Rorty a fait de la conversation un genre philosophique à part entière, qui l’a poussé à refuser toutes les distinctions stériles à ses yeux : entre l’analytique et le continental, entre les Lumières et la postmodernité, entre la philosophie et la littérature.
Comment faire le portrait de celui qui écrivait qu’« il ne faut pas s’en tenir à une seule image de nous-mêmes » [1] ? Richard Rorty (1931-2007), qui fut en son temps le philosophe américain le plus célèbre, ne croyait pas qu’un portrait devait retrouver la vraie personnalité de quelqu’un derrière les apparences. Il ne pensait pas non plus qu’un portrait devait viser à être une représentation adéquate. Il ne s’agit pas de dire des choses fausses ou inexactes, mais la description était pour lui une opération de contextualisation, et non de représentation, car elle consiste à mettre en relation une chose ou une personne avec d’autres choses ou d’autres personnes. Or il n’existe rien de tel à ses yeux qu’un contexte ultime qui livrerait l’essence intrinsèque de cette chose ou de cette personne. Plutôt qu’un portrait unique, retraçons donc trois contextes, dessinons trois images qui permettront d’apprécier la multiplicité et la complexité de sa personnalité philosophique.
Le conversationiste polyglotte
Dans un monde philosophique profondément clivé entre deux tendances hostiles, d’une part la philosophie dite « analytique », dominante dans les pays anglophones et valorisant l’analyse logique du langage dans lequel les problèmes philosophiques sont formulés, et d’autre part la philosophie européenne dite « continentale », bien représentée en France, qui défend une approche historique ou existentielle des problèmes philosophiques, Rorty fut le philosophe de la conversation. En attestent les nombreux ouvrages collectifs sur sa pensée, où il a pris le temps et le soin de répondre non seulement à ses sympathisants, mais à ses critiques les plus sévères, sans jamais chercher à interrompre la conversation. Rorty and His Critics (Blackwell, 2000), édité par Robert B. Brandom, est un modèle du genre par l’éminence de ses interlocuteurs (Jürgen Habermas, Donald Davidson, Hilary Putnam, Daniel C. Dennett, John McDowell, Jacques Bouveresse, Robert B. Brandom, etc.) et la qualité de ses réponses. Les philosophes de la tradition analytique lui ont reproché d’avoir trahi la cause et d’avoir cédé à l’irrationalisme de la pensée continentale, et notamment au « relativisme postmoderne » de ces philosophes français alors en vogue (Lyotard, Derrida, Foucault, etc.), contre lesquels il faudrait défendre l’honneur de la Science et de la Vérité objective. Dennett rappelle ainsi la définition qu’on trouve à son nom dans le dictionnaire parodique The Philosophical Lexicon : « a rortiori, adj. : qui est vrai pour des raisons encore plus continentales et à la mode » [2].
Dans sa réponse, Rorty s’emploie à montrer que l’opposition entre le sérieux et le frivole ne distingue pas les philosophes analytiques et les philosophes continentaux mais qu’elle traverse chacune de ces deux traditions. La véritable distinction est entre ceux qui font des efforts pour construire des ponts conversationnels en cherchant à raccorder leurs jargons, leurs intérêts du moment et leurs buts généraux à ceux de leurs interlocuteurs, et ceux qui sont centrés sur leur propre microcosme philosophique, manquent de curiosité intellectuelle et qui supposent, parfois même en le rationalisant, qu’il n’existe pas de modèle alternatif légitime à la manière dont ils se trouvent pratiquer, ici et maintenant, la philosophie. Ces derniers n’ont tout simplement pas assez de conscience historique pour se rendre compte qu’ils ont hérité cette pratique de leurs professeurs et que celle-ci est, comme toute pratique humaine, parfaitement contingente et non inscrite dans la nature des choses, de la pensée ou de la philosophie elle-même. Ce sont souvent les mêmes, constate Rorty, qui proclament prendre comme idéal la vérité universelle et qui ne cherchent pas concrètement et activement à élargir les milieux et publics auprès desquels justifier leurs idées. Reconnaître la contingence de sa propre pratique philosophique, et envisager, voire imaginer des manières alternatives de faire, est à ses yeux la condition du progrès philosophique
S’il faut moraliser le débat, ce n’est pas en invoquant les normes de la vérité que les uns suivraient et les autres bafoueraient de manière éhontée, mais en plaidant pour des normes de la conversation philosophique qui habituent chacun à ne pas recourir à des « conversation-stoppers » aux effets dogmatiques tels que « ce n’est pas de la philosophie », « c’est totalement irrationnel » ou « c’est du terrorisme de la pensée ». Reconnaître la contingence de sa propre pratique philosophique, et envisager, voire imaginer des manières alternatives de faire, est à ses yeux la condition du progrès philosophique tout autant que du développement intellectuel de soi.
