Recherche

Recension Société

L’égalité au risque de la différence sexuelle


par Léa Sgier , le 27 août 2008


Réjane Sénac-Slawinski appréhende la parité comme un objet qui interroge l’ordre politique et sociétal dans son ensemble – qui, autrement dit, scrute de manière aiguë la question du pouvoir.

Recensé : Sénac-Slawinski, Réjane (2008). La parité. Paris : Puf, coll. QSJ, 103 p.

L’adoption de la Loi sur la parité du 6 juin 2000 par le Parlement français a fait couler beaucoup d’encre et a valu à la France la réputation internationale d’être une pionnière en matière de promotion de l’égalité entres les femmes et les hommes en politique. Cette loi a introduit le principe de la représentation équilibrée (paritaire) entre femmes et hommes au niveau des candidatures pour les principales élections en France, parmi lesquelles les élections législatives. En application depuis 2001, elle a eu des effets contrastés.

Dans son ouvrage « La parité », Réjane Sénac-Slawinski revient sur cette fameuse loi – son histoire, les circonstances de son adoption, ses effets – tout en la situant par rapport au contexte international. L’ouvrage est divisé en deux parties : La première est dédiée à la « Géopolitique de la revendication paritaire » et situe cette loi par rapport à l’évolution de la question de l’égalité sur les plans inter et transnational. L’auteure expose d’abord (chap. I) de manière synthétique et bien documentée les nombreuses initiatives prises par l’ONU en faveur de la promotion de l’égalité des sexes dès les années 1950, de même que celles du Conseil de l’Europe qui s’est engagé activement dans la promotion de l’égalité dès 1979, et enfin les actions de la Communauté (puis Union) européenne qui lui a emboîté le pas dès le début des années 1990. Elle propose ensuite (chap. II) un « Panorama des stratégies mises en place dans le monde pour compenser la sous-représentation des femmes en politique ». Celui-ci présente les politiques de quotas qui, entre le début des années 1990 et aujourd’hui, se sont rapidement et largement répandus à travers le monde [1] et qui constituent actuellement le moyen le plus efficace pour une stratégie de « fast track » (voie rapide) [2] vers l’égalité des sexes en politique. Le chapitre présente tour à tour les trois types de quotas les plus importants : les quotas légaux (généralement des quotas de candidates) ; les sièges réservés ; et les quotas partisans, adoptés par les partis politiques sur une base volontaire. Chacun de ces trois types de quotas est illustré par plusieurs cas exemplaires bien choisis. Ainsi, on obtient un panorama instructif des modalités d’application des quotas dans des contextes aussi divers que la Belgique, l’Argentine, le Mexique, l’Inde, le Pakistan, les pays scandinaves, l’Allemagne, la Russie ou le Royaume Uni. Par rapport aux informations données dans l’ouvrage, la situation au Portugal et l’Espagne a évolué : les deux pays ont entretemps adopté des  [3] sur la diffusion internationale des quotas, des travaux d’un intérêt certain pour qui voudrait approfondir sa connaissance de l’univers des quotas.

La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à la Loi sur la parité en France. Elle traite d’abord (chap. I) de son histoire, à commencer par les premiers quotas partisans introduits par le Parti Socialiste dans les années 1970, puis l’adoption, par le parlement, d’une loi de quotas pour les élections municipales en 1982. Cette loi a ensuite été déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel sur la base du principe d’indivisibilité du corps électoral, et c’est sur fond de cette importante décision qu’a émergé une dizaine d’années plus tard la revendication « paritaire », visant un égal accès des femmes au pouvoir politique. Celle-ci était fondée sur une logique qui se voulait différente des quotas dans le sens où elle était ancrée non pas dans une idée de promotion d’un groupe ou d’une catégorie de personnes discriminées – typique des quotas – mais dans une vision plus universaliste [4]. En effet, dans la logique de la parité, il s’agissait « d’élargir » l’universalisme républicain de manière à « sexuer » le principe d’égalité abstraite entre les citoyens qui en est le fondement. Ce chapitre revient sur la mobilisation – associative, partisane, médiatique – autour du principe de parité et présente les principales controverses qu’il a générées au delà du clivage gauche-droite : celle de savoir si la parité était une salutaire reformulation ou au contraire une dangereuse subversion de l’universalisme républicain ; si la parité était réellement une mesure d’inclusion des femmes ou au contraire une douteuse biologisation de la politique ouvrant la porte à de nouvelles exclusions ; si oui ou non l’application du principe de parité aux candidatures électorales conduirait potentiellement à un « communautarisme ».

