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Essai Société

Politique de l’absurde
Le numérique et l’accès aux droits sociaux


par Clara Deville , le 2 mai 2023


La dématérialisation de l’accès aux droits sociaux, loin de réduire le non-recours, ne fait qu’accentuer la fracture numérique. Si cette politique peut paraître absurde, elle est parfaitement délibérée.

Depuis une dizaine d’années, dans les CAF (Caisse d’allocations familiales) ou les MSA (Mutualité sociale agricole), il faut faire usage des outils numériques pour accéder à ses droits. Qu’il s’agisse de solliciter un rendez-vous, d’obtenir son test d’éligibilité ou encore d’envoyer les pièces justificatives nécessaires, Internet s’impose comme un levier incontournable des nouvelles relations entre usagers et administrations. Les réformateurs décrivent l’utilisation du numérique dans les procédures administratives comme autant d’outils au service de la lutte contre le non-recours (évalué dès 2011 à plus de 30% des potentiels bénéficiaires du revenu de solidarité active – RSA [1]), ce qui faciliterait ainsi l’accès de tous et toutes aux services publics. Pourtant, la dématérialisation fait face, dès ses débuts, à des critiques dénonçant les risques liés à la « fracture numérique » [2], qui constituerait une barrière entre les plus démunies et leurs droits. Comment a-t-il été possible de faire de techniques pourtant connues pour leur inégale répartition [3] un levier central dans la lutte contre un problème qui concerne les plus précaires ? Et pourquoi ce choix est-il maintenu, à l’heure du lancement de l’expérimentation des Territoires zéro non-recours (TZNR) [4], alors même que la capacité du numérique à résoudre les difficultés d’accès aux droits n’a été ni prouvée par les évaluations menées [5], ni reconnue par les acteurs de terrain ?

Se plonger dans ces questions, c’est se trouver face aux absurdités de l’action publique. Parler d’absurdité renvoie ici aux écarts qui s’observent entre une politique publique et les logiques sociales du problème qu’elle se donne à résoudre [6]. Ce qui paraît absurde dans les politiques de lutte contre le non-recours, c’est qu’elles mobilisent des solutions pourtant porteuses d’un risque d’aggravation des difficultés d’accès aux droits. Considérer qu’une politique est absurde ne revient donc pas à dire qu’elle est dépourvue de toute rationalité, mais renvoie plutôt à l’analyse de la constitution de logiques réformatrices qui, progressivement, s’éloignent et s’autonomisent de celles et ceux qui devraient être leur cible. L’absurdité est alors le signe d’une réforme qui se construit et se déploie à distance de celles et ceux qui devraient être assistées, c’est-à-dire sans prendre en compte les obstacles qu’ils et elles doivent surmonter pour établir une relation à l’administration et accéder au RSA.

Ce sont ces dynamiques que cet essai propose d’explorer, à partir de matériaux recueillis au cours d’une ethnographie menée dans le département de la Gironde (en Libournais) [7]. L’étude menée montre que ces absurdités sont le résultat de la formation d’écarts entre ce que l’État voit (Scott, 1999) à propos des pauvres et les conditions d’existence de ces derniers. Ce sont sur ces écarts que se forment, au fil des réformes des minima sociaux, les mécanismes qui éloignent de leurs droits les fractions les moins stabilisées des classes populaires, conduisant à faire des politiques de lutte contre le non-recours un facteur d’inégalités dans l’accès au RSA.

Monsieur Taydu face à la modernisation de l’accueil administratif

Nombre de personnes que j’ai rencontrées au cours de la réalisation de ma thèse ont buté, au cours de leurs chemins du droit, sur les réformes de modernisation de l’accès aux droits mises en œuvre au nom de la lutte contre le non-recours. Il en va ainsi pour M. Taydu, dont la trajectoire d’accès au RSA sera au cœur de mon propos, représentant un cas d’étude exemplaire des difficultés que rencontrent celles et ceux qui appartiennent aux classes populaires rurales non-stabilisées. M. Taydu a 51 ans quand je le rencontre en 2015. Après avoir arrêté sa scolarité avant le brevet des collèges, il devient « garçon de ferme » [8], trouvant dans le statut d’ouvrier agricole le moyen de travailler rapidement et de sortir de la misère dans laquelle il a grandi. Depuis, toute sa carrière professionnelle a été occupée à tailler et plier des pieds de vigne pour un unique employeur, situé à environ 40 minutes de la ville de Libourne. Il habite non loin de là, dans une maison qu’il a achetée avec sa femme, à quelques kilomètres de l’endroit où vivent également ses parents. À la suite d’un arrêt maladie survenu deux ans plus tôt, son contrat de travail est rompu : « mon patron ne m’a pas repris » m’explique M. Taydu. Au même moment, sa femme le quitte et ses enfants quittent le domicile familial.

M. Taydu fait partie des enquêtées que j’ai suivis tout au long de leurs parcours de demande de RSA. Quand je le rencontre, il ne travaille plus depuis près de deux ans. Sa voiture est en panne, il attend qu’elle soit réparée pour pouvoir reprendre ses recherches d’emploi. Sans ressource depuis cette date (ne s’étant pas inscrit à Pôle emploi à la suite de son licenciement, ses droits au chômage ne peuvent plus être perçus [9]), il vit grâce à « ses petites économies » et à différentes stratégies de débrouilles (réaliser les travaux de jardinage des voisins contre une faible rémunération non déclarée, etc.). Comme d’autres membres des classes populaires, M. Taydu subvient à ses besoins grâce à des activités qui se développent en marge de l’économie formelle et qui lui permettent de se protéger du chômage et de la précarisation des statuts d’emploi. Ce « travail de subsistance » (Collectif Rosa Bonheur, 2019) lui prend beaucoup de temps et ne lui laisse que peu d’énergie pour s’intéresser aux aides sociales auxquelles il pourrait prétendre. Il me dit connaître le RSA - « C’est un peu comme le RMI, je vois oui » - mais ne sait pas exactement comment s’y prendre pour y accéder. Ce qui l’inquiète le plus, c’est « le tas de papiers qu’ils vont demander », dont il ne sait pas les contours exacts et qu’il anticipe avec angoisse.

