L’ouvrage de Thomas Piketty, Capital et idéologie, publié en 2019, a fait l’objet de discussions nourries dans la presse française. Salué comme un livre majeur, qui poursuit le travail commencé avec la publication de Les hauts revenus en France au XXe siècle (Seuil, 2001) et du Capital au XXIe siècle (Seuil, 2013), le livre a essentiellement été jugé à travers les mesures politiques qu’il propose afin de construire une nouvelle idéologie des inégalités. Les perspectives historiques qui y sont développées et qui permettent une démonstration d’ampleur inégalée n’ont cependant pas toujours fait l’objet d’analyse critique. Ce dossier entend revenir sur certaines de ces perspectives, en proposant trois lectures de Capital et idéologie, convoquant trois angles différents.
Rafe Blaufarb revient sur l’interprétation de la Révolution française. Comme le souligne très justement T. Piketty, le droit de propriété n’y est pas remis en cause. Mais il en aurait pu être autrement, et une bifurcation historique était possible. Les révolutionnaires, explique R. Blaufarb, ont eu très tôt conscience que les inégalités sociales étaient dues à la transmission par l’héritage de la propriété.
Dans Capital et idéologie, l’éducation occupe une grande place. La massification scolaire, depuis les années 1980, n’a pas réduit les inégalités sociales, parce qu’elle ne s’est pas accompagnée d’un accroissement significatif des dépenses publiques consacrées à l’école. Plus encore, l’idéologie méritocratique tend à légitimer le creusement de ces inégalités. Tout en soulignant l’apport majeur de cette réflexion, Clémence Cardon-Quint en nuance certains aspects : par exemple, la hausse des dépenses scolaires s’est souvent heurtée à des obstacles structurels, qui ont empêché qu’on puisse tirer tous les bénéfices des efforts de rééquilibrages budgétaires.
Le régime inégalitaire indien fait l’objet, dans Capital et idéologie, d’une réflexion poussée. T. Piketty retrace ainsi l’histoire du sous-continent depuis le XVe siècle jusqu’à nos jours et c’est là, souligne Jules Naudet, un tour de force, notamment parce que ce panorama permet de ne pas tomber dans l’idée que l’Inde serait exceptionnelle et incomparable, nécessitant des catégories d’analyse spécifiques. Jules Naudet émet cependant deux réserves : d’une part, la question de la propriété en Inde aurait mérité une plus grande attention ; d’autre part, si T. Piketty s’interroge sur le rôle de la caste dans le creusement des inégalités, il aurait été intéressant de le comparer à d’autres formes d’assignation identitaire, comme l’ethnie, la race ou la religion, qui produisent aussi, des formes d’inégalités durables ailleurs dans le monde.
Dans sa réponse à ces trois articles, Thomas Piketty, saluant la qualité des lectures proposées, précise que son objet (l’histoire des régimes inégalitaires) supposait de mobiliser un grand nombre de connaissances historiques afin de mesurer, sur le long terme, les trajectoires et les bifurcations. De là un travail de comparaisons qui se place résolument dans une perspective globale et transnationale, permettant par là d’ouvrir des perspectives inédites. Ce travail est ouvert ; il appelle des compléments bienvenus, dont les trois lectures ici proposées sont de parfaites illustrations.
Pour citer cet article :
La rédaction , « L’histoire des régimes inégalitaires. Autour de « Capital et idéologie » de T. Piketty »,
La Vie des idées
, 3 novembre 2020.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr/L-histoire-des-regimes-inegalitaires
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