Comment amener les entreprises et les organismes publics à chiffrer dans leur bilan social les coûts annuels engendrés par l’absentéisme, les rotations du personnel et les accidents du travail et comment parvenir à les maîtriser ?
Dossier / Travailler mieux, un recueil de propositions
Comment amener les entreprises et les organismes publics à chiffrer dans leur bilan social les coûts annuels engendrés par l’absentéisme, les rotations du personnel et les accidents du travail et comment parvenir à les maîtriser ?
L’absentéisme, les accidents du travail et la rotation des personnels (turn over) constituent des dysfonctionnements sociaux nés de problèmes de management et d’organisation du travail. Les indicateurs en ces matières témoignent de la performance sociale d’une organisation quelle qu’elle soit, de la qualité du management de proximité et de la qualité de vie au travail (QVCT). Ils ne sont pourtant évalués que qualitativement (Q) et quantitativement (Q, nombre de jours non travaillés par exemple) tous les ans dans le bilan social des organisations de plus de 300 salariés. Le fait qu’ils ne soient pas évalués financièrement (Fi = leur coût pour les organismes concernés) empêche les organisations de prendre des décisions d’amélioration de la qualité du management de proximité pour les maîtriser et passer à l’acte en la matière.
Spontanément, les directions ont tendance à considérer les coûts de ces dysfonctionnements sociaux comme marginaux car ils sont occultés par les comptabilités classiques (comptes de résultat ou budgets) alors qu’ils sont souvent gigantesques lorsqu’on les chiffre (20 000 euros en moyenne par personne et par an pour non productions des absences non remplacées, surtemps des présents pour réguler les absences, sursalaires et surconsommations liés aux recrutements ou aux achats de services pour pallier les absences). Par ailleurs le fait que le coût des dysfonctionnements sociaux ne soit pas formellement chiffré par les organisations engendre des débats contradictoires sur son montant souvent sans effet, car sans base partagée de calcul, au plan des améliorations concrètes de QVCT.
Chiffrer tous les ans dans le bilan social le coût intégral des trois indicateurs du bilan social – absentéisme, accidents du travail-maladies professionnelles et rotation du personnel – et décrire dans le bilan social les plans d’amélioration de la QVCT pour mieux les maîtriser.
Il s’agit de calculer les coûts pour l’organisation entraînés par l’absentéisme, la rotation du personnel et les accidents du travail en termes de pertes de valeur ajoutée (ou d’évaporation budgétaire pour ce qui concerne le secteur public). Pour ce faire, les entreprises et les services publics seront amenés à chiffrer tous les ans dans leur bilan social l’impact économique en coût intégral ou « true cost accounting » (= coût financier + coût extra financier = coût visible + coût caché) des trois indicateurs du bilan social, absentéisme, accidents du travail-maladies professionnelles et rotation du personnel. Cela permettra de : 1/ stimuler les décisions d’investir dans des améliorations de la qualité du management de proximité des organisations ; 2/ évaluer d’une année sur l’autre la rentabilité des investissements en qualité du management du potentiel humain via la réduction des coûts – lorsqu’elle a lieu – des dysfonctionnements sociaux.
La proposition repose sur des travaux issus des sciences de management, notamment le recyclage des coûts cachés des activités humaines en valeur ajoutée, et l’approche « True Cost Accounting ». Cf. en particulier :
– Cappelletti, L. (2023). Le management de proximité du potentiel humain, facteur actif de satisfaction sociale au travail et de productivité durable. Que sait-on du travail ? Les Presses SciencesPo, p. 250-260.
– Cappelletti et al. (2024). Mesurer les impacts sociaux et environnementaux des activités humaines en « true cost accounting. Contribution de la théorie des coûts cachés. Congrès de l’Association Francophone de Comptabilité. Dijon.
– Cappelletti, L. et al. (2024). Socio-Economic Approach to Management. Zurich : Palgrave Macmillan, Springer Nature.
– Savall, H. et al. (2019). Valoriser la recherche par l’expérimentation en entreprise. Cas du modèle de management socio-économique. Revue Française de Gestion, 45(284) : 149-169.
– Savall, H., & Zardet, V. (Eds) (2024). L’humain au cœur de la création de valeur. EMS.
Concrètement le chiffrage peut se faire par la DRH de l’entreprise ou du service concerné, en coopération avec le contrôle de gestion dans les grandes organisations, l’expert-comptable dans les petites entreprises. Les indicateurs devenus ainsi « qualimétriques » (QQFi) du bilan social seront utilisés dans les reportings de durabilité, rendus obligatoires par la directive européenne CSRD pour les entreprises de l’UE de plus de 250 salariés et les petites entreprises cotées. Ces indicateurs seront certifiés par les commissaires aux comptes dans le privé (et Cour des comptes dans le public).
Une loi concernant le bilan social des entreprises et des organisations publiques de plus de 300 personnes pourrait rendre obligatoire le chiffrage économique des indicateurs sociaux et la description des actions d’amélioration de la QVCT mises en œuvre annuellement pour les maîtriser. Le chiffrage pourrait être prévu par la négociation de branche pour les entreprises de moins de 300 salariés, les OPCO proposant une formation pour aider à les calculer.
par , le 12 décembre
Laurent Cappelletti, « Réduire les coûts annuels de l’absentéisme, des rotations et des accidents du travail. Proposition 8 », La Vie des idées , 12 décembre 2024. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Reduire-les-couts-annuels-de-l-absenteisme-des-rotations-et-des-accidents-du
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