Cette distance aux droits sociaux est la conséquence de l’inexpérience relative de M. Taydu, qui n’a eu que peu eu à faire aux administrations du social au cours de sa vie. Il se rappelle tout de même avoir « déjà été à la MSA, pour des papiers ». C’était il y a à peu près deux ans, au moment de son arrêt maladie. Il s’était rendu à la permanence de Sainte-Foy-la-Grande, à une dizaine de kilomètres de son domicile. Il explique aussi que c’était surtout sa femme qui s’occupait « des papiers », cette situation correspondant à la division genrée du travail administratif décrite par Yasmine Siblot. Maintenant que cette « secrétaire de la famille » n’est plus là (Siblot, 2006), il hésite quant à ce qu’il doit faire pour résoudre sa situation. À ce peu d’occasion qu’il a eu de s’adapter aux fonctionnements administratifs s’ajoute une attitude mêlant renoncement et parcours biographique marqué par la pauvreté. Ainsi, M. Taydu perçoit sa situation actuelle comme étant la suite logique d’une accumulation d’expériences difficiles, ne voyant pas comment il pourrait en être autrement à l’avenir.

M. Taydu : Ben moi j’ai toujours vécu comme ça hein. Voilà.
Clara : Comment ça ?
M. Taydu : Ben pauvre quoi. Mes parents aussi. C’est comme ça.
Clara : Donc vous êtes pauvre ?
M. Taydu : Oui oui, bon j’ai un toit sur la tête hein, je suis pas le SDF non plus, mais je suis pas riche. C’est sûr. Bon, maintenant j’ai 51 ans hein, je vais pas changer la vie (Extrait d’entretien, le 13 avril 2015).

Entre distance au droit et intériorisation de sa situation de pauvreté, M. Taydu n’entame que difficilement une demande de RSA. Lorsqu’il s’y engage, il se rend à Sainte-Foy-la-Grande. Il s’y rend parce qu’il a déjà fait l’expérience de l’accueil administratif dans cette ville, et aussi parce « Sainte-Foy, c’est à côté, et c’est moins gros » que Libourne, la ville-centre du territoire, située à une trentaine de kilomètres de son domicile. Sainte-Foy-la-Grande (près de 2 500 habitants, située à l’extrémité du département, présentant l’une des plus fortes surreprésentations des classes populaires du territoire ainsi que des indicateurs de pauvreté supérieurs à la moyenne départementale) fait partie des possibles territoriaux de M. Taydu, c’est-à-dire des lieux appartenant à ses pratiques et représentations ordinaires de l’espace. À l’inverse, Libourne (sous-préfecture du territoire, environ 25 000 habitants et à la composition sociale plus diversifiée) lui paraît étrangère, lointaine et peu accessible. Dans ce cadre, M. Taydu espère trouver à la permanence MSA de Sainte-Foy-la-Grande « le même conseiller que pour l’arrêt de travail, il était bien ». Sauf que cette permanence fait partie des points d’accès aux droits qui ont été fermés à la suite de la réorganisation des guichets des institutions du social. Il lui faudra donc se rendre à Libourne.

Pour M. Taydu, ce déplacement est complexe. Sans moyen de locomotion, il ne se déplace que peu au cours d’une semaine ordinaire, se rendant de temps en temps à vélo dans le village voisin pour aller à la boulangerie ou au tabac. Outre cette difficulté de mobilité, la distance qui le sépare de Libourne est allongée par des violences symboliques qui redoublent les effets de la domination sociale : se rendre à Libourne revient pour lui à « monter en ville », avec tout ce que cela comprend d’impressionnant et d’inquiétant. Je m’en rends compte alors que je l’accompagne à la MSA. Les notes que j’ai prises juste avant ce déplacement montrent ce que produit sur lui l’idée de se rendre en ville.

M. m’appelle. Il a doit aller à la MSA. De chez lui, il y a 45 min de voiture, il ne pense pas pouvoir y aller en vélo. Je lui propose de l’amener (…). Il me dit qu’il ne va que rarement à Libourne et qu’il n’aime pas ça. Je passe le chercher chez lui. Il m’attend devant l’entrée du chemin qui mène à sa maison. Il s’est habillé autrement qu’avec son habit de travail vert que je le vois toujours porter. Il a des chaussures vernies, un jean un peu grand et un manteau noir. Il me dit qu’il a sorti ses habits pour “monter en ville”, pour “être correct”. Il tient une pochette en carton dans laquelle il a mis tous ses papiers. On part aussitôt pour Libourne. (Extrait du carnet de terrain, le 7 décembre 2015).

