Le problème
L’impact de la maternité sur les inégalités de genre reste majeur. Après la naissance de leur premier enfant, les mères gagnent en moyenne 38 % de moins au cours des dix années suivantes, tandis que la carrière des pères n’est pas perturbée. Cette pénalité tient à des mécanismes qui prennent corps dans les univers professionnel et familial et jouent en synergie.
Ainsi, la naissance accentue le déséquilibre des rôles entre les conjoint·es, les mères assurant et assumant la plus grande partie des tâches domestiques et familiales. Ce faisant, contrairement aux pères, elles ajustent leur activité professionnelle aux contraintes de la vie familiale : recours au temps partiel, (ré)orientation vers des emplois plus favorables à l’articulation avec la sphère privée, renoncements professionnels, retrait du marché du travail… De plus, elles peuvent faire l’objet de comportements discriminatoires de la part des employeurs sous-tendus par des stéréotypes et normes de genre toujours en vigueur sur le rôle des mères et des pères. De sorte que la grossesse et la maternité sont perçues comme des risques au sein de l’entreprise qui pèsent toujours sur les femmes. Les différences entre les congés maternité et paternité contribuent à entretenir le cercle vicieux des inégalités professionnelles.
La proposition
Substituer aux actuels congés maternité et paternité inégaux un congé parentalité égalitaire c’est-à-dire de même durée pour chacun des deux parents et avec le même caractère obligatoire. Cela pour contraindre les pères à endosser, au même titre que les mères, leur rôle parental et ses implications dès la naissance en vue de contribuer à impulser un cercle vertueux.
Comment ça marche
Actuellement, les femmes bénéficient d’un congé maternité de 16 semaines dont 8 sont obligatoires (parmi lesquelles 6 sont postnatales) sous peine de sanctions pour l’employeur que ce soit lui ou la salariée qui ne respecterait pas cette période d’interdiction absolue de travailler. Les hommes quant à eux ont, depuis 2021, droit à 28 jours de congés dont seulement 7 jours sont obligatoires à la naissance.
Les mères comme les pères reçoivent par la Sécurité sociale une indemnité journalière à hauteur de 100% de leur salaire moyen des trois derniers mois, plafonnée à 101,94€ par jour au 1e janvier 2025. Selon les accords d’entreprises et les conventions collectives, les employeurs peuvent la compléter pour assurer une indemnisation à 100 %.
Parce que la différence des temps de congés à la naissance de l’enfant crée une inégalité entre femmes et hommes qui se pérennise, un congé parentalité égalitaire permettrait un rééquilibrage des responsabilités parentales. Il passerait par une plus grande implication des pères dans les soins aux enfants dès la naissance et une moindre assignation des femmes aux tâches ménagères et parentales. Afin que les pères s’occupent seuls de l’enfant et fassent pleinement l’apprentissage de leur rôle, une partie de leurs congés devrait être désynchronisée avec celui des mères.
Cette égalité de traitement entre chaque parent contribuerait à réduire les stéréotypes de genre de sorte que les soupçons liés à la parentalité pesant sur les femmes pèseraient désormais également sur les hommes. Cela éliminerait ainsi une des causes de discrimination à l’encontre des femmes. In fine, un congé parentalité égalitaire bénéficierait aux enfants, aux familles et à la société dans son ensemble.
Sur quels travaux de recherche la proposition est-elle fondée ?
On ne compte plus les travaux qui ont mis en évidence l’effet pénalisant de la maternité sur les trajectoires professionnelles des femmes. Ceux de Claudia Goldin (1990), prix Nobel d’économie en 2023 pour ses recherches sur la compréhension de l’évolution de la place des femmes sur le marché du travail, montrent le décrochage salarial après la naissance du premier enfant. Un ensemble de travaux explore les facteurs d’inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes et pointent le rôle essentiel de l’arrivée des enfants (di Paola et al, 2022) et ce, dès le début de la vie active (di Paola et Epiphane, 2023), quand d’autres mesurent la pénalité salariale des mères (Auriol et al., 2024).
Sur un autre registre, des recherches mettent en évidence d’une part la difficile articulation entre vie professionnelle et vie personnelle pour les mères (Esteban, 2024) et d’autre part, la persistance des rôles sociaux genrés.
Enfin, un pan de recherche porte sur les effets des congés maternité et/ou paternité dans des pays où les configurations diffèrent. Des comparaisons de pays européens mettent en évidence que les congés paternité contribuent à une répartition plus équitable des tâches parentales (Kleven et al., 2019). En France, Legendre et al. (2016) établissent que les pères ayant eu recours au congé paternité sont davantage impliqués dans les tâches familiales que les autres. Enfin, à partir d’un bilan du rôle des enfants sur les inégalités professionnelles, Périvier (2017) propose différents scenarii de congés paternité, dont celui d’une durée obligatoire alignée sur celle du congé maternité obligatoire post-natal de 6 semaines, et en évalue les coûts.
Comment mettre en œuvre la proposition ?
Pays précurseur, la Suède est le premier pays à avoir substitué les congés maternité et paternité au profit d’un congé parental de 480 jours, dont 90 sont réservés à chaque parent de manière non transférable et perdus s’ils ne sont pas utilisés (le reste des jours peut être librement réparti entre les deux parents). À ce jour, seule l’Espagne a aligné le congé paternité au congé maternité, à la fois dans sa durée globale (16 semaines) et sa partie obligatoire (6 semaines) sous peine de sanction à l’encontre de l’employeur.
La mise en œuvre de cette proposition de congés maternité et paternité égalitaires suppose de modifier le Code du travail, de la Sécurité sociale et le code général de la fonction publique.
Cette proposition fait écho à la proposition de loi n° 2317, déposée le 12 mars 2024, à ce jour renvoyée à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale pour examen. Elle va à l’encontre d’une des recommandations de la Cour des comptes (décembre 2024) qui, pour libérer des places d’accueil de la petite enfance, est d’allonger d’un mois le congé maternité et non pas celui de l’un ou l’autre des parents.
Si le coût de la proposition peut être perçu comme un frein, il est à mettre en balance avec le coût global des inégalités entre femmes et hommes pour la société.
Pour citer cet article :
Vanessa di Paola & Stéphanie Moullet, « Rendre égalitaires les congés maternité et paternité. Proposition 17 »,
La Vie des idées
, 25 mars 2025.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr/Rendre-egalitaires-les-conges-maternite-et-paternite
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