Les promoteurs du confucianisme politique y voient la promesse d’une gouvernance mondiale « sans exclus », le dépassement des égoïsmes nationaux qui mettent en péril notre planète. Mais vu de près, le concept de Tianxia est lui-même un puissant levier du nationalisme chinois.
Photo : Une cérémonie de sacrifice à Confucius, Elizabeth
– Sheng Hong, Wei wanshi kai taiping (Ouvrir le chemin de paix pour dix mille générations), Pékin : Beijing daxue chubanshe (Maison d’édition de l’Université de Pékin), 1999.
– Zhao Tingyang, Tianxia tixi : shijie zhidu zhexue daolun (Système Tianxia : introduction de la philosophie de l’institution mondiale), Nankin : Jiangsu jiaoyu chubanche (Maison d’édition de l’éducation de Jiangsu), 2005.
– Chen Yun, Tianxia huo tiandi zhijian : zhongguo sixiang de gudian shiyu (Tianxia ou entre le Ciel et la Terre : l’horizon classique de la pensée chinoise), Shanghai : Shanghai sanlian shudian, 2007.
Si le renouveau actuel du confucianisme en Chine relève d’une instrumentalisation politique de la culture, c’est aussi, et même surtout, une façon pour les intellectuels chinois de s’engager dans la politique. En reprenant pour leur compte des concepts confucéens censés révéler « la tradition chinoise », certains chercheurs contribuent à établir, sur la scène politique chinoise contemporaine, une position à la fois conservatrice et « avant-gardiste ». Ils sont conservateurs non seulement parce qu’ils préconisent le retour à un idéal politique que les temps modernes auraient perdu de vue, mais aussi parce qu’ils cherchent à prouver une continuité entre la tradition et le temps présent, sans jamais remettre en question le caractère autoritaire du régime chinois actuel. « Avant-gardistes », ils n’hésitent pas à critiquer la démocratie et les droits de l’homme, ces instruments de propagande dont les « occidentaux » se servent pour asseoir leur domination sur le monde, et auxquels ils entendent opposer une idéologie « proprement chinoise ». De cette manière, la pensée néo-confucianiste rejoint, au moins en apparence, la critique postmoderne de l’« illusion du progrès » et de l’universalité de la démocratie comme des idées eurocentriques. Elle joue sur la tension entre la volonté de réforme politique et la défense obstinée du rôle du « Parti-État », entre le désir d’insérer la Chine dans le monde et les tentatives de renforcer l’identité chinoise face à la mondialisation. Et c’est un jeu habile.
Confucius et modernité
Le rapport entre le confucianisme, la modernisation et la démocratie n’est pas un sujet nouveau en Chine ; il poursuit les intellectuels chinois depuis le début du XXe siècle. Avant la Révolution communiste, à l’époque où les modernisateurs s’en prenaient violemment à tout ce qui était « traditionnel » en Chine, certains intellectuels tentaient de défendre la tradition confucianiste en la relisant à travers le prisme de la démocratie libérale. Après 1949, ce courant de pensée s’est exilé à Taiwan et a poursuivi son travail de réinterprétation, dont l’héritage résonne encore aujourd’hui dans la Chine continentale. Mais la préoccupation principale des rénovateurs actuels du confucianisme est tout autre : au lieu de faire de Confucius un « démocrate » – ou, inversement, de valider la démocratie en montrant que c’est chez lui qu’elle puise ses racines – ils optent pour une forme d’intransigeance. Plus un penseur paraît radical, plus il est en vogue, et ceux qui attirent les plus d’attention frôlent le fondamentalisme, comme Jiang Qing, qui propose de créer un Sénat composé de penseurs confucianistes, Kang Xiaoguang, qui demande à ce que le confucianisme soit reconnu comme une religion d’État [1], ou Gan Yang, qui appelle à une « République socialiste confucéenne » [2].
Tianxia, un concept cosmopolite
Les arguments avancés par ce courant sont souvent démagogiques et un peu naïfs ; toujours est-il que les questions qu’ils posent au sujet de la démocratie, du rôle de la culture dans la mondialisation et de l’avenir de la Chine méritent notre attention, d’autant plus qu’ils tentent de définir la place de la Chine sur l’arène internationale. Depuis plusieurs années en effet, certains d’entre eux, ne se contentant plus de théoriser la gouvernance chinoise, se mettent à promouvoir une conception des relations internationales et parlent même d’une nouvelle « institution mondiale ». En l’occurrence, le mot clé tiré du dictionnaire confucéen est celui de Tianxia, « Tout-sous-le-ciel ». Il faut s’y arrêter un moment et explorer cette notion de l’intérieur de la pensée chinoise, pour saisir l’héritage intellectuel qui y résonne et comprendre son importance actuelle.
Il n’est pas aisé d’en donner une définition claire, tant Tianxia est chargée de polysémie et d’histoire. Utilisé par tous les courants de pensée chinois depuis Laozi (VIe siècle av. J.-C.) et Confucius (551-479 av. J.-C.), ce terme veut dire tout d’abord « monde terrestre », le « tout sous le ciel ». Il s’agit moins du monde physique que d’une représentation de l’univers comme un ordre hiérarchisé, où la « vertu » de ses membres (hommes civilisés, barbares, animaux) détermine la place qu’ils y occupent, et dirigé par un « représentant du ciel » (Tianzi ou Wang, le « fils du ciel » ou le souverain). Dans le Livre des Odes édité par Confucius, nous trouvons ainsi ce vers célèbre disant que « Tout sous le ciel universel n’est que le sol de Wang ».
