L’idée est récemment réapparue dans le débat politique français : il serait impératif de réduire le nombre de fonctionnaires. S’appuyant sur des exemples historiques et étrangers, Émilien Ruiz montre que les effectifs ne peuvent toutefois diminuer sans toucher au périmètre d’intervention de l’État.
Les références des notes, lois et ordonnances citées figurent dans la version .pdf de l’article.
En contexte électoral, il n’est pas rare que les affirmations péremptoires sur la nécessaire réduction du volume de la fonction publique se multiplient. À l’approche des présidentielles 2017, la « primaire de la droite et du centre » a ouvert le bal : les principaux candidats divergeaient quant au chiffrage global mais la nécessité d’une réduction massive du nombre des fonctionnaires ne fit aucunement débat. Le 27 novembre 2016, c’est le porteur de la proposition maximaliste qui l’emporta : François Fillon promet une diminution de 500 000 emplois dans la fonction publique entre 2017 et 2022 s’il est élu à la présidence de la République en mai prochain.
Le fait est que, depuis quelques années, à chaque nouvelle publication de l’INSEE concernant l’emploi dans la fonction publique, une partie de la presse nationale s’embrase : non seulement il y a « trop de fonctionnaires » en France mais, de surcroît, il y en a « toujours plus » (voir Ruiz, 2015). L’engouement n’est toutefois pas que médiatique. Dans son Économie du bien commun, Jean Tirole affirme par exemple qu’il est nécessaire de « limiter le nombre des fonctionnaires » car « l’État français coûte trop cher » (voir Steiner, 2016). L’économiste en veut pour preuve l’augmentation de 15 % du « nombre d’agents publics » en France entre 2000 et 2013, sans toutefois citer ses sources (Tirole, 2016, 229). De son côté, le président du Medef, considérant que la réduction des dépenses publiques est la « mère de toutes les réformes », préconise une réduction de 100 milliards d’euros sur le prochain quinquennat : à commencer – c’est le seul exemple donné dans l’entretien – par la réduction du nombre de fonctionnaires [1].
Si l’objectif du candidat aux élections présidentielles peut sembler extravagant, il ne faut pas se méprendre : les ressorts d’une telle affirmation n’ont rien de nouveau. Si elles visent désormais les trois versants de la fonction publique, ces promesses s’inscrivent non seulement dans la continuité des politiques de réduction ou de stabilisation des effectifs de l’État menées depuis le milieu des années 2000, mais aussi, et surtout, dans une longue tradition de dénonciation d’un nombre plus souvent fantasmé que véritablement mesuré. Compte tenu de son audience, cette promesse de campagne mérite ainsi d’être prise au sérieux. En nous concentrant ici sur l’État, il s’agira de tenter de répondre à la question suivante : au-delà des slogans, une telle réduction massive des effectifs est-elle seulement possible à l’échelle du prochain quinquennat ?
La politique du « 1 sur 2 » entre 2007 et 2012
Un premier élément de réponse se trouve dans l’examen des politiques menées ces dernières années. Au cours des années 2007-2012, le gouvernement avait déjà prétendu opérer une réduction massive des effectifs à travers la mise en place d’une politique préconisée dès 2005 par la commission des Finances de l’Assemblée nationale : le non-remplacement, dans la fonction publique d’État, d’un départ à la retraite sur deux (Tron, 2005). En 2006, le candidat de l’UMP aux élections présidentielles de 2007 proposait d’appliquer cette mesure arithmétique à « 40 % des 5 millions des salariés de l’État, des hôpitaux et des collectivités territoriales », ce qui revenait donc à promettre une réduction d’effectifs de l’ordre d’un millions d’agents dans les trois versants de la fonction publique (Barroux, Delberghe et Guélaud, 2006). À l’approche du premier tour des élections, Nicolas Sarkozy avait affiné son évaluation et annoncé une politique visant à « ne remplacer que la moitié des 450 000 fonctionnaires qui, d’ici à 2012, partir[aient] à la retraite » [2]. L’objectif annoncé était ainsi d’une réduction de 225 000 postes dans la fonction publique de l’État, pour revenir à un volume d’effectifs correspondant à celui du début des années 1990.