L’attention que M. Taydu porte à sa tenue vestimentaire rend visible l’effort de présentation de soi qu’il pense devoir fournir pour se rendre dans une agence de la MSA. Il quitte les habits qu’il porte habituellement pour s’ajuster à un lieu qu’il perçoit comme étant socialement au-dessus de lui. Une fois cette étape franchie, il se retrouve dans une salle d’attente pleine, où il a l’impression « que ça grouille de monde » (Extraits du carnet de terrain, le 7 décembre 2015). Alors qu’il s’attendait à devoir patienter avant de se retrouver face à une guichetierère, il est rapidement abordé par un agent de bienvenue, gilet bleu sur le dos, à qui il explique : « Je viens ici parce que j’ai des problèmes avec ma maison ». Ce que tente d’expliquer M. Taydu, c’est qu’il n’est plus en mesure de payer ses charges. Entre deux conseils à des personnes ayant perdu leurs identifiants de connexion, l’agent de bienvenue lui dit de télécharger une demande d’allocation logement, au lieu de l’orienter vers un rendez-vous d’instruction du RSA.

Si M. Taydu n’a pas pu être entendu par l’administration, c’est qu’il s’y confronte aux exigences de maîtrise du langage technique qui structurent l’accueil dans les institutions (Spire et Weidenfeld, 2011). On est au mois de décembre 2015, et M. Taydu doit renouveler un coûteux déplacement vers Libourne. Je lui propose alors d’utiliser le site internet institutionnel pour obtenir un rendez-vous. Il n’a pas d’ordinateur chez lui, mais il lui est possible d’utiliser son téléphone portable. Face à ma proposition, il marque une réaction d’incertitude, les outils numériques ajoutant une violence symbolique supplémentaire à celle qu’exerce déjà sur lui le fonctionnement administratif.

Clara : Si vous voulez, on peut regarder ensemble.
M. Taydu : Avec cet engin-là ? Et il va vous dire quoi ? Ben vas-y toi si tu veux, regarde ce qu’il te dit, moi je sais pas. Je sais pas faire fonctionner ces machines-là (Extrait d’entretien avec M. Taydu, le 7 décembre 2015).

Si M. Taydu rencontre des difficultés liées à l’usage d’outils numériques (ce qui peut être appelé ailleurs l’illectronisme [10]), son attitude ne peut être ici comprise à l’aune de la seule approche techniciste, qui ferait de la non-maîtrise informatique l’explication centrale dans ses difficultés d’accès au RSA. Plus largement, la nécessité d’utiliser des outils informatiques confirme, aux yeux de M. Taydu, que « ce n’est pas pour lui » (Extrait d’entretien avec M. Taydu, le 7 décembre 2015), ajoutant aux distances sociales et géographiques qui le séparent de ses droits l’impression qu’il n’est pas conforme à ce qu’on attend de lui. Dès lors, ce n’est qu’en juin 2016, soit près de 6 mois après sa première tentative, que M. Taydu se rend de nouveau à la MSA. Il a enfin rendez-vous pour déposer une demande de RSA. L’agent de pré-accueil (qui régule l’entrée dans l’espace rendez-vous) lui explique que ça ne va pas être possible parce que son dossier n’est pas complet. Il manque le test d’éligibilité au droit (simulation à faire sur internet, qui estime le montant du droit). Il est alors orienté vers l’espace libre-service de l’agence pour faire cette démarche. Dans cet espace, il se trouve démuni et n’y parvient pas.

On est arrivé depuis 9 h, il est 9 h 45. La salle d’attente est pleine, et les agentes de bienvenue sont très occupées. M. Taydu attend, sans savoir quoi faire. Au bout d’un moment, une agente vient le voir et lui demande ce qu’il se passe. Mr Taydu explique qu’il voudrait demander le RSA. L’agente répond qu’il faut ouvrir son espace personnel et réaliser le test d’éligibilité. Elle lui tend une notice explicative “comment faire mon test d’éligibilité au RSA”, et lui dit “tout est expliqué là-dessus”, puis s’en va. (Extrait du carnet de terrain, 15 juin 2016)

Lors de ce second rendez-vous, M. Taydu est, encore une fois, placé face à de nouveaux types de professionnelles exerçant aux guichets : des agentes de bienvenue, peu qualifiées et non habilitées à donner des informations sur les prestations (Besch, 2022). Leur fonction est d’accompagner les demandeurs et demandeuses à l’usage des outils en ligne, ajoutant un niveau dans les formes d’accueil proposées aux guichets. Cette nouvelle division du travail d’accueil accroit encore la distance qui sépare M. Taydu de ses droits, l’organisation des guichets plaçant les personnes les plus éloignées de leurs droits face aux personnels les moins formés. Ne parvenant pas à passer les différentes barrières qui le sépare de la rencontre administrative, plus d’un an après le début de son parcours de demande de droit, M. Taydu n’a toujours pas déposé de demande de RSA.

Lors de sa troisième visite à l’agence MSA le 30 juin 2016, M. Taydu a rendez-vous. Il s’y présente sans avoir en sa possession l’ensemble des informations nécessaires pour compléter le formulaire de demande de RSA et sans avoir l’intégralité des pièces justificatives. La technicienne-conseil le réoriente alors vers les services sociaux pour obtenir une aide dans la réalisation des démarches nécessaires à l’obtention du RSA. Le lendemain, alors que je m’entretiens avec cette professionnelle, je lui demande comment s’est déroulé le rendez-vous avec M. Taydu. Celle-ci m’explique ne pas avoir eu le temps de s’occuper de lui.

Clara : Alors, avec M. Taydu, ça a donné quoi ?
Technicienne conseil : Ha ben, rien ! Je l’ai renvoyé vers le service social. Il est encore venu avec un dossier bâclé.
Clara : Ha bon ? C’est dommage.
Technicienne conseil : (…) Ben ouais, mais moi mes plages de rendez-vous c’est 15 minutes. Avec ça, j’ai pas le temps de faire du social (Extrait d’entretien, le 1er juillet 2016).

