Mathilde va avoir 30 ans, elle vit à Bordeaux et travaille chez un fournisseur d’électricité. Mais pas n’importe lequel, ni public, ni privé, Enercoop se présente comme une « coopérative d’électricité vraiment verte, locale et citoyenne ».
Mathilde va avoir 30 ans, elle vit à Bordeaux et travaille chez un fournisseur d’électricité. Mais pas n’importe lequel, ni public, ni privé, Enercoop se présente comme une « coopérative d’électricité vraiment verte, locale et citoyenne ».
Travailler en coopérative n’est pas neutre, surtout quand l’entreprise porte un projet politique d’une telle ampleur. Enercoop a été fondée en 2005 par Greenpeace, les Amis de la Terre, Biocoop, la Nef, Hespul et le Cler. Le slogan d’Enercoop – « l’énergie militante » – en témoigne : on y travaille comme on s’y engage. Comment Mathilde, après une enfance angevine et des études à Tours puis Roubaix, est-elle arrivée chez Enercoop à Bordeaux ? « C’est en Master communication et développement des territoires que j’ai été sensibilisée à l’économie sociale et solidaire. J’ai découvert Enercoop Nord–Pas-de-Calais-Picardie lors d’un projet tutoré que je menais pour un traiteur solidaire, coopératif lui aussi, qui partageait ses locaux ».
Rien ne l’y prédisposait pourtant. Issue d’un milieu populaire, elle a gravi les échelons de la formation universitaire, marche après marche. Un IUT d’abord, puis une licence et enfin un master professionnel. Le tout dans le domaine de la communication. Si la branche maternelle a travaillé dans les mutuelles niortaises, les orientations politiques de sa famille étaient plutôt conservatrices malgré son athéisme. La liberté de parole régnant au domicile familial, comme le respect du libre arbitre des enfants, ont permis à Mathilde de construire sa propre vision du monde. Son bac littéraire a fait le reste, en l’ouvrant notamment aux artistes féministes d’Occident comme d’Orient (Valie Export, Orlan, Shadi Ghadirian, Shirin Neshat…) et à la prise de conscience des rapports de domination qui structurent toute société.
Ayant découvert par hasard Enercoop, Mathilde y effectue d’abord son stage de quatrième année à Lille, avant de poursuivre l’expérience en cinquième année à Bordeaux pour se rapprocher de son compagnon. Elle est ainsi venue renforcer en 2015 la jeune équipe d’Enercoop Aquitaine, créé tout juste un an auparavant. C’est que si Enercoop a été créé suite à l’ouverture du marché de l’énergie à la concurrence par les directives européennes, la coopérative a d’emblée promu un modèle décentralisé. Comme fournisseur d’énergie 100% renouvelable, Enercoop s’appuie sur un réseau de producteurs locaux dans les domaines du photovoltaïque, de l’hydro-électrique, de l’éolien et de la biomasse. Elle se structure donc à travers la création de coopératives régionales, fonctionnant en réseau, même si la majorité des effectifs sont à la coopérative mère à Paris.
Après avoir commencé comme stagiaire, Mathilde a été recrutée en CDD puis en CDI. Ce « cursus honorum » des plus classiques n’a pas empêché une intégration fulgurante à la vie de la coopérative. Elle a ainsi représenté les salariés au conseil d’administration de la coopérative dès 2015 et ce jusqu’en 2020. Enercoop n’est cependant pas une coopérative comme les autres. Dans une Scop, seuls les salariés sont représentés, selon le principe coopératif historique de la double qualité de sociétaire et de bénéficiaire. Ils sont sociétaires, puisqu’ils sont bénéficiaires de l’activité de l’entreprise qui leur fournit un travail.
Enercoop est une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), qui dérive du statut Scop pour en élargir le sociétariat et l’objet. Elle a vocation à produire des services d’intérêt collectif (multisociétariat) présentant un caractère d’utilité sociale (contribution à la transition écologique). Créé par une loi de 2001 en France, ce statut participe d’un mouvement plus large qui voit apparaître dans les années 1990 en Europe de nouvelles entreprises sociales, soucieuses non plus seulement de l’intérêt mutuel de leurs membres, mais de l’intérêt général. On peut penser aux coopératives sociales en Italie en 1991, aux sociétés à finalité sociale en 1995 en Belgique, aux coopératives de solidarité sociale au Portugal en 1998 ou encore aux coopératives d’initiative sociale en 1999 en Espagne. Le conseil d’administration d’Enercoop Nouvelle-Aquitaine est ainsi composé de collèges de producteurs, de consommateurs, de salariés et de collectivités territoriales.