Cette politique fut appliquée sous l’égide de la révision générale des politiques publiques (RGPP) [3]. Mais dès décembre 2007, Le Canard enchaîné révélait qu’un rapport de synthèse de l’inspection générale des Finances considérait que « l’assiette retenue dans le PLF [Projet de loi de finances] 2008 pour établir la règle d’un non-remplacement sur deux départs [avait] été déterminée sur la base d’un “inventaire à la Prévert” et résult[ait] de la somme de nombreuses approximations. » (Martin, 2007). En tous les cas, l’objectif n’était déjà plus de 225 000 suppressions de postes. Dans une analyse de la réforme de l’État sous Nicolas Sarkozy, en partie fondée sur des entretiens réalisés au ministère des Finances et à la direction générale de la modernisation de l’État, Alistair Cole cite ainsi un agent de la DGME qui lui confiait, en 2010, que « le 1 sur 2 » correspondait à « 150 000 fonctionnaires de moins » entre 2008 et 2012, un « effort » déjà jugé « colossal, considérable » (Cole, 2013 note 1287, p. 541).
Ces 150 000 emplois supprimés sont régulièrement présentés comme le résultat de la politique de réduction des effectifs de l’ère Sarkozy/Fillon. Pourtant, si les réductions furent considérables, elles n’atteignirent pas cet objectif. Fondée sur les statistiques publiées par la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), la Figure 1 permet d’en prendre la mesure :
Si l’on s’en tient aux effectifs réels, c’est-à-dire le nombre de personnes physiques exerçant un emploi à titre principal dans la fonction publique de l’État, on peut constater que l’effectif a diminué d’un peu plus de 110 000 unités. Néanmoins, lorsque l’on parle d’emplois dans la fonction publique, il faut entendre « postes budgétaires » et donc raisonner en équivalents temps plein (ETP) car les effectifs réels comprennent des agents à temps partiel. L’écart entre l’objectif et la réalisation se creuse alors encore un peu : en ETP, la politique de RGPP se solde par une suppression de 93 936 emplois dans la fonction publique d’État entre 2007 et 2012.
Cela reste tout à fait considérable. D’autant que, si l’écart entre les promesses et la réalisation s’explique en partie par la sanctuarisation de certains secteurs dits prioritaires, dont les effectifs ont été stabilisés ou augmentés [4], les compressions ont été réalisées au prix d’une certaine brutalité. En septembre 2012, un rapport conjoint des inspections générales de l’administration, des finances et des affaires sociales fut réalisé afin d’évaluer les résultats de la RGPP et de proposer une nouvelle méthode de réforme de l’État. Les auteurs du rapport insistaient longuement sur les conséquences néfastes de l’absence de dialogue et de concertation, que ce soit avec les administrations concernées ou avec les usagers, dans l’élaboration et la mise en œuvre des réformes – y compris la fixation du montant des économies à réaliser. Le choix d’imposer un rythme très rapide à la réforme a, par exemple, conduit à proposer des mesures qui se sont ensuite « révélées irréalistes, dans leur principe même ou dans l’estimation des gains, notamment en effectifs, qu’elles étaient censées produire ». Dans un même ordre d’idée, la sous-estimation des délais de mise en œuvre de certaines mesures a pu conduire « à entériner des suppressions d’emplois par anticipation de réformes engagées, au risque de compromettre la mise en œuvre même de certains projets de modernisation » (Bondaz et al., 2012, p. 16-17).
Était-il possible d’aller plus loin dans les suppressions d’effectifs ? Pour les auteurs de cette évaluation de la RGPP, la réponse était sans équivoque :
S’il convient de conserver ce type de leviers de transformation (réorganisations, restructurations, rationalisations), il importe d’avoir à l’esprit qu’ils ne rapporteront plus autant d’économies. Si les services, tant centraux que déconcentrés, peuvent encore gagner en efficience, ils sont surtout demandeurs d’arbitrages clairs sur leurs missions. À missions constantes, des économies significatives ne peuvent être attendues, sur le seul fonctionnement de l’État. (Bondaz et al., 2012, p. 51)
La promesse électorale de mai 2006, environ un million de suppressions d’emploi dans les trois versants de la fonction publique, n’avait donc abouti « qu’à » 93 000 emplois effectivement supprimés dans la fonction publique de l’État. Pourtant, si ces réductions s’avéraient nettement moins ambitieuses que prévu, elles avaient suffi à conclure à l’impossible réduction massive du nombre des fonctionnaires sans réduction du périmètre de l’État, c’est-à-dire sans l’abandon de certains de ses domaines d’intervention.