Rorty a été conduit relativement tôt dans sa carrière à cette idée d’une éthique de la conversation philosophique. Il entre à l’âge de quinze ans à l’Université de Chicago, où les cours de Carnap, grande figure de la philosophie analytique, l’enthousiasment moins que ceux de McKeon, un admirateur d’Aristote, et ceux de Hartshorne, un disciple de Whitehead, qui l’orientent vers les grandes fresques historiques des idées, à la manière de La Phénoménologie de l’esprit de Hegel, Aventures d’idées de Whitehead ou La grande chaîne de l’être de Lovejoy, et qui le convainquent déjà de l’historicité des problèmes philosophiques. Il fait ainsi sa thèse de doctorat à Yale – dans un département de philosophie qui résistait activement à la vague analytique – sous la direction de Paul Weiss (un métaphysicien spécialiste de Whitehead et de Peirce). Il s’agit d’une étude du concept de potentialité, concept crucial dans la métaphysique de Whitehead, qui fait dialoguer sur six cents pages – non publiées à ce jour – la philosophie d’Aristote, le cartésianisme et la philosophie analytique de l’empirisme logique [3] – prenant ainsi, déjà, une perspective historique sur la formulation des problèmes de la philosophie analytique. Après son service militaire et un premier poste au Wellesley College où il enseigne un peu de tout (y compris un cours sur la phénoménologie qui suscita en lui une grande admiration pour Sartre et un dégoût durable envers Husserl), il est recruté en 1961 dans le département de philosophie de Princeton par Gregory Vlastos pour enseigner la philosophie grecque. Vlastos voulait faire de ce département alors en plein essor un fer de lance de la philosophie analytique sur le modèle d’Oxford et de Harvard, et durant les années qu’il y passa, Rorty côtoya Carl Hempel, Stuart Hampshire, Donald Davidson, David Lewis, Thomas Kuhn et Saul Kripke. Il rattrape alors son retard pour devenir un interlocuteur de plein droit dans la conversation analytique, et commence à publier des articles sur les sujets les plus actuels de la philosophie de l’esprit, comme la théorie de l’identité ou l’argument du langage privé, dans lesquels il défend une position, « le matérialisme éliminativiste », qui lui vaut une première reconnaissance par ses pairs.
La parution en 1967 de The Linguistic Turn, une anthologie sur la méthode de résolution ou de dissolution des problèmes philosophiques par l’analyse du langage, précédée d’une longue introduction qui confronte les partisans de « la philosophie du langage idéal » (Carnap, Quine) et ceux de « la philosophie du langage ordinaire » (Austin, Wittgenstein) l’impose comme l’un des jeunes philosophes analytiques les plus prometteurs de sa génération, et en 1970 il obtient sa titularisation comme Professeur à Princeton. Pourtant, durant cette décennie, il tricote déjà discrètement des pièces analytiques avec des morceaux d’autres couleurs philosophiques. Dans ses articles, il cherche de manière imaginative à faire entrer en conversation et même à fusionner un philosophe analytique et un métaphysicien, comme Sellars et Whitehead, ou encore Wittgenstein et Peirce. Dans son anthologie, il prend acte des débats internes à la philosophie linguistique pour montrer que l’ambition de faire de la philosophie une science a échoué, dans la mesure où il n’existe pas en philosophie de méthode d’analyse neutre et sans présupposition substantielle, qui serait antérieure à tout problème philosophique et permettrait de tous les résoudre. L’éthique de la conversation découle de ces considérations sur la méthode et les problèmes philosophiques. Dans une controverse philosophique, Rorty soutient qu’il n’existe pas de réelle possibilité de prouver de manière non circulaire la vérité de sa propre position, ou de réfuter celle de son adversaire sans s’appuyer sur des prémisses qu’il conteste. Il n’existe donc pas de point de vue extérieur et supérieur permettant d’arbitrer les prétendants, comme un terrain d’entente où l’accord serait déjà susceptible d’être obtenu en droit malgré l’apparence du conflit, et qui garantirait la convergence finale des opinions. Celui qui prétend avoir trouvé un tel point de vue neutre recherche en réalité un « conversation-stopper » sous la forme d’un argument définitif qui fera taire ses adversaires (« la méthode le réclame », « la nature de la pensée ou de la rationalité l’implique », « les conditions de possibilités mêmes du langage l’exigent », « la réalité le demande », etc.). Contre le platonisme qui place la conversation sous l’idéal d’un tel accord rationnel donné en droit, mais également contre le scepticisme qui renonce à la conversation comme à un exercice impossible et inutile, Rorty soutient que le seul but de la conversation est toujours plus de conversation, ce qui implique de renoncer à tout appel à un point de vue neutre et de faciliter autant qu’il est possible la communication. Le meilleur philosophe est le métaphilosophe polyglotte, qui peut manier et comparer plusieurs traditions et jeux de langage philosophiques différents.
Ses collègues analytiques, qui n’avaient pas suffisamment été attentifs à ces déplacements de Rorty crièrent donc à la trahison lorsque parut en 1979 Philosophy and the Mirror of Nature, dans lequel il prend une perspective historique et non plus analytique sur les problèmes philosophiques, en s’attachant à critiquer tous les présupposés cartésiens et kantiens sur lesquels reposeraient l’idée même de théorie de la connaissance (epistemology) qui constituait alors le noyau dur de la philosophie analytique. La théorie moderne de la connaissance se définit par les types de problèmes qu’elle cherche à résoudre, tels que le problème du scepticisme et le problème du rapport corps-esprit. Or Rorty défend dans ce livre l’idée que ces problèmes, loin de constituer les problèmes éternels de la philosophie, sont en réalité parfaitement facultatifs dans la mesure où ils trouvent leur condition historique de possibilité aux XVIe-XVIIe siècles, à la suite de l’émergence des sciences modernes. Ils s’enracinent dans l’image de l’esprit comme miroir de la nature, qui amène à concevoir la connaissance comme l’ensemble des représentations mentales qui sont adéquates à la réalité. Si l’on arrive à comprendre la contingence d’une telle image et la possibilité de décrire autrement l’esprit et la connaissance, on renoncera à l’idée que la philosophie doive avoir pour tâche d’énoncer les critères neutres et anhistoriques permettant de tracer une ligne de démarcation entre les croyances représentant la réalité et celles qui ne sont pas adéquates.
