Ici, les concurrents risquent leur vie de plein gré, sans qu’il soit jamais question de morale ni d’idéal commun. Le corps-à-corps a remplacé la délibération. À l’heure où le président sud-coréen tente de balayer l’opposition démocratique, la politique rejoint la fiction.
Ici, les concurrents risquent leur vie de plein gré, sans qu’il soit jamais question de morale ni d’idéal commun. Le corps-à-corps a remplacé la délibération. À l’heure où le président sud-coréen tente de balayer l’opposition démocratique, la politique rejoint la fiction.
Le président Yoon a tenté d’imposer la loi martiale en Corée du Sud quelque trois semaines avant que sorte la suite tant attendue de Squid Game, laquelle se concentre justement sur les ambiguïtés de la démocratie. L’intrigue détaille cette fois les impasses du vote, mettant en scène de longs débats quasi électoraux, surprenants dans le cadre d’une superproduction. Quand ces recours purement formels sont épuisés, elle débouche sur un corps-à-corps désespéré entre joueurs et mercenaires.
« Vous n’avez pas honte ? »
Au soir du coup d’État, l’insurrection paraissait soudain déborder de l’écran. La correspondance paraissait d’autant plus vertigineuse que l’action continuait de se dérouler sous l’œil des caméras qui n’en perdaient pas une miette, toujours dans le huis clos d’une île – non plus l’antre de la série, mais à Yeouido, siège de l’Assemblée nationale, sur le fleuve Han qui coupe en deux la capitale tentaculaire.
Difficile en effet d’être plus raccord avec l’actualité, quand un président démocratiquement élu force le passage pour balayer toute opposition. On ne prend peut-être pas toujours en Occident la mesure de ce qui s’est passé à Séoul dans la nuit du 4 décembre dernier. Les citoyens ordinaires ont afflué vers le Parlement pour le défendre en pleine nuit, d’ailleurs sans illusion sur la corruption de leur classe politique [1]. Face à eux : des forces spéciales débarquaient en hélicoptère, armées jusqu’aux dents. On sait aujourd’hui, après perquisition de la présidence, qu’elles avaient ordre d’ouvrir le feu. Le danger est passé, du moins sous cette forme, mais le coup n’a pas été loin de partir.
(en coréen : « Qu’est-ce que ça veut dire ? Vous n’avez pas honte ? Vous n’avez donc pas honte ? »)
La coïncidence crevait les yeux. Elle a été relevée partout dans le monde, y compris par les moins attentifs et les plus éloignés des observateurs, aussi éloignés qu’ils fussent du jeu politique coréen. Il n’était par exemple jusqu’au Hollywood Reporter, qu’on ne saurait qualifier de brûlot gauchiste, pour manquer de faire le lien. Le magazine proclamait dans son édition du 8 décembre : « La fièvre de la saison 2 de Squid Game s’abat sur Séoul dans une débauche de grand spectacle et de commentaires politiques enflammés : "Il est de notre devoir de descendre dans la rue." » [2]
La citation venait du réalisateur lui-même en conférence de presse, entouré de ses deux principaux interprètes. Ses mots avaient d’autant plus de poids que Hwang Dong-hyeok les prononçait avec, en arrière-plan, la célèbre poupée géante de la première saison qui trônait sur le podium pour matérialiser la menace, comme si elle s’apprêtait de nouveau à mitrailler les participants.
Jeux de miroirs
Depuis lors, Hwang n’a cessé de prendre la parole, que ce soit dans la presse ou sur le site même des rassemblements qu’il était venu soutenir, sous les acclamations de la foule. D’où lui vient sa réputation d’oracle ? Une raison évidente vient à l’esprit, qui est que sa création a fait bien du chemin ces trois dernières années, au point de rentrer dans le langage courant. Elle a servi à cristalliser certaines vérités sur le capitalisme mondialisé.
Nommément : qu’il est sans espoir pour le commun des mortels ; que pourtant nous y consentons faute de mieux ; qu’il nous enferme dans une condition de spectateurs qui en viennent à jouir de ce spectacle – tel était en substance le message de la première saison. La bande annonce de la suite endossait d’ailleurs ouvertement le fait, en s’adressant directement au spectateur pour le convier à un jeu dont la conclusion fatale n’est plus un mystère pour personne.
