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Essai International

Trump ou la diplomatie du choc
Les enjeux de Jérusalem capitale


par Dima Alsajdeya & François Ceccaldi , le 19 décembre 2017


La reconnaissance par Donald Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël marque un revirement historique. Si ses effets juridiques sont nuls, le statut de la ville restant le même au regard du droit international, elle traduit toutefois une recomposition des alliances au Moyen-Orient, et pourrait avoir des conséquences politiques profondes.

Le président des États-Unis D. Trump a déclaré le 6 décembre 2017 qu’il reconnaissait Jérusalem comme la capitale de l’État d’Israël. Aussi surprenante qu’elle ait pu paraître, cette annonce est le résultat d’un projet ancien de la diplomatie américaine de déplacer l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem. Mettant fin à un consensus ancien de la communauté internationale sur le statut de Jérusalem, D. Trump rompt ainsi avec tous ses prédécesseurs.

Toutefois, à y regarder de plus près, sa déclaration est bien plus ambiguë qu’elle n’y paraît et rappelle, sur la forme, celle faite en février 2017 sur la solution à deux États. Le manque de clarté et les contradictions flagrantes de sa déclaration permettent à ses détracteurs de l’interpréter assez librement. Certes, il reconnaît formellement Jérusalem comme la capitale de l’État d’Israël, mais sans jamais définir clairement les limites de la ville. La décision de D. Trump contrevient de manière évidente au droit international, mais ce dernier se garde de « prendre une quelconque position sur la question du statut permanent, incluant les frontières (boundaries) spécifiques de la souveraineté israélienne à Jérusalem ». Le président des États-Unis revendique une « approche nouvelle » du conflit, mais qui reste toutefois fondée sur le principe de la « solution à deux États » et du soutien des États-Unis à l’obtention d’ « un accord de paix acceptable pour les deux parties ». Il reconnaît le droit d’Israël de choisir sa capitale et d’y exercer sa souveraineté, mais affirme dans le même temps son engagement « à maintenir le statu quo sur les lieux saints de Jérusalem », garantissant ainsi à la Jordanie ses prérogatives historiques sur l’Esplanade des mosquées.

Au delà de ces contradictions, la portée de la déclaration du président Trump doit être d’autant plus nuancée que, si le symbole est puissant, ses implications juridiques restent limitées, voire nulles. Il s’agit d’une décision unilatérale qui n’engage que les États-Unis et qui n’affecte pas le corpus juridique déjà constitué sur le statut de Jérusalem et sur les modalités de résolution du conflit en général. L’intérêt des États-Unis se situe en fait ailleurs, au niveau interne et dans la recomposition récente des rapports de force régionaux entre l’Arabie saoudite, Israël et l’Iran.

Cette déclaration n’est toutefois pas sans effet politique. Si rien ne permet de prédire les conséquences d’une telle décision dans les Territoires palestiniens, il est certain qu’en se plaçant ostensiblement du côté israélien, les États-Unis se disqualifient dans le rôle de médiateur qu’ils revendiquaient jusque-là. Les Palestiniens pourraient se réclamer d’une disposition juridique de la Charte des Nations-Unies, qui permet d’écarter du vote les parties prenantes au conflit, pour fragiliser la position des États-Unis au Conseil de Sécurité.

Le statut de Jérusalem, un invariant du droit international

Le statut de Jérusalem a fait l’objet de plusieurs résolutions spécifiques du Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU), qui sont donc par définition contraignantes pour l’ensemble de la communauté internationale.

Le 29 novembre 1947 déjà, la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) qui établit le partage de la Palestine mandataire, envisage « la création des États juif et arabe » tout en plaçant Jérusalem et ses environs sous un régime international administré par le Conseil de tutelle des Nations Unies. Ce régime spécifique, appelé aussi « corpus separatum », ne serait intégré ni à l’État juif ni à celui des Arabes.

Après la guerre de 1948, les Israéliens conquièrent 84 % de Jérusalem dans ses frontières mandataires. La partie conquise est séparée de la partie arabe, située à l’est, par un no man’s land, occupant 4,4 % de la superficie totale. La partie arabe couvre alors 11,5 % du territoire de Jérusalem [1]. Après la signature de l’accord d’armistice entre la Transjordanie et Israël le 3 avril 1949, les deux pays se partagent la ville. Entre 1949 et 1967, ce partage ne fait pas l’objet d’une reconnaissance officielle de la part des États-Unis, mais il est admis de facto. Cependant, l’Assemblée générale de l’ONU vote le 9 décembre 1949 la résolution 303(IV) et « réaffirme […] son intention de voir instaurer à Jérusalem un régime international permanent qui prévoit des garanties satisfaisantes pour la protection des Lieux saints tant à Jérusalem qu’en dehors de cette ville, et de confirmer expressément les dispositions […] de sa résolution 181 (II) ».

