La séance du 27 novembre 2007 était consacrée à la présentation par la philosophe britannique Anne Phillips (London School of Economics) du chapitre 4 de son dernier ouvrage, Multiculturalism without Culture (Princeton, Princeton University Press, 2007 ; http://press.princeton.edu/...).
Dans ce chapitre, qui a pour titre « Autonomy, Coercion, and Constraint », l’auteure s’interroge quant à la tendance, commune aux partisans et aux adversaires des politiques d’accommodement d’orientation multiculturaliste, à se représenter les individus membres des minorités considérées comme étant dépourvus de l’autonomie reconnue aux membres du groupe majoritaire. De telles politiques peuvent-elles être défendues sans que les arguments formulés en leur faveur ne reposent sur ce postulat quelque peu embarrassant, qui érige la « culture » des minorités – et d’elles seules – en contrainte insurmontable déterminant intégralement les choix des intéressés ? L’auteure répond par l’affirmative et entreprend de jeter les bases d’un multiculturalisme délivré de ses présupposés actuels quant au caractère homogène et uniformément obligeant des cultures minoritaires. Ce faisant, elle participe d’une évolution récente et bienvenue de la théorie politique anglo-saxonne consacrée à ces questions, qui aujourd’hui en vient, d’une part, à déconstruire et à critiquer l’équivalence fréquemment établie entre « race » et culture » – dans le contexte états-unien en particulier [1] –, d’autre part, à nuancer l’opposition entre les valeurs de l’égalité des sexes et du respect des différences culturelles initialement soulignée par Susan Moller Okin [2].
À l’instar de Sarah Song dans un autre ouvrage récent et novateur [3], Anne Phillips entend en effet montrer que l’on peut articuler ces valeurs sans les subordonner entièrement l’une à l’autre. Elle préconise également l’extension à la culture du paradigme de la discrimination indirecte aujourd’hui en vigueur concernant les variables que constituent le sexe et la « race », ainsi que l’uniformisation de son mode d’application. Plus précisément, pour que l’existence d’une telle discrimination soit établie, point ne devrait être besoin de montrer que la règle ou procédure ainsi qualifiées rendent matériellement impossible l’accès des membres d’une minorité au bien considéré ; il suffirait qu’elles le rendent plus difficile, c’est-à-dire moins statistiquement probable. Ainsi pourrait-on éviter de paraître tenir pour absolument contraignantes les prescriptions attachées à l’appartenance ethnique ou religieuse, au détriment de la reconnaissance du libre-arbitre des individus concernés. Car le problème réside, entre autres, nous dit l’auteure, dans le fait que le plus souvent seuls les membres des minorités ethniques ou raciales sont décrits comme ayant une « culture » qui ferait obstacle à leur autonomie. Il y a là la matrice de discriminations composites qu’il importe d’identifier en tant que telles.
Introduite par John Crowley (UNESCO), la discussion a porté notamment sur la tendance des théories du multiculturalisme – y compris les plus sophistiquées et les mieux argumentées, comme celle d’Anne Phillips – à éviter d’aborder de front la question des conditions de la formation et de la préservation des communautés proprement politiques.
Pour citer cet article :
Daniel Sabbagh, « Multiculturalism without Culture. Compte rendu de la séance du 27 novembre 2007 »,
La Vie des idées
, 14 février 2008.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr/Multiculturalism-without-Culture
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