Richesse et source d’énergie, le pétrole peut aussi être une malédiction. Dans le golfe de Guinée, l’abondance des gisements n’a pas conduit au développement, mais à la mise en place d’États faillis. Regard sur les effets sociaux et politiques des activités d’extraction.
Recensé : Ricardo Soares de Oliveira, Oil and Politics in the Gulf of Guinea, Londres, Hurst, 2007.
Article publié en partenariat avec la revue Politique africaine.
La dimension politique des activités d’extraction des ressources naturelles suscite un intérêt grandissant, aussi bien parmi les chercheurs en sciences sociales que parmi les organisations de développement. Ce livre est le résultat de cet intérêt et il a, entre autres mérites, celui d’aborder la relation entre le secteur minier et la politique à partir d’un espace précis et d’une ressource concrète, et de le faire d’un point de vue régional et comparé.
Le Golfe de Guinée, producteur de pétrole depuis les années 1960 grâce au Nigeria, est devenu ces dernières décennies une source stratégique d’énergies fossiles, au fur et à mesure qu’ont été découverts des gisements dans d’autres pays de la région, et que des conflits dans d’autres régions productrices ont poussé les grands consommateurs à diversifier leurs approvisionnements. L’apparition de nouveaux consommateurs comme la Chine et l’Inde a renforcé la concurrence pour le brut africain. Pas plus que les autres États producteurs, les États africains ne sont immunisés contre la présence de brut et contre les activités des entreprises extractives. Oliveira montre comment le Golfe de Guinée s’est constitué historiquement, non seulement comme un ensemble d’États postcoloniaux mais aussi d’États pétroliers, et comment ceci explique bien des dynamiques politiques qui marquent la région.
Le livre emmène le lecteur d’un pays à l’autre, et d’un acteur à l’autre, offrant un panorama polyédrique : de l’État en tant qu’institution aux élites gouvernantes et aux compagnies pétrolières, en passant, bien qu’avec moins d’attention, par les gouvernements des pays consommateurs et les agences et organisations internationales. La focalisation sur les acteurs, locaux ou étrangers, et sur leurs stratégies vise à aller au-delà des analyses simplistes qui voient les situations politiques des pays producteurs comme des conséquences d’un ordre international caractérisé par la dépendance des aires périphériques par rapport aux pays développés, mais aussi des visions en vogue dans les organisations internationales qui expliquent la pauvreté et les conflits caractérisant souvent les zones productrices par l’absence de gouvernabilité, laquelle empêcherait la conversion de la richesse pétrolière en développement.
Oliveira s’inscrit plutôt dans le cadre de la vaste littérature sur les États rentiers et la « malédiction des ressources », sensible au rôle constitutif de l’extraction minière dans l’articulation du pouvoir d’État. Sa focalisation sur les aspects particuliers et l’histoire concrète du Golfe de Guinée lui permet d’aller au-delà du caractère excessivement général dont souffrent parfois les analyses de ces concepts. En même temps, il cherche à allier la théorie « universaliste » de l’État rentier à la lecture de l’État postcolonial proposée par les études africaines. Le livre est aussi une réflexion sur les relations internationales, sur les liens, complexes et spécifiques, qui relient lieux riches et lieux pauvres, et sur le rôle constitutif de certains acteurs dans cette relation.
Pétrole et construction des « États faillis »
De ce point de vue, Oliveira montre comment les relations entre entreprises pétrolières privées et États du Golfe de Guinée ont contribué à la construction des « États faillis », incapables d’administrer tout leur territoire et de fournir des services à une population plongée dans la pauvreté et l’insécurité. Mais il montre aussi que ces relations ont permis la survie de l’État lui-même, et la prospérité de ceux qui l’occupent, en grande partie grâce au besoin que l’industrie pétrolière a de la convention internationale de la « souveraineté ». Dans cette conjoncture, les perdants sont nombreux, mais le gain de quelques-uns est si substantiel que la situation devient maîtrisable, même au milieu de l’insécurité, de la misère et du conflit. L’ancienne guerre en Angola, l’actuelle situation dans le delta du Niger ou au Tchad, ou la pauvreté et la violation systématique de droits de l’homme dans des pays comme la Guinée équatoriale ou le Gabon, se produisent alors que l’élite locale ou transnationale accumule des pouvoirs et des richesses considérables.
Ce livre nous parle principalement des « gagnants » de cette situation, sans guère considérer les dynamiques sociales et les stratégies variées suscitées par le pétrole parmi les populations. Apparaissent aussi au second plan des acteurs qui mériteraient peut-être plus d’attention, comme les institutions financières internationales et les gouvernements des pays d’origine des entreprises pétrolières, notamment celui de la Chine, sommairement traité vers la fin du livre. L’auteur ne s’intéresse pas non plus aux mouvements locaux et transnationaux, violents ou pacifiques, qui dénoncent l’extraction des minéraux et des hydrocarbures, et qui font aussi partie de la configuration du pouvoir dans la région.
Ce livre tente d’esquisser un équilibre, pas toujours satisfaisant, entre le général et le particulier, l’explicatif et le compréhensif, où souvent le premier l’emporte. Sans cesser de montrer les particularités de chacun des cas, de par sa profonde connaissance du terrain, l’auteur dévoile davantage les dynamiques politiques communes qu’il n’éclaire les différences entre des lieux aussi divers que le delta du Niger, Kribi – au bout de l’oléoduc Tchad-Cameroun –, ou Malabo – capitale de la Guinée équatoriale. De même, sa sensibilité historique est plus nette dans certains chapitres que dans d’autres. On peut en outre se demander si l’ouvrage n’exagère pas la spécificité de l’État pétrolier dans le Golfe de Guinée, se privant ainsi de la possibilité d’intéressants parallèles avec d’autres formes d’extraversion du pouvoir dans les zones postcoloniales.
Le livre démontre aussi la difficulté de maintenir une perspective régionale quand les États continuent d’être la principale unité d’analyse, laquelle passe d’un pays à l’autre, faisant peu référence aux processus transfrontaliers et aux influences entre les différents pays. L’importance qu’acquiert l’État en tant que sujet juridique dans le contexte de l’exploitation pétrolière rend peut-être difficile le dépassement d’une forme d’« étatisme méthodologique ». En somme, Oliveira place au centre de son traitement de l’histoire du Golfe de Guinée la question de la production pétrolière, et le fait à partir d’une grande variété de références théoriques, avec lesquelles il débat tout au long du livre. Pour ce qui concerne le matériau empirique, l’auteur réussit à surmonter honorablement les difficultés d’accès aux sources primaires dans un secteur secret, voire dangereux, comme celui des relations entre entreprises et gouvernements. Il s’agit donc d’un livre de référence pour qui souhaite réfléchir aux implications politiques de l’extraction des ressources naturelles et de ses connexions transnationales dans les lieux de production.
Alicia Campos Serrano, « La politique du pétrole »,
La Vie des idées
, 21 octobre 2009.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr/La-politique-du-petrole-dans-le
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