À Little Rock, ville démocrate, les trumpiens font profil bas. Mais dans les parties rurales de l’État, c’est l’inverse.
Dossier / États-Unis 2024 : sauver la démocratie
À Little Rock, ville démocrate, les trumpiens font profil bas. Mais dans les parties rurales de l’État, c’est l’inverse.
Je vous écris de Little Rock, capitale de l’Arkansas, célèbre pour l’intégration bousculée de neuf élèves noirs dans le Central High School au mois de septembre 1957, intégration qui fut non seulement empêchée par la Garde Nationale régionale déployée par le gouverneur ségrégationniste Orval Faubus , mais aussi mise en danger par les Blancs présents sur les lieux, tétanisés par la perspective de la fin de Jim Crow, hurlant insultes et menaces. Si bien que le Président Eisenhower a finalement dû faire appel à la célèbre 101e Division de l’Armée pour rendre possible l’entrée des premiers Africains-Américains dans ce qui avait été initialement conçu comme un lycée pour l’élite blanche.
L’Arkansas est bel et bien un État « rouge », représenté à Washington par des élus 100 % Républicains. L’assemblée de l’État est fortement dominée par les Républicains ; son Gouverneur n’est autre que Sarah Huckabee Sanders, ancienne porte-parole de Trump à la Maison Blanche (2017 – 2019) sur laquelle on peut toujours compter pour relayer la voix de son maître. On pourrait facilement supposer que la ville de Little Rock reste un bastion de ce conservatisme qui, depuis la guerre de Sécession et même avant, règne toujours dans tous les États du Sud. À tort : comme d’autres grands centres urbains situés dans des États ultraconservateurs – Atlanta dans l’État de Géorgie, Austin et Houston au Texas – Little Rock est solidement démocrate, ayant voté à 60 % pour Joe Biden en 2020, élisant aussi l’Africain-Américain Frank Scott maire dès 2019.
La ville connaît aussi une forte pluralité ethnique avec 44,6 % de Blancs, 41,5% de Noirs, 7,6% d’Hispaniques. S’adressant à la petite foule réunie en face du fameux Central High School à l’occasion d’une marche célébrant la diversité et le vivre-ensemble, la principale qui dirige l’établissement depuis 30 ans a fait savoir que parmi ses élèves figurent aujourd’hui des jeunes originaires de quelque 41 pays parlant pas moins de 36 langues différentes à la maison. C’est sans doute l’école de médecine de l’Université d’Arkansas qui attire la majeure partie de ces familles à Little Rock.
Sur le plan de l’emploi, le secteur « Santé et services sociaux » constitue justement le plus important dans la ville, suivi par l’enseignement (comprenant non seulement écoles et lycées, mais aussi une branche de l’Université d’Arkansas), et tout un ensemble de services administratifs, financiers et techniques. Je n’omets pas de mentionner que la firme Dassault Falcon Jet emploie quelque 2 000 personnes qui par ailleurs peuvent tomber sur bon nombre de noms de lieu et de rue dérivés du français : Varennes, Sézanne (sic), Chenonceaux, Champagnolle (sic), Fontenay, Bretagne, Alsace, Chenal...
Selon moi et bien d’autres, il fait bon vivre à Little Rock, connu pour ses quartiers résidentiels verdoyants et vallonnés, ses beaux parcs boisés de pins et de feuillus dépassant souvent 15 mètres de haut, parcs souvent situés au bord de l’eau comme c’est le cas de Maumelle Park. Les gens se montrent en général accueillants, courtois, d’un abord facile, de cette manière décontractée si souvent rencontrée dans le Deep South.
Me promenant dans notre quartier de classe moyenne plutôt aisée, je me rassure en observant de nombreuses pancartes sur les pelouses affichant leur soutien aux Démocrates dans la législature et la magistrature de l’état. Quelques maisons pavillonnaires s’affichent ouvertement en faveur de Kamala Harris, alors qu’on n’en voit que très en faveur de Trump dans notre voisinage ainsi que dans les autres quartiers résidentiels que j’ai pu traverser depuis les six mois que j’habite Little Rock. La forte présence de minorités ainsi que la proportion de gens diplômés jouent sans doute en faveur de l’orientation démocrate de la ville, et le refus de revoir assis dans le Bureau Ovale un homme aussi vulgaire, inculte, incohérent, excessif sur tous les plans, et du coup dangereux.
Si l’électorat Trump fait profil bas dans la ville, c’est sans doute que, minoritaire, il ne voit aucun intérêt à agacer les voisins, d’autant plus que Trump est une figure autrement clivante. Parmi les habitants des parties rurales de l’État qui constituent 41 % de la population, c’est l’inverse : les gens pavoisent, hissant le drapeau de l’ancien locataire de la Maison Blanche pour montrer leur enthousiasme. Ayant gagné dans l’Arkansas avec 62,4 % des voix contre 34,8 % seulement pour Biden en 2020, Trump conserve toutes ses chances de remporter l’État haut la main en 2024.
Tout cela s’avère bien sûr conforme à ce que l’on peut constater presque partout aux États-Unis. Cela soulève bien des questions. Comment un milliardaire new yorkais ignorant tout du labeur des agriculteurs, sans doute incapable de distinguer l’avant d’une vache de l’arrière, a-t-il pu gagner une telle popularité chez des paysans ayant pour la plupart des revenus fort modestes, souvent révulsés par la vie urbaine. Mais c’est un fait que les discours xénophobes (prétendant que des villes et des États américains sont « occupés » voire ravagés par des étrangers), de haine raciale (contre tous ces gens qui introduisent de « mauvais gènes » dans la population), de revanche et même de forte répression politique (Trump a évoqué la nécessité de faire intervenir des forces militaires contre les « gauchistes hors de contrôle ») trouvent une certaine résonnance dans l’esprit et le cœur de ceux qui s’estiment oubliés, méprisés par les élites diplômées, cosmopolites. Si on voulait préparer la guerre civile et légitimer la dictature, on ne s’y prendrait pas autrement. Et c’est pour cela que j’appréhende le 5 novembre.
par , le 4 novembre
Nathan Bracher, « Lettre de Little Rock, Arkansas », La Vie des idées , 4 novembre 2024. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Lettre-de-Little-Rock-Arkansas
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