Les politiques de compression entre 1945 et 1948
Or, ce n’était pas la première fois qu’une telle conclusion était formulée au terme d’une politique de compression de personnel de la fonction publique. Dans un contexte radicalement différent, les premières années suivant la Seconde Guerre mondiale furent le théâtre d’une politique au moins aussi ambitieuse que celle qui fut menée entre 2007 et 2012.
Les compressions furent organisées en trois séquences successives. La première, lancée en janvier 1945, visait à réviser l’ensemble des créations d’emplois de Vichy. La deuxième se déroula entre 1946 et 1947 et visait la suppression de 50 000 postes, objectif rempli au moyen d’une « commission de la hache » qui imposa aux ministères la répartition suppressions de personnels. Dans une troisième séquence lancée à l’été 1947, c’est une « commission de la guillotine » qui fut chargée de réaliser des économies de l’ordre de 30 milliards, moyennant la suppression d’un minimum de 150 000 emplois.
Soulignons d’emblée une différence fondamentale avec les années 2007-2012 : ces politiques firent alors l’unanimité. Des gaullistes aux communistes, la réduction du nombre des fonctionnaires fut une priorité jusqu’en 1948. Au delà d’une volonté commune de redresser les finances publiques, particulièrement malmenées par Vichy, le large soutien reçu par ces mesures trouve deux explications complémentaires.
En premier lieu, ces opérations de compressions successives furent très vites inscrites dans une réforme d’ensemble de la fonction publique (Siwek-Pouydesseau, 1995) et, dès 1945, les réductions d’effectifs furent présentées comme une condition à la revalorisation des traitements. Dans le contexte d’une inflation galopante qui avait particulièrement rogné le pouvoir d’achat des fonctionnaires (Tiano, 1957, p. 71-73, et Siwek-Pouydesseau, 1989, p. 295-297), le ministre des Finances présentait cette mesure comme une façon « d’avoir des fonctionnaires mieux payés mais aussi plus compétents, moins nombreux mais mieux recrutés et mieux utilisés » [5]. L’argument fut largement repris : par De Gaulle, pour qui il s’agissait de « compenser par des mesures d’économie la surcharge considérable imposée » par la revalorisation des traitements, comme par Maurice Thorez qui considérait qu’une réduction substantielle des effectifs permettait de faires des économies tout en améliorant les traitements. En outre, les conditions d’application des compressions devaient être décidées en étroite collaboration avec les syndicats de fonctionnaires.
Un tel consensus trouve néanmoins une autre explication : au cours des années 1945 à 1948, les réductions d’effectifs furent aussi considérées comme une épuration par d’autres moyens. Si l’ordonnance du 6 janvier 1945 était très explicite, les mesures d’économies des années suivantes furent parfois pensées dans les mêmes termes. Ainsi, les nombreux appels à « liquider certaines survivances du régime de Vichy » [6] lors des débats parlementaires sur les fonctionnaires furent entendus et, en vertu de la loi du 3 septembre 1947 qui instaurait la commission dite « de la guillotine » par exemple, les licenciements ou mises à la retraite devaient d’abord viser les agents recrutés ou promus par « l’État français ».
S’il est très difficile d’en dresser un bilan statistique précis compte tenu des faiblesses de l’appareil statistique au cours de la période [7], la documentation disponible permet de proposer une « fourchette » des compressions effectuées. En tenant compte des créations d’emploi et autres transferts des budgets locaux au budget de l’État, le total des suppressions nettes réalisées entre 1946 et 1949 se situerait entre 63 800 selon le ministère des Finances et 138 000 d’après l’INSEE [8].
