Empêtrés, trop longtemps sans doute, dans une vision religieuse du livre, aveuglés par le caractère sacré qu’on a souvent voulu lui conférer (de l’Église à l’Éducation nationale), nous devons absolument découvrir la dimension industrielle de l’édition pour comprendre la façon dont aujourd’hui se forment, se diffusent, vivent et meurent les idées écrites. Le livre, c’est un ensemble de métiers, une conjonction d’activités économiques unies pour produire et diffuser des œuvres. Or cette industrie, ainsi que celui qui choisit, met en forme, produit et diffuse le livre – l’éditeur dans tous ses états –, est aux prises avec plusieurs mutations simultanées.
Les phénomènes de concentration dans le monde de l’édition ne sont pas récents, mais ils se sont accélérés brutalement dans le dernier tiers du XXe siècle. Leurs effets induits (sur la politique éditoriale, sur la production des idées et des œuvres, etc.) ne sont pas nouveaux, mais ils prennent aujourd’hui une ampleur inédite. De la même manière, les acteurs de ce monde-là – fonds d’investissement et grands groupes de communication – préexistaient, mais ils sont aujourd’hui dominants dans le secteur. Nous avons sans doute là, en raccourci, toute l’histoire de la mondialisation. N’a-t-on à faire qu’à un formidable accélérateur de particules économiques, une machine à changer d’échelle ? Ou sommes-nous plutôt en face d’un mouvement qui a pour conséquence de modifier en profondeur la nature même du livre, qui bouscule un peu trop le fragile équilibre d’une filière culturelle indispensable à la formation du citoyen ?
Plongée au cœur de la concentration et de la financiarisation
Dans le domaine de l’édition comme dans d’autres secteurs économiques, la concentration s’organise soit de façon horizontale, par la diversification des activités et des produits – ce qui conduit au conglomérat –, soit verticalement, par le rachat des activités se rattachant à la fabrication des produits – c’est le processus d’intégration. Il y a, pour l’édition, usage des deux sortes : un groupe éditorial rachetant une maison d’édition indépendante pour diversifier sa gamme éditoriale ; un éditeur rachetant un diffuseur pour assurer la présence de ses ouvrages dans les points de vente. Depuis quelques décennies, la concentration – du moins dans ses aspects les plus visibles – prend néanmoins essentiellement la forme de rachats de maisons d’édition par des ensembles économiques de plus en plus imposants.
Nous assistons donc à l’émergence de quelques champions mondiaux, à une financiarisation accrue des acteurs, à une recomposition par phases qui semble ne pas devoir cesser. Au-delà de ces ensembles gigantesques qui regroupent parfois plusieurs centaines d’éditeurs et de marques, c’est bien un changement de logique et de paradigme qui s’observe. D’une logique proprement industrielle – un ensemble de métiers interdépendants visant à réaliser un objet et à le diffuser largement – on passe, par les fonds extraordinaires que nécessite la compétition dans la concentration, à d’autres règles du jeu. L’ouverture du capital de l’entreprise éditoriale aux acteurs financiers – qu’ils soient « traditionnels » (banques, assurances) ou « nouveaux » (fonds d’investissement boursier, par exemple) – prend alors des proportions jamais atteintes. De fait, des pans entiers de l’édition sont désormais possédés par des structures économiques fonctionnant essentiellement à partir de logiques financières. En ce domaine comme en d’autres, c’est sans doute l’excès qui est dommageable, non pas le phénomène en soi.
Peut-on peser l’importance de la concentration et décrire cette « géographie de la domination » ? Il n’y a dans ce monde que bien peu d’élus, puisque seules 87 entreprises éditoriales appartenant à 61 grands groupes éditoriaux ont des chiffres d’affaire supérieur à 100 millions d’euros par an. Par ailleurs, la concentration offre un visage essentiellement européen, puisque ces grands groupes sont issus d’une quinzaine de pays seulement. Plus précisément encore, c’est la vieille Europe qui arrive en tête : sur les 61 groupes, quinze sont allemands, sept français, cinq britanniques et quatre italiens. Le milieu éditorial américain, par exemple, est largement détenu par Hachette (France) et Bertelsmann (Allemagne) [1]. Même si les investissements occidentaux sont rares en Asie pour des raisons culturelles et politiques (par exemple en Chine, où l’édition demeure un secteur d’État), on constate un petit mouvement d’émergence de champions asiatiques. Les groupes chinois vont sans doute prendre de plus en plus part au classement des chiffres d’affaire les plus importants du secteur.
