Le livre de Serge Audier est un travail d’une ampleur (820 pages) et d’une érudition (125 pages de notes) impressionnantes, d’autant plus qu’il forme le second volet d’un ensemble commencé avec un ouvrage précédent, La Société écologique et ses ennemis, paru à la Découverte en 2017. L’ensemble constitue une véritable encyclopédie des débats écologiques depuis le début du XIXe siècle, invitant à relire sous cet angle des auteurs qu’on croit connus et à redécouvrir des pensées et des controverses oubliées, rendant peut-être ainsi difficile l’exercice d’un compte rendu synthétique.
Le livre commence par rappeler des éléments désormais bien connus sur l’ampleur des destructions et menaces produites par le fonctionnement du capitalisme industriel – réchauffement climatique, extinction des espèces, destruction des sols, pollution de l’air et des océans. Il s’inscrit dans deux directions très structurantes pour l’histoire environnementale [1]. La première est d’opérer une relecture du développement du capitalisme industriel sous l’angle des effets sur la nature de la mutation des systèmes productifs, par le recours aux énergies fossiles, à la chimie, aux machines [2]. La seconde est de réfuter l’idée selon laquelle les sociétés contemporaines auraient cheminé sans trop se poser de question à travers les destructions de la nature propres aux économies industrielles jusqu’aux années 1960-1970, point de départ supposé d’une « modernité réflexive » [3]. Au contraire, les alertes sur les effets du capitalisme industriel sur la nature sont aussi vieilles que lui, qui ne s’est installé qu’en venant à bout de résistances et de régulations anciennes qui protégeaient les populations contre les nuisances des activités productives [4]. Chaque transformation des modes de production a ensuite vu son lot d’inquiétudes sur la destruction de la nature et les dangers pour les êtres humains. Longtemps rangées au rayon des angoisses des retardataires du progrès, ces alertes prennent aujourd’hui un caractère visionnaire, et on se demande moins quelle pathologie les a produites que ce qui a empêché qu’on les entende [5].
Ainsi le géographe Franz Schrader (1844-1924) s’alarmait déjà sous la IIIe République de ce que l’activité humaine faisait « disparaître la lente accumulation de richesse végétale qu’avait produite la collaboration mille fois séculaire de l’atmosphère et du globe terrestre » et liait dans son analyse « la destruction militaire et industrielle » et « la destruction des peuples postulés inférieurs » (p. 15). Pourquoi, demande Audier, avons-nous oublié sa pensée, comme celles de tant d’autres ? Pour le comprendre, le concept de productivisme est un outil central pour saisir ce qui lie des positions théoriques et politiques longtemps perçues d’abord par leurs oppositions : « malgré son flou idéologique, compris comme quête illimitée de la production maximale, [il] ne constitue pas seulement un symptôme : il aide en effet à déchiffrer une dimension essentielle de l’industrialisme qui fut et est indissociable non seulement du capitalisme, mais aussi de l’histoire même du communisme, du socialisme et d’une large partie de la gauche » (p. 78).
L’Âge productiviste est construit autour d’une « histoire intellectuelle » (p. 12), et du projet, explicité dans l’épilogue, d’élaborer une nouvelle pensée politique de gauche, élargie aux enjeux écologiques. Mais cette histoire n’est pas désincarnée. Au contraire, l’effort constant de Serge Audier est de comprendre comment des conceptions politiques répondent à des conjonctures spécifiques, en particulier pour cerner des moments critiques dans lesquels les crises de l’économie capitaliste ou les conséquences de l’industrialisation des guerres ont conduit à s’interroger sur la marche productiviste du monde.