Ce sens primaire procure à Tianxia, dans la pensée chinoise traditionnelle, deux significations politiques. D’une part, il offre une vision de la société des hommes comme un tout et ouvre la possibilité de la voir un jour unifiée sur le plan politique. Dans un monde divisé en une multitude d’États/pays (guo) distincts, Tianxia introduit l’idée de transcender ces clivages et de construire un espace politique universel. D’autre part, cette opposition entre le tout et la partie se traduit par une théorie de la légitimité politique où les États/pays représentent la politique de la force, et les éternels cycles de l’essor et du déclin auxquels celle-ci donne lieu, tandis que Tianxia introduit un pouvoir idéal, global et éternel. Ainsi, Mencius (aux alentours de 380-289 av. J.-C.), le plus important parmi les lettrés qui ont poursuivi et développé l’œuvre de Confucius, souligne qu’« on a vu des hommes dépourvus de ren (humanité, la vertu centrale confucéenne) obtenir le pays, mais jamais un homme dépourvu de ren n’a atteint Tianxia » [3]. Autrement dit, seule une autorité politique qui suit la « Voie » (Dao), ou le « cœur du peuple », sera reconnue comme légitime et digne de gouverner les affaires du monde [4].
Au XVIIe siècle, Gu Yanwu (1613-1682), un autre grand lettré confucéen, a introduit une distinction plus nette encore entre Tianxia et guo. En allusion à l’invasion des Mandchous et la chute de la dynastie Ming (1368-1644), il suggère que même celui qui a perdu son pays peut et doit défendre Tianxia : c’est la responsabilité de tout homme. [5] Ici, le mot prend le sens du « monde civilisé ». Gu n’avait rien inventé ; « la pacification de Tianxia » a toujours été le sens ultime du message politique du confucianisme. Ce message consiste à transformer le monde en un espace unifié, en accord avec l’idéal de l’humanité civilisée.
En ce sens, le concept de Tianxia permet de développer une éthique universaliste au sein même de la pensée confucéenne, éthique qui relativise la légitimité du guo (État/pays) et qui peut donc entrer en tension avec le nationalisme ; certains chercheurs chinois affirment même qu’en se modernisant, la Chine s’est transformée d’une « civilisation » en un État-nation « à l’occidentale » [6]. Il est vrai que Tianxia paraît pour ainsi dire en décalage avec les évolutions du XXe siècle ; si le mot est toujours vivant dans la langue courante, où il désigne à la fois le monde, le pouvoir politique et le peuple, il a été exclu (à quelques exceptions près [7]) de la pensée politique chinoise. Il fallait attendre jusqu’au milieu des années 1990 pour que certains penseurs chinois le redécouvrent comme un concept fécond. Interprété d’abord comme le « prototype chinois » de l’idée de la mondialisation [8], il donna ensuite lieu, grâce notamment aux efforts de l’économiste Sheng Hong, à un courant de pensée nouveau : le tianxiaïsme, qui, à en croire son promoteur, non seulement permettra à la Chine de dépasser la civilisation occidentale, mais ouvrira également la voie vers la paix universelle.
La Chine face au « dilemme du prisonnier »
Né en 1954 à Pékin, Sheng Hong est connu en Chine pour ses recherches sur l’économie institutionnelle. Parallèlement à son travail de professeur à l’Université de Shandong (à Jinan, la province de Shandong), il dirige actuellement l’Institut économique Tianze à Pékin, un des rares instituts chinois indépendants en sciences sociales, fondé en 1993 par Sheng et plusieurs autres économistes de renom. C’est au même moment que Sheng a commencé à s’intéresser au concept de « civilisation » [9]. À l’automne 1995, il a publié le premier fruit de sa réflexion en la matière, un article paru dans la revue Zhanlüe yu guanli (Stratégie et gestion), où il jette les bases d’une argumentation qu’il développera par la suite.
S’inscrivant dans la théorie du choix rationnel, Sheng définit la civilisation comme un mode de résolution des conflits où les acteurs sont guidés par le calcul des coûts et des bénéfices, et où le « but du jeu » est de reconnaître que la coopération est plus rationnelle que la rivalité. Cependant, une civilisation est toujours ancrée dans un espace-temps donné et chaque civilisation possède ses propres normes et ses règles pour résoudre ses conflits ; lorsque les différentes civilisations entrent en contact l’une avec l’autre, le conflit s’avère souvent inévitable. C’est dans ces termes que Sheng interprète l’échec de la Chine dans son affrontement avec l’Occident à l’époque moderne : la victoire de l’Occident ne résultait pas de sa compétitivité marchande mais de sa supériorité militaire. Pendant les siècles qui ont vu l’Occident dominer le monde, les relations internationales n’obéissaient pas à la règle du libre commerce, mais à celle qui veut que « la meilleure armée gagne » [10]. Si la Chine fut entraînée dans le conflit avec l’Occident et si elle l’a perdu, c’est parce que la civilisation chinoise, plus « civilisée », n’était pas habituée à la conquête belliqueuse.