Il est des évolutions marquantes, non plus sectorielles, mais au sein même des groupes. Alors qu’il s’agissait d’un trésor de guerre jalousement gardé, les branches « éducation » des groupes, par exemple, entrent de plain-pied dans la mondialisation et donnent lieu à des cessions comme les autres spécialités éditoriales. On continue à observer par ailleurs une accélération très nette de la stratégie de développement des produits et services numériques ; les grands groupes investissent depuis longtemps dans ce domaine. Enfin, il semble que les fonds d’investissement soient de plus en plus impliqués dans le secteur. Aux États-Unis, Houghton Mifflin Harcourt est détenu par un fonds d’investissement basé dans un paradis fiscal, les îles Caïman. En France, Editis a appartenu pendant quatre ans à Wendel Investissement (une entreprise financière d’Ernest-Antoine Seillière) avant d’être revendu pour réaliser au meilleur moment la plus-value escomptée.
Pourquoi ce phénomène de concentration, en rencontrant la mondialisation et ses outils nouveaux, prend-il une telle ampleur ? La mondialisation du commerce et des échanges nécessite l’émergence de grandes structures fortement capitalisées pouvant rester actives dans la compétition internationale, plus ou moins orchestrée par l’Organisation mondiale du commerce. C’est parce que la Chine allait y entrer, d’ailleurs, qu’elle a remodelé son milieu éditorial en le concentrant dans une dizaine de groupes éditoriaux géants, organisant ainsi autoritairement la concentration de son secteur, là où d’habitude c’est le marché seul qui y conduit.
Mais la volonté politique en la matière est rare, et peut-être assez peu souhaitable. On se souvient des réactions lors du démantèlement de Vivendi Universal Publishing en France : appels ridicules à une solution nationale, envolées déplacées en faveur d’un soi-disant patriotisme économique, etc. Là n’était pas le problème ; il eût fallu parler d’une solution industrielle, du respect d’une logique de métier, plutôt que de préférer un fonds d’investissement parce qu’il était français. Ce sont donc les règles économiques et le jeu des investissements qui expliquent la concentration ; les choix stratégiques des grands groupes aussi. En effet, la concentration horizontale décidée par les grands groupes de communication dans les années 1980 et 1990 les a menés à s’intéresser tout naturellement à l’édition. Il s’agissait en effet de construire des conglomérats où se côtoyaient tous les produits culturels ou presque. C’est désormais chose faite. Mais ces grandes manœuvres ne sont pas sans conséquence sur la création et la diffusion des idées et des œuvres écrites.
La France, un cas exemplaire
Les évolutions du milieu éditorial français ont parfois été étudiées, un peu par l’historien, plus rarement par le sociologue ou l’économiste. Rien n’est pourtant comparable aux travaux de l’historien Jean-Yves Mollier. Dans Où va le livre, il dresse une belle fresque historique des débuts de la concentration éditoriale en France et de ses prolongements les plus récents [2].
Le secteur fut très longtemps dominé par les entreprises familiales. On y trouvait alors une nette préférence pour la forme juridique de la société à responsabilité limitée (SARL) plutôt que pour la société anonyme (SA), cette dernière permettant cependant une capitalisation plus importante et plus diversifiée. Au début du XXe siècle, Hachette suit le même chemin que les grosses papeteries et imprimeries modernes en se transformant en SA et en s’ouvrant au capital bancaire. Dans les années 1920-1930, une vague de concentration recompose le paysage éditorial français. Le mouvement interrompu par la guerre s’amplifie encore dans les années 1950-1960. La situation de la France commence alors à ressembler à celle des pays anglo-saxons où de puissants ensembles se constituent à la même époque (Reed Elsevier, Wolters Kluwer en Angleterre et aux Pays-Bas, Time-Warner aux États-Unis).