L’hégémonie productiviste
Le premier moment étudié est celui de la constitution de l’hégémonie productiviste au XIXe siècle. Celle-ci n’a pas été sans tension entre défense de l’industrialisation et souci de préservation de la nature, mais ces conflits se sont « dénouées dans les dernières décennies du XIXe siècle en faveur du pôle industrialiste, sur fond de culte généralisé du progrès industriel et scientifique comme condition de l’abondance et du progrès social pour tous » (p. 46). Pour le comprendre, Serge Audier analyse « l’enthousiasme technophile qui traverse alors une part des élites » (p. 91) et donne une place particulière à Saint-Simon, promoteur de l’organisation de la société autour de l’élite des ingénieurs, porteurs du progrès et d’une « philosophie activiste de la conquête du globe » (p. 106). L’écho de cette vision se lit par exemple dans le communisme technophile et démocratique de Cabet » attendant « la libération des prolétaires par la machine » (p. 110).
Certes, des projets alternatifs de sociétés écologiques – étudiées dans l’ouvrage précédent de l’auteur, autour de la volonté de concilier production et protection de la nature, de repenser le temps de travail, la forme des villes, les rapports avec les animaux ou encore l’éducation des enfants - mais ils deviennent « extrêmement minoritaires » (p. 120). En France, l’idéologie saint-simonienne s’incarne dans le dernier XIXe siècle dans les grandes figures scientifiques de la IIIe République, comme Marcellin Berthelot, qui estime que « la chimie, développant sans mesure l’audace de ses découvertes, prétend aujourd’hui fabriquer des aliments et substituer, aux industries agricoles, toutes fondées sur la production des êtres vivants, animaux et végétaux, la création de toutes pièces de matières nutritives » (p. 131).
C’est aussi que, entre les socialistes utopiques et la fin du siècle, Marx et Engels ont formulé la critique du capitalisme industriel. Les rapports que les deux auteurs du Manifeste du Parti communiste entretiennent avec l’écologie sont controversés [6]. D’un côté, ce qui attache la pensée de Marx à une attention pour la nature : son matérialisme même oriente son intérêt pour les processus à l’œuvre dans l’agriculture moderne et son inquiétude face à la recherche du profit à court terme, épuisant à long terme les ressources des sols. Mais cela ne suffit pas à faire du marxisme une pré-écologie. Le rôle historique de la bourgeoisie capitaliste dans l’avènement d’un monde nouveau est certes celui d’une domination de classe, mais celle-ci a permis des réalisations inouïes, énumérées dans le Manifeste du Parti communiste : « soumission à l’homme des forces de la nature, machinisme, application de la chimie à l’industrie et à l’agriculture, navigation à vapeur, chemins de fer, télégraphes électriques, défrichement de continents entiers, régulation des fleuves, populations entières jaillies du sol, quel est le siècle passé qui soupçonnait que de telles forces de production sommeillaient au sein du travail social ? » Contre le maintien des dominations anciennes, Marx et Engels considèrent que le capitalisme industriel et bourgeois doit être traversé et non déconstruit.
La dimension productiviste du marxisme se renforce et se durcit au fil de ses relectures par les dirigeants socialistes, et particulièrement par les chefs de la puissante social-démocratie allemande. Depuis sa prison, en 1917, Rosa Luxemburg, retrouvant par là des thèmes d’Auguste Blanqui, Louise Michel ou Élisée Reclus, écrit qu’elle a appris « que les oiseaux chanteurs disparaissaient d’Allemagne » et se désole de la « disparition silencieuse, irrémédiable, de ces petites créatures sans défense » dont le sort n’est pas pour elle sans « lien avec les autochtones américains « peu à peu chassés de leur territoire par l’homme civilisé et (…) condamnés à une mort silencieuse et cruelle ». Mais il s’agit d’une « orientation résiduelle » dans le socialisme allemand (p. 192). En France, Jules Guesde et Jean Jaurès partagent l’idée de « progrès nécessaires et bénéfiques du machinisme industriel de l’âge capitaliste » (p. 202), et en Russie, l’introduction du marxisme par G. Plekhanov, conduit à liquider l’héritage anarchiste et la volonté des populistes de ne pas connaître une trajectoire de modernisation à l’occidentale (p. 211).
Brèches colmatées
La Première Guerre mondiale et la Révolution russe sont pourtant à l’origine de brèches dans l’hégémonie productiviste. Contre l’idée qui relie principalement, et pour le discréditer, le souci écologique des années 1920 et 1930 au nazisme, Serge Audier repère une pluralité de foyers d’inquiétude pour la nature.