Loin de découler de la structure même de la pensée ou de l’expérience humaine, les problèmes qui tiennent la pensée analytique captive, comme celui du scepticisme, révèlent alors leur caractère historique et artificiel. Suivant non seulement Wittgenstein, mais aussi Heidegger et Dewey, les trois philosophes qu’il déclare les plus importants du XXe siècle et qui se voient ici rapprochés de manière inédite, Rorty propose de dissoudre ces problèmes plutôt que de chercher à les résoudre. S’appuyant sur Quine et Sellars qui avaient déjà critiqué certains dogmes centraux de l’empirisme logique, il en appelle à l’auto-dépassement de la tradition analytique qui ne fait qu’apporter quelques coups de plus dans le jeu au lieu de changer de jeu, dans la mesure où elle ne fait que reformuler ces mêmes problèmes en termes de langage plutôt que d’esprit. En cette même année 1979, alors qu’il est président de l’Association Américaine de Philosophie, il apporte son soutien à la « révolte pluraliste » menée par des phénoménologues, des existentialistes, des historiens de la philosophie et des pragmatistes pour demander à ce que les philosophes analytiques desserrent leur contrôle de l’institution philosophique (les pluralistes reprochaient aux organisateurs d’exclure systématiquement les non-analytiques du programme).
Si La philosophie et le miroir de la nature suscite la désapprobation de ses collègues analytiques, son succès public, notamment auprès des non-philosophes, lui permet d’obtenir une bourse de recherche au Center for Advanced Study in the Behavioral Sciences à l’Université de Stanford en 1982-1983 puis de se voir offrir dans la foulée un poste de professeur d’humanités à l’Université de Virginie, suivi en 1998 par un poste, à nouveau à Stanford, de professeur de littérature comparée. Il n’abandonnera jamais le dialogue avec les philosophes analytiques sur la vérité, l’objectivité, la réalité ou la rationalité, mais il cherchera à élargir la conversation philosophique en y incluant des interlocuteurs qui ne se parlaient pas ou peu, en montrant que mille petites coutures pourraient les relier, comme il l’avait déjà fait en replaçant l’empirisme logique dans l’histoire de la philosophie.
D’abord les pragmatistes : il se réclame ouvertement de cette tradition philosophique américaine à partir de son livre suivant, Conséquences du pragmatisme (1982), en se plaçant désormais dans la lignée de James et de Dewey plutôt que de Peirce qui en serait encore resté à des présupposés kantiens. S’il souligne la repragmatisation de la philosophie analytique à partir de Quine et des héritiers de Wittgenstein, il se sert du pragmatisme pour proposer une image alternative au « représentationalisme » (la thèse du miroir de la nature, selon laquelle notre esprit ou notre langage sont faits pour représenter la réalité, et que la vérité est la correspondance de nos idées ou de nos propositions avec le monde tel qu’il est en soi). Il n’y a jamais eu un instant, au cours de l’évolution des espèces, où les animaux ont cessé de s’ajuster (to cope) à leur environnement pour commencer à représenter mentalement (to copy) la réalité. Le langage humain est constitué d’une pluralité de jeux qui sont, comme les organes corporels, autant d’instruments leur permettant de satisfaire des buts variés. Les problèmes des philosophes viennent justement lorsqu’on convertit de tels instruments pratiques en représentations théoriques du monde tel qu’il serait en lui-même.
De manière parallèle, il lit de plus en plus les philosophes continentaux, notamment la tradition post-nietzchéenne de Heidegger, Derrida ou Foucault. Il voit dans leur méthode historiciste, qui appelle à dépasser la tradition du platonisme en philosophie et la « métaphysique de la présence », des points de convergence avec la critique de ce que Dewey appelait « la quête de certitude » et celle de la recherche de fondement de la connaissance empirique que Sellars avait également proposée.
Contingence, ironie et solidarité (1988) est sans doute son livre le plus « continental ». On pourrait croire, à en parcourir rapidement l’index, qu’il a été écrit en France dans les années 60 : les références à Marx, Nietzsche et Freud côtoient celles à Hegel, Heidegger et même Kierkegaard. Non seulement il discute Derrida et Foucault et il avance désormais franchement sur le terrain de la philosophie politique, mais il utilise comme eux la littérature comme moyen de faire de la philosophie, en consacrant des chapitres à la création de soi chez Proust ou à la cruauté chez Nabokov et chez Orwell. Et pourtant ces références s’entrelacent à celles à Davidson, Sellars, Wittgenstein, Dewey, Mill ou Rawls, dans un patchwork dont on aurait de la peine à trouver un équivalent chez les philosophes français. La leçon en est d’ailleurs parfaitement contraire, puisqu’elle revient à dire qu’accepter sa contingence, c’est non pas s’élever à un rapport authentique à l’existence, mais c’est accepter que ce qui compte le plus pour soi puisse ne pas être important pour d’autres. C’est par et dans une telle reconnaissance qu’on défendra le mieux les institutions démocratiques, au lieu de vouloir ériger sa propre quête du Bien en fondement nécessaire de la justice commune. L’acceptation de la finitude n’a aucune portée métaphysique, mais elle est utile pour l’extension de la démocratie libérale, précisément parce que chercher un fondement philosophique neutre et antécédent permettant de justifier en principe la supériorité de la démocratie est une manière de stopper cette conversation publique qu’est la démocratie.
