Du 19 au 21 juin prochain, les 150 citoyennes et citoyens tirés au sort pour participer à la Convention citoyenne pour le Climat (CCC) se réuniront une dernière fois pour clore leurs travaux. Deux points essentiels seront à leur ordre du jour. Le premier sera de finaliser la liste des propositions qu’ils transmettront à l’exécutif, et plus largement aux Françaises et aux Français. Le second sera de choisir par quels processus juridiques ces propositions seront mises en œuvre, entre la voie réglementaire, la voie parlementaire et la voie référendaire.
Ces voies ne sont pas exclusives : elles pourraient être mobilisées en parallèle pour transformer les propositions en nouvelles normes juridiques. Du point de vue des membres de la Convention, chacune de ces voies a des avantages et des inconvénients, sur lesquels nous reviendrons. Toutefois, d’un point de vue démocratique, il nous semble que la voie référendaire constituerait une occasion historique de clore ce moment inédit de démocratie délibérative par un processus de démocratie directe, lors duquel l’ensemble des citoyennes et des citoyens pourrait s’emparer des questions de climat et de justice sociale.
La décision d’organiser un référendum ne dit cependant rien de la forme de celui-ci ni des questions qui seraient concrètement posées. Un référendum peut être décisionnel, quand il a une portée normative et conduit à adopter un nouveau projet de loi. Un référendum peut aussi être consultatif, quand il n’a aucune valeur contraignante et vise à informer sur l’opinion du corps électoral. De plus, un référendum peut poser une seule question, comme cela a toujours été le cas en France, ou en poser plusieurs simultanément, comme c’est souvent le cas aux États-Unis et tout à fait possible, d’un point de vue juridique, en France. Pour satisfaire aux exigences démocratiques du processus, le dispositif référendaire « idéal » serait un référendum décisionnel portant sur plusieurs propositions au même moment. Dans ce texte, nous expliquons pourquoi.
Les jours et les semaines qui arrivent seront donc décisifs pour la démocratie et pour la transition écologique en France. De la suite donnée aux travaux de la Convention et de la mise en œuvre de ses propositions dépendra le succès de cette innovation démocratique et la possibilité de créer un précédent qui pourrait être renouvelé et institutionnalisé à l’avenir. Se joue aussi la capacité de démontrer que le recours à des pratiques démocratiques avancées est la meilleure manière d’assurer le succès de politiques environnementales ambitieuses [1], contre les tenants d’un prétendu autoritarisme vert.
Tous les acteurs souhaitant une sortie de crise du Covid-19 qui ne soit pas, le jour d’après, un retour à « l’anormal », devraient saisir l’importance de ce moment politique. En effet, si les propositions de la CCC ne sont pas encore toutes connues elles s’inscrivent dans la droite ligne des dizaines de tribunes et autres appels publiés ces dernières semaines par certains syndicats, ONG, parlementaires, partis, entreprises, scientifiques et intellectuels, exhortant à transformer nos modes de développement pour les rendre plus soutenables et solidaires. L’atterrissage politique de la Convention citoyenne est donc une étape potentiellement cruciale dans cette bataille.
L’atterrissage politique d’une innovation démocratique
La Convention citoyenne pour le climat est un dispositif de démocratie délibérative inédit en France. Depuis le mois d’octobre 2019, 150 citoyennes et citoyens ont reçu pour mission de « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions gaz à effet de serre d’au moins 40% d’ici 2030 par rapport à 1990 ».
La CCC est l’une des dernières venues d’une série d’expériences plus ou moins réussies de jurys, mini-publics, conventions ou panels de citoyens, qui ont cherché à concrétiser les principes de démocratie délibérative dans la fabrique du droit et des politiques publiques. Entre 2008 et 2009, par exemple, un « forum national » de 950 personnes tirées au sort a planché sur une réforme constitutionnelle en Islande, tandis qu’en Irlande les délibérations de trois assemblées citoyennes tirées au sort entre 2012 et 2015 ont abouti à la légalisation du mariage homosexuel et de l’avortement. Pour garantir la réussite et la qualité démocratique de ces processus, deux mécanismes sont fondamentaux [2] : le tirage au sort et le respect de certains principes délibératifs. Ces mécanismes ont été au cœur de la CCC, dont les travaux ont été accompagnés par un comité de gouvernance comprenant plusieurs théoriciens et spécialistes de la démocratie délibérative et participative.
