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Recension Histoire

Sport en colonies

À propos de : P. Singaravélou & J. Sorez (dir.), L’empire des sports. Une histoire de la mondialisation culturelle, Belin.


par Yohan Blondel , le 10 février 2011


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L’histoire des espaces coloniaux enseigne que les pratiques sportives importées par les puissances impériales, loin d’être l’imposition univoque d’une culture, témoignent des pratiques de réappropriation de la part des peuples, comme le montre l’ouvrage collectif dirigé par Pierre Singaravélou et Julien Sorez.

Recensé : Pierre Singaravélou et Julien Sorez (dir.), L’empire des sports. Une histoire de la mondialisation culturelle, Paris, Belin, coll. « Histoire et société », 2010.

Affirmer que le sport est aujourd’hui une pratique physique mondialisée et régie par des codes universels qui permettent les échanges entre les peuples est un lieu commun que l’ouvrage collectif dirigé par Pierre Singaravélou et Julien Sorez invite largement à dépasser. Certes, à l’instar du football, l’ensemble des règlements ou des techniques apparaissent standardisés aux yeux des spectateurs. Pourtant, on néglige d’interroger les raisons historiques et culturelles qui séparent les styles de jeu. Ainsi, le jeu « à l’anglaise » caractérisé par le traditionnel kick-and-rush n’est pas le jeu sud-américain fondé sur un touché de balle raffiné et une propension à éliminer l’adversaire par des dribbles courts. Le point de départ de cet ouvrage est de renverser le prisme traditionnellement utilisé par les historiens du sport pour expliquer la diffusion de ces pratiques physiques spécifiques dans l’espace colonial. En d’autres termes, là où l’historiographie s’attache essentiellement à comprendre la diffusion des sports modernes, à travers les rapports coloniaux entre le centre et la périphérie, l’intérêt est ici d’envisager la circulation des pratiques sportives que rendent possibles les interactions entre colons et colonisés.

Le sport et l’empire : complexité et pluralité

Face à l’immensité de la tâche, la préface et l’introduction posent avec justesse les modalités qui président à la circulation des sports. Qu’ils soient économiques, culturels, géographiques ou liés à l’impérialisme politique, la plupart des indicateurs de la mondialisation des sports modernes sont peu convaincants parce que réducteurs pour qui adopte un regard global. Ainsi, l’imposition d’une culture sportive par les populations européennes dans le cadre des rapports coloniaux ne suffit pas à saisir les processus de circulation des pratiques sportives. Même si le sport peut être considéré comme un domaine privilégié de la rencontre coloniale [1], il n’en reste pas moins vrai que le morcellement des approches semble appauvrir le débat dans le champ de l’histoire impériale du sport. Le cloisonnement des analyses par activités sportives (football, rugby, etc.) ou par catégories « sociales » (militaires, jeunes, etc.) limite la mise en perspective des rapports entre dominants et dominés. C’est tout l’enjeu de cet ouvrage : mesurer, au-delà des sociabilités du monde colonial, les ajustements du sport liés aux interactions entre les peuples autochtones et les métropolitains. Dépassant la logique de « l’impérialisme culturel », la circulation des sports modernes stimule les appropriations interculturelles, écartant l’idée d’une simple acculturation des peuples colonisés [2]. La circulation des pratiques sportives, rythmée par la dialectique entre imposition et appropriation, dessine ainsi une géographie complexe et inattendue. À la relation convenue entre la métropole pensée comme centre et la colonie comme périphérie se substitue une mise en ordre complexe qui donne à voir une redistribution précoce de l’excellence sportive impériale, l’émergence d’un territoire colonial en voie d’autonomisation par rapport à la métropole et même une « circulation inversée » des pratiques [3].

Le sport et l’Empire : quelles constructions de l’Homme ?

Après cette phase dense de délimitation et d’éclaircissement de l’objet d’étude, l’organisation du livre en trois parties ouvre de nombreuses et riches perspectives. La première partie s’applique à analyser le rôle des pratiques sportives dans la construction des identités culturelles et sociales au sein du monde colonial. L’étude du football africain et du cricket indien montre comment le sport, instrument de domination coloniale, est récupéré par les indigènes. Il contribue alors à remettre en question la domination européenne et sert de vecteur à l’affirmation des identités nationales pour les colonies en quête d’indépendance. Un des points d’observation privilégié de l’appropriation des pratiques sportives est la question du genre et plus particulièrement l’édification d’une masculinité alternative. En redéfinissant de nouvelles normes et de nouvelles techniques corporelles, les indigènes n’ont pas seulement tenté de contester le modèle d’excellence sportive occidental, ils ont également modifié le processus de domination culturelle en réinterprétant les codes sociaux de la pratique sportive [4]. Ce travail de transformation des attitudes et des gestes techniques, en édifiant une masculinité différente de celle qui est véhiculée par les colons, a permis l’intégration du sport dans le processus d’affirmation nationale.

