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Recension Économie

Pour une euro-fédération

À propos de : Michel Aglietta, Zone euro. Éclatement ou fédération, Michalon


par André Cartapanis , le 18 mai 2012


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La zone euro est soumise, depuis l’automne 2009, aux turbulences de la crise de l’endettement souverain de la Grèce, du Portugal, de l’Espagne. Selon Michel Aglietta, cette crise révèle que les Européens sont allés trop loin, en créant une monnaie unique au sein d’un espace économique trop hétérogène - ou pas assez loin sur la voie du fédéralisme monétaire.

Recensé : Michel Aglietta, Zone euro. Éclatement ou fédération, Paris, Michalon, janvier 2012, 188 p., 15 €.

Comme il l’avait fait dans un précédent ouvrage consacré à la crise financière internationale (La crise. Les voies de sortie, Paris, Editions Michalon, 2010), Michel Aglietta analyse de façon didactique la crise de la zone euro en posant une série de questions qui constituent la trame d’autant de chapitres. Pourquoi la zone euro est-elle devenue un maillon faible parmi les économies industrielles ? Quelles étaient les failles cachées de l’Union monétaire ? Comment expliquer la contagion de la crise grecque vers les autres pays européens ? Pourquoi les gouvernements ont-ils laissé s’accentuer la crise en adoptant des demi-mesures ? Quelles sont les voies radicales de résolution de la crise et, surtout, les conditions d’émergence d’un nouveau régime de croissance en Europe ? Ce faisant, l’auteur démontre que la crise de la zone euro est loin d’être terminée et qu’elle imposera un surcroît d’intégration politique.

Le scénario de la crise de la zone euro

La crise de l’endettement souverain grec démarre peu après les élections d’octobre 2009. Le nouveau ministre des Finances grec annonce une révision des chiffres du déficit budgétaire. Contre les 3,7% prévus en début d’année, il s’attend à un déficit de 12,5% du PIB. Cette donnée sera révisée à plusieurs reprises avant d’atteindre le niveau record de 15,5%. C’est le point de départ de la crise de l’endettement souverain en Europe. Deux ans plus tard, au cours de l’été 2011, malgré les innombrables Sommets de la dernière chance de l’Eurogroupe, la crise grecque a contaminé l’ensemble de la zone euro par le jeu d’une hausse des taux d’intérêt sur les titres d’État au Portugal, en Espagne, en Italie... Il en résulte, de la part des agences de notation, une dégradation généralisée de la zone euro à laquelle les banques européennes, fragilisées à nouveau par cette situation, n’ont pas échappé. Le climat des affaires s’est profondément détérioré, provoquant un ralentissement du crédit, une atonie de la consommation, un recul de l’investissement... La zone euro est entrée en récession, début 2012. L’accord européen du 21 février 2012 a combiné l’octroi de nouveaux prêts du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et l’effacement d’une part de la dette détenue par les créanciers privés de la Grèce, à hauteur de 237 milliards d’euros. Mais beaucoup s’interrogent sur la capacité de l’économie grecque à supporter les mesures d’austérité d’une extrême rigueur que ce nouveau plan impose.