La procédure de sélection des participants de la CCC, qui s’appuie sur le tirage au sort, permet une assemblée intégrant la diversité de la population française. En comparant la composition sociale de la CCC avec celle de l’Assemblée nationale, le Graphique 1 ci-dessous montre à quel point cette procédure a permis la représentation de groupes sociaux qui sont soit absents de l’Assemblée nationale, soit nettement sous-représentés. C’est d’abord le cas des femmes, qui composent la moitié de la CCC contre à peine plus d’un tiers de l’Assemblée nationale. C’est ensuite le cas des moins de 34 ans, qui sont pourtant les plus concernés par les crises écologiques à venir : ils représentent plus du quart des personnes tirées au sort à la CCC, alors qu’ils sont pratiquement absents de l’hémicycle. C’est aussi le cas des catégories populaires (ouvriers, employés et une partie des professions intermédiaires), qui sont beaucoup mieux représentées au sein la CCC, alors que l’Assemblée nationale est dominée par les catégories supérieures (cadres, professions intellectuelles) – 70 % des députés en sont issus. C’est enfin le cas des citoyennes et citoyens n’ayant pas fait d’études supérieures, et ici la comparaison est édifiante : ils sont seulement 9 % à l’Assemblée nationale, contre 66 % au sein de la CCC et 70 % dans la population en âge de voter. En d’autres termes, la Convention citoyenne pour le climat correspond nettement mieux à l’idéal de représentation descriptive , dans lequel les membres de l’assemblée parlent d’autant mieux au nom des citoyens qu’ils partagent avec eux diverses caractéristiques d’ordre social, culturel ou géographique.
Graphique 1. Comparaison de la composition de l’Assemblée nationale (députés élus en 2017) et de la Convention citoyenne pour le climat selon le sexe, l’âge, le niveau de diplôme et la catégorie socio-professionnelle
Par ailleurs, les méthodes de discussion et de prise de décision au sein de la CCC ont suivi des principes délibératifs ambitieux : (1) le partage d’informations et de connaissances ; (2) la présentation d’arguments contradictoires, attestée par la diversité des personnalités auditionnées, dont la liste est consultable sur le site de la Convention ; (3) le temps consacré à l’échange et à la discussion en groupe, avec sept et bientôt huit rencontres au long d’une période de neuf mois. En permettant aux citoyens d’exprimer des divergences, de rechercher un compromis équilibré et de se doter d’opinions informées, ces principes aboutissent à de meilleures décisions [3].
La liste des propositions qui sortira de la Convention sera donc un objet programmatique inédit et de grande valeur démocratique. Réfléchir à la meilleure manière d’assurer son passage dans le droit est essentiel afin que les propositions qui en ressortent ne restent pas lettre morte, rejoignant ainsi des milliers de propositions formulées par les divers comités ou commissions qui ont jalonné l’histoire de la Cinquième République. Un tel échec porterait un coup très dur à cette innovation démocratique. Cela étant, les citoyens de la CCC disposent de nombreux atouts pour transformer ces propositions en mesures concrètes. Le premier de ces atouts est à trouver dans les prises de paroles du Président de la République, Emmanuel Macron, qui s’est engagé à plusieurs reprises à soumettre ces propositions « sans filtre », que ce soit sous la forme d’une application réglementaire directe, de projets de loi ou d’un référendum.