L’humaniste des Lumières
Cette critique de la tradition analytique et ce rapprochement avec les philosophes post-nietzschéens ont favorisé l’idée que Rorty serait un dangereux relativiste postmoderne, hostile aux idéaux des Lumières. Mais reprenons son portrait à partir des années 1990, en replaçant sa pensée non sur la scène de la philosophie universitaire américaine, mais dans l’histoire moderne de la culture. Il donne en 1996 un cycle de conférences récemment publié en un seul volume sous le titre de Pragmatism as Anti-Authoritarianism (2021). Loin d’appeler à un dépassement de la modernité, Rorty défend l’idée que les philosophes devraient chercher à reprendre et achever l’idéal de sécularisation de la culture qui a émergé avec la philosophie des Lumières. L’idéal d’autonomie des Lumières, dirigé contre l’appel à une source d’autorité divine, signifie que les êtres humains ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour déterminer leur avenir : les normes morales et politiques des êtres humains n’ont pas à se conformer à une réalité extérieure et supérieure aux pratiques qu’elles régulent. Les Lumières ont imaginé une culture post-religieuse, où les êtres humains ne se sentiraient plus obligés de faire référence à une source transcendante d’autorité pour justifier leurs croyances et leurs désirs. Les seules justifications que les êtres humains peuvent apporter à la défense de leurs pratiques et de leurs projets sont internes à l’histoire contingente de ces propres projets et pratiques, et non pas fondées sur des principes indépendants et antérieurs à tout projet et pratique.
Mais les philosophes modernes, à commencer par les philosophes des Lumières, ont cherché à battre la religion sur son propre terrain en substituant à Dieu des figures immanentes du fondement, comme la Raison entendue comme source ultime d’autorité. Contrairement à la stratégie employée par Habermas avec lequel il nouera une véritable amitié intellectuelle, il faut, pour aller jusqu’au bout de la sécularisation de la culture, dissocier l’anti-autoritarisme des Lumières, qui en est l’héritage le plus précieux, et leur rationalisme qui n’est qu’une manière de prolonger l’allégeance à une source d’autorité ultime. De ce point de vue, Rorty est tout sauf un postmoderne, car s’il a critiqué l’idée de rationalité héritée des Lumières, c’est au nom de l’esprit anti-autoritaire de la pensée moderne.
Si l’on reprend Contingence, ironie et solidarité sous ce nouveau jour, on peut y lire une histoire des reliquats d’autoritarisme dans la culture moderne : les Lumières ont divinisé la Science comme mode d’accès privilégié à la réalité, puis le romantisme a divinisé le Moi créateur comme expression d’une réalité plus profonde que celle découverte par la science, enfin la philosophie contemporaine a divinisé le Langage comme nouveau miroir de la nature ou comme forme d’expression privilégiée du moi profond. Le rôle de la philosophie est au contraire à ses yeux de faire progresser la culture vers le point « où nous ne traitons plus rien en quasi-divinité, mais où nous traitons tout – notre langage, notre conscience et notre communauté – comme le produit du temps et du hasard » (Contingence, ironie et solidarité, trad. p. 45-46) [4]. Si l’on revient encore en arrière, la revendication explicite du pragmatisme à partir de Conséquences du pragmatisme prend également un nouvel aspect. Le pragmatisme, de ce point de vue, est l’extension de l’anti-autoritarisme moral et politique des Lumières à l’analyse de la connaissance. La critique pragmatiste de la vérité comme relation de correspondance entre des représentations mentales (ou des propositions empiriques) et la réalité telle qu’elle est en elle-même s’explique par le refus d’accorder une autorité épistémique à une instance non-humaine, le monde en soi, qui viendrait départager nos assertions en fonctionnant comme le tribunal ultime de nos prétentions à connaître. La connaissance est une pratique sociale, dont les normes sont négociées entre êtres humains, et non une relation des êtres humains avec une réalité non-humaine qui viendrait adouber ou rejeter leurs demandes de justification.
De ce point de vue, toute tentative de définir la vérité indépendamment des pratiques humaines de justification est une manière d’accorder à la réalité le même rôle normatif que la morale classique attribuait à Dieu. Toute culture qui continue de privilégier cette image des êtres humains comme devant être responsables, jusque dans leurs prétentions à connaître, envers un pouvoir non-humain n’est pas entièrement sécularisée. Faisons un dernier pas en arrière pour redécrire sous cette nouvelle lumière l’éthique de la conversation qui était au cœur de sa première période. L’image de l’esprit comme miroir de la nature exprime ce désir antihumaniste que la réalité elle-même nous dicterait la manière dont il faut la décrire, pourvu que l’œil représentationnel de l’esprit ne soit pas voilé ou qu’on sache utiliser la méthode correcte ou le langage adéquat. Les seules normes qui doivent réguler nos pratiques de connaissance, comme nos pratiques morales et politiques, sont au contraire conversationnelles. La redéfinition de la vérité comme ce qui n’est pas remis en cause par les pairs est alors celle qui convient le mieux à une culture humaniste. Il ne s’agit pas de choisir la solidarité du consensus contre l’objectivité de la vérité, mais de définir l’objectivité en termes d’accord des êtres humains entre eux plutôt que de vouloir fonder les projets humains de coopération – comme la science – sur une réalité objective non humaine.