Certes, les rapports de force évoluent et la Chine apprend vite les règles du jeu imposées par l’Occident ; mais pour Sheng, la montée en puissance de la Chine devrait plutôt contribuer à modifier ces règles. Au nationalisme d’origine occidentale, Sheng oppose ainsi un « tianxiaïsme » (tianxia zhuyi) d’inspiration confucianiste : là où le premier fonde l’unité du groupe sur des critères ethniques ou culturels, le second propose un cadre identitaire commun pour l’humanité entière. Mais il reconnaît que le tianxiaïsme est difficile à appliquer, et que la Chine se trouve devant une sorte de « dilemme du prisonnier » : si elle parvient à convaincre les autres civilisations à adopter la même stratégie, tout le monde y gagnera ; mais si ses concurrents optent pour la poursuite aveugle des intérêts nationaux, elle sera certainement vaincue. Par conséquent l’appel de Sheng est paradoxal : si le tianxiaïsme s’oppose en principe à tous les nationalismes, Sheng fait exception pour le nationalisme... chinois. À l’entendre, ce dernier serait purement défensif et ne chercherait pas à conquérir le monde : la Chine est appelée à créer un nouvel ordre mondial fondé dans l’esprit de Tianxia, et elle le fera... dès que son nationalisme lui permettra d’accumuler assez de puissance.
Les idées de Sheng n’ont pas tardé à susciter débat. Parmi les critiques, la plus représentative est celle de Qin Hui, professeur d’histoire à l’Université de Tsinghua (Pékin). S’il apprécie la façon dont Sheng relie le libéralisme économique à une conception éthique des relations internationales, Qin doute que le confucianisme soit la bonne voie pour la réaliser [11]. La Chine, remarque-t-il non sans raison, n’a jamais été un pays du libre échange où les peuples vivent en harmonie. Et comment une civilisation peut-elle aspirer à propager dans le monde entier les principes du libéralisme, – qui implique nécessairement certaines libertés, d’entreprendre, de mobilité, d’accès à l’information, etc. – sans les appliquer elle-même ? En réalité, poursuit Qin, les conflits internationaux ne sont pas des conflits de civilisations, mais des conflits d’intérêts. L’identité d’une civilisation ou d’une culture imprègne les systèmes esthétiques plutôt que les valeurs ou les façons de penser. Pour cette raison, les cultures sont incomparables sur le plan des valeurs : tout ce qu’on peut comparer et évaluer, ce sont les institutions, notamment celles du système politique.
Malgré les critiques, Sheng a poursuivi la promotion du tianxiaïsme comme la voie de la paix universelle. L’intitulé de son livre publié en 1999, Ouvrir le chemin de paix pour dix mille générations [12], reprenait une phrase célèbre de Zhang Zai (1020-1077), grand lettré confucéen sous la dynastie Song (960-1279). Dans ce livre, il distingue de nouveau la culture occidentale, nationaliste et socialement darwiniste, et la culture chinoise, « tianxiaïste » et pacifique. Et de nouveau, l’analyse aboutit au paradoxe : le nationalisme et le darwinisme social sont des moyens pour la Chine de réaliser l’idéal du tianxiaïsme. [13]
Quelles conséquences pratiques peut-on tirer du tianxiaïsme ? Un début de réponse – mais ce n’est qu’un début – vint en 2006, au moment de la crise nucléaire iranienne. Sheng dirigeait un numéro spécial du mensuel Xinqingnian Quanheng (La nouvelle jeunesse : Revue chinoise) consacré à la prévention de la guerre nucléaire. Il y remettait en cause la légitimité des sanctions américaines contre l’Iran ; pour lui, la course aux armements nucléaires trouve sa source profonde dans le darwinisme social et dans le système fondé d’États-nations. Il faut donc briser la légitimité des cinq puissances pour la possession des armements nucléaires et introduire le principe du tianxiaïsme dans l’ordre mondial. Sheng propose trois mesures concrètes pour augmenter les prix payés par les puissances nucléaires et les bénéfices des pays non-nucléaires. D’abord il faut réformer l’ONU, en privant par exemple les « nouvelles » puissances nucléaires (comme l’Inde) du droit de devenir nouveau membre permanent du conseil de sécurité. Deuxièmement, il faut imposer de nouvelles obligations aux pays nucléaires ; par exemple, de ne pas utiliser le premier des armes nucléaires, ou de ne pas utiliser ou menacer d’utiliser les armes nucléaires contre des pays qui en sont dépourvus (la Chine s’y est déjà engagée). Troisièmement, Sheng propose de créer une fondation pour la réduction des armes nucléaires, financée par les pays nucléaires selon leur proportion de la quantité des armes nucléaires.