En 1980, Jean-Luc Lagardère rachète par l’intermédiaire de la Banque privée de gestion financière 41 % des actions d’Hachette. Pour la première fois depuis sa création, la famille cède la place à un homme d’affaires. C’est par cet événement que l’on pourrait finalement dater l’entrée du secteur éditorial dans la guerre que se livrent depuis les groupes de communication. En 1988, le Groupe de la Cité – dans lequel siège la société Havas – devient le numéro un du livre en France. La rivalité se précise encore, alors que Hachette et le Groupe de la Cité investissent tous deux à l’étranger. Le Groupe de la Cité s’allie avec Bertelsmann en Allemagne, Hachette avec une entreprise américano-canadienne. La compétition devient planétaire avec des rachats de part et d’autre en Espagne, aux États-Unis, en Angleterre, etc. À la fin de l’année 1997, Havas devient majoritaire au sein du Groupe de la Cité, qui se transforme bientôt sous l’égide de Jean-Marie Messier en Vivendi Universal Publishing.
Mais, à la stupeur générale, l’empire Messier s’écroule. Jean-Luc Lagardère en profite pour racheter des maisons d’édition de Vivendi Universal. Ainsi, Lagardère Média devient le numéro trois européen, derrière Pearson et Bertelsmann, et le cinquième mondial. Tout le monde redoute une domination sans partage. La Commission européenne est alors saisie par des éditeurs indépendants français (Gallimard, Le Seuil, Odile Jacob, La Martinière) et le syndicat des libraires. Arnaud Lagardère, qui a succédé à son père, négocie avec la Commission. Il obtient en 2004 le droit de conserver 40 % de Vivendi Universal Publishing. Les 60 % restant, désormais dénommés Editis, sont offerts à la concurrence. Hachette Livre rachète quelques maisons et retrouve alors sa place de leader. Avec un chiffre d’affaire de deux milliards d’euros en 2006, Hachette pèse désormais trois fois plus lourd que le groupe Editis, racheté par le fonds Wendel Investissement. Nouveau coup de théâtre en mai 2008 : le groupe espagnol Planeta rachète à Wendel Investissement le groupe Editis, en faisant au passage une plus-value de 500 millions d’euros. Les salariés d’Editis, qui n’auront vu que bien peu des bénéfices de cette vente, réagissent aux dividendes touchés par leurs actionnaires. Scandale dans le petit monde de l’édition française.
De cette formidable saga, s’étirant sur un siècle entier, il y a plusieurs points à retenir. De la fin du XIXe siècle à aujourd’hui, on assiste à un double mouvement : ouverture du capital à des acteurs nouveaux et accroissement de la concentration. On remarque aussi les difficultés à stabiliser la situation : le rythme de décomposition et de recomposition des grands groupes éditoriaux correspond désormais à celui des autres grandes multinationales. Par ailleurs, l’édition est de plus en plus financiarisée et intégrée dans des groupes de communication ; elle fait preuve d’une volonté de plus en plus marquée d’être toujours plus attentive à la demande du public, « quitte à oublier sa raison principale d’exister : l’offre sans cesse renouvelée malgré le risque qu’elle représente » (Jean-Yves Mollier). On assiste donc à un déséquilibre progressif au profit de la demande et au détriment de l’offre. Les grands groupes ont fait le choix de l’international. Hachette réalise plus de la moitié de son chiffre d’affaire en dehors de France. Cela explique la volonté d’être visible dans les bassins linguistiques les plus rentables (anglophone et hispanophone en plus du français et de l’allemand). La recherche de nouveaux horizons est incessante : en 2007, l’exportation de livres français a augmenté de 3 %.
Malgré tout, on note une certaine résistance des éditeurs indépendants. 2007 a été l’année des éditions Gallimard (les trois meilleures ventes en littérature). Antoine Gallimard déclare alors : « Ces succès sont une leçon pour nous, éditeurs […]. Ce n’est pas par hasard si nous réalisons notre plus forte progression avec les libraires indépendants. Il y a trop de best-sellers annoncés, de livres qui se ressemblent et que les libraires n’ont plus envie de défendre. » La solidarité entre libraires et éditeurs indépendants jouerait-elle désormais un rôle dans la commercialisation ? Mais, au-delà de ces caractéristiques bien marquées, quels sont les effets de la concentration et de la financiarisation sur les travaux mêmes de l’éditeur, sur l’« économie réelle » du métier, en somme ?
