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Wagner, de Alberich à Wotan

À propos du Dictionnaire Wagner, Actes Sud.


par Karol Beffa , le 11 novembre 2010


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« Ne peut-on aimer aujourd’hui Wagner que malgré ? » Pour répondre à cette question, Timothée Picard rappelle que la musique n’est pas « en elle-même, antisémite ou nationaliste ». Le Dictionnaire encyclopédique Wagner qu’il a dirigé vient opportunément le démontrer.

Recensé : Dictionnaire encyclopédique Wagner, sous la direction de Timothée Picard. Arles : Actes Sud, 2010. 2496 pages, 79 €.

Après le succès de « Tout Mozart » et de « Tout Bach », dans la collection Bouquins, c’est un autre éditeur, Actes Sud, qui poursuit, avec ce Dictionnaire encyclopédique Wagner, l’idée de mettre en perspective originale un grand compositeur. De quoi nous convaincre qu’un dictionnaire permet finalement mieux d’aborder l’univers d’un créateur qu’une biographie. Près de 2500 pages, six millions de signes, 1400 entrées rédigées par une trentaine de spécialistes sous la houlette de Timothée Picard, jeune wagnérien déjà très reconnu, et consacrées aux sujets les plus variés : éléments biographiques, certes, mais aussi interprètes des œuvres, personnages des opéras, compositeurs contemporains, écrivains et poètes redevables à Wagner, etc. Comme si l’ambition de ce Dictionnaire devait épouser la visée, totalisante elle-même, du projet wagnérien.

Plus encore que tous les compositeurs qui se réclamaient de lui (Bruckner, Mahler, Strauss, Schoenberg, pour en citer quelques-uns), Wagner est celui qui a suscité le plus de passions, engouements et réactions de rejet — on a d’ailleurs du mal à imaginer, aujourd’hui, la virulence des débats autour du wagnérisme, que ce terme désigne des procédés compositionnels, des principes dramaturgiques, une poétique ou une pensée philosophique. En France, les positions des uns et des autres se radicalisent avec la guerre de 1870, puis s’atténuent à partir de 1914, Paris — devenu centre incontesté de rayonnement artistique — s’ouvrant à Debussy, à Ravel, à Stravinsky et à leurs émules. Le plus de passions et le plus de malentendus, aussi. De Wagner, on a dit qu’il était celui sur qui le plus grand nombre de pages avaient été écrites… à l’exception de Jésus-Christ et de Napoléon. Légende trop belle pour être vraie : si Wagner détient un record, c’est bien d’être celui sur qui le plus de mythes et légendes ont été propagés, et on pourra regretter l’absence de notice « mythe » ou « légende », qui aurait pu faire la part des choses.

Au fil des entrées, l’amateur éclairé comme le fervent aura plaisir à déambuler. Il se trouvera convié à lire la monographie de Martin Gregor-Dellin Richard Wagner, sein Leben, sein Jahrhunderts, à découvrir les pages que Nerval, Baudelaire, Villiers de l’Isle Adam, Mallarmé, Romain Rolland, Suarès, Louÿs, Valéry ou Gracq ont écrites sur Wagner, à pénétrer le réseau des correspondances littéraires et artistiques que tisse son œuvre, et à démêler, en arrière-plan, les enjeux culturels, politiques et esthétiques qu’elle dévoile. Ce n’est pas, loin s’en faut, le premier guide consacré à Wagner en langue française. Fayard avait par exemple publié en 1988 un Guide des opéras de Wagner, sous la direction de Michel Pazdro (réédité en 1994), suivi, en 1998, d’un Guide raisonné, sous la direction de Barry Millington — deux ouvrages approfondissant la connaissance de Wagner et permettant de prendre la mesure du génie du compositeur. Mais outre sa présentation élégante — format bible et, à coup sûr, livre de chevet —, ce Dictionnaire encyclopédique a l’avantage de s’adresser aux passionnés comme aux néophytes, et surtout, de multiplier les angles sous lesquels notre curiosité peut l’aborder, faisant preuve d’une évidente facilité à tisser correspondances, points de convergence ou d’opposition, et à repérer des simultanéités significatives.

Cette somme à la fois exhaustive et accessible donne toutes les clefs biographiques (« relations familiales », « postes occupés »), traite de questions musicologiques techniques (« harmonie », « piano (musique pour) », érudites (« Etudes wagnériennes », « Revues wagnériennes »), iconoclastes (« Ennui (Wagner source d’) »), et parvient avec bonheur à mêler histoire de la réception et histoire tout court : voir notamment les notices « Créer après Wagner ? », « antiwagnérisme », « dramaturgie wagnérienne », « Enregistrement wagnérien (histoire de l’) ». Et s’autorise par ailleurs quelques détours vers des régions généralement laissées de côté par les musicologues : « Ken Russell », « Cinéma (réflexion théorique »), la question du kitsch, de la publicité — ainsi que l’influence du wagnérisme sur l’univers fantasy, dont le Seigneur des anneaux de Tolkien est un des exemples.

En postface, Timothée Picard s’interroge : « Ne peut-on aimer aujourd’hui Wagner que malgré ? » Pour répondre à cette question, il part d’une idée simple et pourtant trop souvent oubliée — la musique n’est pas « en elle-même, antisémite ou nationaliste » —, dresse un parallèle entre la réception de Wagner en Allemagne et celle de Verdi en Italie — « que dire, par exemple, de la “Verdi-Renaissance” nationale et réactionnaire des années 1930 en Italie ? Que le nationalisme post-Resorgimento de Verdi et le nationalisme fascisant des années trente sont aussi liés que ceux de Wagner et des nazis ? » — pour avancer finalement que « Wagner et le wagnérisme ne sont pas tout entiers contenus dans la récupération nazie » mais qu’il est difficile, pour autant, de réitérer, comme le font certains, « jusqu’à la crispation l’étanchéité du monde dans lequel gravitent Wagner et son œuvre par rapport à celui où ont évolué leurs plus détestables thuriféraires ». Ce questionnement trouve une résonance particulièrement aiguë à l’heure où l’Opéra de Paris présente à son public une nouvelle production de la Tétralogie. D’autant plus que la mise en scène, signée Günter Krämer, prend le parti de revisiter certains des symboles du nationalisme européen : à cet égard, représentés la saison dernière (2009-2010), L’Or du Rhin et la Walkyrie ne faisaient pas toujours dans la dentelle ; en 2010-2011, les options retenues pour Siegfried et Le Crépuscule des Dieux seront-elles plus convaincantes ?

par Karol Beffa, le 11 novembre 2010

Pour citer cet article :

Karol Beffa, « Wagner, de Alberich à Wotan », La Vie des idées , 11 novembre 2010. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Wagner-de-Alberich-a-Wotan

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