Serge Audier édite et commente la thèse de Célestin Bouglé, sociologue durkheimien et témoin privilégié du fondement intellectuel de la Troisième République.
Serge Audier édite et commente la thèse de Célestin Bouglé, sociologue durkheimien et témoin privilégié du fondement intellectuel de la Troisième République.
Célestin Bouglé, Les idées égalitaires, présentation de Serge Audier, « Bibliothèque républicaine », Editions Le Bord de l’Eau, 2007 , 275 p.
Alors que depuis quelques années, de nombreux travaux s’efforcent de démontrer l’actualité de la pensée républicaine élaborée en France sous la IIIe République, l’initiative de publier la thèse de Célestin Bouglé intitulée Les idées égalitaires apporte une clarification nécessaire sur plusieurs points. Cet ouvrage dont certaines analyses apparaîtront inévitablement comme datées est cependant éclairé par une longue introduction de Serge Audier, « la République laïque et solidaire : l’engagement sociologique de Célestin Bouglé. »
L’enjeu original du travail de Célestin Bouglé consistait, comme le rappelle Audier à traiter « en sociologue de l’avènement des idées égalitaires. » Ainsi, « la tâche que s’assigne Bouglé dans Les idées égalitaires est (…) claire : justifier, en mobilisant notamment les outils de la sociologie contemporaine – Spencer, Durkheim, Tarde, mais aussi Simmel – la grande ambition formulée dans De la démocratie en Amérique, afin d’éclairer le processus égalitaire de la modernité. » (p.22) C’est peut-être cette question de recherche de Bouglé elle-même qui surprendra le plus le lecteur contemporain. L’ambition de Bouglé était rien moins que de relire dans une perspective sociologique le grand œuvre de Tocqueville et de poser comme un problème scientifique la thèse sur le devenir de la civilisation occidentale qu’il contient.
Au-delà du travail éditorial de mise à disposition d’un texte important dans l’histoire des idées sociologiques, le mérite de ce livre est de donner de l’acteur et du témoin privilégié de la IIIe République que fut Célestin Bouglé un portrait bien plus complexe et nuancé que celui qu’en avait donné Jean-Fabien Spitz dans le passage qu’il lui avait consacré dans Le moment républicain en France. [1] Loin de n’être qu’un simple disciple de Durkheim, Célestin Bouglé fut d’abord très influencé par son professeur Henry Michel qui fut l’un des disciples les plus importants de Charles Renouvier, philosophe majeur du « néo-criticisme » et théoricien des fondements philosophiques de la IIIe République ; avant de développer des critiques de la pensée de Durkheim qui s’appuieront sur la sociologie allemande, notamment celle de Simmel. D’autre part, il fut un homme d’action important que Serge Audier resitue « au cœur des conflits doctrinaux pour définir les fondements de la République. » (p. 19) Célestin Bouglé tient sa position centrale et originale dans la constellation solidariste parce qu’il fut « à la fois marqué par le néo-criticisme de Renouvier ou de Michel, et par la sociologie durkheimienne. » Il serait ainsi « le trait d’union entre ces courants dont il essaie de dégager l’apport le plus valide. » (p.19)
Célestin Bouglé fut ainsi au cœur du courant solidariste. Celle-ci est une doctrine politique et sociale forgée à la fin du XIXe siècle comme une troisième voie entre l’individualisme libéral de stricte observance et le socialisme collectiviste. C’est autour de la figure centrale de Léon Bourgeois que le solidarisme, en tant que doctrine, acquiert une consistance théorique et politique. Célestin Bouglé a donné dans Le solidarisme [2] un prolongement politique et sociologique au travail de Léon Bourgeois.
De la même manière, l’auteur réexamine, comme au détour d’une élucidation de la pensée philosophique et sociologique de Bouglé, les deux pivots du projet de fondation idéologique de la République – la laïcité et la solidarité – et ses influences doctrinales dominantes. Serge Audier se situe là-encore à mi-chemin des tenants de la domination de l’influence positiviste sur la pensée républicaine (thèse qui s’est développée dans le sillage du travail de Claude Nicolet sur L’idée républicaine en France [3]) d’une part et la thèse de Jean-Fabien Spitz qui nie toute influence au comtisme dans l’élaboration d’une synthèse doctrinale originale. La nature du solidarisme est ainsi discutée dans ses relations avec la religion, le droit, l’individualisme, le socialisme, etc. Serge Audier va même jusqu’à développer son propos par des considérations sur le patriotisme républicain, l’exception française dans la culture républicaine mais aussi le rôle de l’affaire Dreyfus ou l’actualité du solidarisme dans les débats contemporains. Des intellectuels se réfèrent à ce courant et plus particulièrement à la notion de solidarité pour redonner un fondement à des politiques de redistribution et à une réévaluation de cette notion dans le débat public et politique. D’autre part, des courants politiques se rattachent aux pères fondateurs de l’idéologie solidariste pour refonder les institutions républicaines et répandre l’esprit républicain.
Pour aller plus loin :
L’Equipe de Recherche sur les Inégalités Sociales du Centre Maurice Halbwachs publie en ligne un dossier de lectures sur le solidarisme et la solidarité :
Pour l’actualité politique du solidarisme, on se reportera au site du Cercle social Edgar Quinet :
par , le 16 octobre 2007
Nicolas Duvoux, « Aux sources de la solidarité », La Vie des idées , 16 octobre 2007. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Aux-sources-de-la-solidarite
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