Il y avait « Mickey à travers les âges », voici la police à travers l’histoire et le monde, dans une bande dessinée informée et suggestive. Il y a tant de manières de maintenir l’ordre.
Il y avait « Mickey à travers les âges », voici la police à travers l’histoire et le monde, dans une bande dessinée informée et suggestive. Il y a tant de manières de maintenir l’ordre.
Global police est un livre « ovni ». Il n’existe ni de livre de facture universitaire, ni d’autre bande dessinée qui se donne une ambition aussi large, et/ou qui voudrait rendre accessible par le biais de la mise en image la question de « la » police. L’ouvrage n’est pas une bande dessinée classique avec une intrigue, et un personnage que l’on suit dans une trajectoire ou une histoire (quitte, comme dans le film « Les visiteurs », à trouver des trous spatiaux temporels pour se déplacer). C’est plutôt une succession de plans fixes avec des commentaires off si l’on veut, et des décalages des angles de vue sur la réalité mise en image. Il n’y a pas d’ordre chronologique, en dehors du fait que le point de départ est ancien, et celui d’arrivée est demain, dans l’ordonnancement des pages. Car il ne s’agit pas d’une histoire de la police, mais de traiter de « la question policière dans le monde et l’histoire », comme l’indique le sous-titre.
C’est pourquoi il est difficile, ce qui n’en diminue pas l’intérêt, d’en rendre compte. À quelle aune donc devrait-on lire cet ovni ? Il ne me semble pas qu’il y ait de solution aisée à ce dilemme. Peut-être faut-il adopter un double standard de discussion ? Celui de la mise à disposition d’une façon agréable d’un savoir accumulé par les sciences sociales depuis maintenant plus de sept décennies, d’une part. Et celui des choix interprétatifs et illustratifs faits par les auteurs parmi tous ceux qui auraient été possibles, d’autre part.
Concernant la diffusion des connaissances par la BD, il me semble que le pari est réussi. Les auteurs nous transportent d’une époque à l’autre, du XVIIIe au XXIe siècle, et sur plusieurs continents. Chacun apprendra quelque chose sur la police. Leur idée est de faire comprendre qu’il existe différents mécanismes pour maintenir l’ordre social, et qu’ils sont plus ou moins diffus dans la société, ou plus ou moins étatisés.
Dans ce but, Jobard et Calvez nous baladent aussi dans l’espace, d’un continent à l’autre. Dans les sociétés européennes, jusqu’à une période finalement pas si éloignée que cela, il n’y avait pas de police en uniforme répondant à des règles administratives de fonctionnement. Le mouvement de codification s’affirme dans la ville avec les polices parisienne, londonienne et avec celle de Berkeley. Leur approche, efficace pédagogiquement, consiste à se fixer à chaque fois sur des personnages emblématiques de leur époque : le préfet Lépine à Paris en 1896 et son approche plus équilibrée du contrôle de la rue, le commissaire Vollmer premier chef de la police de Berkeley en 1909 (avec une erreur typographique qui le situe en 1809) qui « militarise » la chaine de commandement, ou Sir Robert Peel, membre du parti Tory, Home office Minister à partir de 1822, et grand architecte qui unifie et rationalise la police de Londres à partir de 1829. Ces personnages créent les bases de la police occidentale actuelle : uniforme, règles, moto ou voiture, téléphone qui les relie à la centrale.
Mais, à l’étape antérieure, on trouve des rondes urbaines de notables d’abord, élargies ensuite à d’autres habitants nous rappelle-t-on, la « Ronde de nuit » de Rembrandt (1642) à l’appui. Et, on retrouve dans de nombreux pays Africains le rôle des élites locales progressivement mais pas totalement effacé en Europe, et surtout les auteurs nous suggèrent qu’il existe une modernité dans la tradition. Ainsi, la présence des « corner boys » qui sécurisent les rues de Niamey au Niger : ce sont des jeunes garçons payés par les commerçants qui travaillent en bonne intelligence avec la police en uniforme, bien consciente de ses limites. « Quelle différence avec un partenariat public-privé ? », interrogent en creux les auteurs. C’est bien vu.