Une gouvernance mondiale « sans exclus »
En dépit de nombreuses critiques, Sheng est devenu une référence incontournable sur le champ intellectuel chinois, pour les nationalistes comme pour leurs critiques [14]. Pourtant, il n’a jamais formulé une véritable doctrine ; il s’agit plutôt d’une rhétorique traditionaliste tant aimée de tous les conservateurs, où Tianxia se laisse facilement remplacer par le mot « monde » ou « globalité ». C’est un autre penseur, Zhao Tingyang [15], qui l’a explicitement distingué de la notion du « monde » du chinois courant. Selon Zhao, il n’existe pas encore, au moins pas dans la tradition occidentale, de théorie du monde : au mieux, nous avons des théories des affaires inter-nationales, mais aucune catégorie du monde en tant que tel, uni et irréductible. Cette incapacité de penser le monde comme un tout a des conséquences réelles : la pensée politique moderne ne reconnaît pas vraiment l’intérêt commun au delà de l’État-nation, et considère le monde comme un espace sans souveraineté, où il n’y a que des ressources à exploiter. Contrairement à ce que pensent les optimistes, poursuit Zhao, la mondialisation en cours ne nous conduit pas à la sortie de cette situation, mais plutôt à l’intensification et à la brutalisation de la compétition entre États-nations. Ce qui émerge de cette mondialisation-là n’est pas une société mondiale, mais un nouvel empire, incarné pour le moment par les États-Unis.
Ainsi, si Zhao propose lui aussi de revenir à Tianxia, c’est précisément parce qu’elle invite à dépasser l’État-nation, et que les problèmes mondiaux ne peuvent plus être affrontés qu’à l’horizon mondial : c’est la condition préalable de la gouvernance mondiale. Dans cette gouvernance « sans exclus » (wuwai) qu’offrirait la notion chinoise d’empire (dans la version idéalisée qu’en livre Zhao), il n’y a pas de différences hiérarchiques entre États et nations : tous « ceux sous le ciel » sont dans un même ordre, le pouvoir/responsabilité est distribuée selon le « mandat céleste » et le « cœur du peuple ». La vraie obligation de l’Empire est de mettre le monde en ordre, et non de le dominer : chaque pays doit essayer de « faire de ses ennemis ses amis » – pour les inciter dans ce sens, il suffit de donner exemple.
Les arguments de Zhao ont souvent été critiqués comme ambigus. Selon l’économiste Zhang Shuguang par exemple, il aurait non seulement opposé de façon arbitraire la Chine et l’Occident, mais aussi mal interprété l’histoire chinoise elle-même [16]. Zhao s’est efforcé d’y répondre en distinguant plus nettement les principes de Tianxia de leurs applications concrètes [17] : si la politique de la dynastie féodale Zhou (1046 - 256 av. J.-C.) lui paraît un « modèle » de Tianxia, le régime centralisé fondé par la dynastie Qin (221 - 206 av. J.-C.), qui domina la Chine pendant deux mille ans, aurait « trahi » les intentions initiales du système. [18] De cette façon, l’histoire de Tianxia ne se confond plus avec celle de l’Empire chinois.
Malgré les critiques, l’essai de Zhao a été salué par nombre d’intellectuels chinois, qui y ont vu une vraie source d’inspiration. Selon Zhou Lian, qui enseigne la philosophie occidentale à l’Université du peuple (Pékin), Zhao a réussi avec ce livre à transformer les concepts chinois des objets interprétés en outils interprétateurs, et à mettre en même temps en doute l’individualisme méthodologique qui domine la philosophie politique occidentale, et qui cherche à « justifier l’État » à partir des individus considérés comme des être atomisés, rationaux et égoïstes [19]. Bien entendu, explique Zhao, il existe des approches holistes dans la philosophie politique occidentale, mais les affaires internationales y sont traitées strictement du point de vue de l’État-nation, et la plupart des théories des relations internationales ne sont que des théories des politiques domestiques nationales déployées sur la scène internationale.
Selon Gan Chunsong, spécialiste de l’histoire du confucianisme enseignant à la même université que Zhou, le livre de ce dernier serait un excellent exercice de la méthode confucéenne visant à « réformer les institutions présentes en se prévalant de celles du passé » (tuogu gaizhi), comme ce qu’a essayé de faire par Kang Youwei (1858-1927), le grand réformiste confucéen au tournant du XIXe siècle vers XXe siècle [20]. Grâce à cette méthode, explique Gan, Zhao peut rester fidèle à la vérité historique tout en mettant en valeur le potentiel d’un concept ancien comme Tianxia.
Les traces de Tianxia
Le troisième représentant du confucianisme politique que nous voulons présenter ici, Chen Yun [21], part lui aussi de l’idée d’une transformation pour la Chine d’une « civilisation » en un État-nation, mais affirme que l’État-nation est imprégné de l’héritage confucéen. D’après lui, les « Trois principes du peuple » – Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple – formulés par Sun Yat-sen (1866-1925) et érigés au rang de l’idéologie de la révolution républicaine de 1911, ensuite l’idéal sociétal imposé par le
Parti communiste à la Chine populaire fondée en 1949, sont tous influencés par le confucianisme : le premier est une réinterprétation de l’idée de minben (primauté du peuple), le dernier est un nouveau discours utopique de datong (intégration universelle). Ses arguments à l’appui, Chen cite Dai Jitao (1891-1949), un des principaux dirigeants et théoriciens du Kuomintang [22], pour qui la révolution républicaine n’est pas une rupture dans l’histoire chinoise, mais plutôt une perpétuation de la lignée confucéenne qui va de Confucius à Sun Yat-sen. Chen croit aussi discerner, dans le discours communiste chinois, un ensemble d’expressions implicitement issues de la tradition confucéenne : la « loi historique » n’est qu’une traduction moderne du « mandat céleste », les « masses populaires » comme le fondement de la légitimité politique est en réalité un nouveau nom du Tianxia ; le « fils du peuple » comme une nomination d’honneur réservée aux dirigeants est une version sécularisée du « fils du ciel ». Ainsi, Chen affirme que dans une certaine mesure, la pensée de Tianxia du confucianisme n’a jamais été complètement évacuée de la vie politique chinoise : elle intervient, de façon discrète mais en continue, dans la modernisation de la Chine.
