Avant le scandale de l’automne 2007, peu de Français connaissaient l’Union des industries métallurgiques et des métiers de la métallurgie. En effet, seuls le CNPF, puis le MEDEF semblaient représenter le patronat lors des conflits ou des négociations. En fait, l’histoire de l’organisation montre l’importance de la métallurgie, non seulement dans le patronat français, mais aussi dans la constitution et la transformation du modèle social français. Se pencher sur la formation et le fonctionnement de celle qui s’appelait, jusqu’en 2001, l’Union des industries métallurgiques et minières permet d’éclairer et de comprendre la crise actuelle [1].
Pourquoi l’Union des industries métallurgiques et minières ?
Les industriels de la métallurgie ont constitué des organisations au cours du XIXe siècle. La plus importante d’entre elles, le Comité des Forges de France, est née en 1864 pour appuyer le point de vue des maîtres de forges auprès du gouvernement, notamment sur les tarifs douaniers. Son influence politique fut loin d’être négligeable, du fait notamment des liens de ses dirigeants avec le pouvoir. Mais, paralysé par des divergences d’intérêts et par les combats d’arrière-garde de certains dirigeants, aggravés par l’inertie de son président Robert de Wendel (1898-1903), son rôle est demeuré mineur jusqu’au début du XXe siècle. L’arrivée au pouvoir du gouvernement Waldeck-Rousseau en 1899 et l’attribution du ministère du Commerce et de l’Industrie au socialiste Alexandre Millerand, l’expansion du syndicalisme ouvrier, la multiplication des grèves poussent le patronat à parfaire son organisation. Face à la menace de l’institution de Conseils du travail, il faut une mobilisation d’envergure. L’impulsion vient de la Chambre syndicale des constructeurs de matériel de chemin de fer et tramways, fondée par Edmond Duval (1824-1904) en mai 1899. Ce dernier, épaulé par son très actif secrétaire général, Robert Pinot, invite le vice-président du Comité des Forges, les dirigeants du Comité des Houillères, ainsi que ceux de six autres chambres syndicales à se rassembler dans une organisation plus apte à cerner les problèmes et à mener le combat. Ce Comité d’union devient dès décembre 1900 une association permanente dotée d’un budget, dont la cheville ouvrière est Robert Pinot. Légalement constituée au début du mois de mars 1901, l’Union des industries métallurgiques et minières rassemble les Chambres syndicales professionnelles de la métallurgie [2] et les Chambres régionales [3]. La progression des adhésions se poursuit inégalement durant la première moitié du XXe siècle, avec une croissance plus forte au moment des guerres et des périodes de conflits du travail.
La Première Guerre provoque une réorganisation de l’UIMM, avec entre autres une redéfinition de ses objectifs [4] et l’intensification des relations avec la province qui passe par la création de nouveaux groupes régionaux. Il faut à la fois renforcer l’Union et contrer les initiatives de la Confédération générale de la production française (CGPF), née en juillet 1919, et qui, avec la création de ses groupements par spécialités, risque de concurrencer l’organisation des métallurgistes sur le terrain social, alors que c’était jusqu’alors le rôle des fédérations professionnelles.
L’organisation interne de l’Union est une question débattue dès l’origine à l’instigation de Robert Pinot. Son passage au Musée social [5] et à la Chambre syndicale des fabricants de matériel de chemin de fer a révélé ses talents d’organisateur. Pinot a transféré ce modèle à la Chambre syndicale, puis à l’UIMM.
Des commissions, créées ponctuellement pour assurer l’examen des questions à l’ordre du jour, proposent des solutions au conseil de direction, par exemple la commission d’études des problèmes de main-d’œuvre posés par la guerre. Lors de la réorganisation de 1919, deux départements sont constitués. Le département des questions ouvrières doit fournir des informations et établir des relations plus fréquentes avec les industriels. Pinot s’occupe personnellement de celui des questions fiscales. Il continue d’assumer la direction des services administratifs, désormais en tant que secrétaire général, nouveau poste qui doit en assurer la cohésion. Ces services s’étoffent au fur et à mesure. Les permanents sont recrutés, pour la plupart, parmi des juristes de haut niveau.
Onze organismes liés à l’UIMM sont mis sur pied. Ils fonctionnent jusqu’en 1940 comme mutuelles, associations selon la loi de 1901 ou sociétés anonymes. À leur création et souvent pour longtemps, la quasi-totalité de leurs sièges se situe dans l’immeuble de l’UIMM au 7, rue de Madrid. Les présidents et les administrateurs de ces sociétés se recrutent parmi les principaux animateurs de l’UIMM.