Pendant la guerre de 1967, Israël s’empare de la Cisjordanie, y compris la partie orientale de Jérusalem, que le parlement israélien, la Knesset, décide d’annexer formellement. En réponse à cette décision, le CSNU adopte les résolutions 242 et 252, qui condamnent l’acquisition des territoires par la force et considèrent que « les mesures et dispositions législatives prises par Israël, y compris l’expropriation de terres et de biens immobiliers qui tendent à modifier le statut juridique de Jérusalem ne sont pas valides et ne peuvent modifier ce statut ». Le 30 juillet 1980, contrevenant aux résolutions du CSNU, la Knesset fait de Jérusalem « la capitale éternelle et indivisible de l’État d’Israël » dans les lois fondamentales d’Israël. Le CSNU réaffirme par le biais des résolutions 476 et 478 que « l’adoption de la “loi fondamentale” par Israël constitue une violation du droit international » et demande aux États ayant déjà établi des missions diplomatiques à Jérusalem de les retirer de la ville sainte. Les dispositions juridiques les plus récentes, en particulier la résolution 2334 du CSNU de décembre 2016 portant sur l’illégalité de la colonisation en territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est, confirment le corpus juridique existant.

Au regard du droit états-unien cependant, le statut de Jérusalem a évolué. Dès les années 1970, les lobbys pro-israéliens aux États-Unis, tels que l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), n’ont cessé d’appeler Washington à reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et à y transférer leur ambassade. En 1995, le Congrès, fidèle à la ligne politique défendue par les États-Unis au sein du CSNU, adopte la loi prévoyant le transfert de l’ambassade états-unienne à Jérusalem (Jerusalem Embassy Relocation Act).

Depuis lors, une clause dérogatoire, signée tous les 6 mois par les différents présidents des États-Unis, a permis de repousser la mise en œuvre de cette loi en dépit des promesses électorales des candidats à la présidence. Si aucun président avant D. Trump n’a franchi le pas, c’est précisément qu’il existe un consensus international qui présume que le sort de Jérusalem ne doit se décider qu’à l’issue d’un accord bilatéral entre Israéliens et Palestiniens. Par conséquent, cette décision, en plus de contrevenir au droit international, n’a aucune implication juridique pour les parties en conflit.

Les Palestiniens, quant à eux, ont rejeté cette déclaration en accusant les États-Unis de prendre ouvertement parti dans le conflit et d’entériner la politique israélienne du fait accompli. Lors d’une conférence de presse qui a suivi la tenue d’un sommet extraordinaire de la Ligue arabe le 9 décembre dernier, le ministre palestinien des Affaires étrangères, Riyad Al-Malki a appelé le groupe arabe auprès des Nations unies à présenter un projet de résolution fondé sur l’article 37 du chapitre V de la charte de l’organisation. Il s’appuierait sur le troisième alinéa de l’article 27 (chapitre VI) qui dispose que « Les décisions du Conseil de sécurité sont prises […] par un vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents, étant entendu que […] une partie à un différend s’abstient de voter. » Si les Palestiniens arrivent à convaincre leurs partenaires arabes de proposer un tel projet, les États-Unis, en vertu desdites dispositions juridiques, ne pourraient user de leur droit de veto.

En réalité, c’est moins la violation du droit international qui préoccupe les États-Unis que la poursuite d’un projet diplomatique plus global dont Jérusalem n’est qu’un volet.

Recompositions des rapports de force au Moyen-Orient et tensions intérieures américaines

La déclaration sur Jérusalem s’accompagne de l’annonce d’un plan de paix qui constituerait le deuxième volet de cette démarche politique, que l’administration états-unienne croit pouvoir imposer aux Palestiniens à la faveur d’une recomposition récente des rapports de force régionaux. En effet, une convergence d’intérêts se dessine ces derniers mois entre les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite [2]. Pour D. Trump, l’objectif de cette déclaration serait de proposer, dans un second temps, un règlement du conflit israélo-palestinien, quel qu’en soit le contenu pourvu que les parties le signent.

Le couple présidentiel avec le roi d’Arabie Saoudite et le président égyptien, mai 2017.
Shealah Craighead

Le prince héritier Mohammad Bin Salman, qui s’est imposé récemment dans l’ordre de succession du royaume d’Arabie saoudite et a profondément modifié le système politique saoudien, en pleine mutation ces deux dernières années, ne cache plus sa proximité avec les États-Unis et avec Israël [3]. Les trois États partagent une aversion commune pour les Frères musulmans et la volonté de contrer l’influence de l’Iran au Moyen-Orient. Peu averti sur le dossier palestinien et ne souhaitant plus lui accorder l’importance qu’il avait autrefois, Mohammad Bin Salman, soutenu par les États-Unis et conforté par une poignée de conseillers libéraux, pour beaucoup d’entre eux autodidactes, a décidé de proposer un « règlement de paix », fût-il inacceptable pour les Palestiniens. Il s’agirait du « Great Deal » mentionné par D. Trump dans son discours du 6 décembre, dessiné par son gendre, Jared Kushner, et par Jason Greenblatt, son principal conseiller sur la région. Cet accord aurait été présenté à M. Abbas sans qu’il ait été préalablement consulté, lors d’un entretien entre le président de l’Autorité palestinienne (AP) et le prince héritier à Riyad, au début du mois de novembre, en pleine négociation sur la réconciliation inter-palestinienne entre le Fatah et le Hamas.