L’un de ces foyers se trouve du côté des rassemblements internationaux pour la protection de la nature, comme le Congrès international tenu à Berne en 1913. Ses participants sont sensibles à la beauté naturelle, menacée par l’industrie et au gaspillage des ressources (l’usage de l’huile de baleine pour faire du savon par exemple), mais leur volonté de protection ne s’articule pas à une critique du capitalisme industriel. L’auteur relève à cette occasion un « paradoxe » de grande portée : « les critiques les plus virulents du capitalisme – certains anarchistes et originaux exceptés – se montraient généralement aveugles aux débats environnementaux, tandis que les protecteurs les plus lucides de la nature (…) manifestaient une incapacité totale à comprendre et surtout à examiner la logique destructrice du capitalisme » (p. 219). Certes, les premières années qui ont suivi la révolution russe ont semblé marquées par un compromis provisoire entre l’environnementalisme russe et le régime bolchevique, incarné notamment dans une politique de parcs nationaux et une relative indépendance laissée aux savants. Mais cette expérience ne dure pas, rapidement dominée par l’impératif productiviste (p. 273), centré sur l’électrification que défend Trotski (« l’homme socialiste dominera la nature entière »), par la valorisation de la figure de l’ingénieur et la volonté de suivre la modernisation tayloriste américaine.
Serge Audier ne cache pas que nombre de pensées inquiètes sur les effets destructeurs du capitalisme s’ancrent dans les théories conservatrices des années 1930 (René Guénon, Julius Evola), la nature faisant office d’alternative à la modernité, dont l’incarnation maudite serait la grande ville cosmopolite. À gauche, la répulsion sera ensuite longue à vaincre pour toute pensée valorisant les liens des hommes et de la terre. Il demeure certes des foyers minoritaires anti-productivistes, notamment autour de petits cercles libertaires (p. 369). Mais ceux-ci pèsent peu face à l’essor des théories productivistes et planificatrices, qui se formulent dans l’entre-deux-guerres et prennent toute leur portée après 1945.
Triomphes et désastres de la puissance industrielle
Le rôle de la Seconde Guerre mondiale est largement analysé comme une grande accélération des effets de la production humaine sur la nature [7]. C’est vrai à la fois du capitalisme des pays occidentaux, mais tout autant de l’URSS et de la Chine communiste. Au lendemain de la guerre domine l’impératif de croissance économique. Maurice Thorez explique aux ouvriers : « produire, produire et encore produire, faire du charbon, c’est aujourd’hui la forme la plus élevée de votre devoir de classe, de votre devoir de Français » (p. 458) tandis qu’Andreï Vychinski explique devant l’ONU : « Nous utilisons l’énergie atomique pour raser les montagnes, dévier le cours des fleuves, irriguer les déserts. Nous utilisons l’énergie atomique pour porter la vie là où l’homme n’a rencontré jusqu’ici que la désolation » (p. 461). Les désastres environnementaux du communisme chinois sont également massifs, suivant l’impératif maoïste : « faites que la haute montagne baisse la tête » (p. 478). Le paradoxe de ces années est que la puissance nucléaire qui nourrit ces rêves est aussi celle dont l’emploi à la fin de la guerre a déclenché des inquiétudes nouvelles sur la destruction possible de la Terre. Mais les voix qui portent ces inquiétudes (Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, Gunthers Anders, Aldous Huxley) demeurent minoritaires et isolées.
La situation change avec les vagues de contestations des années 1960, dont un point de départ, aux États-Unis, est justement la critique des liens unissant l’industrie et l’armée (p. 525). Des théories renouvelées lient la critique du capitalisme à celle de la société de consommation (Henri Lefèvre, Herbert Marcuse), cherchent de nouveaux chemins vers le socialisme (André Gorz), et renouent avec la tradition libertaire pour penser une écologie politique antiautoritaire (Ivan Illich, Murray Bookchin). Ces pensées replacent la critique du productivisme dans le champ de la pensée de gauche, opérant une « décontamination » de l’héritage écologique après ses compromissions des années 1930.