La création des caisses d’assurance contre le chômage forcé en 1907
Les premiers organismes sont liés à la protection des industriels, victimes des grèves et des premières mesures législatives sur les accidents de travail et les retraites. Ils prennent la forme de caisses d’assurances. Parmi elles, on relève l’existence de caisses d’assurance contre le chômage forcé, autrement dit la grève. Les dirigeants patronaux estiment, en effet, que les relations professionnelles ont évolué d’une manière très défavorable depuis le début du XXe siècle, du fait de la montée en puissance de la CGT. Le nombre d’établissements industriels touchés par les grèves a effectivement beaucoup augmenté. L’ensemble d’une corporation est désormais affecté par ces mouvements, comme c’est le cas lors de la lutte pour la journée de huit heures. La Chambre syndicale des mécaniciens, chaudronniers et fondeurs de Paris, qui doit alors faire face à des contestations à ce sujet, a alors l’idée de fonder une permanence pour prodiguer des conseils à tous ses adhérents et inviter les industriels de la région parisienne victimes du mouvement à la rejoindre. Afin de résoudre la crise sur le plan national, une trentaine de syndicats de la métallurgie se rencontrent le 16 mai 1906. S’inspirant des exemples anglais, allemand et américain tout en les adaptant « à la législation de notre pays et au tempérament de notre race » [6], ils décident de mettre sur pied des caisses d’assurance contre le chômage forcé. Une commission de juristes, présidée par le président de l’UIMM Florent Guillain, en rédige les statuts. Six caisses d’assurance mutuelle voient ainsi le jour en 1907, deux autres apparaissent par la suite.
Indépendantes des Chambres syndicales, elles doivent couvrir les établissements adhérents des pertes subies du fait de la cessation du travail, « notamment de tout ou partie des frais généraux qui ont continué à courir pendant le temps de la grève », les grèves étant assimilées à des risques généraux, comme l’incendie. Elles ont pour fonction d’ « apporter à l’industriel victime d’une grève une réparation matérielle et un appui moral », mais aussi de l’empêcher « de consentir des concessions dangereuses ou injustifiées » [7]. Outre l’indemnisation des frais généraux [8], les industriels peuvent être soutenus en cas d’actions judiciaires intentées par leurs salariés lors des conflits. Les diverses sociétés ont la possibilité de s’assurer « contre les risques d’insuffisance de ressources » [9] à une Caisse centrale métallurgique [10] dont l’objectif est la solidarité entre les caisses. Un comité central composé de six personnes, renouvelables par tiers chaque année, choisies « en raison de leur haute honorabilité, de la situation qu’elles ont occupée dans l’industrie et de leur éloignement actuel des affaires », est désigné par le bureau du comité de l’Union. Il est chargé d’étudier des mesures préventives pour éviter toute cause de conflit et de rechercher « si la grève a été volontairement provoquée par le patron dans le but de profiter de l’assurance » [11]. L’amélioration de l’organisation du travail, des règlements d’ateliers et le bon fonctionnement des institutions ouvrières de prévoyance font partie de ses tâches.
Dans le domaine des accidents du travail et des retraites, les Caisses d’assurances, créées par le Comité des Forges en 1891 et en 1894, s’étendent à tous les adhérents de l’UIMM. Ces caisses doivent s’adapter à la législation. À partir de la Première Guerre mondiale, le nombre de ces organismes se multiplie : l’Association métallurgique et minière contre la tuberculose, la Caisse foncière de crédit, le Comité central des allocations familiales, le Comité pour la formation professionnelle des jeunes chômeurs, etc. Cette prolifération témoigne de la multiplicité des actions suscitées la plupart du temps par une adaptation à la législation et par le dynamisme de l’union patronale entre les deux guerres. Le développement des œuvres sociales est toujours un des axes essentiels de la politique patronale et s’inscrit dans la continuité du paternalisme qui s’exerce désormais collectivement. Cela permet à la fois d’attirer des adhérents en les faisant bénéficier de services communs, synonymes d’allègement des coûts, d’assurer une meilleure défense des chefs d’entreprise et enfin de contrer les syndicats ouvriers qui, de plus en plus, concurrencent les syndicats patronaux sur le terrain social. Cela s’inscrit également dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre qui conduit le patronat à faire des efforts pour le recrutement, la formation et la conservation du personnel. Les PME sont les principales bénéficiaires des organismes proposant des œuvres sociales car, seules, elles n’ont pas les moyens financiers de les proposer à leurs salariés.