Enercoop participe plus généralement au mouvement des licoornes, les coopératives qui « veulent vous donner le pouvoir pour transformer radicalement l’économie ». Elles prennent le contre-pied des licornes, les startups du web valorisées à plus d’un milliard de dollars, symbole du capitalisme. Pour défier le « système », elles se développent dans les secteurs clés de la transition écologique et citoyenne : énergies renouvelables (Enercoop), circuits courts (Coopcircuits), réemploi (Label Emmaüs), mobilités alternatives (Mobicoop, Railcoop, Citiz), finance éthique (La Nef), téléphonie (Télécoop), économie de fonctionnalité (Commown).
Au niveau opérationnel, Mathilde fait partie d’une équipe de onze personnes. C’est aujourd’hui la plus ancienne salariée avec un autre collègue. Elle est en charge de la communication et de la vie coopérative pour le territoire néo-aquitain, ce qui lui donne une vue d’ensemble de l’organisation comme de son activité. Elle travaille le plus souvent dans les locaux d’Enercoop N-A basés à Darwin, un écosystème alternatif qui a réhabilité l’ancienne caserne Niel désaffectée située sur la rive droite de la Garonne à Bordeaux. Dans ce lieu, conçu comme un commun urbain, se croisent des activités variées (restauration, location de bureaux, locaux commerciaux, accueil de publics fragiles, lycée expérimental, activités culturelles) qui fabriquent la ville autrement. Darwin est une hétérotopie où s’inventent de nouvelles normes écologiques. Le concept a été théorisé par Michel Foucault, pour qui les hétérotopies sont des « lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l’institution même de la société et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées […] des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables ».
Mathilde a des fonctions de veille, de rédaction, de conception graphique, elle assure les relations presse comme les relations publiques. Pour elle, « l’énergie est un bien commun qu’il faut sortir de la logique marchande ». Un engagement qu’elle peut porter en travaillant sur le plaidoyer d’Enercoop Nouvelle-Aquitaine, comme récemment lors du débat public organisé sur le projet Horizeo, qui prévoit de reconvertir en parc photovoltaïque 1 000 hectares de parcelle boisée privée, aujourd’hui exploitée en sylviculture sur la commune de Saucats dans le sud-Gironde. On y lit notamment que « le projet Horizeo reproduit les dérives de notre modèle énergétique actuel, en proposant un système de production ultra-centralisé et massifié qui ne répond qu’à des objectifs de production, sans prendre en compte les enjeux sociaux, économiques et environnementaux de la transition énergétique ».
Il y a bien deux modèles dans la transition énergétique. Au titre de l’animation de la vie coopérative, Mathilde sert aussi de « porte d’entrée » aux projets des sociétaires. Ce volet touchant à la participation citoyenne sous forme d’initiatives socio-économiques relève non seulement du projet autogestionnaire de la coopérative, mais constitue aussi un véritable levier de développement. Pour Mathilde, les sociétaires sont autant de « ressources bénévoles qui donnent de leur temps à la structure et sont considérés comme des partenaires ». Un sociétaire a par exemple récemment repéré des terrains en friche sur sa commune dans le Lot-et-Garonne et proposé d’y installer de petites centrales photovoltaïques au sol. Mathilde le met en relation avec ses collègues en charge de la production d’énergie et l’accompagne à structurer un discours auprès des élus. L’étape suivante consiste à mobiliser d’autres sociétaires proches de chez lui : « Un groupe de citoyens devient ainsi acteur d’un projet d’énergie solaire sur son territoire ». Les projets d’énergie citoyenne permettent de « développer le pouvoir d’agir des citoyens » tout en développant l’activité de la coopérative.