La deuxième partie de l’ouvrage est centrée sur l’étude de l’espace des sports dans une perspective impériale. La pratique sportive participe en effet à la construction d’un territoire colonial. Ainsi, les raids automobiles et les tours cyclistes algériens sont l’expression d’un espace francisé, utile à la stabilité et à la permanence de la présence française au Maghreb. Ils contribuent non seulement à marquer le territoire colonial du sceau de la modernité technologique française mais ils permettent également de mobiliser et renforcer l’idéologie impériale en métropole. La fonction de balisage de l’espace colonial est également très présente dans la chasse, étroitement associée dans la Grande-Bretagne du XIXe siècle aux pratiques sportives, qui offre aux Britanniques, dans le contexte colonial, le moyen de s’approprier symboliquement certains privilèges des pouvoirs autochtones. Si la pratique de la chasse contribue en effet au détournement des ressources économiques des sociétés locales, elle représente aussi un vecteur d’appropriation du territoire indigène. La multiplication des safaris, la création de réserves et la codification de la pratique dans le sens d’une « sportivisation » conduisent à une marginalisation progressive des autochtones au profit des seuls Européens.

L’héritage des modèles sportifs coloniaux en métropole

La dernière partie de l’ouvrage envisage la question de l’héritage laissé par un siècle d’histoire coloniale. L’implantation des sports modernes dans le monde contemporain semble résulter de l’expansion des Empires formels britanniques, français et espagnols mais aussi du développement, notamment à partir de la Deuxième Guerre mondiale, d’Empires informels comme celui des États-Unis. De nombreux territoires ont été soumis à cette double influence impériale à l’image de l’Amérique latine qui s’affirme avec le succès du football comme un des espaces les plus réceptifs à la pratique britannique et par le basket-ball comme une zone d’influence états-unienne. Pour ce qui est de l’Empire français, Laurent Dubois, professeur d’histoire à Duke University, se livre à une analyse post-coloniale de la composition de l’équipe de France de football. Son identité n’est-elle pas en partie le résultat d’une relation particulière entre la France et ses colonies dont Marius Trésor ou Zinedine Zidane sont les produits ? La libération des corps et la construction de la dignité antillaise après la fin de l’esclavagisme, conjuguées à l’intégration et à la reconnaissance du cadre républicain, permettent à la France de l’entre-deux-guerres d’être pionnière dans l’incorporation des joueurs issus des colonies en équipe de France. Pourtant, le football, vecteur de rassemblement autour d’une culture républicaine, est dans le même temps une source d’inspiration pour les mouvements nationalistes et indépendantistes comme en témoigne l’équipe emblématique du FLN, un des premiers symboles de la nation algérienne. La médiatisation du football, notamment à l’occasion des succès répétés de l’équipe nationale au tournant du XXIe siècle, met en scène la difficile intégration du passé colonial et la délicate interprétation de l’intégration des ressortissants des anciennes colonies françaises.

Au total, au travers de ces diverses contributions, se dessine le projet inédit d’une histoire transnationale des pratiques sportives que les directeurs de l’ouvrage appellent de leurs voeux et qui, seule, permet d’appréhender la complexité des processus de « mondialisation culturelle ».

par Yohan Blondel, le 10 février 2011

Pour citer cet article :

Yohan Blondel, « Sport en colonies », La Vie des idées , 10 février 2011. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Sport-en-colonies

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Notes

[1Driss Abassi, « Le sport dans l’empire français : un instrument de domination coloniale ? », Outre-Mer, Revue d’Histoire, 2e semestre, n°183, 2009, p. 5-13.

[2Voir à ce sujet Nicolas Bancel, « L’AOF entre sport indigène et sport colonial », in Nicolas Bancel et Jean-Marc Gayman, Du guerrier à l’athlète. Éléments d’histoire des pratiques corporelles, Paris, Presses Universitaires de France, 2002, p. 329-351.

[3C’est le cas par exemple du polo qui se développe d’abord Outre-Mer avant d’être popularisé en métropole et diffusé massivement par les Britanniques dans une grande partie du monde.

[4Patrick F. McDevitt précise à juste titre que le cricket est plus qu’un simple sport pour les Britanniques. Il est l’expression des codes moraux portés par les Britanniques auprès des civilisations de l’Empire.

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