Plus d’un après le début de son parcours d’accès au RSA, le dossier de M. Taydu n’est toujours pas déposé. Il faudra attendre encore plusieurs mois pour qu’il y parvienne, percevant pour la première fois le RSA au mois de décembre 2016.

La force du mythe de la dématérialisation

Les difficultés de M. Taydu pour accéder aux RSA sont aggravées par les politiques d’amélioration de l’accès aux droits qui se déploient à partir du milieu des années 2010. C’est à ce moment que le non-recours (notamment au RSA) devient un problème progressivement reconnu et pris en charge au sein de l’action publique [11]. Au fil des différents rapports publiés sur la question, les réformateurs dénoncent des démarches trop coûteuses, trop complexes et trop stigmatisantes pour des personnes qui ne disposent que de peu de moyens pour y faire face [12]. En toute logique, on aurait alors pu s’attendre que cette séquence de réforme des minima sociaux aboutisse à un allègement de ce « fardeau administratif » (Moynihan, Herd et Harvey, 2015), allant dans le sens d’une automatisation du droit, tel que cela a été proposé dans différents rapports publics [13]. Cette orientation de réforme était d’autant plus attendue qu’elle se développait alors dans d’autres secteurs, et notamment concernant l’impôt sur le revenu [14].

Il n’en a rien été et les procédures sont restées inchangées. Il faut toujours s’acquitter des mêmes démarches pour obtenir le RSA : des pièces justificatives nombreuses (et encore plus pour les personnes qui appartiennent à des fractions dominées de l’espace social : les ressortissants de l’immigration voient ainsi leur fardeau administratif s’alourdir de demandes plus ou moins légales concernant leur statut ; tout comme les mères célibataires, qui doivent justifier de leur situation d’isolement), un dossier de demande pas toujours simple à comprendre (en raison des termes techniques utilisés notamment), des revenus à déclarer dont le périmètre n’est pas clair (revenu du foyer et non de la personne, revenu du travail mais aussi pensions alimentaires…). Plus encore, la dématérialisation a donné l’occasion aux administrations de déléguer une part du travail d’accès aux droits qui leur incombaient aux demandeurs et des demandeuses. Alors qu’il faut désormais passer par internet pour ouvrir son droit, s’ajoutent aux traditionnelles démarches administratives la réalisation d’un test d’éligibilité ou encore l’envoi des pièces justificatives numérisées au bon format (ce qui permet aux administrations de simplifier leur fastidieux travail de gestion du courrier entrant et de son archivage). À cela s’ajoute la nécessité pour la personne de réaliser elle-même le travail de qualification juridique, c’est-à-dire de savoir ce à quoi elle peut avoir droit avant même de rencontrer l’administration.

Si le travail des demandeurs et demandeuses pour accéder à ses droits s’accroît, pour les administrations, la dématérialisation sert de point d’appui à une réorganisation qui a longtemps été contestée : le passage à l’accueil sur rendez-vous. Alors que l’image d’Épinal des CAF repose sur la représentation d’une file d’attente longue préalable à toute rencontre avec une agente (Auyero, 2012), maintenant, dans les accueils, il n’y a même plus de chaise pour s’asseoir. C’est qu’on n’est plus censé attendre dans les CAF : on doit s’y rendre soit pour son rendez-vous, soit pour gérer de manière autonome ses droits depuis les espaces libre-service, où ont été créés des postes de travail pour les demandeurs et demandeuses, avec leurs ordinateurs, imprimantes et autres bornes. En parallèle de cette réorganisation, les CAF et MSA ont également changé de mode d’implantation territoriale. La dématérialisation a ainsi accéléré le repli des institutions du social vers les centres urbains, fermant les antennes et autres permanences situées en milieu rural, où s’observe pourtant une surreprésentation des classes populaires (Bruneau et al., 2018), pour les remplacer par des visio-guichets ou des bornes (Deville, 2018).

Deux éléments expliquent cette modernisation. Tout d’abord, elle est le résultat d’une double contrainte qui pèse depuis longtemps sur les administrations du social : celle qui voit se confronter l’augmentation de la charge de leur travail d’une part (du fait de la hausse de la pauvreté ainsi que du nombre et de la complexité toujours plus grande des prestations à gérer) et la diminution de leurs ressources d’autre part [15]. Pour faire plus avec moins de moyens, il faut rationaliser le travail, et d’abord là où il est le moins rentable : c’est-à-dire aux guichets. C’est en effet à cet endroit que se situe, dans la traditionnelle division entre back office (la production des droits) et front office (l’accueil des demandeurs et des demandeuses), la part du travail qui est la moins valorisable au sein de l’encadrement gestionnaire des administrations, qui fait du temps de traitement des droits (donc du back office) l’un des indicateurs centraux de la performance administrative (Baudot, 2015). C’est aussi à cet endroit que les administrations peuvent déployer leurs efforts de rationalisation en s’exposant le moins à des risques de contestation, tant les usagerères sont peu en position de se mobiliser face à leurs conditions d’accueil. Dès lors, la rationalisation administrative se traduit par un recentrement du travail d’accueil sur une tâche mesurable : le travail juridique d’instruction des droits réalisé par les techniciennes conseil. Avec le passage sur rendez-vous, ces dernierères ne reçoivent plus le « tout-venant », mais, en cadence, des personnes dont la nature de la demande est connue puisqu’il faut la spécifier pour pouvoir prendre rendez-vous. « Tous les quarts d’heure, un nouveau dossier » (Extrait d’entretien, technicien conseil CAF, 17 août 2016) : ce rythme qui conduit les professionnelles à devoir consacrer leur temps de travail à l’instruction des droits à proprement parler, laissant à d’autres le soin de réaliser le « sale boulot » (Hughes, 1996) de l’accès aux droits, fait de pièces justificatives, d’explications du fonctionnement des droits et d’aide à la réalisation des écritures administratives. À bien y regarder, cette nouvelle organisation se mue en division socio-spatiales des agences. Elles sont désormais scindées entre des espaces rendez-vous où se rendent celles et ceux qui se sont acquittées en bonne et due forme de leur fardeau administratif, étant alors reçues par les personnels les plus formés ; et des espaces libre-service où se retrouvent celles et ceux qui doivent travailler à leur ajustement aux fonctionnements administratifs et qui ne pourront parler avec une agente habilitée à gérer des prestations qu’à cette condition.