À partir du mitan des années 1990, dans la dernière décennie de sa vie, la revendication de plus en plus explicite d’un tel humanisme séculier prendra deux formes notables. La première est une réflexion de plus en plus développée sur la question de la religion et de sa place dans la culture, qui apparaît dès le recueil Philosophy and Social Hope (1999) et qui le conduira notamment à un dialogue avec Gianni Vattimo (The Future of Religion, 2005). Cette nouvelle interrogation, qui ne fait en réalité que boucler la boucle des Lumières, est d’autant plus importante qu’elle se déroule sur fond de la montée de la nouvelle droite chrétienne aux États-Unis et de la remise en cause du compromis jeffersonien qui faisait de la religion une pratique privée. La seconde est la revendication d’une politisation de la philosophie, qui se lit dans le titre de son quatrième et dernier recueil d’articles, Philosophy as Cultural Politics (2007). Contre sa professionnalisation en spécialité académique, représentée par les débats techniques entre experts de la philosophie analytique, Rorty propose d’examiner y compris les débats les plus techniques en théorie de la connaissance ou philosophie de l’esprit à la lumière des différences pratiques que chaque option théorique ferait dans la culture si elle était adoptée. La position qu’il faudrait prendre dans chacun de ces débats philosophiques se justifieraient par l’espoir qu’elle porte d’augmenter la solidarité humaine et d’améliorer la démocratie inclusive par l’extension du sentiment du « nous », plutôt que par sa conformité à une réalité non-humaine antécédente et indépendante. Chaque proposition philosophique doit être ainsi comprise comme un projet politique sur le futur de la communauté, et non comme la réponse à des problèmes éternels sur la nature des choses, et c’est d’abord en citoyen démocrate, héritier du libéralisme des Lumières, plutôt qu’en chercheur de la Vérité, héritier de Platon, que le philosophe doit répondre aux problèmes philosophiques. En conséquence, Rorty se déclarera anticlérical plutôt qu’athée, car l’athéisme partage encore avec le théisme l’idée que la question métaphysique et épistémologique des preuves de l’existence de Dieu est une question philosophiquement importante, résoluble de manière antécédente et indépendante de la question du pouvoir des institutions religieuses sur les rapports humains.
L’intellectuel américain de gauche
Cette politisation finale de la philosophie nous incite à tout reprendre depuis le début. En effet, Richard McKay Rorty est né le 4 octobre 1931, pendant les années de la Grande Dépression, dans une famille d’intellectuels engagés à gauche. Sa mère, Winifred Raushenbush, était la fille de Walter Raushenbush, un pasteur et théologien qui fut l’un des leaders du mouvement de l’Évangile social aux États-Unis. Ce mouvement, pour qui l’amour envers le prochain, quel qu’il soit, est le seul message de l’Évangile, invoque les thèmes chrétiens pour mobiliser en faveur de réformes progressistes contre les inégalités sociales et les divisions entre les humains que le capitalisme produit – il devait inspirer plus tard l’action pour les droits civiques de Martin Luther King. Winifred fait des études de sociologie et s’engage rapidement dans le mouvement en faveur du vote des femmes. Elle se rend à l’Université de Chicago, berceau du pragmatisme deweyen et de la sociologie urbaine où Georges Herbert Mead enseignait encore, pour devenir en 1919 l’assistante du sociologue Robert Park, avec lequel elle mène plusieurs enquêtes sur les causes des révoltes raciales aux États-Unis. Elle devint par la suite journaliste, produisant des articles de critiques sociales, mais aussi des études sur la mode comprise comme phénomène sociologique, bien que son activité professionnelle décline à partir de la naissance de Richard.
James Rorty, son père, était un poète et journaliste new-yorkais, influencé par Thorstein Veblen, critique de l’industrie publicitaire (Our Master’s Voice : Advertising, 1934) et proche du groupe d’intellectuels de la revue politico-littéraire Partisan Review, initialement communiste mais qui évolua vers un socialisme anti-stalien. Cette ligne politique était proche du progressisme du début du XXe siècle dont Dewey, avec Herbert Croly et Jane Addams, étaient des figures de proue.
Sydney Hook, le disciple officiel de Dewey qui cherchait à faire converger pragmatisme et marxisme, était un ami de la famille – à l’âge de sept ans, Richard Rorty servit d’ailleurs des petits fours à Dewey et Hook lors d’une soirée d’Halloween. Il se souvient, lorsqu’il était adolescent, que les livres les plus visibles dans la bibliothèque familiale étaient les comptes rendus de la commission d’enquête à Mexico dirigée par Dewey, et à laquelle son père participa, qui lavèrent Trotsky des accusations portées contre lui lors des procès de Moscou (Not Guilty, 1938). Après l’assassinat de Trotsky en 1940, l’un de ses secrétaires, John Frank, recherché par la GPU, se réfugia pendant quelques mois dans la maison des Rorty qui avaient alors quitté New York pour la campagne du New Jersey. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, James Rorty devait se positionner fortement contre le communisme soviétique, mais aussi contre le maccarthysme dans la mesure où une démocratie qui utilise des moyens antidémocratiques, comme la censure, pour se défendre perd son principal avantage pour convaincre des bienfaits des libertés démocratiques (McCarthy and the Communists, 1954). De cette adolescence, Rorty a retenu que, « pour être un homme il faut passer sa vie à lutter contre l’injustice sociale » (in. J. P. Cometti, Lire Rorty, p. 257) [5], si bien qu’un philosophe ne peut être seulement un expert en philosophie, il doit aussi être un intellectuel qui lit les controverses philosophiques à la lumière des possibilités de progrès sociaux et culturels.