Chen propose trois stratégies pour retrouver l’horizon de Tianxai dans la vie quotidienne des Chinois d’aujourd’hui. La première consiste à restaurer la culture confucéenne de liyue (rite et musique) pour changer « le climat social » et neutraliser l’effet de la bureaucratisation de la vie moderne. Suivant en cela Gan Yang, Liu Xiafeng et d’autres auteurs, Chen voit chez Mao Zedong la volonté de lutte contre toutes sortes de bureaucratisation et d’institutionnalisation. Ainsi, la Révolution culturelle (1966-1976) n’est qu’une « destruction créative » qui a non seulement permis au peuple de devenir le vrai sujet de la modernisation chinoise, mais aussi ouvert un chemin chinois différent du modèle soviétique élitiste et centralisé. Pour transformer la société, Mao se serait appuyé moins sur la bureaucratie que sur la campagne. Les exemples les plus connus des campagnes lancées par Mao sont sans doute le « Mouvement de rectification du style de travail » (1942-1943) [23] au sein du Parti communiste et le « Mouvement d’apprendre auprès du Lei Feng » (1963) [24] qui gardent leur influence jusqu’à aujourd’hui. À en croire Chen, tous ces mouvements viennent en droite ligne de la culture confucéenne de liyue, qui change l’esprit des gens « de l’intérieur » à travers des activités multiples collectives, au lieu d’imposer des normes institutionnelles de l’extérieur.
En deuxième lieu, Chen propose de réviser l’histoire officielle de la Révolution communiste, et de la remplacer par une vision inspirée par le confucianisme, pour qu’elle s’adapte au besoin de la construction du pays dans un contexte nouveau. Enfin, il faut réintroduire la dimension morale et spirituelle dans la culture chinoise, c’est-à-dire de former des junzi (hommes de bien confucéens) plutôt que de simples citoyens, de sorte que la logique de l’État-nation influence moins l’existence individuelle. Selon Chen, après cent ans de construction de l’identité nationale, justifiée par la volonté de sauver le pays de la division et du chaos, il est temps de s’interroger sur la tension entre cette identité moderne et l’identité traditionnelle de l’homme civilisé. Pour lui, la véritable identité chinoise ne se trouve que dans la personne du shi (lettré-officiel) et du junzi, qui vont bien au delà les limites du citoyen national. Au sujet de ces deux dernières stratégies, Chen ne nous indique pas la méthode concrète pour les mettre en œuvre ; il semble cependant que la multiplication de mouvements dédiés au renouveau de la « culture chinoise traditionnelle », tant parmi les intellectuels que dans la société en tant que telle, soit un signe de l’émergence des pratiques dans cette direction [25]. Bien que ces mouvements se donnent des objectifs éducatifs, éthiques, esthétiques ou religieux, ils jouent un rôle politique qui mérite une analyse approfondie.
Un nationalisme déguisé
Malgré leurs critiques sévères et raffinées du nationalisme et du système international fondé sur l’État-nation, le ton nationaliste est très marqué dans toutes les élaborations théoriques consacrées à Tianxia, certes dans une forme très intellectualisée, académique. La philosophie politique et la plupart des disciplines de « sciences sociales » enseignées en Chine contemporaine sont en réalité toutes importées de l’Occident, et elles restent dominées par les concepts, les théories et les méthodologies occidentales. C’est pourquoi, pour beaucoup de chercheurs chinois, la « sinisation » des sciences sociales est une des missions prioritaires. D’après ceux-ci, tant que les sciences sociales ne « parlent » pas en chinois, les Chinois ne sont que des applicateurs des discours occidentaux et non pas des sujets indépendants de la production scientifique. Naturellement, pour parvenir à cette fin, le retour au lexique chinois ancien et la critique de l’eurocentrisme constituent les deux stratégies principales. Si Tianxia est devenu un mot « à la mode » ces dernières années [26], c’est précisément parce qu’il sert à mettre en discours une version alternative de la mondialisation. « Tianxia » est incontestablement « chinois » grâce à sa racine linguistique, en même temps, il renvoie à un idéal cosmopolite qui dépasse le nationalisme, notamment celui occidental. Nous avons donc un nationalisme qui apparaît contre lui-même.
