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Polémiques et controverses autour de la question raciale


par Juliette Galonnier & Jules Naudet , le 11 juin 2019


Pour offrir à ses lecteurs des clés pour comprendre les polémiques et controverses autour de la question raciale, La Vie des Idées a posé les six mêmes questions à cinq spécialistes en sciences humaines et sociales. Leurs réponses donnent à voir la grande diversité des approches universitaires.

En 2014, La Vie des Idées publiait un dossier intitulé « La race, parlons-en » invitant à discuter des usages de la notion de « race » en sciences sociales. Cinq ans plus tard, en 2019, force est de constater que l’on parle beaucoup de race, mais pas forcément dans les termes du débat scientifique. La question raciale connaît une actualité aiguë et conflictuelle : les controverses se multiplient et s’amplifient autour de l’opportunité de supprimer le mot « race » de la Constitution française, autour d’une fresque jugée raciste à l’Assemblée nationale, autour de la condamnation de l’État français pour contrôle au faciès, autour de réunions non-mixtes organisées par certains syndicats, autour de pièces de théâtre ou d’expositions accusées de reproduire des stéréotypes racistes, autour du fichage ethnique et racial dans des clubs de foot, autour d’une supposée offensive « décoloniale » et « intersectionnelle » sur les bancs de l’université et d’une nouvelle « obsession de la race, du sexe, du genre et de l’identité », etc.

L’animosité des débats qui saturent la sphère médiatique est à la mesure des quiproquos et des malentendus qui entourent les termes de « race » et « racisme », dont les définitions varient en fonction des contextes et des points de vue. Leur porosité sémantique, que vient renforcer leur caractère sulfureux, explique en partie la tournure polémique qu’ont prise plusieurs des débats récents, au cours desquels les protagonistes s’accusent mutuellement d’être « racistes ». Mais la violence des controverses tient surtout aux questionnements profondément politiques que suscite l’examen de la question raciale en France : elle réactive la mémoire du passé colonial, esclavagiste et vichyste, et pose la question de ses ramifications contemporaines. Elle interroge la construction et la perpétuation des inégalités sociales, selon des modalités qui ne seraient pas uniquement celles du genre ou de la classe. Elle pose la question de la responsabilité (individuelle, collective, institutionnelle) et des moyens (juridiques, politiques, linguistiques, intellectuels, redistributifs) à mettre en œuvre pour remédier aux inégalités criantes qui persistent (dans l’accès au logement, à l’emploi, à l’éducation, etc. comme le montrent de nombreuses études). Elle porte enfin sur la définition légitime des individus et des groupes, et sur la reconnaissance ou non des différences pour faire avancer la cause de l’égalité. Les réponses apportées à ces questions dessinent des clivages marqués au sein de l’antiracisme français et du débat citoyen au sens large.

Cependant, la polarisation des débats médiatiques en des termes souvent binaires ne rend pas justice à la complexité des discussions scientifiques et à l’éventail des positions des chercheurs et chercheuses qui traitent de ces sujets. En témoigne ces dernières années la multiplication des séminaires et des colloques consacrés au racisme et à la question raciale ou la parution de nombreux ouvrages et de numéros spéciaux de revue sur la question. Les questionnements qui se dégagent de ces travaux et de ces controverses sont particulièrement riches. Qu’entend-on exactement lorsqu’on parle de « race » et comment faire pour que l’emploi de catégories raciales dans les recherches en sciences sociales ne conduise pas à une réification des phénomènes qu’elles observent ? Quel est le statut de la race par rapport à d’autres catégories du monde social comme le genre ou la classe ? Le racisme est-il le seul fait d’individus malveillants ou est-il inscrit dans les structures de notre société ? La « blanchité » est-elle un concept opératoire dans le contexte français ? L’idéologie républicaine affecte-t-elle notre façon de concevoir ces questions ? La recherche sur la race et le racisme peut-elle et doit-elle se faire indépendamment de considérations politiques et militantes ?

Pour apporter à ses lecteurs et ses lectrices quelques clés de compréhension de ces enjeux, la Vie des Idées a fait appel à cinq chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales qui ont accepté de se prêter au jeu difficile de l’entretien. Une philosophe, une sociologue, un anthropologue, une juriste et une politiste ayant chacun abordé les questions de race et de racisme dans leurs travaux ont ainsi répondu tour à tour aux six mêmes questions. La diversité de leurs réponses révèle qu’il n’y pas une ni même deux, mais bien de multiples façons d’aborder la question raciale en France, en fonction des disciplines, des méthodes et des positionnements.

Les chercheurs et chercheuses qui ont participé au présent dossier ne représentent qu’une fraction du champ académique consacré à ces questions et cette contribution ne saurait prétendre refléter l’extrême diversité des travaux menés dans l’université française.

La série d’entretiens rassemblés ici entend cependant donner à voir une partie de la richesse et de la complexité de ces débats, en espérant qu’elle incitera nos lecteurs et lectrices à s’y pencher de plus près.