Il faut rappeler d’une phrase la grande trouvaille qui distingue la série coréenne de ses devancières. Que ce soit le Salò de Pasolini, le Rollerball ou les Hunger Games américains, ou encore les deux Battle Royale des Fukasaku père et fils au Japon, toutes ces œuvres mettaient également en scène de modernes jeux du cirque avec des pauvres (ou des jeunes) forcés de s’entretuer. À une nuance décisive près. D’une phrase : point de pouvoir fasciste ici pour rafler les participants.
C’est de plein gré qu’ils viennent risquer leur vie dans Squid Game, ce que le dialogue souligne à l’envi. Les enjeux sont posés dès le début des épreuves, plus encore dans cette reprise, puisque le seul survivant de la session précédente est cette fois revenu pour prévenir les joueurs sans parvenir à sauver quiconque. La crudité de leurs débats tend même à se perdre dans la traduction. Parmi les nombreux synonymes coréens pour la « vie », c’est toujours le même qu’ils emploient dans cette nouvelle saison, d’autant plus frappant qu’il n’est pas si courant dans la langue de tous les jours : 목숨, « mok-soum », soit « mok » (le cou) et « soum » (la respiration), c’est-à-dire le souffle qui ne tient qu’à un fil, la vie en tant qu’on peut toujours la perdre. Ils savent parfaitement ce qu’ils font.
Un « stop ou encore » électoral
Libre à nous de désapprouver la forme clinquante qui a été choisie. On peut éprouver un profond malaise vis-à-vis d’un spectacle qui prospère sur ce qu’il dénonce, engendrant des profits colossaux. Il n’empêche, le triomphe parle de lui-même. Sur Netflix, la saison initiale demeure de très loin la production la plus suivie de la plateforme. Ses rivaux sont loin derrière.
Quant à la seconde, avec plus de 250 millions de vues en première semaine, elle bat de nouveau tous les records. Les manifestants coréens n’y trouvent rien à redire, qui réservent les mêmes ovations au réalisateur chaque fois qu’il apparaît. Qu’on le veuille ou non, aucune œuvre « critique » ne peut se targuer d’un écho comparable, y compris dans le cas présent pour inspirer des actions concrètes. Le plaisir trouble qu’on y prend forme même le cœur du problème.
C’est cette conjonction qu’il importe d’interroger, car l’effet-miroir joue dorénavant dans les deux sens. Le succès populaire n’est en effet pas seulement gage de perceptions qui trouvent un écho ; il est cette fois-ci à l’origine de cette nouvelle mouture. Hwang était notoirement réticent à poursuivre son récit, ce pourquoi d’ailleurs il s’est tant fait prier. Il s’est retrouvé dans la même situation que Conan Doyle voici plus d’un siècle, quand celui-ci avait dû ressusciter Sherlock Holmes sous la pression du public.
La chose est particulièrement visible dans le premier épisode, qui reprend les éléments de la saison précédente en les radicalisant – le personnage secondaire du recruteur joué par Gong Yoo par exemple, plébiscité par le public, jouant désormais un rôle central. De même, le seul dialogue direct entre le héros et son opposant principal (du moins en pleine conséquence de cause) n’est pour l’essentiel qu’une glose de leur dernière confrontation, dont il reprend les passages les plus commentés.
Tout ce qui se passait en-dehors du jeu et qui n’avait pas retenu les faveurs du public passe à la trappe. C’est notamment le cas des tribulations familiales du héros avec son ex-épouse, sa fille ou sa vieille mère, qui occupaient une part considérable de la première saison. Conformistes et périphériques, semblables aux feuilletons que la télévision coréenne diffuse à longueur de journée, elles ont simplement disparu. L’intrigue y a gagné en efficacité. Elle se resserre autour d’un unique dilemme, ce fameux « stop ou encore » électoral qui résonne aujourd’hui dans l’actualité.
Il ne faut donc pas craindre d’avancer que la série est en grande partie l’œuvre de son public, dans la mesure où son créateur l’a reprise plus ou moins contraint et forcé, en s’aidant de l’énorme masse des commentaires. Ce qui contribue à lui donner sa dimension prophétique, bien au-delà des intentions subjectives de l’auteur. Si elle fait « symptôme » en effet, c’est en un sens radical qui va bien au-delà du simple reflet. La société rêve à voix haute, mais elle voit ensuite se matérialiser son cauchemar. Des vérités refoulées, des pressentiments se font jour, comme aussi bien dans l’écriture automatique.
