Le gouvernement de Gordon Brown vient de subir trois revers majeurs : une sévère défaite aux élections locales du 1er mai, à la suite desquelles le Labour n’est plus que le troisième parti du Royaume-Uni, au niveau local ; la perte à forte résonance symbolique de la mairie de Londres, enfin la déroute lors de l’élection législative partielle de Crewe, bastion travailliste depuis 1945. Ces développements placent désormais les travaillistes en situation de challengers pour les prochaines élections générales qui doivent être convoquées d’ici juin 2010. La situation peut certes être interprétée comme une sorte de retour à la normale, marquant la résurgence du bipartisme après onze ans d’hégémonie de la gauche. Certains mettent en cause les qualités personnelles de Gordon Brown, qui doit désormais gouverner avec l’épée de Damoclès d’une destitution par les parlementaires travaillistes.
Cependant, ces trois défaites annoncent peut-être, plus profondément, la fin d’un cycle dans l’histoire du Labour Party. Les défaites de 1987 et 1992 l’avaient conduit à rechercher l’élargissement de sa base électorale et à formuler un nouveau projet de société, permettant son arrivée au pouvoir en 1997 sous la bannière du « New Labour, New Britain » – slogan qui traduisait bien sa prétention à devenir le parti de gouvernement « naturel » de la Grande-Bretagne contemporaine. Le verdict des urnes et l’impopularité record du gouvernement Brown reflètent l’essoufflement, après onze ans d’exercice du pouvoir, du modèle développé alors.
La fin de la coalition gagnante
Après le départ d’un Tony Blair affaibli par la guerre d’Irak, Gordon Brown apparaissait de loin comme le mieux à même de relancer la machine du « New Labour ». Son image de leader sérieux, peu sensible aux sirènes du « spin » tant reproché à son prédécesseur, et de chancelier de l’échiquier ayant présidé à la plus longue période de prospérité de l’histoire récente, lui donnait une crédibilité certaine qui compensait son absence de télégénie. « No flash, just Gordon », résumait le slogan concocté par ses conseillers. Plus proche de la tradition travailliste que Blair, ce modernisateur social-démocrate semblait incarner davantage le parti et l’héritage de son histoire mouvementée, ce qui pouvait rassurer une partie des électeurs, ancrés à gauche mais déboussolés par le blairisme. Brown opposait un « best when we are Labour » à l’insistance du premier ministre sur la rupture avec le « Old Labour ». Surtout, il semblait convaincant lorsqu’il affirmait se soucier avant tout du sort des plus défavorisés.
Lors du passage de témoin, l’idée diffuse selon laquelle un après-Blair réussi se jouerait plutôt à gauche s’était imposée. Les implications semblaient claires : sur le front extérieur, il s’agirait de tourner la page de la guerre en Irak et de renouer avec le multilatéralisme incarné par feu Robin Cook pendant le premier mandat de Blair. Sur le front intérieur, l’enjeu consisterait à poursuivre la modernisation des services publics et les efforts redistributifs menés depuis 1997, mais en assumant davantage l’objectif de réduction des inégalités (objectif souvent occulté pendant les années Blair, pour ne pas faire fuir les électeurs hostiles au tax and spend, autrement dit à l’habitude supposée de la gauche de toujours vouloir augmenter l’impôt et la dépense publique) et en atténuant la confiance envers les mécanismes inspirés du secteur privé (mise en concurrence des établissements scolaires et hospitaliers, partenariats public-privé pour financer les infrastructures, introduction de la logique de performance issue du « new public management »…).
Ce scénario écrit à l’avance s’est heurté, bien plus qu’à la seule impopularité due à l’inflation et à la crise financière, à deux évolutions majeures : une crise de confiance dévastatrice auprès de l’électorat populaire, et le malaise croissant de la « Middle England », ces classes moyennes du sud du pays réputées de faire et défaire les gouvernements britanniques. Aux deux bouts de la chaîne électorale, la coalition gagnante qui avait fait les beaux jours du New Labour est en train de s’écrouler.