La genèse des polices européenne rappelle qu’il existe des « modèles » contrastés. Les auteurs disent comment Sir Robert Peel voulait une police pour les Anglais qui ne soit pas une armée, et pas faite d’espions comme la française. Ainsi, ils auraient un uniforme pour les distinguer des citoyens ordinaires, et pas d’arme à feu à la ceinture (lorsque Peel codifie cette police sans arme, il est courant en Europe d’ouvrir le feu sur la foule hostile, c’est dire si ce qui apparaît aujourd’hui comme une tradition doit à l’audace et l’affranchissement des règles en vigueur à l’époque). Une caractéristique qui perdure aujourd’hui.
Les Américains ont diffusé cette police de proximité influencée par les britanniques dans les Koban japonais (des petits postes de proximité avec trois agents, non armés) après 1945. Et l’approche d’outre-manche a aussi influencé la police allemande à partir des années 1960, se détournant ainsi de son héritage autoritaire nazi et des personnels qui avaient servi le régime et étaient restés en place. Mais sans se défaire de ses armes de service.
Le lien avec l’autorité politique est abordé autour de la stimulante comparaison de la France et de l’Allemagne dans la guerre et l’après-guerre. En France, la police est étatisée par Pétain en 1941, largement épurée à la libération (la question de la sanction pour avoir obéi aux ordres est pointée au passage), mais n’hésite pas à faire des coups de pression (voire de force certaines années) contre les institutions en 1958, en 2001, en 2016 et en 2021 lorsque des milliers de policiers se regroupent devant l’entrée de l’Assemblée Nationale tandis qu’ils attaquent frontalement le pouvoir judiciaire en criant « Le problème de la police c’est la justice » (et aussi en 2023 ; les auteurs ne prenant pas en compte les déclarations du DGPN contre la justice et les principes fondamentaux du droit, probablement en raison de la fabrication de l’ouvrage).
En Allemagne, la police est peu épurée, et guerre froide oblige la police fédérale (BKA) est même mise sur pied par d’anciens nazis, avant de se transformer. Et ne se confronte pas aux institutions. La Chine, et son « œil céleste » fait de 400 millions de caméras, avec son « crédit social » fournit aux auteurs une autre illustration du lien entre ordre politique et police, sous le prisme de la technologie. New York et le compstat, la gestion managériale des objectifs policiers (la « politique du chiffre ») constitue une autre variante des liens entre police et politique qui nous est rappelée. Bref, la BD est composée comme une sorte de puis d’information, et en plongeant dedans on s’expose aux milles reflets de la diversité des polices du monde.
S’agissant des angles interprétatifs, si l’on regarde maintenant la BD comme s’il s’agissait d’un essai de sociologie de la police, ce qu’elle n’est pas tout en ayant adopté un scénario qui mime ledit exercice, on peut discuter certains points. Pourquoi avoir fait débuter la police en occident ? Car, sans définition – et de manière très pédagogique le livre aborde cette difficulté de l’impossible définition en conclusion – il paraît délicat de l’affirmer. Si la police est une forme de mise en ordre des rapports sociaux, la traçabilité de ses origines est aussi ancienne que la civilisation. Et d’ailleurs, p. 165, les auteurs font remonter la police à la surveillance communautaire de la dynastie Quin il y a 2000 ans.
C’est d’ailleurs cette lecture qui justifie toutes les pages sur l’Afrique, continent où la police est peu présente en dehors des villes, et rarement doté de capacités comparables aux administrations que nous connaissons. Si la police est une organisation rationalisée en uniforme, on peut alors mieux justifier ce choix, mais au risque de ne pas comprendre qu’il y avait une police avant la police – ce à quoi les auteurs sont à juste titre attachés. La police est surtout présentée ici dans son volet de sécurité publique, la police du quotidien, des rues. Les autres fonctions que sont la gestion des foules ou encore l’enquête criminelle, sont finalement peu présentes. Elles ne sont pas absentes pour autant (avec les pages sur Bertillon et l’identité judiciaire), ou le massacre de Manchester en 1819, dont on trouve les équivalents en France durant le même siècle.
La BD fait réfléchir, le lecteur ne s’ennuie jamais en raison des jeux de miroirs et de contrastes dans les contextes d’action et les formes de police, et parfois voudrait en savoir plus. N’est-ce pas le but ?
par , le 27 décembre 2023
Sebastian Roché, « La police à travers les âges », La Vie des idées , 27 décembre 2023. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/La-police-a-travers-les-ages
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