La particularité des années 1970 est que l’inquiétude gagne une partie des élites industrielles. C’est ce dont témoigne le fameux rapport du Club de Rome sur The Limits to growth en 1972. Mais le point crucial est dans sa réception. En France, il est critiqué à la fois par le PCF et par Raymond Barre (p. 619). Côté communiste, cela témoigne de la difficulté à opérer la mue écologiste de la gauche. Des tentatives ont existé, du côté du Parti communiste italien (p. 653), ou, en France, du PSU, mais pour le dire rapidement, le PS est passé (presque) directement du Programme commun au ralliement au néo-libéralisme (p. 662). Serge Audier analyse de ce point de vue l’échec des mouvements écologiques, comme d’autres mouvements des années 1970, à formuler « une stratégie plus générale de transformation politique [qui a] fragilisé parfois mortellement les causes qu’ils défendaient » (p. 687).
La relance altermondialiste des années 2000 tente de « tenir ensemble ce qui, dans les luttes sociales et les mouvements politiques du XXe siècle, avait été souvent dissocié : davantage de démocratie directe et semi-directe, une culture des droits politiques et sociaux fondamentaux, mais aussi un souci écologique devenu central » (p. 703). Le livre montre l’intérêt des reformulations théoriques autour des biens communs, mais s’inquiète du rapport de force entre les expériences locales menées sur ce principe et le fonctionnement plus agressif que jamais du capitalisme, les deux éléments pouvant cohabiter dans des pays « lancés dans des logiques extractivistes massives sous des gouvernements souvent corrompus et autoritaires » (p. 713).
L’offensive néo-libérale et ses ennemis
C’est que, depuis les années 1970, le rapport de force a été façonné par une double offensive néo-libérale : à la fois contre l’État régulateur et planificateur, apparu après 1945, et contre les potentialités contestataires de l’écologie. Serge Audier montre que le néo-libéralisme n’est pas un courant uni et que, parmi ses premiers théoriciens des années 1930, certains comme Wilhelm Röpke ont porté une « critique de la dévastation environnementale du monde ». Il n’en montre pas moins que, dans sa version qui triomphe à partir des années 1970 et 1980, il forme une machine de guerre contre l’écologie. Hayek et la Société du Mont-Pèlerin rompent des lances contre le rapport du Club de Rome, contre toute régulation de la production et contre les alertes sur les effets polluants des produits chimiques, joignant leurs forces aux marchands de doute, bien étudiés concernant l’industrie du tabac. Ces pages sont utiles pour bien saisir en quoi le système économique aujourd’hui dominant n’est pas seulement lent à prendre la mesure de la nécessité de régulations écologiques : il a été explicitement conçu pour lutter contre elles.
D’où la nécessité de poser les bases d’une philosophie politique pour le présent, en lutte contre cette pensée hégémonique. À cette fin, l’épilogue se prononce en faveur d’une pensée républicaine, débarrassée de son héritage nationaliste, élargie aux enjeux sociaux et environnementaux, en conflit ouvert avec le capitalisme productiviste.
Produire et contester l’hégémonie
Le volume donne des outils historiques importants pour éclairer les difficultés de constitution de l’écologie dans les coordonnées du champ politique. La protection de la nature a été pensée, à gauche, par des traditions qui sont demeurées minoritaires depuis le XIXe siècle. Mais elle a aussi été élaborée à la fois par des conservateurs virulents ennemis de la modernité, et par des bourgeois soucieux de disposer d’un espace de loisir préservé, sans renverser les logiques productives qui étaient aux sources de leur prospérité [8]. Audier ouvre des pistes fécondes qui éclairent les divisions contemporaines de l’écologie politique, entre la critique du capitalisme et la conciliation de la protection de la nature avec des options politiques libérales et/ou conservatrices.