Hiérarchie des normes et opérationnalité des mesures
Toute réflexion sur la meilleure manière d’appliquer « sans filtre » les propositions issues de la Convention doit rappeler que la hiérarchie des normes et l’appartenance de la France à l’Union européenne, qui produit une bonne partie du droit de l’environnement, ne sont pas sans conséquences. Certaines des mesures proposées ne relèveront probablement pas du droit national et leur mise en œuvre sera rendue incertaine par le simple fait qu’elle dépendra de négociations européennes qui peinent déjà à aboutir au compromis le plus favorable à la protection de l’environnement. Les compétences relevant des collectivités territoriales posent des questions similaires, même si le périmètre des compétences locales et le cadre légal dans lequel elles s’exercent peuvent être modifiés par la loi ou par la Constitution.
Cela étant dit, on peut penser que, indépendamment de la hiérarchie des normes, la mise en œuvre des propositions ambitieuses issues de la CCC imprègnera largement les discussions à ces échelons de gouvernement. En effet, la légitimité tirée d’un tel processus démocratique sera une ressource importante dans les négociations supra- ou infra-nationales sur les questions climatiques. Et l’on voit d’ailleurs le modèle de ces Conventions se déployer en Europe à commencer par l’Espagne et le Royaume-Uni.
Au-delà de la déception que pourrait susciter la lente et incertaine mise en œuvre de propositions relevant des compétences locales et européennes, un deuxième point paraît central, et ce, quelle que soit la voie de validation choisie. Pour assurer qu’une proposition soit adoptée « sans filtre », la mesure en question doit être formulée d’une manière précise et conformément au droit, de façon à la rendre directement opérationnelle. À l’inverse, la transcription en droit d’une proposition peu précise, en laissant une place à l’interprétation des acteurs qui prendront le relais de la Convention, peut plus facilement altérer le contenu de la mesure. C’est la raison pour laquelle les citoyens sont accompagnés par un « groupe d’appui » composé d’expertes et d’experts chargés de les conseiller dans l’exploration des pistes de travail, ainsi que d’un « comité légistique », qui mène un travail de transcription en droit sur les mesures préparées.
Articuler le référendum, les décrets et la loi
Sans mettre en cause la centralité du référendum, il est possible et sans doute nécessaire d’articuler les modalités d’application des multiples propositions issues des travaux de la Convention. Selon leur nombre et leur contenu, des mesures pourraient passer par la voie référendaire, d’autres suivre la voie législative ou la voie réglementaire.
Le processus réglementaire (la signature d’un décret du Président de la République ou du Premier Ministre, ou d’un arrêté d’une autorité indépendante) est l’option la plus directe pour toutes les propositions qui ne relèvent ni du domaine de la loi ni de la Constitution. Ce processus aurait l’avantage d’impliquer peu d’acteurs, mais l’inconvénient de dépendre du respect, par les chefs de l’exécutif, de l’engagement d’appliquer les mesures proposées sans les déformer. Dès lors, la voie réglementaire paraît plus adaptée pour les mesures faisant consensus au sein de la Convention. De par sa conception même, cette dernière est supposée refléter les divisions existant dans la société française. Cette hypothèse théorique a d’ailleurs été largement confirmée lors de l’expérience irlandaise, puisque le résultat des référendums qui ont suivi les Conventions citoyennes étaient similaires aux taux d’adoption lors des débats à l’intérieur de la Convention. Un large consensus en son sein indiquerait que les oppositions externes seront vraisemblablement faibles ou, du moins, qu’elles pourraient être plus facilement atténuées par un exposé clair des raisons pour lesquelles la Convention est parvenue à ce consensus, ce qui faciliterait la décision de l’exécutif. À l’inverse, il est plus probable que le processus de décision soit rallongé et/ou la proposition altérée par la voie réglementaire si elle suscite de fortes divisions dès les débats en Convention.