Sans atteindre là non plus, et en dépit d’un consensus inédit, l’objectif initial, la diminution fut néanmoins considérable. À tel point qu’en 1949 le directeur du Budget lui-même avait pu constater que « la marche de certains services était réellement gênée par l’insuffisance de leurs effectifs ». Dès lors, était-il possible d’aller plus loin ? Pas pour Roger Goetze en tout cas [9] : tout en considérant que les compressions réalisées jusque-là étaient nécessaires, il affirmait qu’il n’était « plus possible d’espérer obtenir des réductions importantes d’effectifs en continuant la politique un peu brutale et simpliste » menée depuis la Libération. Comme en écho aux analyse du rapport de septembre 2012 sur la RGPP, Gabriel Ardant – inspecteur des finances, proche collaborateur de Pierre Mendès France et inlassable promoteur du redressement des finances publiques – analysait les conditions nécessaires à la réalisation d’économies de la façon suivante :
le problème budgétaire, comme les autres problèmes financiers actuels, est un problème de choix. Il faut entendre par là : 1) Un choix entre les missions que l’État entend accomplir, les services qu’il veut rendre ; 2) La recherche des moyens les moins coûteux de remplir ces missions, de rendre ces services. (Ardant, 1949, p. 77-80)
Ici encore la véritable question, au delà de la nécessaire rationalisation des méthodes pour que l’administration fonctionne le mieux possible sans coûts excessifs, était celle du périmètre de l’État et, plus généralement, des services publics.
Une exception française ?
L’un des arguments récurrents concernant la nécessaire réduction massive des effectifs de l’État en France invoque les modèles étrangers : si d’autres pays ont réussi à réduire massivement leurs effectifs, pourquoi la France ne le pourrait-elle pas ? Les mesures préconisées par les candidats à l’élection présidentielle française, aujourd’hui comme hier, mobilisent ainsi régulièrement des exemples étrangers en soulignant que la France gagnerait à s’en inspirer. Dans l’entretien qu’il accordait à France Inter au début du mois de février 2017, Éric Woerth soutenait ainsi la nécessité d’une réduction des effectifs en France : « moins de dépenses publiques (…) c’est aussi mieux de service public, on voit bien que les autres euh… regardez les autres pays, comparons-nous » (Fauvelle, 2017 – voir à partir de 22 min. 15 sec. environ). Si l’ancien ministre du Budget ne citait pas d’exemples auxquels comparer la France, observer brièvement quelques expériences étrangères de compressions est effectivement très instructif.
Dans les années 1980-1990, plusieurs pays ont mis en œuvre, souvent sous la bannière du new public management, des politiques de réduction d’effectifs qui étaient autant présentées comme une nécessité pour les finances publiques que comme un moyen d’obliger les administrations à se réformer. Or, plusieurs travaux menés par des politistes permettent de prendre la mesure des conséquences de ces compressions sur le fonctionnement et le coût des services publics.
Dès 2005, en étudiant les politiques de réduction d’effectifs menées au Québec depuis la fin des années 1990, Claude Bauregard et Pierre Bernier avaient souligné le risque que faisait courir au fonctionnement des services publics une compression de personnels mal planifiée. En 1996, le gouvernement du Québec décida en effet de procéder à une réduction arithmétique du budget des ministères pour réduire le déficit budgétaire. Pour diminuer les dépenses de personnel, le gouvernement négocia avec les syndicats une mesure d’incitation à la retraite dont l’objectif était fixé à 16 500 équivalents temps plein (ETP). Or, comme on peut le constater dans la Figure 2, la mesure se solda par le départ de 33 000 ETP, ce qui fut plus coûteux et produisit moins d’économies de long terme que prévu.
Surtout, dans certains services l’effectif tomba « en deçà du seuil critique de fonctionnement normal » : à tel point que « très rapidement, les effets négatifs sur la prestation de services se sont fait sentir ». Comme dans les exemples français cités plus haut, les compressions réalisées avec pour seul objectif de fortes réductions des dépenses ont conduit le gouvernement à « vouloir revoir la taille de l’État pour ne conserver que les missions jugées essentielles en vue d’offrir à la population des services de qualité qui répondent à ses véritables besoins » (Beauregard et Bernier, 2005).
Un autre exemple mérite une attention particulière : celui des compressions réalisées par les gouvernements de Margaret Thatcher et John Major. En effet, sans avoir (à ma connaissance) spécifiquement mentionné sa politique relative à la fonction publique, le candidat LR s’est plusieurs fois réclamé de cet héritage politique [10]. Or, les compressions réalisées au Royaume-Uni au cours des années 1980-1990 furent effectivement considérables.