Au-delà de telles initiatives, Mathilde s’applique à intégrer pleinement les sociétaires à la vie démocratique d’Enercoop, dont l’assemblée générale annuelle constitue le temps fort. Paradoxalement, la crise de la Covid-19 a renforcé la proximité avec eux, grâce à l’utilisation des outils numériques et notamment des visioconférences. Dans la plus grande région de France par sa superficie, la convergence du tournant numérique et du tournant local est riche de nouvelles potentialités. Les consignes de distanciation physique ont accéléré la mise en place du réseau social « Le Village », hébergé sur un outil libre, qui accueille en Nouvelle-Aquitaine environ 10% des sociétaires, soit près de 300 personnes. Pour Mathilde : « Enercoop est le lieu d’une démocratie technique où s’informent et se forment ses sociétaires sur des sujets autrement confinés aux débats d’experts ». La coopérative facilite les dynamiques collectives générées par ces espaces de rencontre et d’échange. Parmi les pistes aujourd’hui envisagées, le travail sur les résolutions, aujourd’hui effectué par les membres du conseil d’administration, pourrait s’étendre aux sociétaires désireux de s’impliquer pour élargir la participation, notamment sur les enjeux d’investissement. Mathilde insiste sur l’éducation populaire et la « légitimation des prises de parole », y compris selon des critères relevant d’une rationalité technique. C’est la condition pour permettre l’égalité entre les parties prenantes.
Cette démocratie en entreprise n’est cependant pas limitée aux instances de la SCIC. Elle se prolonge jusque dans l’équipe opérationnelle, dont le management repose sur l’holacratie, à l’instar d’autres coopératives du réseau d’Enercoop. Mathilde en souligne la vertu : « Je me sens entendue dans la manière dont je vis mon rapport au travail. Je trouve des réponses à mes questions ou mes besoins en y réfléchissant collectivement avec mes collègues. Je n’ai pas un rapport hiérarchique avec eux, comme dans une entreprise classique ».
Pour le Mouvement Colibris, l’holacratie « provient des mots grecs « holos » désignant « une entité qui est à la fois un tout et une partie d’un tout » et de « kratos » signifiant « pouvoir ». Il s’agit de donner le pouvoir de gouvernance à l’organisation elle-même plutôt qu’aux ego de ses membres ». Selon son initiateur, l’entrepreneur américain Brian Robertson qui l’a expérimentée dans son entreprise de logiciels Ternary Software, elle consiste à dépasser le modèle de « prévision-et-contrôle » visant à concevoir et contrôler des moyens en vue d’atteindre des objectifs pré-définis. Elle doit permettre un « pilotage dynamique » fondé sur le modèle « expérimenter-et-adapter ». L’incertitude se gère à travers des boucles de rétroaction. L’holacratie se structure notamment en cercles, auxquels correspondent des rôles, pour organiser la décision.
À Enercoop Nouvelle-Aquitaine, il y a un cercle sur chaque métier dès qu’il est porté par plusieurs personnes : l’énergie, la commercialisation de l’offre, la direction. L’équipe étant de petite taille, il arrive qu’un salarié porte son rôle seul, comme c’est le cas de Mathilde sur la communication et la vie coopérative. Si chaque cercle est souverain, les budgets sont validés par le collectif de salariés et le conseil d’administration, tandis qu’un salarié a un rôle de coordination pour assurer les liaisons et accompagner chaque cercle.
Au partage du pouvoir correspond le partage de la richesse sous le régime de la propriété collective. Dans une coopérative, la lucrativité est limitée, ce qui implique que l’objectif n’est pas de distribuer des dividendes aux actionnaires. À chaque assemblée générale, les bénéfices sont intégralement réinvestis dans le projet, c’est-à-dire versés dans les réserves impartageables, y compris la partie pouvant réglementairement être affectée à la rémunération des parts sociales. Enercoop est par ailleurs agréée par l’État « entreprise solidaire d’utilité sociale » (ESUS), ce qui a notamment pour conséquence une limitation des écarts de salaires (maximum 10 fois le SMIC). L’équipe de Nouvelle-Aquitaine a déterminé elle-même sa politique de rémunération. Les écarts y sont limités à 1,2. Pour favoriser le « consommer local » au cœur du projet, une partie des salaires est versée en monnaie locale (la MIEL), entre 5 et 10% à la discrétion de chacun. Mathilde module ce versement en fonction de sa capacité à écouler la monnaie, les lieux référencés n’étant pas encore assez répandus, même si l’association porteuse prévoit un plan de développement suite aux adhésions récentes des Villes de Bègles et de Bordeaux.