On regrettera cependant que le livre aborde finalement assez peu le sens des notions d’hégémonie et de brèches qui lui donnent son titre. Comment s’articulent les rapports de force dans le champ intellectuel et le fonctionnement plus large du pouvoir politique et économique ? L’introduction ne cache pas la difficulté. D’un côté, Serge Audier estime que, « à la question de savoir qui sont les ennemis de la « société écologique » la réponse est claire : le capitalisme et ceux qui en détiennent le commandement » (p. 21). De l’autre, il affirme à juste titre que l’étude de ce commandement ne peut se passer d’une histoire intellectuelle, aux côtés des travaux consacrés « aux mutations économiques et sociales, aux révolutions scientifiques et technologiques, aux évolutions des organisations, aux transformations du droit ou encore aux pratiques militantes concrètes » (p. 82).
L’ouvrage pose ainsi sans le résoudre tout à fait le problème de l’articulation entre les dimensions matérielles et symboliques de l’hégémonie productiviste : comment s’organisent les relations entre la production intellectuelle, les États, les entreprises, les syndicats, etc. ? Des configurations différentes sont-elles à l’œuvre, en particulier entre des moments où l’hégémonie productiviste semble presque complète, et les moments où des brèches sont ouvertes ? La question a un intérêt historique, pour mieux comprendre, à l’aide des apports de l’histoire environnementale, comment la domination du productivisme a été établie contre ses critiques théoriques, mais aussi contre les forces sociales qui ont tenté de s’y opposer. Mais elle a peut-être surtout un intérêt pour comprendre le présent. Où en sommes-nous des brèches apportées à la domination du productivisme ? À l’heure où l’urgence écologique semble être partout et les décisions politiques pour y remédier nulle part, il est nécessaire de tracer des lignes de partage entre la défense du productivisme sous des atours un peu verdis et la recherche d’alternatives conséquentes avec les données des sciences du climat, de la biodiversité, etc. Il n’est pas moins utile d’approcher l’articulation des différents champs dans lesquels se tiennent de telles positions, pour comprendre leurs convergences et discordances, et les rapports de force, par exemple entre le caractère de plus en plus alarmant du consensus dans le champ scientifique et l’inertie relative du champ du pouvoir.
On reconnaît là les termes de la sociologie de Bourdieu, dont Serge Audier se démarque brièvement dans l’introduction. L’analyse des capitaux permettant l’exercice du pouvoir dans des champs distincts et la hiérarchisation de ces champs nous semblerait pourtant utile pour comprendre la coexistence entre la domination du productivisme et la multiplication de ses contestations. Par où tient l’hégémonie productiviste ? Quelle est la place actuelle de ses justifications intellectuelles ? Certes, depuis le XIXe siècle, on l’a vu, le capitalisme industriel coexiste avec celles et ceux qui dénoncent les destructions qu’il opère. Et certes aujourd’hui encore, aux climato-sceptiques ouverts succèdent les libéraux optimistes pour qui le marché et le progrès technique éviteront les catastrophes. Mais ne va-t-on pas vers l’effondrement rapide de tout ce qui, dans le champ des idées, pouvait rassurer sur la possibilité de continuer à produire toujours plus, et corrélativement, l’exposition de plus en plus nue de la poursuite du cours actuel de l’économie aux seuls noms de la puissance des États et de la rentabilité du capital ? Des économistes parlent d’« idées zombies » [9] pour désigner des concepts qui demeurent dominants dans le débat public alors que leur valeur intellectuelle a depuis longtemps été ruinée. Ne vivons-nous pas en ce sens, dans l’espace des idées, avec un productivisme fantôme, dont la puissance signale moins le maintien d’une hégémonie dans le champ intellectuel que la marginalisation du pouvoir du champ intellectuel lui-même ? On comprend en ce sens que la première demande d’un jeune mouvement écologiste comme Extinction Rebellion soit simplement que l’information propagée par les médias et les gouvernements commencent à dire la vérité sur les destructions de la nature.
Serge Audier, L’Âge productiviste, hégémonie prométhéenne, brèches et alternatives écologiques, La Découverte, 2019, 967 p., 29 €.