Le chapitre suivant (chap. II deuxième partie) expose les débats autour de la loi sur la parité proprement dite, au sein de l’arène institutionnelle. Il s’attarde d’abord sur la réforme constitutionnelle de 1999 créant la base pour la loi sur la parité, qui a donné lieu à de houleux débats de principe entre le Sénat et l’Assemblée notamment sur la question de la nécessité d’une réforme constitutionnelle et sur la formulation exacte du principe de parité : la question de savoir si la constitution doit « garantir » ou « favoriser » la parité dans l’accès aux mandats politiques. Le chapitre expose ensuite – de manière peut-être quelque peu touffue pour les lecteurs non initiés – l’ensemble des actes législatifs constituant « la » loi dite de la parité : la loi initiale du 6 juin 2000 qui, sous des formes diverses, instaure le principe de parité des sexes au niveau des candidatures pour les élections législatives, sénatoriales, municipales, régionales et européennes, accompagné de mécanismes de sanction pour les partis qui ne respecteraient pas la loi. Sont également présentés les importants amendements subséquents (2003, 2006, 2007). Enfin, le chapitre présente et commente les effets de la loi jusqu’ici. Ces derniers ont été plus importants aux niveaux régional, municipal et sénatorial, mais plus faibles au niveau des élections législatives. L’auteure montre que ces résultats sont directement imputables aux modalités d’application de la loi et que celles-ci n’ébranlent pas sérieusement les principaux « bastions » du pouvoir viril.

Enfin, le dernier chapitre de l’ouvrage (chap. III), aborde les liens entre la parité en politique et l’ordre sexué/genré. L’auteure propose d’appréhender les débats en rapport avec la parité en politique comme faisant partie d’une reconfiguration des liens unissant le système politique à la société, au travers d’une redéfinition des règles du partage du pouvoir, du républicanisme, ainsi que des liens entre le public et le privé et entre l’égalité et la différence. À juste titre, elle situe la parité à la française comme enjeu sociétal affectant les articulations conceptuelles qui fondent les institutions politiques de la démocratie représentative. Cette perspective attire l’attention sur l’importance du discours comme lieu de négociation des normes et catégories qui structurent l’espace politique et légitiment la démocratie représentative. Elle met le doigt sur le champ stratégique qu’ouvre toute renégociation de frontières conceptuelles aussi importantes que celles entre le biologique, le social et le politique, le public et le privé, les hommes et les femmes, l’égalité et la différence.

La structure choisie donne à ce petit ouvrage une remarquable clarté et richesse, en même temps qu’elle marque aussi une ambiguïté conceptuelle intéressante concernant le lien entre la parité et les quotas. D’une part, l’auteure situe la parité dans la continuité des politiques de quotas (première partie). Elle rompt ainsi dans une certaine mesure avec la vision dominante en France voulant que la parité soit fondamentalement différente des quotas, car philosophiquement fondée dans une vision universaliste de la démocratie représentative et non dans une logique explicite de politique anti-discriminatoire. Mais d’autre part, son analyse de la parité en France (deuxième partie de l’ouvrage) prend assez peu de distance avec cette vision dominante faisant de la loi sur la parité une « exception » [5]. Bien que son dernier chapitre sur les liens entre parité et ordre sexué lui en donne les outils analytiques, l’auteure ne s’extrait pas vraiment du contexte français pour comprendre en quoi les débats sur la parité ont été particuliers. L’auteure évoque l’importance de la décision du Conseil constitutionnel de 1982 mais n’insiste ni sur l’étendue de l’effet proprement « plombant » qu’elle a exercé sur le débat concernant la place des femmes en politique, ni sur la forte contrainte qu’elle a imposé au champ discursif, forçant les acteurs pro-paritaires à recourir à des manœuvres argumentatives paradoxales : il fallait rendre plausible que des seuils de représentation politique au niveau des candidatures électorales soient autre chose qu’un quota alors qu’il s’agit là de la définition même du quota ; il fallait se défendre d’une visée anti-discriminatoire alors que la seule raison d’être d’une telle loi consiste dans une nécessité démontrée de devoir recourir à des mécanismes institutionnels contraignants pour contrebalancer une discrimination ; il fallait faire passer l’idée que l’universalisme puisse être conceptuellement « dual » et sexué ; et enfin il fallait concilier une argumentation fondé sur le sexe, au travers de l’argument de la « mixité » inhérente et irréductible de l’humanité qui serait le fondement normatif de la parité, tout en se défendant de retomber dans un essentialisme biologisant à potentiel émancipatoire douteux.