La gestion laborieuse de la crise de l’endettement souverain en Europe

Dès les premières alertes sur l’endettement souverain grec, il est rapidement apparu que l’organisation institutionnelle de l’Union économique et monétaire européenne était inapte à répondre à une telle crise : absence de mécanisme d’urgence permettant d’apporter un soutien financier aux États ; interdiction faite à la Banque centrale européenne (BCE) de jouer le rôle d’un prêteur en dernier ressort auprès de ces mêmes États, contrairement à ce que l’on observe aux États-Unis ou au Royaume-Uni. La longue litanie des Sommets européens a révélé de profondes divergences quant aux politiques à mener. La BCE, tout en restant attachée au respect de son mandat officiel (pas de bail-out, et donc de renflouement des États) s’est opposée au principe d’un défaut souverain et à l’entrée en scène du FMI, par crainte du cataclysme, selon l’expression de Jean-Claude Trichet, que cela pouvait induire sur la crédibilité de l’ensemble des membres de la zone euro aux yeux des marchés financiers. Tout en se montrant favorable à un défaut partiel de la Grèce, de nature à sanctionner à la fois les comportements aventureux des détenteurs de créances publiques à risque et l’impéritie budgétaire des gouvernements grecs successifs, l’Allemagne a d’abord privilégié la solution des prêts bilatéraux et n’a accepté qu’avec retard, et à des taux d’intérêt prohibitifs, le principe d’une aide financière mutualisée de la part des pays européens, avant de concéder qu’il fallait intervenir pour des montants bien plus élevés et à des taux d’intérêt très faibles. D’où les retards dans la mise en place du FESF, puis du Mécanisme européen de stabilité (MES). La France et les autres pays membres de la zone euro n’ont eu de cesse d’apporter des contre-propositions (autorisation d’intervention directe de la BCE, création des euro-bonds, transformation du FESF en institution bancaire afin de le rendre éligible aux refinancements de la BCE...), sans succès. Ils se sont finalement conformés à la position allemande, incluant un défaut ordonné de la Grèce. Angela Merkel, non seulement a reporté indûment la mise en place du renflouement grec et du défaut partiel auprès des créanciers privés, mais elle a instrumentalisé cette crise pour engager des réformes radicales de la gouvernance de la zone euro. Lors du Sommet du 9 décembre 2011, elle a ainsi imposé la fameuse règle d’or, qui interdit quasiment tout recours au déficit budgétaire, désormais sur une base constitutionnelle. Or, c’est là une disposition, certes discutable, dont la ratification par les peuples européens n’est pas acquise, qui permettra peut-être d’éviter de nouvelles crises de la dette souveraine en Europe. Mais cela est inopérant pour régler la crise actuelle.

Des politiques de consolidation budgétaire prématurées et excessivement rigoureuses

Par peur d’une répétition du scénario à la grecque, sous la pression des marchés financiers et des agences de notation, mais surtout en sous-estimant les effets que cela pouvait induire sur la croissance, les pays européens ont engagé un énorme effort d’ajustement budgétaire en réduisant de façon drastique les déficits publics, à partir de 2010, et surtout en 2011. Or, contrairement à la thèse défendue par Angela Merkel, mettant en cause le manque de discipline des gouvernements européens, et en dehors du cas tout à fait spécifique de la Grèce, la forte hausse de l’endettement public n’était que la résultante de la crise financière internationale de 2008-2009 : coût des sauvetages et des recapitalisations bancaires ; effets des stabilisateurs automatiques en phase de récession, en 2009, avec la hausse des prestations sociales et la réduction des recettes fiscales ; soutien discrétionnaire de la demande pour éviter une récession plus grave. D’ailleurs, pour l’ensemble des pays industriels, la dette publique est passée de 73% à 97% du PIB entre 2007 et 2010 (de 62% à 92% aux États-Unis, de 188% à 220% au Japon, de 44% à 77% au Royaume-Uni). Comparativement, la hausse n’a été que de 65% à 80% en Allemagne, de 64% à 82% en France, de 104% à 119% en Italie. Rien ne justifiait donc un ajustement accéléré de l’endettement public dans la zone euro. Mais face à la crise grecque et à ses rebondissements, et devant les pressions allemandes ou celles des marchés financiers et des agences de notation, c’est pourtant ce qui va être fait. Les États-Unis, le Royaume Uni ou le Japon seront plus modérés dans la consolidation budgétaire et bénéficieront du financement monétaire des déficits publics par l’action délibérée de leurs banques centrales respectives.

L’Allemagne a joué un rôle clé dans cette stratégie d’impuissance des gouvernements européens, non seulement en refusant toute entorse aux statuts de la BCE, l’empêchant de jouer le rôle de prêteur en dernier ressort auprès des États-membres, mais également en imposant la généralisation rapide des politiques de consolidation budgétaire, qu’incarne parfaitement l’adoption de la règle d’or budgétaire au moment de l’accord du 9 décembre 2011. Son attitude moralisatrice vis-à-vis des États dispendieux ou des banques déraisonnables, sa prétention à imposer l’ordo-libéralisme (aucune intervention politique n’est légitime sans cadre juridique contraignant) à la zone euro, tout ceci a certainement pesé dans l’impuissance de la gouvernance européenne face à la crise grecque. Mais Michel Aglietta démontre dans son livre que cette crise vient de plus loin et qu’elle était inscrite dans les gènes de l’Union monétaire européenne issue du Traité de Maastricht.