La voie parlementaire est le choix traditionnel sous la Cinquième République pour adopter des propositions qui modifient la loi ou la Constitution. L’avantage principal de cette voie, comme de la voie réglementaire, est de pouvoir porter sur plusieurs dizaines de mesures à la fois. Son inconvénient majeur est le risque d’altérer les propositions émises. En effet, la procédure parlementaire est celle qui fait intervenir le plus d’acteurs dans le processus décisionnel. Cela peut laisser une (plus ou moins large) place à la renégociation des compromis issus de la Convention, et ouvrir la porte à l’intervention d’acteurs publics, mais aussi privés et bien organisés, dont l’influence aura été jusqu’ici circonscrite par le processus d’assemblée citoyenne. Le sort d’une partie des décisions importantes prises lors du Grenelle de l’Environnement témoigne de l’altération de décisions pourtant considérées comme très légitimes alors.
Une autre limite de la voie parlementaire tient à la légitimité symbolique des décisions. Adopter les propositions de la Convention par un vote des deux assemblées ne donnerait pas un poids différent à ces propositions par rapport aux dizaines de lois votées chaque année. Le principe général de la délégation de la souveraineté populaire à des institutions élues, un temps contrebalancé par l’exercice de démocratie délibérative qu’aura constitué la Convention, reprendrait le dessus. Le référendum, au contraire, aurait l’avantage de clore un processus de démocratie délibérative inédit par un exercice de démocratie directe tout aussi inédit. Mais certaines conditions doivent être respectées pour enrayer les effets potentiellement pervers de l’usage du référendum.
Les risques potentiels du référendum
Quoique remis sur le devant de la scène par la mobilisation des Gilets Jaunes, le référendum est une option qui apparaît risquée aux yeux de plusieurs acteurs politiques, en raison des pratiques plébiscitaires qui l’ont historiquement accompagné. Que ce soit sous le Second Empire de Louis-Napoléon Bonaparte ou sous la présidence de Charles de Gaulle au début de la Cinquième République, le référendum a généralement été conçu autant comme un test de confiance pour les détenteurs du pouvoir exécutif que comme une consultation du peuple souverain sur l’orientation de la politique de la nation. La manière dont Charles de Gaulle a mis sa responsabilité politique en jeu lors de chaque référendum qu’il a convoqué (au point de démissionner lors de la victoire du « non » en 1969) a ancré cet usage plébiscitaire du référendum dans l’imaginaire des responsables politiques français. Un référendum, ce serait autant répondre à la question que répondre à celui ou celle qui la pose. Le risque du « non » au référendum est donc d’autant plus grand que le Président est impopulaire – une caractéristique devenue la norme pour les Présidents de la Cinquième République.
Le deuxième risque est celui d’un vote négatif de la population, qui enterrerait les propositions émises par la Convention et retarderait d’autant la prise de décisions pourtant nécessaires sur les questions relatives au climat. Ce risque d’un vote négatif est inhérent à toute procédure démocratique : si la démocratie est bien le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, alors elle doit accepter les décisions du peuple souverain. De fait, c’est moins le risque d’un vote négatif sur les propositions que le risque d’un vote négatif motivé par d’autres raisons que le contenu des propositions qui doit être envisagé.
Le troisième risque est celui d’un référendum seulement consultatif, qui laisserait une large latitude à l’exécutif dans l’application des mesures. Un tel dispositif, actuellement inexistant dans le droit français, pourrait avoir les faveurs du Président de la République Emmanuel Macron. Or ce type de référendum accroîtrait les chances que les mesures soumises à référendum ne soient jamais appliquées, ou alors qu’elles le soient dans une version affaiblie. Par ailleurs, un référendum qui ne serait que consultatif aurait des effets délétères sur la participation électorale – pourquoi se déplacer alors que l’avis émis dans les urnes pourrait ne pas être suivi d’effet ? Les vicissitudes du référendum local sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes en 2016 offrent un exemple de la caricature de démocratie directe que peut constituer un référendum consultatif.