Annoncé dès 2007 sous les applaudissements de la base travailliste, le paquet fiscal de Gordon Brown combinait la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu (celle de 10%, introduite par Brown lui-même en 1999), la baisse du taux « standard » de la tranche suivante (de 22% à 20%) et une forte augmentation des crédits d’impôts destinés aux bas salaires. L’ensemble de ces mesures devait bénéficier aux 20% des plus bas revenus. Les élus et le gouvernement semblaient découvrir seulement à l’approche du vote que la suppression du taux de 10% ferait tout de même 5 millions de perdants. Après une période de dénégations, à l’approche de l’élection partielle et sous la menace d’un camouflet infligé par son propre camp à la Chambre des Communes, le gouvernement a dû reculer en introduisant 2,7 milliards de livres de mesures compensatoires. Cette correction tardive n’a pas empêché la défaite à Crewe, qui a démontré une fois de plus l’anachronisme de l’ancien slogan selon lequel l’électorat populaire « n’a nulle part d’autre où aller ». Au-delà de cette seule catégorie, Gordon Brown est désormais considéré comme un leader indécis et peu fiable alors qu’il promettait une direction claire et une certaine rigueur dans la conduite des affaires du Royaume.
La clé des succès électoraux à partir de 1997 résidait dans la conquête, par delà les bastions ouvriers traditionnels (Nord de l’Angleterre, Écosse, Pays de Galles), des « cols blancs » et des travailleurs qualifiés du Sud d’Angleterre, la partie la prospère du pays. Ces électeurs ont longtemps boudé le Labour, considéré comme le parti du tax and spend, de la centralisation et de la soumission aux revendications syndicales. Propriétaires de leur logement, attachés à la croissance et aux d’intérêt faibles, les électeurs de la « Middle England » cherchent avant tout la voie de l’ascension sociale ; de la part de l’État, ils demandent surtout des services publics adaptés à leurs besoins et une fiscalité la plus faible possible. Depuis 2004, le Labour ne cesse de perdre du terrain au sein de cet électorat [1]. L’usure du pouvoir, les impatiences relatives à la modernisation des services publics, et désormais l’éclatement de la bulle immobilière et la hausse des prix des matières premières, ont conduit au basculement de cette « Middle England » tant courtisée.
Sous l’impulsion de David Cameron, les Tories ont ainsi trouvé une nouvelle jeunesse. Le jeune leader semble vouloir incarner un blairisme de droite, citant en exemple la droite suédoise et se revendiquant désormais écologiste voire… « progressiste ». Il reconnaît la nécessité de continuer à investir dans les services publics mais prône leur adaptation aux besoins individuels, mettant en cause le centralisme bureaucratique du Labour et la timidité de son réformisme. Parallèlement, il renoue avec les déclarations thatchériennes sur le poids de la fiscalité et des dépenses publiques qui auraient « dépassé les limites de l’acceptable » sous Blair et Brown [2] et a beau jeu de mettre en cause, de façon très classique, la compétence économique d’un premier ministre qui se vantait, encore il y a peu, d’avoir su maîtriser les cycles économiques. Grâce aux faveurs des classes moyennes et à la déception de l’électorat populaire, le parti conservateur est maintenant en bonne place pour revenir aux affaires.
Redistribution et inégalités
Dans cette situation, il revient désormais aux travaillistes, et non plus aux conservateurs, de proposer une alternative. Dans les années 1980, le thatchérisme était devenu hégémonique en se présentant comme le parti des « aspirations individuelles » – au premier rang desquelles, celle de l’accession à prospérité et celle de vivre en sécurité – par opposition aux vieilles lunes de l’égalisation des conditions sociales. Inversement, Tony Blair incarnait une synthèse entre la reconnaissance de ces « aspirations » et la recherche de « justice sociale », consistant à donner à chacun les moyens de réaliser ses ambitions. Malgré son caractère parfois flou, cette construction permettait de mettre en relief, chez les conservateurs, la persistance d’une vision de la société élitiste voire hiérarchique [3], en décalage avec les préoccupations contemporaines. Cet épouvantail des « vieux Tories » a encore pu fonctionner en 2005, mais cesse de convaincre après le recentrage opéré par David Cameron. Dès lors, les travaillistes se retrouvent en prise avec les contradictions de leur propre projet de société.
