Recensé : Dictionnaire de l’éducation, sous la direction d’Agnès Van Zanten, PUF, 2008. 736 p.
« Ce Dictionnaire de l’éducation n’est certes pas le premier. Il s’inscrit dans une longue tradition d’outils de connaissance qui, comme le célèbre Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson, publié à la fin du siècle dernier, visent à accompagner les transformations des institutions éducatives ». Dès les premières lignes de son « Avant-propos », la sociologue Agnès van Zanten qui coordonne cet ouvrage en affiche clairement les objectifs.
S’adressant expressément aux « professionnels et aux responsables de l’éducation », ce dictionnaire entend fournir des outils pour « justifier la pérenité, l’extension ou le remplacement de telle ou telle politique ou pratique pédagogique » (Avant-propos d’Agnès Van Zanten, p.VIII.). La logique est donc celle de la vulgarisation revendiquée, mais aussi d’une exigence scientifique forte. Agnès van Zanten insiste en effet sur le grand nombre d’auteurs, reconnus dans leur domaine et sélectionnés par un comité représentatif des différents champs de recherche en éducation.
Une approche interdisciplinaire du fait éducatif
De fait on trouve dans cet ouvrage des contributions de sociologues, d’économistes [1], d’historiens, psychologues, didacticiens ou encore pédagogues. Cette variété des approches, des méthodes et des questionnements, que seul le lien avec l’éducation, définie au sens durkheimien comme les processus de « socialisation méthodique des nouvelles générations » (Avant-propos, p .VII.), peut parfois laisser perplexe. Se succèdent par exemple des articles sur des sujets aussi variés que « développement du cerveau », « citoyenneté et école », « classes sociales » et « cognition et métacognition ». L’idée est de dépasser les frontières disciplinaires pour offrir un vaste ensemble de connaissance, et d’inciter aux dialogues entre les différentes approches.
Cependant, le poids des sociologues et le fait même que l’entreprise soit dirigée par l’une d’entre eux révèle une autre dimension à cette entreprise éditoriale : celle de replacer la sociologie au centre des sciences de l’éducation. Etablissant un état des lieu de la sociologie de l’éducation en Franc, Franck Poupeau [2] soulignait le double défi auquel celle-ci devait faire face : d’un côté elle était concurrencée par les science de l’éducations, de l’autre, elle était dépossédée de la maîtrise de la « production du chiffre vrai » par les économistes. Ici, rien de tel. Loin d’être en concurrence avec les autres approches du fait éducatif, la sociologie apparaît ici centrale, révélant certaines des tendances « oligopolistiques » dénoncées par René Barbier, chercheur en sciences de l’éducation [3].
Savant critique ou savant expert ?
Au mélange des disciplines s’ajoute celui des statuts, plus difficile à cerner. Certains textes se présentent comme des états des connaissances dans un champ, d’autres sont nettement plus normatifs ou du moins orientés vers l’action. Ainsi un article comme « Estime de soi » tente d’évaluer l’impact de cette estime sur les résultats scolaires, se demandant s’il faut ou non « accentuer l’estime de soi des élèves » ? L’article se conclue sur des conseils pratiques (« il faut donc aider les enfants à abandonner l’idée que leur niveau de performance est un indicateur de leur intelligence »).
Plus généralement, concepts scientifiques et outils d’évaluation se succèdent, sans que la distinction soit toujours claire pour un non-spécialiste. L’article « Capital culturel », outil bourdieusien de sociologie critique est ainsi suivi de « Capital émotionnel », concept utilisé notamment par l’OCDE pour évaluer les chances de « réussite globale de leur vie » des individus ainsi que le bon fonctionnement d’une société donnée.
La neutralité axiologique laisse parfois place à des jugements de valeurs : ainsi l’article « Administration de l’éducation » dénonce-t-il « la culture et les routines propres aux fonctionnaires d’État » et une « ouverture sur l’extérieur frileuse ».