1/ Race et intersectionnalité (11 juin)

2/ Racisme structurel et privilège blanc (14 juin)

3/ L’idéologie républicaine et les limites de la neutralité scientifique (18 juin)


Les participants au dossier

Magali BESSONE est professeure de philosophie politique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre de l’ISJPS (Institut des Sciences Juridique et Philosophique de la Sorbonne, UMR 8103) et membre associée au CIRESC (CNRS). Ses recherches, menées notamment dans le cadre de sa participation à deux projets ANR (Global Race, coordonnée par Patrick Simon, et REPAIRS, coordonnée par Myriam Cottias), portent sur les théories contemporaines de la justice et de la démocratie et les théories critiques des races et du racisme. Elle a traduit et édité WEB Du Bois, Les Âmes du peuple noir (La Découverte, 2007) ; elle est l’auteure de Sans distinction de race ? (Vrin, 2013) et a co-édité avec Gideon Calder et Federico Zuolo How Groups Matter ? Challenges of Toleration in Pluralistic Societies (Routledge, 2014) et avec Daniel Sabbagh, Race, racisme, discriminations : une anthologie de textes fondamentaux (Hermann, 2015). Elle a également dirigé l’ouvrage collectif Méthodes en philosophie politique (PUR, 2018). Un livre intitulé Faire justice de l’irréparable. Esclavage colonial et responsabilités contemporaines est à paraître chez Vrin.

Rachida BRAHIM est docteure en sociologie et chercheure associée au Laboratoire Méditerranéen de Sociologie (AMU, CNRS, LAMES, UMR 7305). En 2017, elle a soutenu une thèse sur le racisme structurel à partir d’une enquête sociohistorique sur la dénonciation et le traitement pénal des crimes racistes commis contre des migrants et des descendants de migrants maghrébins entre les années 70 et fin 90. Elle est l’auteur de différents articles sur le sujet, parmi lesquels : « What about a sociology of ethnicity in France ? A foucaldian reading of racial violence » (The American Sociologist, 48(3), juin 2017) ; « “Nous exécrons le racisme” : contrôle migratoire et traitement des crimes racistes dans la France des années 70 » (Cultures & Conflits, 107, novembre 2017) ; « L’antiracisme politique de Mai 68, Marseille 1968-1983 », dans Marseille, années 68, sous la direction d’Olivier Fillieule et Isabelle Sommier (Presses de Sciences Po, 2018). Elle poursuit ses travaux sur les épistémologies subalternes en interrogeant la manière dont une écriture de l’histoire par le bas peut permettre de transfigurer les traumatismes provoqués par la colonialité du pouvoir.

Gwénaële CALVES est professeure de droit public à l’Université de Cergy-Pontoise. Spécialiste du droit français, européen et états-unien de la non-discrimination, elle co-anime avec Daniel Sabbagh le groupe de recherche pluridisciplinaire « Politiques anti-discriminatoires » (CERI, Sciences-Po Paris). Derniers livres publiés : Envoyer les racistes en prison ? Le procès des insulteurs de Christiane Taubira (LGDJ, 2015), La discrimination positive (Puf, coll. Que sais-je ?, 4e éd., 2016) et Territoires disputés de la laïcité (Puf, 2018).

Ary GORDIEN, chargé de recherche en anthropologie au CNRS (LARCA UMR 8225), vient d’achever un contrat postdoctoral à l’Université Vincennes Saint-Denis au sein du Cercle d’Études sur le Racisme et l’Antisémitisme de l’Institut d’Histoire du Temps Présent. Membre du CIRESC (CNRS), il enseigne également à l’université Paris Descartes et à lEP de Paris. Il mène en ce moment une recherche sur les associations antiracistes de la Seine-Saint Denis. Ses principaux terrains d’étude sont la Caraïbe française et anglophone. Dans le cadre d’un précédent contrat postdoctoral au sein du projet ANR Repairs (Compensations, indemnités et réparations au titre de l’esclavage, XIX-XXIe siècle), il a réalisé une étude sur la commission jamaïcaine pour les réparations. Il a soutenu sa thèse intitulée Nationalisme, race et ethnicité en Guadeloupe. Constructions identitaires ambivalentes en situation de dépendance à l’Université Paris Descartes en 2015. Ses autres thématiques de recherche concernent le genre et les minorités sexuelles, ainsi que l’anthropologie de la danse.

Nonna MAYER est directrice de recherche émérite au CNRS rattachée au Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences Po. Ses recherches portent sur les attitudes et comportements politiques, le racisme et l’antisémitisme et les votes pour les droites radicales. Elle est membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) depuis 2015 et coordonne le rapport sur son sondage annuel sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Parmi ses publications récentes, on peut mentionner « Mesurer le racisme ? » in M.Wieviorka (dir.), Antiracistes. Connaître le racisme et l’antisémitisme pour mieux les combattre (Paris Robert Laffont, 2017) ; « Évolution et structure des préjugés : le regard des chercheurs » », in CNCDH, La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. 2018 (Paris, La Documentation française, 2019, p. 73-159, avec G. Michelat, V. Tiberj et T. Vitale).

Les articles du dossier

par Juliette Galonnier & Jules Naudet, le 11 juin 2019

Pour citer cet article :

Juliette Galonnier & Jules Naudet, « Polémiques et controverses autour de la question raciale », La Vie des idées , 11 juin 2019. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Polemiques-et-controverses-autour-de-la-question-raciale

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