Métalangages
On se rappelle peut-être que la série elle-même suggérait une double piste d’analyse, en laissant ostensiblement traîner deux ouvrages dans la chambre d’un personnage dont on apprenait plus tard qu’il était le meneur du jeu. Le premier, une monographie de Magritte, se passait presque d’explications au regard de l’esthétique de la série, avec son goût marqué pour l’absurde.
Le second en revanche – un recueil de Jacques Lacan intitulé Théorie du désir en coréen – avait laissé nombre de spectateurs perplexes, au point d’inspirer un renouveau inattendu des études lacaniennes en Corée. J’avais essayé ici même d’en suivre les conséquences, en insistant sur la force qui pousse joueurs comme spectateurs à jouir de leur propre mort. Une autre de ses notions a toute sa place ici, pour comprendre ce qui donne à une série aussi puissamment commerciale sa dimension prophétique, que ce soit pour anticiper ou influer sur le cours des événements.
Il faut ne faut pas craindre d’enfoncer le clou. Le mouvement social en Corée et ailleurs a largement adopté les codes, vestimentaires par exemple, de la série. Sa musique n’est pas rare dans les manifestations, depuis déjà des années, pour les luttes en apparence les plus éloignées de son sujet : ici, par exemple, pour faire fermer un abattoir dénoncé pour maltraitance.
Son métalangage se surimpose à l’actualité, y compris de l’autre côté de la barrière. Un exemple entre cent : l’éditorialiste d’un quotidien centriste de Séoul, libéral-libertaire à la Macron (dont il soutenait l’équivalent coréen à la présidentielle, lequel s’en était retiré au profit de l’extrême droite pour empêcher la victoire du centre-gauche) – on ne peut plus proche des milieux d’affaires – , titre sans ciller : « La destitution de Yoon Suk-yeol est devenue un épisode de Squid Game. » [3]
Hwang est sur la même ligne, puisqu’il déclarait à l’agence Yonhap : « Je pense qu’il y a une crise de la démocratie représentative. […] Je voulais vraiment poser la question de savoir si ce système est correct, qui décide de tout en une fois à la majorité, et si d’autres solutions n’existent pas. » [4] Mais lui-même semble suggérer qu’il n’a été qu’une caisse résonnance d’intuitions qui le dépassaient et que les événements se sont chargés de lui révéler la portée de sa propre intuition. Un peu plus loin dans l’interview, il dit la surprise qui a été la sienne quand il a retrouvé sa mise en scène dans la rue : « Même à présent, continue-t-il, que ce soit devant la résidence présidentielle ou ailleurs, on voit s’affronter partisans et opposants de la destitution, et la police établit des cordons de sécurité pour les empêcher de se rentrer dedans », comme dans la série.
Prophétie auto-réalisatrice ? Illusion rétrospective ? Rien de tout cela – ou peut-être tout cela à la fois. Lacan emprunte à la marqueterie une métaphore qui nous est ici d’un grand secours. Il parle de « point de capiton » pour désigner ce « point de convergence qui permet de situer rétroactivement et prospectivement tout ce qui se passe dans ce discours. » [5] Le point de capiton troue l’étoffe pour l’arrimer au siège, c’est-à-dire au réel plus ou moins confortable où nous sommes bien forcés de nous asseoir, n’en ayant point d’autre.
De même, il est des moments de ce genre, dans la vie des individus ou des sociétés, qui leur donnent tout à coup l’impression de traverser les apparences, c’est-à-dire de comprendre ce qu’ils vivent et de s’orienter pour l’avenir. Ce peut être un film, un événement, une rencontre, n’importe quoi en réalité, autour de quoi le récit de tout ce qui est vécu vient s’agréger pour trouver son sens.
Un eurêka de ce genre, dans la cure psychanalytique, n’a pas seulement pour effet d’éclairer rétroactivementle passé, qu’il semble résumer. Il a aussi et surtout pour effet d’imprimer prospectivement sa marque à l’avenir – ici donc, en forçant le propos de l’analyste, aux modalités de la lutte politique – , pour le meilleur et pour le pire, à l’instar du poinçon sur le tissu. Sans doute cela revient-il à lui imprimer une déformation ; mais c’est ainsi qu’il lui donne une forme et le fait tenir, là où il n’y avait que des impressions éparses.