Dans son édition du 3 décembre, le New York Times révélait les contours de cet accord qui attribuerait aux Palestiniens un État constitué d’enclaves cisjordaniennes « non contiguës », excluant Jérusalem, et ne leur accorderait qu’ « une souveraineté limitée sur leur propre territoire ». Le droit au retour serait abandonné et les colonies israéliennes, intégrées à l’État d’Israël. Pour « compenser » ces pertes territoriales, les négociateurs saoudiens auraient laissé planer l’idée d’étendre la bande de Gaza sur une partie du Sinaï voisin, ce que l’Égypte aurait démenti.

Autrement dit, ce plan enterrerait toutes les revendications historiques palestiniennes. Pour le faire accepter, les pressions se sont multipliées ces derniers mois, les États-Unis menaçant notamment, mi-novembre, de fermer la représentation de l’OLP à Washington.

Les conséquences immédiates de cette déclaration peuvent être observées dans la réponse de M. Abbas. Elle s’articule autour de deux éléments : l’obtention d’une résolution au sein du CSNU pour condamner la déclaration de D. Trump et la constitution d’un front uni de pays arabes et musulmans en opposition à l’alliance des États-Unis, d’Israël et de l’Arabie saoudite. Ce dernier point s’est concrétisé par la tenue en urgence, suite à l’annonce de D. Trump, de la réunion de l’Organisation de la Coopération islamique à Istanbul à l’initiative de Premier ministre turc R. Erdogan. Le 13 décembre, les 48 pays réunis ont proclamé « Jérusalem-Est capitale de l’État de Palestine » et condamné le « sabotage délibéré de tous les efforts de paix, qui alimente l’extrémisme et le terrorisme, et menace la paix et la sécurité internationales ».

Par ailleurs, si les jeux d’alliance au Moyen-Orient semblent avoir favorisé la déclaration politique de D. Trump, il est aussi fort probable que cette annonce ait été motivée par des considérations nationales. En effet, quelques jours avant la déclaration, l’enquête du procureur spécial Robert Mueller sur l’ingérence de la Russie dans les élections présidentielles américaines de 2016 et la collusion présumée entre des proches de D. Trump et Moscou, aurait été accélérée grâce à l’accord de Michael Flynn, ancien conseiller à la sécurité nationale de D. Trump et inculpé dans cette enquête, de coopérer avec la justice. Il est possible qu’embarrassé par ce dossier, D. Trump ait cherché à distraire l’opinion publique états-unienne, déjà très sceptique vis-à-vis de sa politique, par une nouvelle déclaration intempestive [4]. Son impopularité pousse le président à se distinguer de ses prédécesseurs tout en flattant le socle de son électorat, la droite évangélique états-unienne. Cette dernière, dont l’attachement à l’État hébreu a des fondements théologiques, ne cache pas son soutien et son adhésion profonde au projet politique israélien.

Ce revirement de la politique états-unienne et l’abandon de D. Trump des principes du droit international sur le statut de Jérusalem ont entraîné de nombreuses manifestations de colère et de multiples condamnations, car elle touche à un objet éminemment politique. Par conséquent, même si cette déclaration n’a pas d’impact juridique sur les principes de règlement du conflit, elle contrarie politiquement la perspective d’un règlement fondé sur le respect du droit international. Elle affaiblit par ailleurs la position de l’Autorité palestinienne en donnant des gages à ceux qui, dans la classe politique palestinienne, n’ont jamais cru à la possibilité d’un règlement négocié. L’Autorité palestinienne pourrait toutefois bénéficier de la disqualification des États-Unis et inciter d’autres acteurs à intervenir dans ces négociations, comme ils ont cherché à le faire ces dernières années afin d’isoler les Israéliens.

par Dima Alsajdeya & François Ceccaldi, le 19 décembre 2017

Pour citer cet article :

Dima Alsajdeya & François Ceccaldi, « Trump ou la diplomatie du choc. Les enjeux de Jérusalem capitale », La Vie des idées , 19 décembre 2017. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Trump-ou-la-diplomatie-du-choc

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Notes

[1Walid Khalidi « The Ownership of the U.S. Embassy Site in Jerusalem », Journal of Palestine Studies, vol. 29, n°4, 2000, p. 81.

[2Sur l’alliance des États-Unis, d’Israël et de l’Arabie saoudite, voir notamment René Backmann, « Jérusalem : le coup de force de Donald Trump » et Sylvain Cypel, « Jérusalem. Donald Trump rompt avec cinquante ans de politique américaine ».

[3Le 16 novembre 2017, le site d’information saoudien Elaph publiait une interview du chef de l’armée israélienne, le lieutenant-général Gadi Eisenkote, immédiatement relayée par le journal israélien Haaretz. Ce genre d’entretien est sans précédent entre les deux pays.

[4Le taux de popularité de D. Trump est le plus bas des 70 dernières années, oscillant entre 33 % et 38 %. Sur cette question, voir « How popular is Donald Trump ? ».

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