Ensuite, cette modernisation de l’accueil sert l’image des CAF et des MSA. La disparition affichée des files d’attente offre l’opportunité de mettre en scène le succès des administrations, qui y trouvent l’occasion de démontrer leur réactivité et leur rapidité, contredisant ainsi les anciennes critiques sur leur lenteur. En réalité, les files d’attente n’ont pas disparu. Même si elles ne figurent plus dans les chiffres officiels (où n’est comptée que l’attente des personnes enregistrées, donc celles qui ont un rendez-vous ou qui sont pris en charge par une agente de bienvenue), désormais, on patiente dans les espaces libre-service avant qu’un ordinateur se libère ou avant qu’une agente de bienvenue soit disponible. À la division socio-spatiale des guichets s’ajoute donc la répartition sociale de l’attente. Ce sont celles et ceux qui ont le moins de disposition à s’ajuster aux fonctionnements administratifs (dont M. Taydu) qui font l’expérience d’un accueil où il faut attendre, où l’expertise est absente, et où il faut se débrouiller par soi-même pour travailler son accès aux droits.

Les fractions dominées de l’espace social se trouvent ainsi mises à distance (géographique, symbolique et professionnelle) de l’accès aux droits. Certaines se tournent alors vers le secteur associatif, qui reçoit toujours plus de déboutées des administrations et qui se retrouve à faire une part de ce que les réformes de modernisation ont évacué du périmètre d’exercice des guichets. C’est d’ailleurs une des orientations préconisées dans les politiques de lutte contre le non-recours : pour contrer la fracture numérique et éviter tout risque de fracture territoriale, il faut mobiliser les « acteurs locaux ». Dans cette optique, les Maisons France Services (lieux de regroupement de plusieurs administrations et qui permettent d’obtenir un accompagnement dans la réalisation des démarches en ligne) fleurissent, et, de manière plus informelle, des initiatives locales prennent forme. Mais, à côté de chez M. Taydu, il n’y a pas de structures de ce type. C’est que la mobilisation de ces acteurs est inégale, dépendant des contextes politiques et budgétaires. Pour exemple, l’installation des Maisons France Services s’établit en fonction d’initiatives locales, c’est-à-dire des possibilités matérielles et économiques des porteurs ainsi que des opportunités (notamment politiques) qu’ils perçoivent dans cet investissement. Ce fonctionnement expose les demandeurs et demandeuses à de fortes inégalités territoriales. Et même si M. Taydu avait eu la chance d’habiter près d’une Maison France Services, il n’aurait pas eu l’occasion d’y travailler à son accès au droit à proprement parler. Ces lieux sont avant tout dédiés à l’information sur les prestations et de l’orientation dans l’utilisation des outils numériques. L’accès au droit, au sens de travail sur la matière juridique des prestations, se fait toujours dans les administrations. Pour M. Taydu, une visite à la MSA aurait tout de même été nécessaire, la mobilisation des acteurs locaux allongeant son parcours d’accès au RSA.

Ainsi, la lutte contre le non-recours se traduit, en pratique, par un accroissement du fardeau administratif et par une dualisation de l’accueil, voyant celles et ceux qui ont le plus besoin d’accompagnement se retrouver plus fréquemment face au vide bureaucratique. Pour absurde qu’il soit, le répertoire de réforme de la lutte contre le non-recours se perpétue. La dématérialisation est reconduite au rang de solution d’amélioration de l’accès aux droits, alors même que les derniers chiffrages produits indiquent que le problème du non-recours n’a pas évolué depuis 2011 , posant la question de l’efficacité des politiques mises en œuvre pour le réduire. Si la dématérialisation tient, c’est que progressivement, elle est devenue un « mythe d’action publique » (Desage et Godard, 2005), c’est-à-dire « non pas [...] une idée fausse, mais plutôt [...] une croyance vraisemblable et infalsifiable, car reposant sur des tenants et des aboutissants étrangers à la raison scientifique comme à l’expérience pratique » (Desage et Godard, 2005, p. 656). L’une des propriétés d’un mythe est de permettre de faire l’économie des critiques à son encontre. Pour la dématérialisation, cette propriété est construite par des modes d’évaluation tautologiques. Les indicateurs retenus pour mesurer l’efficacité de la dématérialisation reposent non pas sur la mesure de ses effets sur le non-recours, mais sur la progression de son usage. Par exemple, la lutte contre le non-recours au RSA est mesurée par le taux de procédures dématérialisées. Cette évaluation de la solution par elle-même permet à la dématérialisation d’atteindre le statut de solution hégémonique, non remise en cause et maintenue en dépit de la multiplication des prises de parole dénonçant ses effets négatifs . Si la dématérialisation tient, c’est également grâce à ses capacités à résoudre les dissonances quant aux politiques menées. Son déploiement permet la mise en scène des capacités réformatrices de l’État, alors même que le fonctionnement des prestations, pourtant dénoncé comme générant des difficultés dans l’accès aux droits, est maintenu à l’identique ; ou encore d’afficher la modernisation des administrations et leur engagement dans la lutte contre le non-recours, alors même que se mettent en œuvre des mouvements de rationalisation et de fermeture de guichets qui renforcent les mécanismes de tris et de sélection avant la rencontre administrative.