Stratégies et pratiques de l’UIMM
Afin de contrer les interventions des pouvoirs publics et de lutter contre les syndicats ouvriers, Robert Pinot, en s’appuyant sur la maîtrise des réseaux de sociabilité, d’une part dote l’UIMM d’une organisation interne fonctionnelle, d’autre part élabore une stratégie d’alliance avec les autres syndicats patronaux. Les relations sont facilitées par l’appartenance aux mêmes types de réseaux, ce qui bien sûr peut engendrer des connivences ou de la coopération, mais aussi de l’indifférence ou des rivalités. Les luttes entre groupes occupent une partie de l’activité des organisations et sont un facteur d’affaiblissement. L’UIMM, si elle ressent la nécessité de grouper les organisations patronales pour discuter des problèmes ouvriers et sociaux, se montre réticente face au projet d’une grande fédération interprofessionnelle, car l’initiative appartient à Étienne Clémentel, ministre du Commerce de 1915 à 1919. Même si celui-ci dit vouloir s’appuyer sur les organisations patronales les plus puissantes, l’Union craint une subordination du patronat aux pouvoirs publics. La CGPF étant cependant créée en 1919, l’UIMM veille à la contrôler. Si elle n’en fait pas directement partie, n’entrant dans aucun de ses groupes professionnels, elle l’accueille à ses débuts dans ses bureaux et met ses services à sa disposition. Tous les présidents de l’organisation interprofessionnelle ont été nommés avec l’aval de l’Union [12]. L’activité de l’UIMM semble avoir porté ses fruits : grouper autour de la métallurgie l’ensemble du patronat avec l’objectif de subordonner son point de vue au sien.
Le contrôle de la presse
Parallèlement, la presse n’est jamais négligée, que ce soit la presse patronale ou la presse d’opinion. Le but est certes d’informer, mais surtout de façonner une image et de combattre les adversaires. Les informations doivent s’appuyer sur un appareil de démonstration rigoureux, qui leur donne une apparence scientifique. Plusieurs revues, financées plus ou moins directement par l’Union, jouent ce rôle (L’Usine, La Journée industrielle, Le Bulletin quotidien, L’Observation économique, etc.). Les rapports avec la presse d’information prennent des aspects divers : revues de presse des services de l’UIMM, envois de communiqués reprenant des motions votées à un congrès ou des décisions prises par les organismes dirigeants, tenues de conférences de presse, octrois d’interviews, envois d’articles, montage de campagne de presse ou, au contraire, mutisme sur une question pour ne pas éveiller l’opinion sur tel ou tel problème, financement, etc. Les moyens financiers investis dans la presse sont toujours très difficiles à évaluer, car généralement ils ne figurent pas dans les budgets. Le patronat préfère la création de sociétés spécifiques dont l’objet, la publicité, peuvent masquer le financement de journaux et éventuellement celui d’organisations politiques. Même en contrôlant une partie de la presse d’opinion, le patronat éprouve des difficultés à rectifier une image défavorable. Si se défendre est indispensable, l’ouverture de controverses avec l’adversaire est jugée incompatible avec le statut d’un groupe respectable. L’UIMM se contente le plus souvent de contre-attaques ponctuelles, ce qui ne réduit pas vraiment la méfiance d’une partie de l’opinion. Néanmoins, si l’influence du patronat sur la presse ne parvient pas changer véritablement son image dans l’opinion publique, elle contribue à peser sur les autres acteurs économiques.
L’action auprès des pouvoirs publics
Le travail législatif s’intensifie sous la IIIe République et mérite une attention de tous les instants pour les dirigeants de l’UIMM. Pinot considère que l’efficacité dépend de la constance des rapports : être informé immédiatement pour pouvoir discuter, faire valoir son point de vue, proposer des projets, convaincre, se résigner éventuellement à quelques concessions permettant de sauvegarder l’essentiel.