Un référendum juridiquement contraignant
Si on se place du point de vue de la Convention et de la plupart des parties prenantes, un référendum réussi serait un référendum recueillant l’approbation du peuple souverain sur les propositions soumises, avec une participation électorale élevée. Ce serait également un référendum à l’issue duquel les politiques menées correspondraient à la lettre de mission (réduire nos émissions d’au moins 40 % en 2030 par rapport à 1990). Ce serait enfin un référendum précédé par une période de débat public éclairé et équilibré sur les différentes dimensions de la transition écologique, lors de laquelle les membres de la Convention et les acteurs qui ont participé à leurs travaux joueraient un rôle important, et qui servirait de rampe de lancement démocratique à cette transition.
Pour atteindre ces objectifs difficiles à concilier, le dispositif référendaire idéal serait un référendum soumettant au vote populaire plusieurs propositions de nature juridiquement contraignante, précises, sélectionnées avec soin, sur le choix desquelles le Président de la République aurait un regard limité.
Les pièges de propositions symboliques et (trop) consensuelles
Il est fort probable que la ou les propositions les plus consensuelles au sein de la Convention et donc sans doute de la société – on pense à des propositions incitatives ou symboliques plus que contraignantes du point de vue réglementaire ou économique – auront le plus de chances d’être adoptées par référendum. De telles propositions ont cependant des effets concrets limités sur la transition et/ou risquent d’être revues à la baisse dans le futur. D’ailleurs, la lettre de mission du Premier ministre parle bien de « mesures structurantes » et fixe un objectif à 2030.
Les travaux portant sur les politiques environnementales ont montré que les mesures symboliques ou les engagements sur des objectifs de très long terme (atteindre la neutralité carbone en 2050, etc.) ont des effets minimes sur la réalité du changement climatique [4]. La France connaît un précédent puisque la Charte de l’environnement fait, depuis 2005 déjà, partie intégrante du bloc de constitutionnalité. Alors qu’elle introduit dans la Constitution des principes forts en matière de droit de l’environnement, tels les principes de prévention, de participation, et le principe pollueur-payeur, son effet sur le contenu des politiques environnementales demeure pour le moment limité à quelques exceptions, comme la récente décision du Conseil constitutionnel selon laquelle « la protection de l’environnement » peut justifier des « atteintes à la liberté d’entreprendre ». Il n’en demeure pas moins qu’une proposition de modification de la Constitution pour faire une plus large place à l’urgence climatique, d’essence symbolique plus qu’opérationnelle, suscitera probablement une très forte approbation populaire et viendra encore renforcer cet arsenal juridique.
Les propositions visant des objectifs de long terme sont souvent consensuelles également. Ce consensus s’explique par le fait qu’elles laissent une large place à l’interprétation future, ce qui diminue le niveau d’opposition. Dans les faits ces objectifs sont parfois, mais pas toujours, revus à la baisse, comme l’illustre le cas de la stratégie nationale bas carbone dont les ambitions en matière d’énergie renouvelable ont été récemment réduites. Par ailleurs, quand elles ne sont pas accompagnées de mesures ambitieuses de court terme, ce qui est souvent le cas, ces mesures de long terme ne permettent pas d’enclencher des trajectoires de transition en accord avec les objectifs fixés – c’est le cas de la totalité des lois de programmation énergétique jusqu’alors.
Il ne faut donc pas surestimer l’effet de ce type de propositions sur la trajectoire réelle de la transition, même si elles ont l’avantage indéniable de susciter une large approbation et de renforcer un arsenal législatif déjà conséquent en termes d’objectifs.
Un référendum, plusieurs questions
Un référendum à questions multiples (d’un point de vue formel, il s’agirait de référendums simultanés) aurait plusieurs avantages. D’une part, cela améliorerait la qualité du débat sur les propositions de la Convention. En effet, comme évoqué plus haut, un référendum sur une question unique accroît le risque d’un vote-sanction contre le pouvoir en place (on répond à la personne plutôt qu’à la question). Soumettre plusieurs questions aux citoyens limiterait ce genre de dynamique au profit de débats et de prises de position au cas par cas.