En fin de compte, on ne sait plus qui du savant ou du politique oriente cet ouvrage. Des articles comme « efficacité des écoles », « évaluation des politiques éducatives », « recherche et pratiques éducatives » témoignent d’une volonté d’expertise au service des acteurs du système éducatif, ou du moins du désir de produire des outils immédiatement applicables hors du champ scientifique. Ces orientations se retrouvent à divers degrés dans de nombreux textes. Ainsi l’article « sciences cognitives et éducation » souligne que « les enseignants ont besoin de comprendre quels mécanismes sont en jeu dans les apprentissages de la lecture, de l’orthographe » etc. Il ne s’agit cependant pas d’ « élaborer des prescriptions en direction du monde éducatif », comme le souligne l’auteur, mais du moins de revendiquer une utilité de ce champ de recherche dans le domaine de l’éducation. Revendiquer l’« utilité » pratique des sciences de l’éducation apparaît comme un acte politique, à l’heure où l’avenir de la recherche en SHS semble incertain…
Soulignons que la démarche qui préside à l’organisation de l’ouvrage rappelle à plusieurs égards la conception britannique de l’étude du fait scolaire. En effet, dans la majorité des établissements d’outre-Manche, les sociologues de l’éducation sont rattachés au département des sciences de l’éducation – à l’image de la prestigieuse « Faculty of education » à Cambridge. Ce phénomène n’est pas étranger à la scène française comme en témoignent les travaux du groupe interdisciplinaire ESCOL lié à Paris V, mais il existe tout un champ de sociologie de l’éducation inseré dans les départements de sociologie.
Par ailleurs, la sociologie anglaise a toujours été plus proche du pouvoir politique qu’en France (note : le pauvre et le sociologue), et cette articulation entre producteurs de savoirs et cercles politiques a permis la mise en place de nombreuses expérimentations scolaires ainsi que leur évaluation [4].
« Dépasser les querelles idéologiques » ?
Éclectique dans le choix des disciplines, des entrées et des genres, ce dictionnaire l’est aussi dans le choix des auteurs. On ne peut que saluer le remarquable travail éditorial mené par Agnès Van Zanten, qui a su réunir plus de deux cents chercheurs autour d’un comité scientifique international de douze personnes [5]. Si la plupart sont français ou francophones, on trouve des contributions d’auteurs d’Espagne, Grande-Bretagne, Italie, Portugal, ou encore des États-Unis. À la variété géographique s’ajoute celle des courants. Parmi les nombreux sociologues, on retrouve ainsi des auteurs qu’il est rare de voir collaborer. Cependant cette richesse peut s’avérer déroutante pour qui n’est pas au fait des enjeux qui existent dans le champ universitaire, et des débats actuels. La volonté affichée de « dépasser les querelles idéologiques » n’empêche pas les partis pris des différents auteurs, et laisse certains débats en suspens. Ainsi il existe une entrée « science de l’éducation » et une autre « sciences de l’éducation », qui témoignent d’une conception différente de l’approche de l’éducation, objet définissant une discipline spécifique dans un cas, ou concernant un faisceau d’approches dans un autre.
Cette politique éditoriale originale laisse ainsi au lecteur la possibilité de se faire lui-même une opinion sur certains points controversés et va à l’encontre de l’idée d’une science toute faite aux résultats figés, mais n’est pas toujours très didactique. Par ailleurs, les articles, inégaux en longueur, le sont aussi en qualité et en originalité. Si certaines contributions s’avèrent des synthèses efficaces, intégrant les travaux les plus récents, d’autres sont le simple condensé de publications précédentes.
En fin de compte, ce « dictionnaire de l’éducation » apparaît comme un ouvrage difficile à classer. Entreprise éditoriale ambitieuse, il regroupe des contributions de qualités, écrites par des chercheurs reconnus. Cependant, la volonté d’embrasser à la fois différentes disciplines, différentes traditions nationales et au sein d’une même discipline différents courants produit parfois une certaine confusion. Peu de clés de lectures sont données au lecteur : mis à part quelques renvois thématiques, à la fin de chaque article et un index thématique il n’y a pas d’index par auteur ou discipline.
Original par la richesse de ses entrées, remarquable par l’ampleur des connaissances rassemblées, ce « Dictionnaire de l’éducation » se distingue avant tout par le rôle de guide qu’il assigne aux sciences ici mobilisées au service des acteurs du système éducatif, et par la volonté d’unifier les savoirs non plus autour d’une discipline mais d’un thème d’étude – et objet de politique publique –, l’éducation.