La première étape est de connaître tous les projets de loi relatifs aux questions sociales et fiscales, qui sont ensuite soumis à une étude très précise, complété le plus souvent par des enquêtes auprès des adhérents. Une action est entreprise auprès des commissions parlementaires pour tenter d’infléchir les travaux dans un sens conforme à l’intérêt des métallurgistes. La conquête d’un accès effectif aux centres décisionnels constitue la préoccupation centrale des dirigeants. Cela signifie avoir des relais politiques, donc utiliser les réseaux de ses adhérents : contacts personnels, démarches individuelles ou collectives répétées, invitations et participation à diverses manifestations. Des subventions sont également octroyées à des individus ou à des organismes de défense patronale comme l’Union des intérêts économiques d’Ernest Billiet. Cela dit, les liaisons entre le monde politique et le monde des affaires se révèlent très complexes. L’indépendance du personnel politique fixe certaines limites. Des députés que l’UIMM a pu contribuer à faire élire ne tiennent pas toujours leurs engagements, d’abord parce qu’ils bénéficient d’autres appuis. Si la présence ponctuelle ou constante dans les institutions paraît indispensable, c’est moins lié à une volonté de manipulation que de présence, d’écoute, d’information, de rapports avec des hommes venant de mondes différents. Peu d’industriels occupent des mandats politiques de haut niveau, car ceux-ci prennent du temps.
Jouer les institutions les unes contre les autres, par exemple le Sénat où les métallurgistes ont plus d’appuis contre la Chambre des députés, fait également partie des stratégies.
Si la loi est votée, influer sur les règlements d’administration publique s’impose : il faut alors intervenir auprès de l’administration. Le recours administratif peut être tenté en dernier lieu, par exemple en demandant une annulation des décrets auprès du Conseil d’État. Cela nécessite la personnalité juridique et des collaborateurs compétents. La prédominance des interventions auprès du pouvoir central, du fait de la centralisation, n’exclut pas la mise en œuvre de pressions au niveau de la vie locale, municipale ou départementale.
L’UIMM et le mouvement ouvrier
L’organisation croissante du monde ouvrier inquiète l’UIMM. Elle emploie, pour la contrer, les techniques observées face aux pouvoirs publics : bien connaître l’adversaire, montrer sa force, intimider, dissocier les chefs de la masse, démontrer les contradictions, les erreurs du passé, louer les objectifs patronaux. La connaissance de l’organisation ouvrière constitue à la fois le préalable à l’organisation de la lutte et un modèle.
Tout au long de la première moitié du XXe siècle sont réunis des dossiers sur le fonctionnement, l’évolution de l’organisation et des effectifs des organisations ouvrières, essentiellement la CGTU, la CGT, le parti communiste et les cellules d’entreprise, jugés les plus dangereux, afin de déterminer les progrès réalisés et le degré d’influence sur les salariés. Les informations proviennent majoritairement de la presse (presse nationale, régionale et locale, publications soviétiques, feuilles de cellules pour les journaux communistes), mais aussi d’enquêtes régulières auprès des entreprises via les Chambres syndicales.
Soutenir des organisations ouvrières non communistes, notamment chrétiennes, ou les éléments réformistes de la CGT réunifiée, constitue un autre volet de la politique patronale entre les deux guerres. Ces tentatives de collaboration avec les syndicats chrétiens se révèlent décevantes et se soldent parfois par des échecs.
S’appuyer sur les cadres et les techniciens apparaît comme un élément stratégique supplémentaire dans la lutte contre les syndicats ouvriers. Selon leur habitude, les dirigeants de l’Union étudient l’évolution de ces catégories dont les effectifs croissent entre les deux guerres avec la progression de la rationalisation du travail.
Les conflits forment la préoccupation majeure des industriels. Apaiser le mécontentement des salariés passe la plupart du temps par des discussions sur les salaires et exige une bonne concertation patronale. Le dialogue entre les partenaires sociaux revêt un caractère d’opportunité. Il est parfois voulu, mais plus souvent subi, même s’il s’accentue à partir de la Première Guerre mondiale. La médiation des autorités publiques est diversement appréciée. L’arrivée du Front populaire et les conflits de 1936 contraignent le patronat à envisager différemment les rapports avec les salariés, la métallurgie étant très impliquée dans des négociations, non seulement à l’échelle de la profession, mais aussi à l’échelle nationale. De 1938 à la guerre, les rapports demeurent difficiles entre patrons et ouvriers, malgré les procédures de conciliation et d’arbitrage.
Dans la prévention et la conduite des conflits, la stratégie de l’Union passe également par le respect des décisions prises par l’ensemble des adhérents. Ainsi, union patronale et bonne connaissance du mouvement ouvrier, y compris sur le plan local, permettent la mise en oeuvre de divers moyens d’action, allant de la protection contre « le chômage forcé » à l’affrontement, en passant par la conciliation ou l’élaboration et l’application d’un programme social pour s’opposer à celui des organisations ouvrières.