Dès son arrivée au pouvoir, Margaret Thatcher entrepris d ’« affaiblir la fonction publique » par diverses mesures, au premier rang desquelles la réduction du nombre des agents (Talbot, 2003, p. 15). Le premier objectif chiffré qui fut alors fixé était de ramener le volume des effectifs à son plus bas niveau depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en passant de 733 200 à 630 000 agents entre 1979 et 1983 (Lowe, 2011, p. 246-250). L’objectif fut largement dépassé : en 1988 l’effectif du civil service n’était plus que de 579 000, soit une réduction supérieure à 20 % (Theakston, 1995, p. 49). Le mouvement s’est d’ailleurs poursuivi jusqu’aux années 2010, l’effectif s’approchant des 400 000 agents en 2013 (Hood et Dixon, 2015a, p. 80).
Si, en première lecture, le cas britannique semble constituer une réussite dont pourrait s’inspirer un gouvernement qui souhaiterait réduire massivement les effectifs en France et faire des économies, il convient de regarder plus en détail ce que furent les effets de cette politique. Christopher Hood et Ruth Dixon ont récemment entrepris d’évaluer les effets de trois décennies de réformes administratives au Royaume-Uni et offrent quelques pistes intéressantes. En premier lieu, la réduction des effectifs n’a pas entraîné de réduction des dépenses de personnel. En 1992-1993, la masse salariale du civil service, exprimée en livres constantes, était même plus élevée qu’en 1979-1980 (Hood et Dixon, 2015a, p. 80-81). En second lieu, ces compressions de personnel, et plus généralement les politiques de diminution des coûts menées ces 30 dernières années au Royaume-Uni n’ont pas rendu les services publics plus « efficients ». Ainsi, les réductions d’effectifs impulsées au début des années 1980 n’aboutirent ni à une réduction des dépenses de personnels, ni à une augmentation de la satisfaction des usagers (Hood et Dixon, 2015b).
Conclusion
Au terme de ce bref survol de quelques tentatives de réduction massive des effectifs de l’État, il convient de revenir à notre question initiale : est-il encore possible de réduire de façon considérable les effectifs de la fonction publique ?
Ce que nous enseignent les expériences évoquées ici, c’est qu’il est tout à fait illusoire d’espérer réduire massivement les effectifs pour réaliser des économies substantielles tout en maintenant le périmètre et le niveau actuel des services publics. Cela ne signifie pas, bien entendu, que toute politique relative aux dépenses publiques serait, par principe, vouée à l’échec. Nous faisons en revanche face à une alternative qui pourrait être posée dans les termes suivants : s’agit-il en priorité d’accroître l’efficience des services publics ou de faire des économies budgétaires ?
Dans le premier cas, il s’agit de maîtriser les dépenses de personnel à travers la mise en œuvre d’une véritable politique de la fonction publique. Comme le soulignait déjà le premier directeur de la fonction publique il y a presque 70 ans, une telle politique se doit de faire tenir ensemble la recherche du meilleur rendement et celle des meilleures conditions de fonctionnement des services publics, tout en prenant en considération le point de vue des agents et des usagers. En somme, de mener une politique de « compromis », de « patience et de ténacité » (Grégoire, 1948, p. 14).
Dans le second cas, il s’agit de réduire drastiquement les dépenses de personnel. Or, on l’aura compris, une telle politique donnant la priorité aux économies massives ne saurait faire l’économie d’une réduction du périmètre de l’État, ou plus généralement des collectivités territoriales et des services hospitaliers.
Prise au sérieux, la promesse d’une réduction massive des effectifs ne saurait donc passer par autre chose qu’une remise en question radicale du rôle de l’État et du périmètre des services publics. Loin de se réduire à de simples considérations gestionnaires [11], une telle politique relève d’un choix démocratique qui gagnerait à être mieux éclairé. Derrières les slogans électoraux, c’est bien un choix de société qui se dessine.
– Gabriel Ardant, Problèmes financiers contemporains, préface de Pierre Mendès France, Paris, Hatier, 1949.
– Rémi Barroux, Michel Delberghe, et Claire Guélaud, « Ne remplacer qu’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite », Le Monde, 4 mai 2016.