Cette éducation politique reste encore discrète dans Philosophie et le miroir de la nature, bien que la mention de Dewey aux côtés de Wittgenstein et de Heidegger soit là pour signaler que l’activité thérapeutique du premier et la perspective historiciste du second doivent être comprises « dans une perspective sociale » [6] - par où il faut entendre qu’il s’agit de les détourner de la finalité héroïque et culturellement pessimiste et conservatrice qu’elles ont chez l’un et l’autre pour les faire servir à l’élaboration d’une forme de société plus démocratique. La revendication explicite de la figure de James et surtout de Dewey à partir de Conséquences du pragmatisme ne représente plus seulement, sous ce nouveau jour, un effort pour faire converser et converger philosophie analytique et philosophie continentale, ni même seulement une tentative pour réactiver l’esprit antiautoritaire des Lumières, mais une manière de renouer avec une ligne politique distinctement américaine de promotion de la démocratie. Rorty se réclame de la tradition de Whitman et de Dewey, qui ont substitué à la foi dans un au-delà hors du temps la foi démocratique dans la capacité des êtres humains à forger de manière collective et coopérative un futur qui soit meilleur que leur passé. L’exceptionnalisme américain n’est pas pour eux le signe d’une élection divine, mais un projet tout entier tourné vers le futur plutôt que vers le passé des colons européens – un espoir qui ne se recommande d’aucun fondement dans l’ordre des choses ni d’aucune autorité autre que celle que porte l’accord librement consenti entre êtres humains. L’Amérique, à leurs yeux comme à ceux de Rorty, représente la démocratie comme idéal d’expérimentation de nouvelles formes de solidarité humaine. Si, dans Contingence, ironie et solidarité, Rorty se réclame du libéralisme de John Stuart Mill et de Rawls, c’est parce qu’il entend par libéralisme l’abandon de toute quête de fondement théologique ou métaphysique au projet démocratique d’extension expérimentale de la solidarité humaine au-delà des divisions de classes, races, genres, etc. En cherchant à le rendre nécessaire, une telle quête de fondement philosophique reviendrait à vouloir placer ce projet démocratique sous l’autorité de principes pré-démocratiques, qui devraient s’imposer par leur seule évidence rationnelle, indépendamment de tout accord librement consenti. Un tel projet ne peut et ne doit se prévaloir que de ses conséquences pratiques : produire moins de souffrances et favoriser l’acceptation d’une plus grande diversité de vies individuelles. Ce projet est spécifiquement de gauche, aux yeux de Rorty, parce qu’il conçoit l’identité morale de la communauté démocratique comme étant encore (et toujours) à accomplir plutôt que comme quelque chose de déjà donné et à protéger.
Une telle ligne politique – un socialisme démocratique et libéral, anti-communiste et expérimental – qui traverse et oriente tous les livres de Rorty et qui l’a fait soutenir la guerre froide contre l’URSS (sans pour autant bénir les agissements antidémocratiques de la CIA), trouve son expression finale dans la dernière monographie publiée de son vivant :
L’Amérique : un projet inachevé. La pensée de gauche dans l’Amérique du vingtième siècle (1998). Cette histoire intellectuelle de la gauche américaine se présente comme une critique de la New Left marxiste ou post-marxiste et de son expression sur les campus américains inspirée de la French Theory, au nom d’un appel à renouer avec le type de progressisme américain qui avait prévalu jusqu’à la guerre du Viet Nam. Rorty diagnostique plusieurs défauts majeurs de cette gauche universitaire dans ses rapports à la politique : une tendance à surestimer l’importance de la théorie philosophique qui cherche à rendre compte de toutes les dimensions de la société de manière unifiée, au détriment des enquêtes empiriques, de la pluralité des initiatives concrètes et des campagnes politiques ciblées ; l’utilisation d’un jargon philosophique et même l’invocation de l’ineffable ou de l’indécidable (Lacan, Derrida, Lyotard) qui empêchent la mise en circulation d’une rhétorique publique permettant la mise en œuvre de projets politiques collectifs ; la dénonciation d’un système total de Pouvoir, agissant à tous les niveaux de nos existences, et auquel il serait impossible d’échapper (Foucault, Jameson), au détriment de la discussion détaillée sur telle institution ou telle loi, portée par l’espoir du changement ; une soif d’absolu et un besoin de pureté dans la radicalité révolutionnaire qui conduit à mépriser toute tentative de réforme et de compromis et toute recherche d’une majorité électorale pour améliorer ici et maintenant, petit à petit, les formes de solidarité humaine, ce qui en outre rend ambiguë la défense de la démocratie constitutionnelle libérale ; la persistance de l’idée marxiste que les véritables progrès ne peuvent venir que de la base et qu’il n’y a de vertu que parmi les opprimés, quand les accomplissements passés montrent une articulation de protestations de gens sans argent ni pouvoir avec des initiatives issues de gens qui en ont (en y incluant les professeurs d’université), mais qui sont préoccupés par le sort des premiers ; la dénonciation systématique de l’Amérique présentée comme un Empire du mal (Lasch), qui étouffe toute possibilité de fierté dans les accomplissements déjà effectués et tout espoir pour les accomplissements à venir, au profit de la honte comme principal affect de mobilisation politique ; une politique identitaire concentrée sur des groupes dont il faudrait reconnaître la culture, au lieu de voir la défense du socialisme et de l’État-providence comme une manière de favoriser la création de vies singulières riches et variées ; une politique des différences culturelles (genre et race) qui fait passer au second plan la question socio-économique de la répartition des richesses et la division entre riches et pauvres, et qui permet à la droite de placer la discussion sur le terrain des valeurs plutôt que sur le niveau de vie et l’égalité des chances (il n’y a pas, souligne-t-il, de homeless studies ou de trailer park-studies) ; le désintérêt pour l’alliance avec les syndicats, corrélée au déplacement de l’intérêt pour l’économie politique vers la littérature et les études culturelles comme lieu de la critique sociale. Malgré les indéniables réussites que Rorty reconnaît à cette « gauche culturelle » des campus américains dans la diminution de certaines souffrances sociales et l’élargissement du sens de la solidarité envers les femmes, les gays, les personnes racisées, il souligne le sombre bilan, durant ces mêmes années, de l’accroissement des inégalités économiques aux États-Unis, de l’augmentation de l’insécurité économique en raison de la globalisation, du renforcement du pouvoir national et international d’une « sur-classe » riche et éduquée formant une élite cosmopolite, et de l’incapacité de cette gauche culturelle à parler aux pauvres (notamment blancs, hétérosexuels, sans éducation).
