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Dossier / Travailler mieux, un recueil de propositions

Un salaire égal pour un travail de valeur égale
Proposition 12


par Séverine Lemière & Rachel Silvera , le 4 février


Les inégalités salariales entre femmes et hommes se réduisent très peu. Il est urgent d’appliquer le principe juridique d’un salaire égal pour un travail de valeur égale, en comparant les emplois à prédominance féminine et masculine, en entreprise ou lors des négociations des classifications professionnelles de branche.

Le problème

On regarde encore trop souvent l’écart de rémunération entre hommes et des femmes dans les mêmes situations professionnelles, pour les mêmes caractéristiques productives – à poste égal – afin de mesurer une discrimination salariale « toutes choses égales par ailleurs ». Or on sait que femmes et hommes n’occupent que rarement les mêmes emplois, la ségrégation professionnelle est importante et persiste. On compare ainsi trop rarement la rémunération de métiers comparables, entre des emplois très fortement féminisés (par exemple sage-femme) et des emplois fortement masculinisés (par exemple ingénieur hospitalier) (Lemière, Silvera, 2023).

Pourtant, depuis 1972, la loi prévoit l’égalité de rémunération entre femmes et hommes : « Tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes » (Article L 3221-2 du Code du travail).

Ce principe doit permettre de mettre en œuvre l’égalité salariale entre emplois différents, à prédominance féminine et à prédominance masculine, mais jugés de valeur égale. Il dépasse le problème de la ségrégation professionnelle entre femmes et hommes, l’égalité salariale ne passant pas seulement par la mixité des emplois. La loi exige d’évaluer la valeur du travail réellement réalisé et d’appliquer l’égalité de salaire pour des emplois de valeur comparable. Or, ce principe reste inappliqué, non mesuré, non contrôlé et non sanctionné.

La proposition

Évaluer avec des critères non discriminants les emplois, comparer ceux à prédominance féminine et à prédominance masculine et revaloriser les salaires pour appliquer le principe « un salaire égal pour un travail de valeur égale », notamment lors des négociations de branche sur les classifications professionnelles.

Comment ça marche

Au centre du principe « un salaire égal pour un travail de valeur égale », est posée la question de la valeur des emplois. Depuis la loi Roudy de 1983, le cadre juridique précise : « sont considérés comme ayant une valeur égale, les travaux qui exigent un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse » (article L. 3221-4). La détermination de la valeur peut relever de deux approches :

Une approche individuelle, en comparant avec les critères de la loi Roudy deux métiers féminisés et masculinisés. Par exemple, en 2010, la jurisprudence a acté l’égalité entre une responsable ressources humaines et un directeur financier après avoir comparé la réalité du travail de l’une et de l’autre.

Une approche collective, en analysant les méthodes de cotation des emplois et les grilles de classification professionnelle. Ces grilles, négociées dans les branches professionnelles, évaluent les emplois et les hiérarchisent afin de déterminer les salaires de base. Différents travaux (Défenseur des droits 2013, Conseil supérieur à l’égalité, 2017) ont montré les risques de discrimination indirecte de ces méthodes, générant une sous-valorisation salariale des emplois féminisés. Il est donc important de réviser les critères d’évaluation, de pondération et de cotation des emplois, pour supprimer tous les biais de discrimination sexiste.

Sur quels travaux de recherche la proposition est-elle fondée ?

Trois types de travaux de recherche peuvent être cités ici. `

D’une part, les travaux sur l’égalité salariale et la sous-valorisation des métiers féminisés déterminent les facteurs d’inégalités de salaire entre les femmes et les hommes et les débats sur la mesure de la discrimination salariale, notamment en montrant les limites des approches toutes choses égales par ailleurs (Silvera, 2014, Lemière, Silvera, 2010, Blanchard, Pochic, 2021).

D’autre part, la question de l’évaluation du travail a donné lieu à différents travaux, à l’international et d’expérimentations étrangères, notamment au Québec (BIT, 2008, Acker, 2010, Chicha, 2011).

Enfin, des comparaisons d’emplois ont été menées (Silvera, coord, 2023) afin de montrer la sous-valorisation des métiers féminisés, notamment du fait des biais sexistes des méthodes d’évaluation (Défenseur des droits 2013, Conseil supérieur à l’égalité, 2017). Cette sous-valorisation est également analysée par l’invisibilité des compétences professionnelles des métiers féminisés, considérées comme « naturelles et féminines » (Molinier, 2011). Par exemple, la comparaison des sages-femmes avec les ingénieurs hospitaliers que nous avons réalisée conclut à une sous-évaluation du travail, des salaires et des carrières des sages-femmes (Lemière, Silvera, 2023).

Comment mettre en œuvre la proposition ?

La mise en œuvre diffère selon que l’approche est individuelle ou collective.

Il faut tout d’abord inciter les femmes à oser se comparer au sein de leur entreprise avec des métiers différents et plus masculinisés. La Directive européenne 2023/970 du 10 mai 2023 sur la transparence salariale que la France doit être transposée avant 2026, elle peut être un levier important. Outre l’accès facilité aux données salariales des collègues, ce texte renforce le principe d’un salaire égal pour un travail de valeur égale et incite à l’évaluation et à la comparaison d’emplois. De plus, l’action syndicale peut permettre d’accompagner en justice des salariées, individuellement ou dans le cadre d’une action de groupe si différentes salariées d’un même métier demanderaient la revalorisation de leur salaire.

De manière plus collective et structurelle, à l’occasion des négociations de branche, les classifications professionnelles devraient être révisées afin de corriger les éventuels biais de discrimination indirecte.

par Séverine Lemière & Rachel Silvera, le 4 février

Pour citer cet article :

Séverine Lemière & Rachel Silvera, « Un salaire égal pour un travail de valeur égale . Proposition 12 », La Vie des idées , 4 février 2025. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Un-salaire-egal-pour-un-travail-de-valeur-egale

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