– Claude Beauregard et Pierre Bernier, « Le renouvellement de la fonction publique québécoise : enjeux et écueils », in Louise Lemire, Denis Proux, Luc Cooremans, Modernisation de l’État et gestion des ressources humaines. Bilan et perspectives, Québec-Belgique, Outremont (Québec), Athéna éditions, École nationale d’administration publique et Haute École Francisco Ferrer, 2005, p. 81-100.
– Philippe Bezes, « Morphologie de la RGPP. Une mise en perspective historique et comparative », Revue française d’administration publique, vol. 136, no 4, 2010, p. 775-802.
– Philippe Bezes, Réinventer l’État : les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, Presses universitaires de France, 2009.
– Marianne Bondaz, Sophie Delaporte, Werner Gagneron, Philippe Rey, Cyrille Bret, Martine Marigeaud, Pierre Deprost, Nathalie Destais, Yves Rabineau, et Michel-Henri Mattera, Bilan de la RGPP et conditions de réussite d’une nouvelle politique de réforme de l’État, Paris, Inspection générale de l’administration, Inspection générale des finances et Inspection générale des affaires sociales, 2012.
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Pour citer cet article :
Émilien Ruiz, « Y a-t-il trop de fonctionnaires ? »,
La Vie des idées
, 28 mars 2017.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr/Y-a-t-il-trop-de-fonctionnaires
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[1] Entretien avec Pierre Gattaz publié dans Le Figaro, 14 février 2017 (suppl. « Économie », p. 18).
[2] « Si je suis président… », Le Parisien / Aujourd’hui en France, 21 février 2007. Passage repris du Baromètre politique français – élections 2007, Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), semaine du 17 au 23 février 2007.
[3] Pour la situer dans les politiques de réforme administrative menées depuis le début de la 5e République, voir Bezes, 2009, 2010.
[4] D’après la direction du Budget, citée dans Bondaz et al., 2012 tableau 7, p. 47, entre 2009 et 2012 le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a ainsi vu ses effectifs s’accroître de 0,1 %, tandis que ceux de la Justice et des services du Premier ministre augmentaient respectivement de 3,8 % et 8 %.
[5] Discours prononcé par M. Pleven, ministre des Finances, à la tribune de l’Assemblée Consultative le 29 mars 1945, Ministère de l’Information, Direction des Informations, Hors-série n°17, 29 mars 1945, p. 3. CAEF, Fonds Cabinets, 5A008.
[6] Assemblée nationale constituante, séance du 18 décembre 1945, Journal officiel, 19 décembre 1945, p. 239.
[7] Le premier véritable recensement des agents des services publics en France fut décidé en 1947 et ses résultats ne furent publiés qu’en 1949. À ce propos je me permets de renvoyer à Ruiz, 2013.
[8] Pour le ministère des Finances, 147 800 emplois avaient été supprimés, mais les créations, titularisations, etc. intervenues au cours de la même période amenaient à une diminution nette plus réduite que pour l’INSEE (Ministère des Finances et des Affaires économiques, 1949). Ce dernier précise que son évaluation comprend 56 000 emplois réellement occupés, le reste correspondant à la suppression d’emplois vacants (Institut national de la statistique et des études économiques, 1949).
[9] Sur le parcours de Roger Goetze mais aussi sur le rôle de la direction du Budget dans les années 1950 – « le patron de l’Administration ! Il n’y a pas de questions ! Il faut bien l’admettre » (p. 255) – on lira avec grand profit Carré de Malberg, 1998.
[10] Le 22 novembre 2016, cela avait inspiré à Libération la reprise en Une d’un « croisons-les » réalisé par Guillaume TC fusionnant les visages de F. Fillon et M. Thatcher, conduisant le candidat à affirmer qu’il n’avait « jamais de problème à être comparé à une personne qui a sauvé son pays » (Sénécat, 2016).
[11] Interrogé sur les secteurs sur lesquels l’effort serait concentré en cas d’application des réductions annoncées, le député chargé du projet présidentiel de François Fillon répondait, en février 2017 : « on va pas rentrer dans le détail pour dire qu’au ministère de la Culture dans telle direction se sera moins, parce que sinon, à un moment donné, on va donner les noms. Donc c’est pas possible de faire cela, ça ne marche pas comme ça » (Fauvelle, 2017 - 23 min. 18 sec. environ).