Il prophétise ainsi en 1997 :
syndiqués et ouvriers non-qualifiés et non-syndiqués vont tôt ou tard se rendre compte que leur gouvernement ne cherche même pas à empêcher les salaires de dégringoler ni les emplois d’être décentralisés à l’étranger. À peu près en même temps, ils prendront conscience que les employés de bureau embourgeoisés – qui ont, eux aussi, terriblement peur de compressions de personnel – n’ont pas l’intention de payer des impôts destinés à financer une aide sociale quelconque. Quand les choses en seront là, quelque chose cassera. L’électorat des quartiers populaires conclura que le système a échoué et commencera à chercher un homme fort à élire : quelqu’un prêt à leur promettre que, s’il l’emporte, les bureaucrates assis, les avocats escrocs, les courtiers en bourse surpayés, et les professeurs postmodernistes cesseront de faire la loi (…) Ce qui risque fort de se produire est que les bénéfices obtenus au cours des quarante dernières années par les Afro-américains et les Hispano-américains comme par les homosexuels soient balayés. Les plaisanteries désobligeantes sur les femmes reviendront à la mode. Les mots « négro » et « youpin » s’entendront à nouveau sur le lieu de travail. Tout le sadisme que la gauche universitaire a cherché à rendre inacceptable auprès de ses étudiants refluera comme un raz-de-marée. Tout le ressentiment qu’éprouvèrent les Américains peu éduqués à voir leur comportement dicté par des diplômés d’université trouvera un exécutoire [7].
Cet homme fort, concluait-il, « sera une catastrophe pour le pays et pour le monde » [8] (Rorty, L’Amérique : un projet inachevé, p. 90-91).
On a dit de Rorty qu’il était relativiste, quand il faisait de la curiosité la plus grande des vertus intellectuelles ; qu’il était postmoderne, quand il était moderniste ; que son discours sur la vérité a favorisé l’accession de Donald Trump au pouvoir, quand il a cherché à alerter la gauche américaine sur sa possibilité vingt ans avant son élection. Ce ne sont pas les moindres paradoxes pour un philosophe de la conversation qui a eu du mal à se faire entendre.
Anthologie –The Rorty Reader, Ch. Voparil et R. Bernstein (éds), Wiley-Blackwell, 2010. Excellente sélection de textes, avec une grosse introduction retraçant les principales thèses et étapes de sa philosophie.
Principaux ouvrages de Rorty en traduction française (sélection) –La Philosophie et le miroir de la nature, trad. T. Marchaisse, Le Seuil, 2017 - [Philosophy and the Mirror of Nature, Princeton University Press, 1979]. Réimpression de la traduction parue sous le titre L’Homme spéculaire, avec une nouvelle introduction éclairante d’Olivier Tinland.
–Conséquences du pragmatisme, trad. J.-P. Cometti, Paris, Le Seuil, 1993 [Consequences of Pragmatism. Essays 1972-1980, University of Minnesota Press, 1982]
–Contingence, ironie et solidarité, trad. P.-E. Dauzat, Paris, Armand Colin, 1993 [Contingency, Irony, and Solidarity, Cambridge University Press, 1989]
– Objectivisme, relativisme et vérité, trad. J.-P. Cometti, Paris, PUF, 1994 - [Objectivity, Relativism, and Truth. Philosophical Papers vol. 1, Cambridge, Cambridge University Press, 1991.
–Essais sur Heidegger et autres écrits, trad. J.-P. Cometti, Paris, PUF, 1995 [Essays on Heidegger and others. Philosophical Papers vol. 2., Cambridge, Cambridge University Press, 1991]
–Science et solidarité, trad. J. P. Cometti, Combas, L’Éclat, 1990. Sélection de textes issus des deux recueils précédents et non republiés dans leurs traductions, avec une préface inédite de Rorty
–L’Espoir au lieu du savoir. Introduction au pragmatisme, trad. C. Cowan et J. Poulain, Paris, Albin Michel, 1995 [Philosophy and Social Hope, Penguin Books, 1999, partie II : “Hope in Place of Knowledge : A Version of Pragmatism, p. 21-90]. Bonne introduction d’ensemble.
–L’Amérique : un projet inachevé, trad. D. Machu, Pau, Publications de l’Université de Pau, 2001 [Achieving our Country. Leftist Thought in Twentieth-Century America, Cambridge, Harvard University Press, 1998]
–L’Avenir de la religion (avec Gianni Vattimo), trad. C. Walter, Paris, Bayard, 2006 [The Future of Religion, New York, Columbia University Press, 2005]
Autres ouvrages non traduits (sélection) –Mind, Language, and Metaphilosophy. Early Philosophical Papers, Stephen Leach et James Tartaglia (eds), Cambridge, Cambridge University Press, 2014. Recueil de ses articles de philosophie de l’esprit et du langage dans sa période la plus analytique.