Cette tentative de « sinisation » du discours scientifique est légitime et peut être utile pour le développement des sciences sociales dans leur ensemble. Cependant, pour mieux expliquer la motivation des intellectuels que nous étudions ici, la seule cause scientifique ne suffit pas et une analyse de leurs rapports avec le pouvoir est indispensable. En fait, après le défait du mouvement démocratique en 1989, subissant la censure mais profitant en même temps des fruits de la croissance, les intellectuels chinois ne s’unissent plus dans la demande de démocratisation. Ils se sont divisés en plusieurs camps, certains formant une « alliance objective » avec le régime, croyant que les intérêts des Chinois dépendent de la puissance de la nation, et donc de la stabilité du pouvoir en place. Beaucoup d’entre eux sont persuadés que le chemin pris par la Chine n’est finalement pas si mauvais, surtout en comparaison avec le sort des anciennes républiques soviétiques qui, après une démocratisation rapide, ont souvent connu des crises économiques profondes, des bouleversements politiques voire des guerres. Mais rallier un régime en manque de légitimité peut être embarrassant pour ceux qui n’osent pas nier ouvertement la valeur de la démocratie, et une « mascarade » s’avère souvent nécessaire. En ce sens, tout comme l’« innovation institutionnelle » et la « modernité est-asiatique », termes utilisés par la « nouvelle gauche » chinoise pour justifier la vision d’un État fort et défiant les standards occidentaux, Tianxia est une façon pour les conservateurs de déguiser leur propre nationalisme et leur collaboration (volontaire ou non) avec le pouvoir en place.
En effet, il est frappant de voir que si les trois auteurs proposent une vision du monde comme un Tout, ils ne l’appliquent pas à leur propre recherche. À les entendre, le « monde » ne consisterait qu’en l’Occident et la Chine : le premier est la source de tous les maux, la seconde apparaît comme une civilisation porteuse de solutions. Bien entendu, leurs critiques de l’Occident ne sont pas sans fondement. Mais l’occidentalisme aussi bien que l’orientalisme méconnaissent la complexité de la modernité occidentale, et ignorent les changements considérables intervenus dans le système des relations internationales depuis la Deuxième Guerre mondiale, et en particulier depuis la fin de la Guerre froide. Dans cette vision binaire du « monde » comme une opposition sino-occidentale, la promesse du dépassement de l’État-nation débouche en réalité sur la sonderweg chinoise : le nationalisme chinois serait, dans sa nature même, mondialiste.
Comme certains critiques l’ont fait remarquer, la vision de l’Occident développée par ces penseurs est simpliste et souvent assez naïve ; toujours est-il que l’opposition Chine - Occident s’avère efficace en ce qu’elle leur permet de parler au nom de « la philosophie chinoise », de « la pensée chinoise », de « la Voie chinoise »… En prétendant définir le rapport entre la Chine et un monde dominé par l’Occident, ils mettent en récit une identité collective chinoise qu’ils espèrent construire de pair avec le pouvoir actuel.
En dernière analyse, les théories de Tianxia s’intéressent moins au monde qu’à la place de la Chine dans l’arène internationale, ainsi qu’à la place d’une certaine pensée chinoise dans le champ intellectuel. Zhao Tingyang le dit très clairement : s’il a écrit son livre, c’est parce que la Chine « est déjà sur la scène [internationale] » et qu’elle « ne peut ne rien dire ». Tianxia désigne de façon condensée ce dont la Chine montante doit parler au monde. Jouissant du privilège d’être porte-parole de la « tradition chinoise », Zhao et d’autres auteurs évoquent sans cesse une « Chine » abstraite, homogène et intemporelle. En ce sens, contrairement à leurs intentions, leur Tianxia n’est pas et ne peut pas être un simple horizon mondial sans centre : la Chine reste et doit rester au milieu du monde. Ainsi, par le biais de la notion de Tianxia, leur vision idéaliste de la culture se mue en un conservatisme politique bien réaliste. [27]
Ji Zhe, « Tianxia, retour en force d’un concept oublié. Portrait des nouveaux penseurs confucianistes »,
La Vie des idées
, 3 décembre 2008.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr/Tianxia-retour-en-force-d-un
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[1] Sur le confucianisme de Kang Xiaoguang et Jiang Qing, voir Ji Zhe, « Confucius, les libéraux et le Parti. Le renouveau du confucianisme politique », publié dans La Vie des Idées, mai 2005. Pour un état des lieux du renouveau du confucianisme en Chine contemporaine, voir Sébastien Billioud, « “confucianisme”, “tradition culturelle” et discours officiels dans la Chine des années 2000 », Perspectives chinoises, n° 100, 2007.
[2] Voir Gan Yang, « Ruxue yu xiandai : jianlun ruxue yu dangdai zhongguo » (Confucianisme et modernité : à propos du confucianisme et la Chine contemporaine), dans Fudan daxue sixiangshi yanjiu zhongxin (ed.), Jingxue, zhengzhi yu xiandai zhongguo (Études classiques, politique et Chine moderne), Shanghai : Shanghai renmin chubanshe (Maison d’édition du peuple de Shanghai), 2007 ; « Zhongguo daolu : sanshinian yu liushinian » (La Voie chinoise : trente ans et soixante ans), Dushu (Lire), n° 6, 2007.
[4] Œuvres de Mencius, IV. I. 9. Il faut souligner que dans l’histoire réelle, cet idéalisme politique est souvent paradoxalement utilisé à des fins réalistes : si seul le souverain qui a le « mandat céleste » (tianming) peut régner le Tianxia, le fait de la prise du pouvoir du Tianxia par un empereur est déjà la preuve de la légitimité de ce pouvoir. En un mot, ce qui est réel est rationnel.
[6] Voir l’analyse de Joseph R. Levenson dans son Confucian China and its Modern Fate : A Trilogy, Berkeley, University of California Press, 1965.