Comment définir, en effet, cette « justice sociale » au cœur de l’offre politique du New Labour ? Depuis 1997, l’effort redistributif, en complément de la création d’un salaire minimum situé aujourd’hui au niveau du SMIC français, a été important. Le cumul des réformes de la fiscalité et des allocations a permis de réduire les inégalités de revenu (depuis 1997, les revenus du premier décile de la population ont augmenté d’environ 12%, tandis que ceux du dernier décile ont baissé d’environ 6% [4]). Mais plutôt que d’assumer ouvertement cette politique, peu populaire auprès de la « Middle England », le Labour a mis l’accent sur l’objectif d’abolition de la pauvreté des enfants. Les mesures prises ont donc ciblé essentiellement les familles. Ainsi, les travailleurs célibataires à bas salaire, dans un pays où les bad jobs sont légion et les minima sociaux très faibles, sont devenus les laissés-pour-compte des années Blair. De manière révélatrice, ce groupe constituait l’essentiel des perdants du « paquet fiscal » initial de Brown.
On peut également remarquer que la politique de réduction de la pauvreté a reposé pour l’essentiel sur les crédits d’impôts. Même si cette politique visait aussi à favoriser le retour à l’emploi, cette méthode se trouve en décalage avec l’approche théorique de la « troisième voie » selon laquelle il faut s’attaquer aux inégalités à la racine, en agissant de façon privilégiée sur les causes de la pauvreté et en investissant dans le capital humain [5]. Les Tories peuvent aujourd’hui pointer les insuffisances de la redistribution et lui opposer la mobilisation de la société civile comme seule réponse efficace au problème. Gordon Brown semble avoir compris l’importance politique de cette critique en décidant d’axer son programme législatif sur le capital humain : scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans, extension du droit à la formation des adultes, création d’un droit à l’apprentissage pour les jeunes...
Enfin, en utilisant le crédit d’impôt comme instrument privilégié, Blair a laissé intacte la structure fiscale héritée des gouvernements conservateurs, notamment pour les plus hauts revenus. Le débat sur l’explosion des revenus des « super-riches » et la taxation des expatriés fiscaux, qui a agité les députés et le gouvernement pendant plusieurs mois sans qu’une solution ne soit trouvée, a révélé des divergences sensibles au sein du parti. Pour John Hutton, le secrétaire d’État aux entreprises, le Labour doit encourager au lieu de « freiner » la « libération des aspirations individuelles » et la réussite financière, et donc se réjouir du fait « qu’il y ait davantage – et non moins – de millionnaires en Grande-Bretagne [6] ». À ses yeux, « s’attaquer à la pauvreté, c’est ramener ceux qui sont au bas de l’échelle plus près de ceux qui se situent au milieu » et il est possible et souhaitable d’aboutir à « une société où aucun enfant ne vit dans une famille dont le revenu est au-dessous du seuil de pauvreté mais où il existe aussi des gens très riches en haut de l’échelle ». Ces dernières années, d’autres voix – dont celle d’Anthony Giddens – se sont au contraire exprimées pour insister sur les « responsabilités » des plus riches envers la société et inciter le gouvernement à assumer davantage son égalitarisme [7].
Nouveau contexte, vieux débats
Ces désaccords s’enracinent dans l’histoire du Labour. Le « projet révisionniste » de l’aile droite du parti, théorisé dès 1956 par Tony Crosland, reposait sur deux piliers : d’une part, la recherche de l’égalité des chances et d’une juste répartition sociale ; d’autre part, la lutte contre les distinctions de classe encore prégnantes dans la société britannique, « avec ses sentiments liés de jalousie et d’infériorité, et ses barrières aux échanges non inhibés entre les classes [8] ». Ce credo, porté successivement par Hugh Gaitskell, Roy Jenkins et Denis Healey contre les tenants du « socialisme administré », ne s’est imposé que tardivement et de façon partielle. De plus, devant les particularités de la société britannique et les penchants autoritaires et hiérarchiques de la vieille droite, les travaillistes ont souvent accordé plus d’importance au second aspect. Ainsi, tandis que Crosland était fermement attaché à un niveau élevé de dépenses publiques fondé sur l’impôt progressif, les blairistes se reconnaissent plus volontiers dans la vision de John Hutton selon laquelle « un parti progressiste digne de ce nom doit poursuivre avec enthousiasme l’objectif de donner aux individus le pouvoir de s’élever sans limites, libres de toute barrière qui entrave leur ascension – qu’il s’agisse du milieu d’origine, du genre ou d’attitudes sociales ». D’où une attirance paradoxale pour la société américaine, perçue traditionnellement par les Britanniques comme une société sans classes.
