par des révisions constitutionnelles progressives, de manière quasi imperceptible. Cette hypothèse ne permettrait pas au pays de complètement tourner la page de la dictature, mais permettrait de répondre en partie aux demandes des manifestants d’octobre 2019, ce qui serait déjà une victoire en soi.

par Carolina Cerda-Guzman, le 16 janvier

Pour citer cet article :

Carolina Cerda-Guzman, « Un énorme gâchis ?. Les leçons du processus constituant au Chili (2019-2023) », La Vie des idées , 16 janvier 2024. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Un-enorme-gachis

Nota bene :

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Notes

[1Dans la seconde assemblée, les représentants des peuples autochtones n’ont obtenu qu’un seul siège.

[2J. Elster, «  The optimal Design of a Constituent Assembly  », in H. Landemore, J. Elster (dir.), Collective Wisdom. Principles and Mechanisms, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 169.

[3Z. Elkins, A. Hudson, «  The Strange Case of the Package Deal : Amendments and Replacements in Constitutional Reform  », in R. Albert, R. Stacey (dir.), The Limits and Legitimacy of Referendums, Oxford, Oxford University Press, 2022, p. 37.

[4On peut ici évoquer la mauvaise qualité des débats lors des deux campagnes référendaires ou par exemple le choix qui a été fait de ne pas avoir maintenu l’exigence d’un vote obligatoire tout au long du processus constituant.

[5R. Gargarella, «  Rejection of the New Chilean Constitution : Some Reflections  », Oxford Human Rights Hub, 14 septembre 2022.

[6R. Gargarella, «  From “democratic erosion” to “a conversation among equals”  », Revus. Journal for Constitutional Theory and Philosophy of Law, n°47, 2022 [https://journals.openedition.org/revus/8079].

[7Pour l’Irlande, voir D. Courant, «  Les assemblées citoyennes en Irlande. Tirage au sort, référendum et constitution  », La Vie des Idées, 5 mars 2019 [https://laviedesidees.fr/Les-assemblees-citoyennes-en-Irlande]  ; pour l’Islande, voir L. Cordier, «  Existe-t-il une exception démocratique islandaise  ?  », La Vie des Idées, 3 mai 2016 [https://laviedesidees.fr/Existe-t-il-une-exception-democratique-islandaise].

[8La Bolivie et l’Équateur se définissent déjà comme des États plurinationaux dans leur constitution.

[9M. Hailbronner, «  Transformative Constitutionalism : Not Only in the Global South  », The American Journal of Comparative Law, vol. 65, n°3, 2017, p. 527-565.

[10R. Gargarella, «  Rejection of the New Chilean Constitution : Some Reflections  », Oxford Human Rights Hub, 14 septembre 2022 [https://ohrh.law.ox.ac.uk/rejection-of-the-new-chilean-constitution-some-reflections/

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