L’impact sur la bibliodiversité
La « bibliodiversité » [3] fait référence à la diversité culturelle appliquée au monde du livre. En écho à la notion de biodiversité, elle renvoie à la nécessaire diversité des productions culturelles mises à la disposition des lecteurs. En quoi la bibliodiversité est-elle aujourd’hui menacée par la concentration financière du monde de l’édition, qui favorise la domination de quelques grands groupes éditoriaux et la quête de rentabilités élevées (phénomène de « bestsellerisation ») ? En ce domaine, nous avons la chance de disposer de quelques témoignages « de l’intérieur ». Il s’agit en particulier de celui d’André Schiffrin, qui a exposé dans un ouvrage désormais célèbre les conditions et les conséquences du rachat de sa maison d’édition Panthéon Books par Random House [4]. D’autres voix se sont jointes à la sienne pour déplorer les évolutions constatées.
Les nouveaux propriétaires des maisons absorbées par les groupes de communication exigent souvent que la rentabilité de l’édition de livres soit identique à celle de leurs autres branches d’activité (journaux, télévision, cinéma), secteurs notoirement rémunérateurs. En général, il est admis que l’édition est un secteur qui fournit environ 5 à 7 % de rentabilité ; les nouveaux taux de profit escomptés sont « à deux chiffres », compris donc entre 10 et 15 %. Pour satisfaire ces demandes, les éditeurs sont donc parfois amenés à modifier la nature même de ce qu’ils publient. Dans ses aspects les plus caricaturaux, la maison d’édition finit par ne plus rechercher que le best-seller. Pour André Shiffrin comme pour d’autres, « ce qui est en jeu, c’est la nature même des livres publiés ». Dans les cas extrêmes, la décision de publier échappe à l’éditeur pour être confié à un comité éditorial où les financiers et les commerciaux tiennent un rôle essentiel. Dans ce contexte, les « censures du marché » fonctionnent à plein : les livres sont refusés pour cause de mauvaises prévisions commerciales. En fin de compte, « ce qui est recherché, c’est l’auteur connu, le thème à succès, et les nouveaux talents ou les points de vue originaux et critiques trouvent difficilement leur place » (André Schiffrin). Parfois, une décision de gestion consiste à établir un plan budgétaire par titre, qui doit donc être rentable indépendamment des autres. C’est la fin de la belle notion de « solidarité entre titres », qui a guidé le fonctionnement de l’édition durant des siècles.
Dans ce contexte, l’autocensure est à craindre. En effet, l’éditeur arrive assez rapidement à savoir ce qu’il peut (ou ne peut pas) espérer répondre aux nouvelles règles de gestion et de rentabilité de la maison d’édition. C’est ainsi que, peu à peu, se modifie la ligne éditoriale. Même s’il ne faut pas grossir le trait – des éditeurs « intégrés » dans des grands groupes poursuivent un travail d’une très grande qualité dans un environnement stabilisé –, on ne peut que constater la fréquence de telles évolutions, au détriment de la qualité éditoriale.
Un tel système, dont la logique serait poussée à l’excès – marquée par un déséquilibre au profit de la gestion, du marketing et de la rentabilité –, se ferait sans aucun doute au détriment de la variété et des aventures intellectuelles, sociales et politiques. Les idées les plus neuves, incongrues, dérangeantes même, pourraient-elles continuer à trouver dans le livre un moyen d’expression ? La pratique des grands groupes est-elle compatible avec le rôle d’agent culturel et social de l’éditeur ? Son rôle dans la production des idées est parfois directe – par des textes de commande, par exemple –, souvent indirecte – par l’attraction qu’il représente pour un auteur –, toujours indispensable. Mais s’il cesse de jouer son rôle de « capital-risqueur » du monde des idées et des œuvres écrites, qui le fera à sa place ? Qui sélectionnera les textes ? Qui mettra en forme et diffusera l’innovation ? Qui se placera à la jonction de la création et de la consommation ? Il faudra bien, s’il disparaît, réinventer le métier d’éditeur. Par ce mouvement où l’édition s’intègre de façon croissante au monde de l’industrie, de la finance et des médias – jusqu’à ne plus faire qu’un –, le métier risque de se transformer peu à peu en sous-traitance. De plus, il prête le flanc à de nouvelles formes de pression et de censure, rendues plus faciles par l’entremêlement du milieu des affaires et du monde politique.