Bref, l’exercice a été périlleux et le résultat n’est cohérent que sous l’angle du pouvoir politique, et non de la logique philosophique [6]. La question aujourd’hui est de savoir si le féminisme gagne réellement à vouloir maintenir cette interprétation de la parité comme « exception », « revitalisation de la politique », « accomplissement de l’universalisme » et expression du caractère sexué de l’humanité, ou s’il n’aurait pas meilleur temps de reconnaître que la parité est un quota avec ses spécificités techniques et normatives qui, comme tout quota, ne peut en toute cohérence viser qu’à combattre des discriminations, ébranler les fondements des inégalités structurelle, et donc présenter un outil supplémentaire pour rendre la société plus juste.

Quoi qu’il en soit, dans cet ouvrage, on trouvera une présentation claire et bien documentée du contexte de la mise en place de la parité, des aspects techniques de la loi et d’un certain nombre d’enjeux qui la sous-tendent. Aux lecteurs et lectrices peu familiers de la parité et des politiques de quota, ce petit ouvrage servira d’entrée en matière accessible et lisible. À celles et ceux qui connaissent déjà ces questions, il propose une mise en perspective éclairante et susceptible d’alimenter une réflexion plus approfondie. À ces deux catégories de personnes, on pourrait recommander de prendre cet ouvrage comme point de départ pour une réflexion qui prenne au sérieux l’invitation de l’auteure à appréhender la parité comme un objet qui interroge l’ordre politique et sociétal dans son ensemble – en clair qui pose de manière aiguë la question du pouvoir, de son articulation au travers des institutions, de ses effets sur les un(e)s et les autres, des projets de société que nous voulons collectivement défendre ou combattre.

par Léa Sgier, le 27 août 2008

Pour citer cet article :

Léa Sgier, « L’égalité au risque de la différence sexuelle », La Vie des idées , 27 août 2008. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/L-egalite-au-risque-de-la

Nota bene :

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction (redaction chez laviedesidees.fr). Nous vous répondrons dans les meilleurs délais.

À lire aussi


Notes

[1Les quotas de femmes en politique sont aujourd’hui répandus dans une petite centaine de pays à travers les cinq continents. Une quarantaine de pays ont adopté des lois de quotas, dans les autres cas il s’agit de quotas partisans adoptés sur une base volontaire. Voir le chapitre introductif dans Dahlerup, Drude (éd), Women, Quotas and Politics. London : Routledge, 2006.

[2L’expression est de Drude Dahlerup, voir son introduction dans Dahlerup, Drude (éd), op. cit.

[3Dahlerup, Drude (éd), Women, Quotas and Politics, op. cit." class=’spip_out’ rel=’external’>lois de quotas], ainsi que les travaux de Mona Lena Krook[[Voir par exemple Krook, Mona Lena « Reforming Representation : The Diffusion of Candidate Gender Qutoas Worlwide », Politics & Gender 2(3) : 303-327, 2006.

[4Sur ce point, voir Bereni, Laure et Lépinard, Eléonore, « ‘Les femmes ne sont pas une catégorie’. Les stratégies de légitimation de la parité en France », Revue française de science politique, vol. 54, n° 1, p. 71-98, 2004.

[5Pour une critique de la construction du « mythe de l’exception française », voir Lépinard, Eléonore et Bereni, Laure, « La parité ou le mythe d’une exception française », Pouvoirs, n°111, 2004.

[6À propos de cette distinction, voir par exemple Parini, Lorena, « Fonder politiquement les actions positives en faveur des femmes », Politique et sociétés, vol.18, n°3, 1999.

Partenaires


© laviedesidees.fr - Toute reproduction interdite sans autorisation explicite de la rédaction - Mentions légales - webdesign : Abel Poucet