Des failles dans la conception de l’Union monétaire européenne

La création de l’euro résulte d’un compromis politique qui explique le caractère incomplet de la monnaie européenne. L’Allemagne a accepté sa mise en place en imposant son conservatisme monétaire, qu’incarne la BCE, indépendante des États, strictement attachée à la stabilité des prix et, surtout, seule entité fédérale européenne d’une Europe qui ne l’est pas. Mais en même temps, l’euro est une monnaie incomplète, au sens où elle n’est pas adossée à un pouvoir politique qui lui donnerait sa pleine légitimité et lui affecterait des missions combinant stabilité monétaire et stabilité financière. La BCE a hérité d’une conception étroite de la monnaie, jugée neutre vis-à-vis de l’économie réelle et sans lien avec la situation financière des États. Elle doit se cantonner au seul objectif de ciblage de l’inflation afin d’ancrer les anticipations nominales des agents économiques, en supposant que cela garantit ipso facto la stabilité financière. Cela interdit tout policy mix organisé à l’échelle de la zone euro, surtout quand s’y ajoute un Pacte de stabilité et de croissance qui se réduit à une règle arbitraire de non-dépassement d’un seuil de 3% de déficit budgétaire vis-à-vis du PIB de chaque pays membre. En outre, on l’a dit plus haut, les statuts de la BCE lui interdisent tout financement direct des États membres, même en présence d’un risque de contagion lié à un accident local, comme dans le cas de la crise grecque, de nature à transformer ce type de choc en crise systémique mettant en danger les banques de la zone. Cela revient à occulter les enseignements de l’Histoire, en Grande-Bretagne, en Europe continentale, quant au lien organique entre les banques centrales et la dette publique, tant pour assurer la continuité des engagements publics qu’à cause de la place centrale qu’occupent les taux sur les actifs dits sans risque, en l’occurrence les titres d’État, et de leur rôle directeur dans la formation des taux longs, les plus importants pour le financement de l’investissement. En ce sens, Michel Aglietta a raison de souligner que l’Union monétaire européenne n’est viable que par temps calme. En présence d’une crise de l’endettement souverain, la banque centrale, par son pouvoir de création monétaire illimitée, est la seule à pouvoir garantir la soutenabilité et l’acceptabilité de la dette publique. C’est ce qui explique les rachats massifs de Bons du Trésor de la part de la Fed, la banque centrale américaine, ou de la Banque d’Angleterre depuis le déclenchement de la crise financière. En refusant d’assumer pleinement le rôle d’un prêteur en dernier ressort des États, non seulement la BCE a laissé les taux sur la dette souveraine atteindre des niveaux prohibitifs, provoquant également des distorsions dans la courbe des taux, mais elle a apporté la démonstration que l’euro, contrairement au dollar, à la livre sterling ou au yen, n’était pas une monnaie complète, l’un de ses attributs, la fonction de prêteur en dernier ressort des États, n’étant pas respecté.