L’impossible contre-feu : comment le non-recours est pensé à distance des classes populaires

Comment les politiques de lutte contre le non-recours ont-t-elles pu conduire à laisser M. Taydu seul face à sa situation ? Ce constat est d’autant plus étonnant que le non-recours a d’abord été mobilisé pour dénoncer les réformes d’activation des minima sociaux et la multiplication des actions engagées pour lutter contre la fraude (Odenore, 2012). Partant, par quels procédés a-t-il été utilisé au sein de réformes de rationalisation administrative ? Il est tentant d’y voir le produit de l’intention des gouvernantes de faire des économies sur le dos des pauvres et de protéger les comptes publics, en dépit des difficultés que rencontrent celles et ceux qui sont placées tout en bas de la hiérarchie sociale. Cette intention, difficile à tracer et à corroborer, affleure lorsqu’on considère que la mise en œuvre des réformes est toujours prévue avec son taux de non-recours, ainsi anticipé dans les lignes budgétaires. Mais plus que la volonté de faire des économies, ce qui conduit à la mise en œuvre d’une politique absurde, c’est que l’État ne voit à propos des pauvres qu’une réalité tronquée. Et c’est le non-recours lui-même qui sert cette cécité sociale.

Au fil de son utilisation au sein de l’action publique, le non-recours est devenu une catégorie d’État, « principe de vision et de division du monde » (Bourdieu, 1993, p. 58), construite à distance des conditions de vie de celles et ceux qui connaissent la pauvreté. Cette distance est le fruit de la manière dont est définie cette notion. Elle renvoie à une réalité duale, opposant celles et ceux qui ont à celles et ceux qui n’ont pas leur droit. Dans cette perspective, si on avait compté le problème en 2016, au moment où M. Taydu obtenait enfin son droit, il aurait figuré au rang des recourantes. Le non-recours fonctionne ainsi comme une photographie instantanée, qui décrit le problème à l’aune d’un calcul différentiel entre éligibles et bénéficiaires, calcul insuffisant pour prendre en compte l’épaisseur sociale des difficultés d’accès aux droits [16]. C’est ce mode de construction de la catégorie qui fait disparaître tout une partie du problème, et au premier rang les parcours toujours plus longs et complexes de celles et ceux qui sont positionnées loin de l’État, parce qu’appartenant aux classes populaires.

Si la catégorie invisibilise une partie des difficultés d’accès aux droits, elle donne à voir et à comprendre, dans le même temps, ce que sont les causes du problème. Sans prise en compte des composantes sociales de l’accès au droit, des causes structurelles et du temps long, le terme se transforme en piège à penser, renvoyant l’appréhension du phénomène à la décision de demander ou non son droit. Ainsi, au sein de l’action publique, le non-recours est attribué à un ensemble de causes individuelles, qui forgent et diffusent l’image de personnes qui refuseraient de demander leur droit. C’est bien dans cette perception individualiste que sont saisies toutes les causes officiellement retenues du non-recours, qui se retrouvent dans les différents rapport publics portant sur la question. Les problèmes d’accès et de compréhensions des informations relèvent de la capacité personnelle à les trouver et à les déchiffrer, la lourdeur des démarches administratives renvoie à l’attitude individuelle de personnes qui se découragent face aux labyrinthes des procédures administratives, tandis que la crainte du stigmate évoque la peur de voir son identité sociale entachée par la honte d’avoir recours à l’assistance publique. La définition publique du problème du non-recours repose ainsi sur une lecture individuelle des comportements administratifs, confortant ainsi la perception des pauvres comme des acteurs rationnels, qui réaliseraient un calcul coût/avantage avant d’entamer des démarches d’accès aux droits.

Or, ce que j’ai constaté en accompagnant des personnes dans leurs parcours d’accès aux droits, c’est qu’on ne décide pas de demander le RSA ou non. Il n’existe pas, chez l’ensemble des demandeurs et demandeuses, de moment consacré à l’étude rationnelle de la possibilité de demander assistance. Les difficultés d’accès au RSA sont davantage la conséquence des tensions provoquées par la confrontation à la pauvreté et à ses institutions. En se référant à Georg Simmel (Simmel, 1998 [1908]), considérons que la pauvreté concerne toute personne qui doit faire face à la domination bureaucratique pour assurer ses conditions d’existence. Dans ces conditions de rapport contraint à l’État, nouer des relations à l’administration relève à la fois du passage obligé et d’une réalité plus ou moins palpable, plus ou moins accessible et considérée comme plus ou moins acceptable, en fonction de là où l’on vit et des expériences de rencontre à l’État accumulées au cours de sa vie. Si M. Taydu peine à déposer une demande de droit, c’est non seulement parce qu’il est tenu à distance de son droit par les réformes de modernisation administrative, mais aussi parce qu’il a fait l’expérience, au cours de sa vie, de diverses expériences malheureuses au guichet. Il m’explique ainsi qu’au nombre de ses rencontres avec l’administration, il compte un contrôle MSA au moment de sa séparation (c’est-à-dire une vérification administrative de sa situation matrimoniale), ou encore une interaction peu chaleureuse au guichet de Pôle Emploi, où on lui aurait demandé un peu vertement de justifier de son identité. Comme nombre de personnes appartenant aux classes populaires, il a donc été la cible des politiques de contrôle qui se déploient de manière toujours plus intense en bas de l’échelle sociale (Dubois, 2021).