Le rapport au travail lui-même change. Selon Mathilde, la frontière entre le travail et l’engagement est poreuse : « Enercoop porte une vision de la transition écologique. Elle doit être solidaire, respectueuse de l’environnement et ancrée sur le territoire ». On ne travaille pas chez Enercoop sans adhérer à ses valeurs. Mathilde évoque l’équité et le partage, qu’elle associe aux richesses comme aux ressources énergétiques. Elle insiste surtout sur la « modestie » : « C’était très audacieux de la part d’Enercoop d’être allée il y a quinze ans sur le marché de l’énergie, l’un des plus capitalistiques. Aujourd’hui, nous traversons la grave crise de l’énergie qui secoue le monde grâce à la solidité économique du modèle coopératif ». Enercoop fournit à ce jour 100 000 clients en France.
Mathilde concède donc une forme de militantisme. L’entreprise y encourage d’ailleurs. Par l’horizon de sens qu’elle offre bien sûr. Mais aussi par l’organisation du travail. Les temps de gouvernance sont intégrés au temps de travail. Enercoop N-A expérimente un autre rapport au temps. Tous les salariés sont à temps partiel pour libérer du temps au profit d’autres engagements. Mathilde l’affirme : « J’ai réduit volontairement mon temps de travail. Nous faisons tous ce constat : ce que l’on fait chez Enercoop nous donne du pouvoir et de la force pour s’engager à l’extérieur ». Elle est à 80%, payée 84%. Une prime à l’engagement, une sorte de « travailler moins pour gagner plus », pour détourner un ancien slogan politique. Les relations au travail, avec les autres salariés comme avec certains sociétaires, se veulent très humaines. Les rencontres se multiplient, les amitiés se nouent facilement, ce à quoi aident les temps conviviaux s’ajoutant aux temps de travail. Mathilde loue cette ouverture : « La coopérative m’a permis de rencontrer des personnes qui ont des modes de vie très éloignés des miens ». Elle fait part de « son fort attachement au projet collectif » ou encore de « l’enthousiasme de tous ».
Enercoop constitue de la sorte un « entrepreneuriat collectif », selon les termes de Mathilde. L’économique et le politique y sont réconciliés. Cela va-t-il sans tensions ? Mathilde reconnaît le risque de surinvestissement, mais fait valoir les « règles d’hygiène » de la structure. Il ne faut jamais oublier que « c’est aussi une entreprise ». On y apprend « à écouter ses propres besoins et à savoir dire non ». Le plus difficile, c’est d’ « accepter de lâcher prise ». Si l’autonomie individuelle est sans cesse recherchée, elle peut se heurter à l’autonomie collective lorsque le point de vue que l’on défend est minoritaire.
Cette expérience militante se politise-t-elle ? Mathilde n’a sa carte chez aucun parti politique. Elle vote cependant à chaque élection et participe chaque fois qu’elle le peut à la vie de la cité. Comme la nouvelle génération à laquelle elle appartient, ses choix politiques sont volatiles : ils dépendent du type d’élection et de l’offre politique, mais elle aspire dans tous les cas à une transformation écologique et sociale. Elle regrette pour cette raison la marginalité du contre-modèle porté par Enercoop, cantonné à demeurer une alternative, ce qu’elle attribue entre autres au manque de soutien politique.
Cet engagement se retrouve dans son éthique quotidienne. Vivant dans une grande métropole avec un niveau de vie médian, elle priorise dans son budget l’alimentation pour consommer bio, local et végétarien. Elle limite les dépenses superflues, préférant la seconde main, le savoir-faire artisan et le « made in France » : « À la maison, nous n’étions pas riches. Mon éducation m’a appris à être économe », commente-t-elle. Ici s’articulent une trajectoire de vie et une vision du monde fondées sur la conjonction de l’égalité et de la sobriété, autrement dit du social et de l’écologie. Il s’agit de « vivre simplement pour que d’autres puissent simplement vivre », comme y invitait Gandhi. Mathilde ne prend pas l’avion et n’a pas le permis de conduire. Elle a recours au vélo, au train ou au covoiturage (Mobicoop de préférence !) pour se déplacer. Si ce mode de vie n’est selon elle pas militant, en ce qu’il ne s’inscrit pas dans une action collective, il participe néanmoins d’un changement de valeurs et de normes plus large. L’éthique rejoint ici le politique.