L’UIMM en 1945
La Seconde Guerre mondiale modifie les rapports de force. Les organisations de la métallurgie, nerf de la guerre, occupent une place centrale. Essentielles pendant la préparation de la guerre, puis durant la « drôle de guerre » et la bataille de mai-juin 1940, elles échappent à la dissolution décidée par le gouvernement de Vichy qui frappent le CFF, celui des Houillères et la CGPF. Mais la réorganisation économique et sociale voulue par le nouveau régime ne peut se faire sans les dirigeants de la profession. Dans les faits, l’obligation de gérer la pénurie et de satisfaire les besoins de l’occupant réduit leur liberté d’action et leurs velléités de réorganisation de la production. La Révolution nationale apporte aux industriels une approche des relations professionnelles qui leur convient, la lutte des classes laissant la place officiellement à la collaboration dans les entreprises. Toutefois, même si la Charte a entraîné une augmentation des adhésions dans les différents syndicats de l’Union, l’interventionnisme de l’État conduit ceux-ci à freiner la mise en place des nouvelles institutions. De plus, une partie de leurs adhérents, notamment les patrons des petites et moyennes entreprises, se sentent écrasés par les tutelles multiples et mis à l’écart des prises de décision.
Les PME s’affirment à la Libération au sein d’organisations patronales de la métallurgie qui retrouvent leur place traditionnelle, après une courte période d’effacement. L’UIMM assure de nouveau la représentation des intérêts patronaux et joue un rôle actif dans la recomposition du mouvement patronal. C’est un métallurgiste, Georges Villiers, qui assume la présidence du nouveau Conseil national du patronat français. Il est assisté de deux autres métallurgistes, Pierre Ricard qui préside la commission économique et Marcel Meunier, président de l’UIMM depuis juin 1945, qui dirige la commission sociale, aidé de François Ceyrac, délégué par l’Union. La métallurgie, autant dire l’UIMM, retrouve son rôle privilégié dans les instances confédérales : « L’histoire de l’Union depuis 1945 se confond avec celle du CNPF », lit-on dans la brochure du cinquantenaire [13]. Les services de l’Union sont toujours à la disposition de la nouvelle Confédération.
Est-ce pour autant « la France restaurée » [14] ? Certes les projets de cogestion qui circulaient au sein du ministère du Travail n’ont pas abouti. Mais la combinaison entre une économie en croissance forte et durable, le retour de l’inflation, le nouveau régime de protection sociale et l’entrée de la sidérurgie dans un espace concurrentiel européen est de toute évidence inédite. L’UIMM renforcée est désormais embarquée dans une trajectoire nouvelle.
Sa vision traditionaliste des rapports professionnels, sa résistance aux réformes sociales au nom de la défense de la liberté du travail et de la capacité d’initiative des entreprises dans le domaine social, déjà remises en cause durant l’entre-deux-guerres, ne sont pas vraiment à l’ordre du jour à la Libération. Les conditions de travail, la prise en charge de la santé, de la vieillesse continuent d’échapper au patronat. L’UIMM a depuis longtemps perçu les multiples visages de l’État : concurrent, oppresseur (notamment fiscal), producteur d’informations, mais aussi client et agent utile pour faire respecter l’ordre, aider à la formation professionnelle et servir les intérêts extérieurs au territoire national. Comme toujours, le pragmatisme prévaut, que ce soit dans les négociations paritaires ou lorsque la législation est imposée. Il s’agit de participer au nouveau modèle de négociation sociale mis en place en 1945. Cette politique a fort bien réussi, l’UIMM est devenue incontournable.
L’étude du passé donne donc quelques clefs pour comprendre la crise actuelle. L’évolution socio-économique a conduit à une perte de puissance de l’industrie au profit des services. L’UIMM, qui, dans un premier temps, avait été hostile à la mise en place du paritarisme, préfère conserver ce type de rapports, qui implique l’existence de partenaires pour négocier. Or un certain nombre de patrons souhaitent, déjà depuis une quinzaine d’années, se libérer du système paritaire qu’ils jugent archaïque, car il maintient en vie des syndicats en perte de vitesse. Ils préconisent le transfert de la protection collective aux mutuelles et assurances privées, d’où la querelle des mandats entre les « anciens », tenants du paritarisme, et les ultra-libéraux que certains appellent les « modernes » ! L’UIMM semble devenue gardienne d’un système qu’elle avait naguère combattu.