Squid Game joue un rôle de ce genre, en Corée et au-delà. Une fois tout cela acquis, la question se pose de ce qui s’y agrège. De quoi cette nouvelle saison est-elle le signe, au double sens que le mot a en langue française : celui d’un témoignage pour le passé et d’une direction pour l’avenir ?
Renversement de perspective
La première saison se voulait une métaphore du capitalisme, avec un catalogue en règle des perdants du système. Personne parmi les personnages ne songeait alors à se révolter, ce pourquoi la « politique » proprement dite – avec par exemple des thèses qui s’affronteraient, des actions à mener, etc. – en était absente.
Pour l’essentiel, les participants se contentaient de subir. Leur horizon se bornait à la survie. Le scrutin n’était alors détaillé qu’en une seule occasion, après l’épreuve initiale. Le débat qui précédait se voyait réduit à sa plus simple expression, à seule fin de montrer que le choix qui leur était offert n’en était pas vraiment un, le couteau sous la gorge. Quand même une majorité votait pour partir, sa décision était nulle et non avenue, puisque rien ne l’attendait à l’extérieur. Presque tous faisaient le choix de revenir.
On oubliait très vite qui avait voté quoi, tandis que des badges « O » ou « X » sont apparus pour le rappeler dans cette nouvelle saison, jusque sur les posters promotionnels. Les deux camps se matérialisent même dorénavant dans l’espace, puisqu’il est demandé à chacun de rejoindre non plus sa place, mais son équipe, après avoir pressé le bouton.
La perspective s’est donc retournée. Si l’on a désormais davantage l’impression d’un forum ponctué de massacres plutôt que l’inverse, c’est parce que la règle du jeu elle-même a changé. Alors que dans la version précédente, les pauvres hères qui auraient choisi d’interrompre la partie seraient tous repartis les mains vides, il n’en va plus de même à présent.
On leur promet à présent de pouvoir partir en divisant leurs gains. Conséquence : non seulement la cagnotte grossit à mesure qu’ils s’entretuent (100 millions de wons, soit dans les 70 000 euros par joueur qui perd la vie, ce que marque l’argent qui tombe sous forme sonnante et trébuchante dans la tirelire au-dessus d’eux, comme dans la première saison), mais ils deviennent moins nombreux à se la partager à mesure que le jeu avance, par un effet de vases communicants.
Ce qui a pour effet de dramatiser considérablement l’enjeu. Cette fois, qu’ils le veuillent ou non, ils se retrouvent à calculer leurs chances de survie, le nombre « raisonnable » de comparses qu’il leur paraît bon d’envoyer à la mort pour se partager leurs dépouilles.
Il n’est plus question d’un seul-contre-tous. La majorité peut décider « souverainement » des sacrifices à opérer. Bien entendu, ce vote n’est pas plus libre que dans la saison précédente, sous la menace de mercenaires. Il n’en demeure pas moins qu’il respecte les formes extérieures de la légalité démocratique, en termes de temps de parole par exemple. Il n’y a pas non plus de fraudes massives caractérisées. Tout ceci renvoie de nouveau davantage à la situation de démocraties libérales telles la France et la Corée, plutôt que de pouvoirs ouvertement dictatoriaux.
D’où le malaise qui nous saisit en les voyant faire, parce qu’on ne peut s’empêcher de s’y retrouver. Si leur vote ne leur est d’aucune utilité, c’est qu’il ne leur permet – pas plus qu’à nous – de changer les règles du jeu. Chacun est mis en demeure individuellement de faire face à la pénurie, c’est-à-dire de calculer ses chances dans ce qui est une question de vie ou de mort. Les joueurs en sont très conscients, par exemple dans la scène ci-dessous où ils ne discutent en dernière analyse que d’aptitudes et de probabilités. Il n’est jamais question de morale, ou d’un idéal commun. Aucun collectif ne peut émerger.
Sérialité et groupe en fusion
Cette situation, qui enferme dans une « pluralité de solitudes » [6] impuissantes, Sartre lui donne le nom de « sérialité ». Il emprunte le terme aux mathématiques pour signifier des unités qui s’ajoutent à d’autres unités sans jamais faire ensemble, parce qu’elles sont opérées de l’extérieur. C’est l’exemple qu’il donne de l’usager dans le tramway, de l’ouvrier à la chaîne ou de l’électeur dans son isoloir (le terme lui-même est révélateur), comme dans Squid Game.