[7] Par exemple, Liang Shuming (1893-1988) a bien prêté attention à la notion de Tianxia dans sa comparaison de la culture chinoise avec la culture occidentale, voir ses essais republiés dans Liu Mengxi (ed.), Zhongguo xiandai xueshu jingdian : Liang Shuming juan (Œuvres classiques de recherches en Chine moderne : volume de Liang Shuming), Shijiazhuang : Hebei jiaoyu chubanshe (Maison d’édition de l’éducation de Hebei), 1996.
[8] Dans son « Quanqiuhua yu zhongguo wenhua » (Mondialisation et culture chinoise), Taipingyang xuebao (Journal Pacifique), n° 2, 1994, Li Shenzhi, un penseur qui se définit comme communiste mais qui soutient pourtant les réformes démocratiques, mobilise les discours de Tianxia pour justifier son appel d’insérer la Chine dans la tendance de la mondialisation. Selon lui, la Chine libérée de l’imprimable occidental ne doit pas toujours s’attacher au nationalisme, mais doit adopter le mondialisme qui correspond bien à la pensée traditionnelle chinoise de Tianxia. Pour lui, la « pacification du Tianxia » d’aujourd’hui ne consiste qu’en établissement des ordres mondialisés d’économie, de politique, de justice et de morale.
[9] En chinois wenming, dont le sens originel est « embellir-éclairer » ou « embelli-éclairé ». Par extension, ce mot signifie le fait d’illuminer, de civiliser et la manière d’agir sans violence. À l’époque moderne, il est employé pour traduire le mot occidental « civilisation », pour désigner l’état d’évolution matérielle et spirituelle d’une société ou de toute l’humanité.
[10] Les guerres de l’opium du milieu du XIXe siècle sont des applications concrètes de ce principe.
[11] Qin Hui, « Guanyu “xin manzu zhengfu lun” yu zhengjiu wenming zhi lu » (Sur le nouveau discours de la Chine conquise par les barbares et la voie vers le salut de la civilisation), Zhanlue yu guanli, n° 4, 1996 ; « Ziyouzhuyi yu minzuzhuyi de qihedian zai nali ? » (Où se trouve le point d’articulation entre le libéralisme et le nationalisme ?), Dongfang (L’Orient), n° 3, 1996.
[12] Sheng Hong, Wei wanshi kai taiping, Pékin : Beijing daxue chubanshe (Maison d’édition de l’Université de Pékin), 1999.
[13] Il semble cependant que la pensée de Sheng ait évolué depuis, sous l’effet de ses entretiens en 2002 avec Jiang Qing (publiés dans Jiang Qing et Sheng Hong, Yi shan zhi shan [Utiliser de bons moyens pour arriver à une bonne fin], Shanghai : Shanghai sanlian shudian, 2004), un autre penseur politique confucianiste, qui refuse avec force l’idée que la Chine doive développer ses capacités militaires pour réaliser l’idéal de la Tianxia. Il souligne ainsi que la paix universelle de Kant n’était qu’un équilibre institué par le droit et issu de la neutralisation mutuelle des forces égoïstes. Mais une société a toujours besoin d’un lien moral pour compléter l’institution. Sheng applique la même idée aux relations internationales : le lien moral est déjà exprimé par le confucianisme, il y a plus de deux mille ans, dans son idéal d’unifier par le moral et non par la force, c’est-à-dire, dans le gouvernance de ren (renzheng) et l’idéal mondialiste d’« intégration universelle » (datong).
[14] Dans les plus récentes critiques envers le nationalisme conservateur, le tianxiaïsme de Sheng Hong est toujours une cible visée. Voir par exemple, Wu Jiaxiang, « Mincuizhuyi de san zhi shou » (Les trois mains du populisme), Nanfang zhoumo (Week-end du Sud), le 24 avril 2008 ; Xu Youyu, « Jialefu shijian yu dangdai zhongguo de minzu zhuyi » (Le boycott de Carrefour et le nationalisme chinois contemporain), Nanfang dushi bao (Journal des citadins du Sud), le 11 mai 2008.
[15] Né en 1961, chercheur à l’Institut de la philosophie de l’Académie des Sciences Sociales, Zhao en est venu à s’intéresser à l’histoire de la pensée chinoise et à s’approcher des conservateurs culturels. En 2005, il a publié Système Tianxia : introduction de la philosophie de l’institution mondiale, (Tianxia tixi : shijie zhidu zhexue daolun, Nankin : Jiangsu jiaoyu chubanche (Maison d’édition de l’éducation de Jiangsu), considéré par beaucoup comme une tentative intelligente de récréation de la philosophie chinoise. Pour une expression de ses idées en français, voir Zhao Tingyang, « La philosophie du tianxia », Diogène, n° 221, 2008.
[16] Zhang Shuguang, « Tianxia lilun he shijie zhidu : jiu Tianxia tixi wen xue yu Zhao Tingyang xiansheng » (La théorie de Tianxia et l’institution mondiale : quelques questions posées à Monsieur Zhao Tingyang sur son livre Système Tianxia), Zhongguo shuping, vol. 5, 2006.
[17] Zhao Tingyang, « Fanzhengzhi de zhengzhi » (La politique anti-politique), Zhexue yanjiu (Études philosophiques), n° 12, 2007.