Mais la crise a révélé une autre faille de la zone euro. Celle-ci avait vocation à renforcer la convergence nominale et réelle des pays membres, en parachevant l’intégration des marchés de biens et services et des marchés d’actifs financiers. Mais depuis 1999, date de création de la zone euro, des forces endogènes d’hétérogénéité se sont exprimées, sans que l’on dispose de mécanismes ou de politiques d’ajustement de nature à les juguler. Car après la création de l’euro, les structures productives se sont polarisées en réponse aux économies d’échelle ou d’agglomération rendues possible par le marché unique. La spécialisation croissante des économies européennes a débouché sur un clivage croissant entre les économiesdu Nord enregistrant une faible dérive des coûts salariaux unitaires, le maintien de positions fortes au sein de leur industrie manufacturière et des excédents récurrents de balances courantes (l’Allemagne, mais aussi l’Autriche, les Pays-Bas, la Belgique ou la Finlande), d’un côté, et les économiesdu Sud, en proie à une hausse tendancielle des coûts salariaux unitaires, à une place grandissante des activités tertiaires et à des déficits courants massifs (France, Italie, Espagne, Grèce, Portugal), d’un autre côté. La dégradation de l’endettement souverain des pays du Sud, après la crise des subprimes, est intervenue dans une configuration de déséquilibres structurels des balances des paiements à l’intérieur de la zone euro. Mais la crise de confiance engendrée par la crise de l’endettement souverain a engendré un tarissement des transferts d’épargne à l’échelle intra-européenne rendant insoutenable une telle configuration. Faute de pouvoir recourir à une dépréciation du change, faute de prêteur en dernier ressort à l’échelle de la zone, le seul mode d’ajustement imposé aux pays du Sud, au terme des innombrables Sommets de la dernière chance, est celui d’un ajustement nominal interne par baisse des salaires réels, et donc des coûts unitaires dans ces économies. Mais cette politique s’avère contre-productive pour tous, y compris l’Allemagne, dont plus de 40% des exportations sont dirigées vers la zone euro, et elle a débouché sur l’entrée en récession de la zone euro, début 2012. Ce biais déflationniste, s’il a été déclenché par la crise de l’endettement souverain, s’explique fondamentalement par le caractère incomplet de l’Union monétaire européenne.

Du coup, pour Michel Aglietta, la zone euro n’est pas viable en l’état. Elle ne peut l’être qu’au terme d’un approfondissement de la fédération européenne.

Quel scénario de sortie de crise pour la zone euro ?

Décidé après la parution de l’ouvrage de Michel Aglietta, le défaut ordonné de la Grèce va dans le bon sens en allégeant quelque peu le poids de l’endettement public à soutenir et l’ampleur de l’ajustement nominal imposé à ce pays. Mais la généralisation des politiques d’austérité hypothèque lourdement la croissance de l’ensemble de la zone euro et, donc, la capacité des pays du Sud de l’Europe à ajuster leurs finances publiques en situation de récession. Quant à l’accord européen du 9 décembre 2011 et à la règle d’or budgétaire, il y a là une caricature de fédéralisme budgétaire qui n’est pas à la hauteur des défis.

Pour Michel Aglietta, les problèmes de la zone euro ne sauraient être résolus sans approfondir l’Union monétaire et, donc, sans engagement résolu sur la voie d’un vrai fédéralisme, ce qui exige plusieurs types de réformes : faire de l’euro une monnaie complète en élargissant le statut de la BCE, afin qu’elle puisse se porter au secours d’un État en proie à une crise de l’endettement souverain, en lui affectant désormais, au-delà de la stabilité monétaire, un objectif de stabilité financière et de maîtrise ex ante des distorsions pouvant apparaître sur les marchés d’actifs ; mettre en œuvre une véritable gouvernance macroéconomique à l’échelle de la zone euro, combinant la politique monétaire et la politique macroprudentielle de la BCE, le processus d’élaboration des budgets nationaux, le respect d’un sentier d’ajustement à moyen terme des finances publiques, en laissant les investissements publics hors de cette règle, tout en créant un dialogue institutionnel entre la BCE, les Parlements nationaux et le Parlement européen ; mutualiser les dettes publiques en créant un marché des eurobonds et s’engager sur la voie du fédéralisme budgétaire ; accorder un pouvoir accru aux Autorités prudentielles européennes, au détriment des superviseurs nationaux, pour minimiser le risque d’une capture des régulateurs par les lobbys bancaires...

Vaste programme pourrait-on dire ! Mais tel est le grand mérite de l’ouvrage de Michel Aglietta que de montrer que la résorption du surendettement des économies de la zone euro et l’émergence d’un nouveau régime de croissance imposent une refondation de l’Union européenne. Seule une fédération de la zone euro est à même de répondre aux inefficiences et aux blocages issus d’une Union monétaire inachevée. Pour Jacques Delors, l’un des pères fondateurs de la monnaie européenne, l’Union monétaire était aussi un projet politique de nature à conduire à un approfondissement de l’intégration économique et politique en Europe. Aujourd’hui, les défis issus de la crise de l’endettement souverain font de ce projet politique un impératif économique.

par André Cartapanis, le 18 mai 2012

Pour citer cet article :

André Cartapanis, « Pour une euro-fédération », La Vie des idées , 18 mai 2012. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Pour-une-euro-federation

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