Un vote sur un projet de loi exhaustif, incluant, en une seule question, un grand nombre de propositions, présente le risque d’une polarisation sur certaines dispositions controversées qui pourrait conduire à rejeter l’ensemble du texte. Dans cette situation, les acteurs hostiles à certaines dispositions peuvent parvenir à concentrer l’attention des médias et du public sur ces dernières, au risque de faire basculer un corps électoral pourtant favorable à la plupart des autres propositions. Les cas de la laïcité ou de la durée maximale du travail, qui ont reçu une attention disproportionnée au cours des débats sur le Traité constitutionnel européen, quand on les met en regard de leur importance dans le texte, en sont un bon exemple.
Soumettre au vote une liste de cinq à dix propositions distinctes, certaines symboliques ou consensuelles, d’autres plus opérationnelles ou conflictuelles, paraît donc la meilleure manière de procéder, si la Convention souhaite maximiser à la fois les chances de succès du référendum, l’efficacité des propositions votées, et la qualité du débat démocratique.
Et l’initiative ? Inventer une nouvelle manière de penser le référendum
La Convention citoyenne pour le climat ne peut pas être à l’initiative du référendum, au sens juridique du terme. En effet, cette initiative relève soit du Président de la République, sur proposition du gouvernement (en pratique, le Président en décide souvent seul), soit, depuis 2015, d’un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des électeurs — une voie qui diffèrerait considérablement l’adoption des mesures issues de la Convention. Cela étant dit, le Président de la République peut disposer d’une plus ou moins grande latitude vis-à-vis des propositions émanant de la Convention. Et il peut prendre des engagements pour ne pas modifier le contenu des décisions – les reprendre « sans filtre », comme Emmanuel Macron l’a lui-même promis.
Le Président pourrait donc accepter de soumettre à référendum la (ou les) question(s) formulées par la Convention sans modification, sous réserve que les membres de la Convention en fassent la demande et que les propositions soient formulées de manière juridiquement opérationnelle. Ainsi, le peuple ne répondrait plus au Président mais bien aux 150 personnes tirées au sort, ce qui permettrait de rompre avec la tradition plébiscitaire associée au référendum en France.
Une réflexion est à mener sur la formulation des questions soumises à référendum. Ce dernier doit porter sur un – ou plusieurs – projets de loi. De ce point de vue, comme pour les options législatives et référendaires, il est souhaitable que le niveau de formalisation juridique des propositions soit assez abouti à l’issue de la Convention. En même temps, il nous paraît essentiel que les propositions soient exprimées avec les mots des membres de la Convention pour être comprises par l’ensemble des citoyennes et des citoyens. Il y a là un point d’équilibre à trouver et une véritable exigence pour les juristes.
En définitive, le choix des modalités de validation des propositions de la Convention sera un choix politique. Il dépend en effet des préférences de plusieurs acteurs – les citoyennes et citoyens composant la Convention et le Président de la République, bien sûr, mais aussi le Premier ministre, son gouvernement et les parlementaires – et de la capacité de ces acteurs à s’entendre. Il s’agit bien de créer un nouvel instrument de prise de décision démocratique.
Si la Convention veut maximiser les chances de concrétiser les propositions qui seront issues de ses travaux, il paraît donc fondamental qu’elle prenne (et qu’on lui laisse) le temps de discuter des modalités de leur validation, adopte des positions claires sur la suite du processus et défende ces positions dans le dialogue qui s’engagera avec l’exécutif.
De ce point de vue, un référendum décisionnel sur plusieurs questions, qui seraient posées directement par la Convention, serait à nos yeux le plus innovant et conférerait aux décisions prises la plus grande légitimité démocratique et juridique. Encadré selon les conditions que nous avons détaillées, l’usage du référendum serait la meilleure manière de faire entrer les politiques publiques françaises, et la société dans son ensemble, dans une trajectoire de transition compatible avec la lettre de mission de la Convention.