Ainsi, avant même d’entamer une demande de RSA, les chances d’accéder aux droits sont socialement réparties en fonction des modes de constitution des rapports à l’État (Spire, 2018), qui sont marqués par plus de distance à mesure que l’on descend dans la hiérarchie sociale. C’est depuis ces positions socialement différenciées que les personnes tentent d’entrer en contact avec la CAF ou la MSA. Plusieurs filtres de sélection opèrent alors, qui réduisent toujours plus les chances d’accéder au RSA des classes populaires. Le premier filtre s’établit en amont de la relation administrative. La possibilité de rencontrer une agente administrative requiert des compétences, qui dépendent des positions et des trajectoires sociales. La capacité à se rendre au guichet, celle de s’approprier les dispositifs ou encore de déployer des pratiques administratives ajustées aux fonctionnements des administrations du social (et notamment à leur numérisation) sélectionnent les demandeurs et demandeuses avant même l’arrivée dans une institution. Le second filtre est celui de la rencontre au guichet, qui demeure un outil « d’écrémage » (Lipsky, 1980). La sociologie s’est employée à le montrer : les guichets sont des lieux où s’exercent des rapports de domination desquels celles et ceux qui sont les moins pourvus en différentes sortes de capitaux sortent perdantes (Dubois, 1999 ; Spire, 2007). Les réformes de modernisation administrative ne modifient pas ce résultat, mais le reconfigurent en faisant de la maîtrise des outils numériques un levier supplémentaire dans la sélection sociale qui s’opère. La lutte contre le non-recours a paradoxalement renforcé ces inégalités, en faisant jouer la dématérialisation comme une force d’éloignement du droit pour celles et ceux qui sont placés à distance de l’État.

Conclusion : Ce que les pauvres voient de l’État

La lutte contre le non-recours est une politique absurde, dans les solutions retenues pour lutter contre le phénomène tout comme dans les arcanes de sa mise en œuvre, faite de retrait de l’État des espaces ruraux et de possibilité de plus en plus tenue de rencontrer une professionnelle qualifiée au guichet. Ces absurdités sont le résultat de la manière dont l’État voit et qualifie le problème, le non-recours étant devenu une catégorie d’action publique qui invisibilise ce que vit M. Taydu comme ce que connaissent nombre de personnes appartenant aux fractions populaires. Ces éléments conduisent à pointer les limites conceptuelles de la notion de non-recours, dont la construction même ne permet pas de prendre en compte les déterminants sociaux de l’accès aux droits. Pour réencastrer le problème dans les dynamiques sociales complexes qui le structure, il paraît important de se tenir à distance des pièges à penser qui se forment autour de l’appréhension de la pauvreté et qui réduisent le regard porté sur celles et ceux qui y sont confrontés. Demander le RSA ne requiert pas seulement un ensemble de compétences (numérique, administrative, de mobilité ...) qui permettent ou non de décider de faire valoir son droit. Demander le RSA c’est, plus largement, un parcours qui s’inscrit dans des rapports à l’État qui se constituent sur le temps long, au fil de biographies plus ou moins marquées par les violences qu’exercent les administrations, et qui s’intensifient à mesure que l’on descend dans la hiérarchie sociale.

Les absurdités de la lutte contre le non-recours font que les parcours d’accès aux droits s’allongent et se complexifient pour celles et ceux qui en auraient le plus besoin. Outre l’aggravation des situations de pauvreté de ces personnes et les difficultés sociales qui naissent de ces situations (en termes d’accès aux soins ou encore au logement), un des effets de ces parcours heurtés d’accès aux droits concerne le rapport au politique (Deville, 2022). Que voit-on et que pense-t-on de l’État quand il n’est plus là ? Ce qu’on voit, c’est que l’État s’occupe des « autres », cette figure située juste en-dessous de soi et qui se matérialise régulièrement sous les traits racisés du profiteur d’aide sociale. En l’absence de trace matérielle des pouvoirs publics, la cause retenue aux problèmes rencontrés se mue en mise en concurrence des malheurs, renforçant ainsi les divisions internes aux classes populaires et faisant naître un ressentiment suffisamment grand pour soutenir les votes d’extrême droite.

par Clara Deville, le 2 mai 2023

Aller plus loin

Bibliographie
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Pour citer cet article :

Clara Deville, « Politique de l’absurde. Le numérique et l’accès aux droits sociaux », La Vie des idées , 2 mai 2023. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Politique-de-l-absurde

Nota bene :

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À lire aussi


Notes

[1En 2011, le Comité nationale d’évaluation du RSA commande une enquête statistique sur le non-recours au RSA. Ce premier chiffrage du phénomène en France dévoile un taux de 36 % de non-recourants au RSA socle (partie de l’allocation destinée à celles et ceux qui n’ont pas de revenus professionnels) et 68 % de non-recourants au RSA activité (pour celles et ceux qui ont des revenus d’activités insuffisants pour sortir de la pauvreté). (Comité national d’évaluation du RSA, 2011, Rapport final, « Chapitre 2, le non-recours au revenu de solidarité active », Paris, La Documentation Française, p. 47-64).