Il y aurait même matière à toute une relecture de cette seconde saison à la lumière de la Critique de la raison dialectique. On y verrait, dans le détail, non seulement les impasses du processus « démocratique », mais la façon dont la peur peut déboucher aussi bien sur l’impuissance que sur la révolte. Les joueurs finissent bel et bien par former ce que Sartre appelle un « groupe en fusion » quand ils finissent par prendre les armes, le passage se faisant par le biais d’un serment, tel qu’on le voit renouvelé tout au long du dernier épisode – acte par lequel, écrit le philosophe dans une langue inhabituellement lyrique, nous devenons « nos propres fils, notre invention commune ». [7]
Il serait intéressant, dans cette perspective, de montrer pourquoi chez Sartre l’émancipation ne peut passer que par l’égalité à l’intérieur du groupe ; ce qui se traduit dans la série par l’écrasement des hiérarchies chez ceux qui veulent quitter le jeu et leur exaltation chez ceux qui veulent y rester. Ce serait aussi l’occasion de montrer comment ces nuances décisives en coréen (où l’on appelle les gens par leur titre, où le verbe se conjugue suivant la relation et non le sujet, etc.) [8] se perdent presque nécessairement en traduction. Une indéniable ironie imprègne l’ensemble pour une raison qui saute aux yeux. Les manifestants coréens, qui sont un exemple presque trop beau pour être vrai de « groupe en fusion » au sens où l’entend Sartre, se mobilisent en reprenant les codes d’une série télévisée, c’est-à-dire le produit « sériel » par excellence.
Bertrand Cochard en proposait récemment une analyse en langue française. Rien de bon ni surtout de nouveau, y expliquait-il en substance, ne pouvait surgir d’un spectacle qui ne vit que de répétition. Les événements de Corée vont bientôt venir apporter un codicille décisif à son raisonnement, que ce soit pour le confirmer ou l’infirmer. Peut-être, comme il le suggère, les manifestants vont-ils se retrouver coincés dans des formes et des revendications périmées.
Une fois qu’ils auront écarté le danger de la dictature, tous les problèmes qui avaient permis l’élection de Yoon se poseront comme au premier jour. Rien ne prouve à l’heure actuelle qu’on puisse les résoudre dans le Parlement qu’ils défendent. C’est d’ailleurs une phrase qui revient en boucle dans les rassemblements : « Je sais bien, mais tout de même, on ne peut pas laisser faire ça… »
L’intérêt d’une notion comme le « point de capiton » lacanien, c’est pourtant d’ouvrir une autre voie qui ne soit pas seulement critique à l’analyse, en faisant toute leur part aux projections. Que Squid Game soit un miroir complaisant tendu au public pour faire de l’argent, nul ne le nie ; mais ce simple fait ne suffit pas à borner les vérités qu’il y découvrira en s’observant, à mesure que les langues se délient. Davantage qu’un public, il sera alors un peuple.
Christophe Gaudin, « La loi des séries . Squid Game, saison 2 »,
La Vie des idées
, 4 février 2025.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr/La-loi-des-series
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[1] Les Coréens perçoivent leur pays comme l’un des plus corrompus de l’OCDE. Sur les causes et les chiffres, voir Hong Dae-un et Kim Sun-jae, « Unkept Promises : On the Implementation of the OECD Anti-Bribery Convention in Korea », Laws, 14, 4 janvier 2025. Les cinq présidents issus du parti de droite populiste depuis la démocratisation ont tous, sans exception, fini en prison.
[2] Patrick Brzeski, « ‘Squid Game’ Season 2 Fever Descends on Seoul With Grand Spectacle, Heated Political Commentary : “We Have to Take to the Streets” », Hollywood Reporter, 8 décembre 2024.
[3] Kang Ji-won, « ‘오징어 게임’ 된 윤석열 탄핵 », Hankook Ilbo, 8 janvier 2025.
[4] Kim Kyung-yoon, « 황동혁 « 탄핵 찬반 모습, ’오징어게임’ 장면과 소름돋게 닮아 » », Yonhap News, 5 janvier 2025.
[5] Jacques Lacan, Le Séminaire,III. Les psychoses, Paris, Seuil, 1981, p. 303-304.
[6] Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique, I. Théorie des ensembles pratiques, Paris, Gallimard, 1985 (1960), p. 385 sq.