Plus subtilement, au sein de ces gigantesques groupes de communication, on tente d’organiser une certaine « interopérabilité » des supports. Au sein d’un groupe, les passerelles entre les différents métiers sont recherchées, tout comme le sont les économies d’échelle. Ainsi, on encourage les différents supports (presse écrite, édition, TV, radio, etc.) à s’interconnecter. Tant qu’il s’agit d’une mise en cohérence intervenant après l’acte de création, cela n’est pas bien grave (quelques articles bien peu objectifs dans les magazines du groupe pour vanter la parution du dernier livre d’une des maisons d’édition dudit groupe). Mais lorsque la démarche intervient a priori et sur une grande échelle, elle conditionne la création. Nous assistons alors à de bien tristes productions : une œuvre créée pour l’occasion, la plus consensuelle et grand public possible, pour laquelle on décide d’un parcours de production au sein du groupe. Décliné quasi-simultanément en livre, DVD, articles de magazines, etc., le produit culturel est mis en vente dans les grandes surfaces partenaires. Dans ce contexte, l’auteur ne peut pas revendiquer une autre place que celle de sous-traitant ; il se voit confier la rédaction d’une œuvre calibrée par cahier des charges interposé. Tout cela existe déjà ; mais ce n’est pas encore devenu la norme.
La concentration et la compétition internationale exigent que les groupes élargissent continuellement leur zone de chalandise. En ce domaine, on peut parler de prédation – ne s’agit-il pas en effet de « prendre sans restituer », une action qui induit une dégradation des ressources disponibles ? Souvent, la prédation prend la forme d’une captation de marchés par des groupes éditoriaux ou des éditeurs de pays développés (prédation dite « directe ») [5]. La cible privilégiée des grands groupes demeure les marchés du livre scolaire. Ils pèsent très lourd dans l’économie du secteur. Ces livres « prescrits » engendrent des revenus substantiels pour les éditeurs. Dans les pays en voie de développement, les manuels représentent même de 70 à 90 % du marché du livre. En Afrique dite francophone, l’importance du marché du livre scolaire est encore renforcée par la priorité donnée à l’éducation par les bailleurs de fonds – États et organismes internationaux comme la Banque mondiale et le FMI. La rédaction, la production et la commercialisation des manuels scolaires échappent presque totalement aux professionnels locaux. Dans ces pays, l’activité de l’édition scolaire est basée pour plus de la moitié sur la mécanique des appels d’offre internationaux. Ainsi, les grands groupes éditoriaux surveillent continuellement les appels d’offre internationaux ; ils en ont les moyens et les capacités, que ce soit en temps de travail ou en technologie.
Fort heureusement, et pour alléger un peu la pesanteur de ces constats, la situation s’améliore. Les bailleurs de fonds internationaux et les États prennent de plus en plus en compte l’importance d’une édition locale des manuels scolaires. Il n’empêche : l’essentiel de cette commercialisation enrichit les grands groupes éditoriaux français ou canadiens (pour ce qui est de la zone francophone).
Les « capital-risqueurs » de demain
Ainsi va la mondialisation du côté du livre. Il demeure évidemment de très bons éditeurs, libres de leur mouvement autant qu’on peut l’être au sein de grands groupes éditoriaux. Il existe aussi de nombreux éditeurs indépendants qui ne sont pas, loin de là, des « capital-risqueurs », des agents culturels permettant la mise en forme et la diffusion d’œuvres novatrices. Il reste que, dans l’ensemble des dangers liés à une concentration et une financiarisation accrues, il y a des tendances lourdes actuellement à l’œuvre. Or il est important de préserver la plus grande diversité possible, que ce soit en forme de structures éditoriales ou en type d’ouvrages publiés.
L’indépendance des éditeurs, sans être une garantie en soi, est peut-être tout simplement une promesse – celle qui lie un lecteur à une politique éditoriale. Quel que soit le support (aujourd’hui le livre imprimé, demain l’e-book peut-être), quelle que soit l’œuvre, il faudra toujours une sélection, la constitution harmonieuse de gisements d’écrits mis en forme et diffusables. Ce métier-là peut-il disparaître dans la concentration et la financiarisation ? Mais si de vénérables maisons deviennent les outils de production de biens culturels sans âme, il faut s’attendre à voir émerger de nouveaux métiers et de nouvelles structures, qui reprendront sans doute les attendus les plus précieux de la fonction d’éditeur. À partir de cet espoir, on peut tenter de tracer les lignes de perspective sur lesquelles pourrait se construire l’avenir du livre.