– (Ed.), The Linguistic Turn, University of Chicago Press, 1967, 2e edition augmentée 1992.
–Truth and Progress. Philosophical Papers, volume 3, Cambridge, Cambridge University Press, 1998
–Philosophy and Social Hope, London, Penguin Books, 1999. Recueil de textes qui présente de manière accessible sa pensée.
–Philosophy as Cultural Politics. Philosophical Papers, volume 4, Cambridge, Cambridge University Press, 2007.
–Pragmatism as Anti-Authoritarianism, Eduardo Mendieta (Ed.), Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 2021. Avec un avant-propos de Robert B. Brandom.
Sur Rorty – Neil GROSS, Richard Rorty : The Making of an American Philosopher, Chicago, University of Chicago Press, 2008. Récit et analyse de sa trajectoire intellectuelle et professionnelle du point de vue sociologique.
– Robert B. BRANDOM (éd.), Rorty and his Critics, Oxford, Blackwell, 2000. Discussion des thèses de Rorty sur la connaissance, la vérité et la réalité, par certains des philosophes les plus éminents, avec les réponses incisives de Rorty.
– Jean-Pierre COMETTI (éd.), Lire Rorty. Le pragmatisme et ses conséquences, Combas, L’Éclat, 1992. Recueil d’articles qui contient les réponses de Rorty, ainsi que le texte autobiographique « Trotsky et les orchidées sauvages » qui insiste sur la dimension politique de son parcours.
– Stéphane MADELRIEUX (dir.), « Relire Rorty , Archives de philosophie, 2019/3. Collection d’articles sur des aspects méconnus de sa pensée (philosophie de l’esprit, métaphilosophie, esthétique, etc.), qui contient aussi la traduction du dernier texte autobiographique de Rorty, « Autobiographie intellectuelle » (2007), où il met l’accent sur son itinéraire intellectuel entre philosophie analytique, pragmatisme et philosophie continentale.
Pour citer cet article :
Stéphane Madelrieux, « Richard Rorty multipragmatiste »,
La Vie des idées
, 29 novembre 2022.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr/Richard-Rorty-multipragmatiste
Nota bene :
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[1] Rorty, in J.-P. Cometti (dir.), Lire Rorty, Combas, Éditions de l’éclat, 1992, p. 167.
[2] « a rortiori, adj., true for even more fashionable continental reasons »
[3] L’empirisme ou positivisme logique cherchait à défendre les thèses des empiristes classiques (Locke, Berkeley, Hume) sur le fondement des connaissances dans l’expérience, au moyen des nouveaux outils d’analyse du langage que fournissait la logique formelle (mis au point par Frege, Russell, Wittgenstein). Il est spécialement connu pour son principe de vérification, qui énonce qu’aucune proposition linguistique n’a de signification à moins d’être vérifiable dans l’expérience. Ce principe lui permettait d’éliminer la métaphysique comme ensemble d’énoncés dépourvus de signification, puisque invérifiables empiriquement. Originellement apparu dans le monde germanique (notamment à Vienne), ce courant s’est peu à peu imposé dans le monde anglophone notamment à la faveur de l’émigration des philosophes autrichiens et allemands menacés par le nazisme, comme Carnap ou Hempel. Sa formulation classique se trouve dans le livre de Alfred J. Ayer, Language, Truth and Logic (1936), que Carnap assignait à ses étudiants à Chicago, comme Rorty.
[4] « [We try to get to the point] where we no longer worship anything, where we treat nothing as a quasi divinity, where we treat everything – our language, our conscience, our community – as a product of time and chance » (Rorty, Contingency, Irony, and Solidarity, Cambridge, Cambridge University Press, 1989,p. 22)
[5] « [so, at 12, I knew that] the point of being human was to spend one’s life fighting social injustice » (Rorty, “Trotsky and the Wild Orchids” (1992), in Philosophy and Social Hope, London, Penguin Books, 1999, p. 6).
[6] « within a social perspective », Philosophy and the Mirror of Nature, Princeton, Princeton University Press, 2009, p. 13.
[7] « … members of labor unions, and unorganized unskilled workers, will sooner or later realize that their government is not even trying to prevent wages from sinking or to prevent jobs from being exported. Around the same time, they will realize that suburban white-collar workers – themselves desperately afraid of being downsized – are not going to let themselves be taxed to provide social benefits for anyone else. At that point, something will crack. The nonsuburban electorate will decide that the system has failed and start looking around for a strongman to vote for – someone willing to assure them that, once he is elected, the smug bureaucrats, tricky lawyers, overpaid bond salesmen, and postmodernist professors will no longer be calling the shots (…) One thing that is very likely to happen is that the gains made in the past forty years by black and brown Americans, and by homosexuals, will be wiped out. Jocular contempt for women will come back into fashion. The words “nigger” and “kike” will once again be heard in the workplace. All the sadism which the academic Left tried to make unacceptable to its students will come flooding back. All the resentment which badly educated Americans feel about having their manners dictated to them by college graduates will find an outlet” (Rorty, Achieving our Country. Leftist Thought in Twentieth-Century America, Cambridge (Mass.) : Harvard University Press, paperback ed. 1999, p. 89-90).
[8] « [He] will be a disaster for the country and the world » (ibid, p. 91).