Le principal obstacle identifié par Crosland à la levée des barrières sociales, la reproduction des inégalités sociales et de la ségrégation par le système éducatif britannique, reste un casse-tête pour le Labour de Gordon Brown. Les comprehensive schools, à recrutement non sélectif, introduites par les travaillistes dans les années 1960 n’ont pas mis fin au système à plusieurs vitesses où la sélection des meilleurs commence dès l’âge de 11 ans. Confrontées à des problèmes sociaux et à un financement insuffisant, beaucoup de ces écoles font office de filet de sécurité de piètre qualité : les parents aisés optent pour des « public schools » (écoles privées) ou d’autres formes d’enseignement sélectif, comme les « grammar schools » traditionnelles. Le New Labour a tenté d’y répondre en offrant aux parents moins favorisés un degré équivalent de diversité et de choix d’établissements [9]. Le gouvernement a ainsi encouragé le développement d’écoles confessionnelles et même d’academies (écoles publiques construites et financées par le secteur privé, qui possède même un droit de regard sur une partie de l’enseignement) en échange de règles garantissant l’access pour les moins favorisés. Parallèlement, la concurrence et la comparaison des performances des établissements sont devenues la règle pour l’attribution de moyens – l’objectif étant d’inciter à l’amélioration de la qualité de l’enseignement, au risque de renforcer la compétition entre les parents pour accéder aux meilleures écoles. Les doutes croissants sur l’efficacité de cette politique renvoient à un éternel dilemme : comment garantir l’égalité dans les services publics tout en satisfaisant les exigences des classes moyennes ?
Le risque de « décrochage » de certaines catégories en faveur du secteur privé est réel, faute de prestations d’une qualité suffisante et d’une certaine liberté de choix, mais les réponses gouvernementales sont fréquemment accusées de perdre de vue les valeurs du service public. La « révolution bureaucratique [10] » du New Labour a consisté à combiner un fort centralisme administratif (objectifs nationaux déclinés au niveau local, indicateurs de performance qui déterminent le classement des meilleurs hôpitaux, etc.) avec la recherche de l’autorégulation du système par des mécanismes de marché permettant une plus grande sensibilité aux préférences du consommateur. Mais les réformes menées au pas de charge du service national de santé (autonomie des acteurs, tarification à l’activité, mise en place de marchés internes) ont désorienté les professionnels sans suffire à satisfaire des usagers de plus en plus exigeants, malgré des investissements sans précédent (doublement du budget entre 1997 et 2005). Gordon Brown, dont on connaît les réticences sur certaines de ces évolutions [11], a bien compris la nécessité politique de maintenir le cap de la modernisation. Dans le même temps, on voit ressurgir dans les rangs travaillistes des revendications emblématiques comme la suppression des franchises sur les médicaments [12]. On se souvient que leur introduction en 1951 dans un système fondé sur le principe de gratuité totale pour l’usager marqua le début des hostilités entre les « gaitskelliens » pragmatiques et les « bévanistes » orthodoxes…
Les éternels talons d’Achille du Labour
Outre l’examen des éléments clefs de son projet politique, il est une autre manière de mesurer la réussite du « New Labour ». En effet, ses concepteurs entendaient aussi dépasser certaines difficultés structurelles rencontrées par le parti lors de ses expériences gouvernementales, de l’élection du premier gouvernement Wilson en 1964 à la chute de Jim Callaghan en 1979 : l’accusation récurrente d’incompétence dans le domaine économique, la dépendance excessive vis-à-vis des syndicats, un mode de gouvernement jugé excessivement centraliste [13]. Ces questions ressurgissent aujourd’hui sous des formes nouvelles.