[2Sur les prises de positions publiques concernant les difficultés que les outils dématérialisés génèrent dans l’accès aux droits sociaux, voir notamment : Conseil National du Numérique, 2013, Citoyens d’une société numérique. Accès, littératie, médiations, pouvoir d’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion ; ou encore les discours de Dominique Baudis, alors Défenseur des droits. Dès 2013, ce dernier alerte sur le fait que « la dématérialisation de l’accueil ou des procédures administratives constitue trop souvent une source de complexification plus que de simplification » (Baudis D., 2013, « Discours de clôture », Actes du colloque organisé par le Défenseur des droits, L’accès aux droits : construire l’égalité, p. 75, en ligne : https://www.cnle.gouv.fr/IMG/pdf/actes_du_colloque_acces_aux_droits_-_140619.pdf).

[3Sur cette question, il est possible de se référer aux données produites par le Baromètre du numérique : Baromètre du numérique, 2022, Enquête sur la diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société française. Voir également : Pasquier Dominique, 2018, L’Internet des familles modestes  : enquête dans la France rurale, Paris, Presse des Mines.

[4Les territoires zéro non-recours sont des expérimentations lancées au mois de mars 2023, et qui doivent permettre d’améliorer les dispositifs actuels de lutte contre le phénomène.

[5Au contraire, plusieurs rapports publics pointent les limites des outils numériques. Voir notamment : Défenseur des droits, 2019, Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics, Paris.

[6Cette question renvoie à celle de l’écart, régulièrement constatés dans les travaux de science politique, entre le « droit des texte » et le « droit en action ». Voir notamment J. B. Gould et S. Barclay, 2012, « Mind the Gap  : The Place of Gap Studies in Sociolegal Scholarship », Annual Review of Law and Social Science, vol. 8, no 1, p. 323-335.

[7Cette ethnographie a été réalisée dans le cadre de mes travaux doctoraux. J’ai passé plus de deux ans à étudier le fonctionnement de l’ensemble des institutions en charge de l’accès aux droits (CAF, MSA, CCAS, Département, associations), et je me suis entretenue avec près de 40 personnes avant qu’elles n’entament leurs demandes de RSA (Deville, 2019). Un ouvrage issu de ce travail présente de manière plus complète les résultats abordés ici (Deville, 2023).

[8Cette citation et les suivantes sont extraites d’un entretien réalisé avec M. Taydu, le 13 avril 2015.

[9Afin de prétendre au bénéfice de l’allocation chômage, il faut s’inscrire auprès de Pôle emploi dans les 12 mois qui suivent la fin du contrat.

[10S. Legleye et A. Rolland, 2019, « Une personne sur six n’utilise pas Internet, plus d’un usager sur trois manque de compétences numériques de base », INSEE première, n° 1780.

[11Voir à ce sujet le précédent dossier mis en ligne par La vie des idées : Duvoux N., « Le RSA et le non-recours », dossier Réformer les minima sociaux, 2010, en ligne : https://laviedesidees.fr/Reformer-les-minima-sociaux-1495.html

[12Parmi les rapports publics participant à la genèse des politiques de lutte contre le non-recours, voir notamment : Bourguignon F., 2011, « Rapport final », Comité national d’évaluation du RSA, Paris ; Fragonard B., 2012, « Accès aux droits et aux biens essentiels ; minima sociaux », Rapport du groupe de travail de la Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, Ministère des Affaires sociales et de la Santé, Paris ; Cour des Comptes, 2013, « Le RSA activité : une prestation peu sollicitée, un impact restreint », Rapport public annuel de la Cour des Comptes, Paris.

[13Voir notamment : Sirugue Ch., 2016, « Repenser les minima sociaux : vers une couverture socle commune », Rapport au Premier ministre, Paris.

[14Le prélèvement à la source est une réforme qui visait à « simplifier » l’impôt sur le revenu en réduisant les démarches administratives demandées aux usagerères. Cette réforme est entrée en vigueur en 2019, à la suite d’une ordonnance datant de 2017 (ordonnance n° 2017-1390 du 22 septembre 2017), soit à la même période que la réforme du RSA.

[15Les ressources des administrations du social sont fixées, tous les cinq ans, dans des conventions d’objectifs et de gestion (COG). Les COG sont des contractualisations établis entre l’État et les caisses de Sécurité Sociale pour une période, définissant les objectifs à atteindre et les moyens alloués. La COG 2013-2017 État/Cnaf (caisse nationale des allocations familiales) fixait, à ce titre, un objectif de réduction de personnel de l’ordre de 3% de la masse salariale.

[16Cette manière de définir le non-recours structure sa prise en charge au sein de l’action publique (ou le phénomène est défini par soustraction des public éligibles à ceux qui sont effectivement bénéficiaires). Elle est également présente dans différents analyses scientifiques à son propos, dans les analyses anglo-saxonnes (Kerr S., 1982, « Deciding about supplementary pensions : a provisional model », Journal of Social Policy, vol. 11, no 4, p. 505-517 ; Craig P., 1991, « Costs and Benefits : A Review of research on Take-up of Income-Related Benefits », Journal of Social Policy, vol. 20, no 4, p. 537-565). Cette approche se retrouve également dans des travaux plus récents, qui développent toutefois une attention plus soutenue aux dimensions compréhensive afin de proposer « une approche extensive de l’éligibilité », tenant compte des réaction et perceptions des personnes (Warin Ph., 2016, Le non-recours aux politiques sociales, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, p. 34).

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