[18] Sous la dynastie des Zhou, la Chine est soumise au règne de la famille des fils du ciel, mais ceux-ci ne contrôlent directement que la région de la capitale. Partout ailleurs du pays, ce sont les princes et les nobles qui gouvernent les États d’une façon autonome. Mais la paix et l’équilibre de ce système ne durent pas long temps. A partir de la seconde moitié du VIIIe siècle av. J.-C., les États féodaux se trouvent souvent en guerre, dont les plus grands et plus forts deviennent des « hégémons » (pa) et le pouvoir du fils du ciel n’est que nominal. Confucius a vécu justement à cette époque bouleversée, c’est pourquoi il souhaite restaurer le régime rituel du début de la dynastie Zhou sous lequel chacun reste pacifiquement à sa place hiérarchisée.
[19] Zhou Lian, « Tianxia tixi de liangtiao fangfalun yuanze » (Deux principes méthodologiques du Système Tianxia), Zhongguo shuping, vol. 5, 2006.
[20] Gan Chunsong, « Tianxia : quanqiuhua shidai de “tuogu gaizhi” » (Tianxia : “réformer les institutions présentes en se prévalant de celles du passé” à l’époque de la mondialisation), Zhongguo shuping, vol. 5, 2006.
[21] Né en 1973, Chen a obtenu son titre de docteur en philosophie en 2001. Il est actuellement maître des conférences au département de philosophie à l’Université normale de Chine de l’Est (Shanghai) et auteur d’un nombre respectable de publications sur le confucianisme. En 2007, il a publié son troisième livre intitulé Tianxia ou entre le Ciel et la Terre : l’horizon classique de la pensée chinoise (Tianxia huo tiandi zhijian : zhongguo sixiang de gudian shiyu), Shanghai : Shanghai sanlian shudian, 2007, dans lequel il a recueilli ses articles écrits depuis 2005 sur la pensée politique confucéenne et la modernité chinoise. Ses dernières idées du Tianxia que nous présentons ici se trouvent dans son Xianshidai de jingshen shenghuo (La vie spirituelle au temps présent), Pékin : Xinxing chubanshe (New Star Press), 2008.
[22] Le Parti nationaliste chinois fondé par Sun Yat-sen en 1919, qui dirigea la Chine républicaine de 1928 à 1949, puis fut défait par le Parti communiste dans la guerre civile (1946-1949) et expulsé à Taiwan.
[23] Grâce à cette campagne pendant laquelle on a organisé une série d’« études » de la pensée de Mao et des « critiques et autocritiques », Mao a réussi d’établir son statut incontestable du dirigeant suprême du parti, de maîtriser ou éliminer ses concurrents, et de mettre en œuvre sa politique de faire servir la littérature et l’art au pouvoir.
[24] Lei Feng (1940-1962) est un soldat de l’armée communiste. Il incarne un ensemble de qualités promues par le parti : sans aucune considération d’ordre personnel, obéissance absolue, pleine de haine envers les ennemies de classe, sacrifice de la vie pour la cause publique. Après sa mort dans un accident de camion au cours d’une mission en 1962, Lei Feng a été salué par Mao lui-même, devenant un modèle imposé par le régime au peuple, en particulier à la jeunesse.
[25] Pour des descriptions et des analyses de ce phénomène, voir Sébastien Billioud et Joël Thoraval, « Jiaohua : le renouveau confucéen en Chine comme projet éducatif », Perspectives chinoises, n° 101, 2007 ; Ji Zhe, « Éduquer par la musique : de “l’initiation des enfants à la musique classique” à la “culture de soi” confucéenne des étudiants », Perspectives Chinoises, n° 104, 2008.
[26] La notion de Tianxia ne séduit pas seulement les politologues confucéens contemporains. Par exemple, pour une réinterprétation anthropologique de Tianxia, voir Wang Mingming, « Minzu yu guojia : cong Wu Wenzao de zaoqi lunshu chufa » (Ethnie et État : à partir des premières recherches de Wu Wenzao), Yunnan minzu xueyuan xuebao (Journal de l’Institut des nationalités de Yunnan), n° 6, 1999 et n° 1, 2000 ; « Zuowei shijie tushi de Tianxia » (Le Tianxia comme un schéma du monde), dans Wang Mingming, Xixue zhongguohua de lishikunjing (La difficulté historique de la sinisation des sciences occidentales), Guilin : Guangxi shifan daxue chubanshe (Maison d’édition de l’Université normale de Guangxi), 2005.
[27] Il est intéressant de souligner que dans le film Héro (2003) réalisé par Zhang Yimou, le cinéaste chinois le plus connu au monde, le Tianxia est aussi le sujet central de la préoccupation. Ce film présente une histoire imaginée : convaincus simplement par le mot « Tianxia », deux guerriers parmi les meilleurs ont renoncé aux derniers moments à leur mission d’assassiner le futur premier Empereur dans l’histoire chinoise, Ying Zheng. En effet, ils comprennent, tout à coup, que la guerre déclenchée par Ying Zheng n’est pas la cause de la souffrance du monde, mais au contraire, la solution pour mettre un terme à cette souffrance en unifiant Tout-sous-le-ciel. Il nous semble que quelques dialogues dans ce film montrent bien ce que certains intellectuels chinois ne peuvent dire directement : « il ne faut pas tuer le roi », car « le Tianxia est lourd de significations ».