L’histoire des gouvernements travaillistes est émaillée de crises financières qui ont entamé la crédibilité du Labour comme parti de gouvernement – les crises de la livre sterling de juillet 1966 et novembre 1967, puis l’épisode humiliant de 1976 qui força le gouvernement à accepter les coupes dans les dépenses publiques réclamées par le FMI. La gestion efficace du cycle économique par Gordon Brown, au moment de l’éclatement de la bulle Internet, avait un temps dissipé cette image, mais elle s’impose à nouveau avec la crise de subprime et la nationalisation de la banque Northern Rock. Surtout, la crise actuelle révèle les faiblesses structurelles du modèle de croissance des années Blair : dépendance très forte à l’égard du secteur financier, déficit commercial poussant la livre à la baisse, insuffisance de l’offre de logements à l’origine de la bulle immobilière, etc. La question posée aujourd’hui à Gordon Brown est celle de la recherche d’une croissance soutenable et non plus celle de la gestion du cycle. Or, de façon assez classique [14], le Labour a considéré le dynamisme économique et la prospérité comme un acquis sans développer d’analyse du capitalisme contemporain [15]. Il n’a donc ni explication à donner aux événements actuels, ni projet identifié pour sortir de l’ornière.
Autant que les crises économiques, le problème du lien entre le Labour et les syndicats est directement à l’origine de ses échecs au gouvernement dans les années 1960 et 1970. Le choix de Tony Blair a consisté à conserver l’essentiel de la législation antisyndicale de Margaret Thatcher et à affaiblir délibérément le lien organique entre les syndicats et le parti (créé à l’origine comme lobby syndical au parlement). Pour financer le parti privé de plus en plus des cotisations syndicales, il a choisi de faire appel à de généreux hommes d’affaires, lesquels ont parfois été récompensés par des nominations à la chambre des Lords. Or cette pratique [16] est à l’origine d’un scandale retentissant – ces dons n’ayant pas été déclarés à la commission électorale – qui devrait obliger le Labour Party à réexaminer sa structure de financement, alors même que le parti s’approche d’une situation de quasi-faillite. Sans une réforme introduisant un financement public des partis politiques, la question d’un renforcement du lien entre le Labour et les syndicats pourrait revenir à l’ordre du jour [17].
Enfin, le Labour est de nouveau contesté pour son centralisme et son étatisme. Cette critique, traditionnelle elle aussi, ressurgit avec force malgré dix ans d’efforts pour convaincre qu’il s’agit de donner davantage de pouvoir et de liberté aux individus et aux « communautés » locales. Or aujourd’hui, le « new public management » dans les services publics est surtout vu comme une nouvelle forme de bureaucratie, la réussite de la « dévolution » en Écosse et au Pays de Galles ne suffit plus à masquer l’extrême centralisation du pouvoir politique à Whitehall, tandis que le renforcement des pouvoirs du gouvernement en matière de sécurité (contrôle social et la lutte contre les « comportements anti-sociaux », pouvoirs de la police dans la lutte antiterroriste) commencent à susciter un certain malaise. Aussi, certains n’hésitent pas à déplorer une rupture radicale entre le Labour et ses racines libérales [18]. Brown a certes discrètement réorienté le discours gouvernemental sur les services publics, substituant à la rhétorique du choix du consommateur un discours axé sur la démocratie et la citoyenneté [19]. Mais depuis l’échec du référendum sur la dévolution dans le Nord de l’Angleterre, les travaillistes n’ont plus de projet en matière de décentralisation. De plus, le projet de loi permettant la détention des suspects de terrorisme sans inculpation pendant 42 jours apparaît à beaucoup de députés comme l’épisode de trop dans une fuite en avant qui remet en cause l’habeas corpus.
Le vote prévu prochainement sur ce texte aux Communes pourrait donc à nouveau ébranler l’autorité personnelle du Premier ministre. Depuis plusieurs semaines, les rumeurs bruissent sur une hypothétique destitution parlementaire, qui serait le fruit d’une alliance entre l’aile gauche et les plus fidèles partisans de Blair. Les problèmes actuels du Labour vont pourtant au-delà de la question du leadership.