L’engagement bénévole de Mathilde a plutôt pour ressort ses convictions féministes. Avec six autres femmes, elle a fondé en 2019 l’association Nouveaux Cycles qui se donne comme objectifs l’égalité des genres, l’accès à la santé gynécologique et l’éducation sexuelle. Ayant une cible grand public, l’association organise des événements de sensibilisation. Les « Vulvaventures » sont des rencontres tous les deux mois sous forme de conférences, tables rondes, projections de films, etc. pour échanger autour de l’éducation menstruelle, de la contraception ou des tabous entourant la sexualité. La « Ragnagnas Party » est un festival croisant des concerts, des conférences, des ateliers pratiques, une soirée de stand-up féminin, des expositions ou encore un village d’acteurs.
Nouveaux Cycles commence désormais à diversifier son activité à travers un nouveau type d’actions comme la collecte et la redistribution de protections menstruelles ou les interventions en milieu scolaire ou en milieu carcérale pour lutter contre la précarité menstruelle. Ce développement exigeant une structuration, il s’accompagne pour l’association de la création de deux premiers emplois ainsi que de l’établissement de partenariats avec les pouvoirs publics (État, Région, Département), l’écosystème d’accompagnement des femmes (CIDFF, Planning familial) ainsi que des acteurs de la santé (par exemple l’Institut franco-européen multidisciplinaire d’endométriose, IFEM Endo, qui traite de cette maladie liée aux menstruations). L’association a été sollicitée par le département des Landes pour participer à une expérimentation de lutte contre la précarité menstruelle en collège lancée par l’État.
Pour cet engagement, Mathilde a su capitaliser sur l’expérience et les compétences acquises chez Enercoop N-A. Elle réutilise les méthodes d’animation, de gestion de projet, de prise de décision collective… Son travail lui a offert des savoir-être, une qualité d’écoute, de prise de parole, une confiance en soi. Plus encore, la coopération lui a fourni de véritables compétences civiques, elle lui a appris à participer à une œuvre collective, à mobiliser les principes et outils de l’intelligence collective, à expérimenter et à tirer des enseignements de ces expériences. La coopérative est un lieu de production démocratique du citoyen.
L’ensemble des engagements de Mathilde ont pour fil rouge un mouvement vers l’égalité. Mais l’égalité formelle du triptyque républicain y trouve une autre consistance. Elle est vécue, incarnée, mise à l’épreuve de la réalité. L’économie sociale et solidaire, comme figure de mise en forme de la société civile, redonne une actualité aux analyses classiques d’Alexis de Tocqueville sur la démocratie :
Mais voici les rangs qui se confondent : les barrières élevées entre les hommes s’abaissent ; on divise les domaines, le pouvoir se partage, les lumières se répandent, les intelligences s’égalisent ; l’état social devient démocratique, et l’empire de la démocratie s’établit enfin paisiblement dans les institutions et dans les mœurs.
Mathide estime qu’elle « participe à un mouvement de réappropriation citoyenne. Cela vaut avec Enercoop pour l’énergie qui est à la base de toute société, de sa production comme de sa consommation. Cela concerne aussi son corps et sa santé avec Nouveaux Cycles ». L’égalité est au cœur des principes coopératifs à travers la règle « une personne, une voix ». Elle se manifeste aussi dans l’égalité des genres ou encore dans l’égalité entre les parties prenantes, que l’on retrouve dans le projet d’Enercoop et son organisation en SCIC. L’objectif de Mathilde est de développer le pouvoir d’agir de chacune et chacun et de rendre les citoyens légitimes à intervenir dans l’espace public. Pour cela, elle remet en cause la séparation entre le savoir et le pouvoir dans une dynamique autogestionnaire.
La coopération n’est pas seulement un « mode d’entreprendre et de développement », selon la définition de l’ESS dans la loi Hamon de 2014. C’est une école de la citoyenneté, un projet d’éducation et d’égalisation de la société, duquel découlent des innovations sociales en grappe. Au XIXe siècle, beaucoup déploraient que la République s’arrête aux portes de l’atelier. C’est dans ce contexte que sont nées les premières associations ouvrières, devenues des coopératives pour certaines d’entre elles. Avec Enercoop et les nouveaux mouvements coopératifs, étroitement liés à la transition écologique, cette utopie réelle reste une idée neuve.
par , le 22 février 2022
Timothée Duverger, « L’égalité par la coopérative », La Vie des idées , 22 février 2022. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/L-egalite-par-la-cooperative
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