Le problème
Depuis la loi El Khomri en 2016 et les ordonnances « Travail » de 2017, qui ont radicalement modifié les règles de la représentation syndicale et de la négociation collective, les accords d’entreprise constituent le fondement des règles légales du travail, les accords de branche ne s’appliquant qu’en cas d’absence d’accords d’entreprise, sauf exception. Lorsque ces derniers existent, ils peuvent être moins favorables que l’accord de branche, voire que le Code du travail lui-même. C’est le cas, par exemple, pour le taux de majoration des heures supplémentaires, fixé à 25%, mais pouvant être réduit à 10% sous condition d’accord. La négociation collective d’entreprise est ainsi devenue, en une trentaine d‘années, une des manières de faciliter l’adaptation des organisations du travail et des rémunérations aux stratégies de compétitivité des entreprises, faisant reculer la logique de protection qui a présidé à la naissance et au développement du droit du travail (Pélisse, 2019).
Là où ils sont présents, les syndicats restent certes souvent en mesure de négocier des compromis, préservant une partie des acquis des salariés. Leur pouvoir de négociation est cependant très inégal, en particulier dans les secteurs faisant appel à une main-d’œuvre peu qualifiée et plus facilement interchangeable (Giraud, Signoretto, 2023). Plus généralement, sous la menace du chantage à l’emploi ou aux investissements, les incitations constantes à la négociation d’entreprise par les gouvernements ont largement accompagné les politiques d’intensification et de flexibilisation des temps de travail, et d’indexation des rémunérations aux objectifs de performance financière de l’entreprise (prime, intéressement, etc.) (Giraud et Pélisse, 2024). Quant aux négociations censées renforcer les droits des salariés (égalité professionnelle, conditions de travail, emploi…), elles sont souvent formelles, sans forcément de suivi quant à leur mise en œuvre et ne compensent guère le recul des droits des salariés. Là où les syndicats sont absents, les salariés sont d’autant plus exposés au risque que le recours aux référendums ou aux dispositifs aménagés de la négociation collective sert à déroger aux conventions collectives et aboutissent à dégrader leur condition salariale (Berthier et al., 2022). Et si les conventions de branche restent un cadre de référence pour de nombreuses entreprises, elles ont aussi perdu de leur pouvoir de régulation de la relation salariale (Delahaie et al., 2023). Dans la récente période d’inflation, les minima conventionnels ont par exemple été alignés sur les hausses du SMIC, mais souvent sans que soit renégocié l’ensemble de la grille salariale, contribuant ainsi au tassement des salaires dans les secteurs à faibles rémunérations (Tallard et al., 2024).
La proposition
Restaurer la primauté des accords de branche, en conditionnant les politiques d’aide aux entreprises à la conclusion d’accords, et en sanctionnant la non-application des accords. Cela permettra de renforcer le rôle de la négociation collective comme levier de protection des droits des salariés, et d’amélioration de leurs conditions de travail et de rémunération.
Comment ça marche
Il s’agirait pour cela de refonder les règles de la négociation collective à partir de trois principes. Le premier est de restaurer la primauté des accords de branche sur les accords d’entreprise, pour réinscrire la négociation d’entreprise dans une logique d’amélioration et non de marchandage des droits des salariés. Il s’agit de ne rendre possible des dérogations par accord d’entreprise que si elles améliorent les droits des salariés, en application du principe de faveur qu’avait dégagé la jurisprudence, afin d’éviter les logiques de dumping social. Le second est de renforcer le caractère protecteur pour les salariés des règles conventionnelles. Dans le domaine des rémunérations, pour éviter l’alignement par le bas des salaires, il s’agirait par exemple de conditionner les politiques d’aides aux entreprises et d’exonérations de cotisations sociales à la conclusion d’accords qui concernent les grilles salariales dans leur ensemble. Le troisième principe consiste à renforcer l’effectivité des accords d’entreprise, en établissant des mécanismes de sanction financière, par l’inspection du travail, en cas de non-application des accords.
Comment mettre en œuvre
Organisation d’une conférence sociale pour que les organisations syndicales et patronales s’entendent sur les modalités de mise en œuvre de ces trois principes ; proposition de loi aménageant le Code du travail pour les édicter et prévoir des décrets reprenant les propositions.
Sur quels travaux de recherche la proposition est-elle fondée ?
– B., Signoretto C. (dir.), Un compromis salarial en crise. Que reste-t-il à négocier dans les entreprises ? Éditions du Croquant, 2023.
– Giraud B. et Pélisse J. (dir.), Le dialogue social sous contrôle, Coll. La vie des idées, PUF, 2024.
Pélisse J., « Une grève froide inversée ? Éléments sur les mutations des relations professionnelles dans l’entreprise française (1968-2018) », Négociations, n°31, 2019, p. 61-81.
– Delahaie, N., Fretel, A. et Petit, H., Le rôle de la branche dans la définition des conditions d’emploi et des salaires. Dans Palier B. (dir.), Que sait‐on du travail ? Presses de Sciences Po, p. 290 -305, 2023.
Pour citer cet article :
Baptiste Giraud & Jérôme Pélisse, « Rétablir et créer des mécanismes de négociation protecteurs pour les salariés. Proposition 10 »,
La Vie des idées
, 20 décembre 2024.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr/Retablir-et-creer-des-mecanismes-de-negociation-protecteurs-pour-les-salaries
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