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Recension Économie

Une enquête semi-romanesque sur l’argent sale


par Antoine Dulin , le 8 février 2008


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L’argent sale et son blanchiment : pour aborder cette ténébreuse affaire et ses ressorts occultes, Raymond Baker a recours tout à la fois à l’enquête, à la forme romanesque, et au programme politique international....

Recensé :
Le Talon d’Achille du capitalisme. L’argent sale et comment renouveler le système d’économie de marché, Raymond Baker, traduit par Marie-Blanche Daigneault, éditions alTerre 2007, 460 p., 20 euros.

Il existe encore peu de livres sur les flux de l’argent sale et les dérives qu’il entraîne sur le système capitaliste. La tâche est ardue et est souvent perçue pour beaucoup comme trop complexe. C’est pourtant le défi que s’est lancé Raymond Baker, il y a deux ans, en publiant Capitalism’s achilles heel. Dirty Money and How to Renew the Free-Market System, traduit depuis quelques mois en français. L’auteur est un ancien homme d’affaires, qui a commencé sa carrière au Nigeria avant de poursuivre ces activités dans le commerce international dans d’autres pays en développement. Reconverti depuis au monde universitaire, il intervient dans plusieurs think tank américains, Center for International Policy et Brookings Institution, où il anime des séminaires sur l’argent sale.

Le livre de Raymond Baker est à la fois un manuel et un roman, manuel parce que l’auteur présente, de manière pédagogique, les grandes méthodes de dissimulation des fonds issus des crimes mafieux, du terrorisme ou de la fraude fiscale. Dès le début de l’ouvrage, il explique, sans ambages, les techniques de fraude : sociétés écrans, prix fictifs, fausses factures et autres ruses en tout genre. Roman, car il parsème son ouvrage d’exemples, concrets et pertinents, à travers le monde : corruption, détournements, corruption, évasion fiscale, mais aussi trafics, contrebande, drogue, prostitution, contrefaçon, tout y passe. Le phénomène est mondial et le paysage des personnalités incriminées est divers ; qu’on s’appelle Mobutu, Jeffrey Skilling, ancien PDG d’Enron ou Oussama Ben Laden, ils sont nombreux à en user.

L’argent sale a pris de telles proportions qu’il représente « une menace pour la stabilité et la prospérité mondiales » s’insurge Raymond Baker. Depuis les années 1960, l’Occident a édifié une structure mondiale visant à faciliter le mouvement d’argent sale entre les pays. Les paradis fiscaux et judiciaires, le secret bancaire, les trusts, les fausses fondations, le blanchiment et les innombrables niches fiscales ont encouragé la prolifération de circuits planétaires immensément favorables aux trafics et aux détournements. Pour ce fervent défenseur du capitalisme, le système économique actuel est devenu inique et producteur d’inégalités, bien loin des théories avancées par Adam Smith. Il a été frappé pendant sa vie professionnelle par le degré de corruption, la mauvaise gouvernance et les piètres institutions d’un grand nombre de pays en développement, réalités souvent encouragées par les gouvernements occidentaux et les multinationales. Ce mal-développement tend à s’étendre ailleurs et à devenir « le talon d’Achille » du capitalisme.

Pour Raymond Baker, cet argent volé, détourné, évadé, représenterait 2 % à 5 % du PIB mondial entre 1000 et 1500 milliards de dollars par an, dont la moitié viendrait des pays en voie de développement. Il distingue trois formes d’argent sale :

  • Corruption (environ 3 % du montant)
  • Criminalité (30 à 35 %) La drogue entre 120 et 200 milliards de dollars, la contrefaçon entre 80 et 120, le racket entre 50 et 100, au total l’argent du crime est évalué entre 300 et 550 milliards de dollars.
  • Commercial (60 à 65 % du total) notamment la pratique des « prix de transfert » des multinationales, qui s’échangent les sous-produits entre leurs différentes filiales à des prix calculés au mieux pour échapper au fisc.

Ces chiffres restent des estimations puisque, depuis dix ans, malgré les discours, ni la Banque mondiale, ni les Nations unies n’ont voulu réaliser une étude approfondie sur ce fléau. L’auteur constate ainsi, dans la suite de l’ouvrage, les échecs successifs des politiques publiques mises en place par les institutions internationales et les Etats pour traquer l’argent sale. Les taux de succès sont très faibles, aux Etats-Unis, on l’estime à 0,1% des montants en jeu. Les banques sont en effet très réticentes à voir une législation qui les priverait d’importants dépôts. Elles gèrent plus d’un trillion en produits illicites chaque année, à l’exemple de la banque américaine, Citibank, qui a accueilli ces dernières années des sommes colossales des présidents Pinochet (Chili), Obiang (Guinée Equatoriale), Bongo (Gabon), sans jamais se soucier de la provenance de cet argent.

Pour Raymond Baker, il est donc urgent que la communauté internationale prenne rapidement des décisions radicales pour réduire les flux d’argent sale. Il énonce ainsi, dans la dernière partie de son ouvrage, un certain nombre de solutions : interdire l’utilisation des paradis fiscaux et judiciaires, modifier la législation des sociétés, intégrer la question fiscale dans les débats autour de la responsabilité sociale des entreprises, renforcement des règles sur le blanchiment dans les centres financiers mondiaux… Ce n’est qu’ainsi qu’on pourra renouveler le capitalisme et combattre le mal-développement.

par Antoine Dulin, le 8 février 2008

Pour citer cet article :

Antoine Dulin, « Une enquête semi-romanesque sur l’argent sale », La Vie des idées , 8 février 2008. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Une-enquete-semi-romanesque-sur-l

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