William Bourdon est avocat au Barreau de Paris et fondateur de l’association
Sherpa, dont le but est «
de défendre les victimes de crimes commis par des opérateurs économiques
»
Quel est le grand enseignement des révoltes qui ont amené les peuples arabes à briser les chaines du despotisme ? La corruption est un cancer pour l’état de droit, la démocratie et le développement. S’agissant du développement, la corruption est plus une source de paupérisation dans les pays pauvres que dans les pays riches. Mais elle reste un poison qui peut mithridatiser à chaque instant la république. Elle est d’abord un facteur de privatisation de l’espace public. Elle aggrave d’une façon nette la perte de confiance déjà historiquement lourde en France et en Europe entre les citoyens et ceux qui sont chargés d’incarner le bien public et l’intérêt général. Elle pousse ceux qui en sont les acteurs à violer la séparation des pouvoirs. Parce que quand on corrompt ou quand on profite de sa fonction, pour s’enrichir, on n’a qu’une obsession : organiser son impunité. Nécessairement, on fait se retourner dans sa tombe Montesquieu : on méprise les juges, on les contourner – comme cela a été fait depuis quelques années d’une façon caricaturale sous la présidence de Nicolas Sarkozy. La corruption sous toutes ses formes est un danger extrême pour la démocratie et in fine elle aggrave les problèmes de cohésion sociale, alors que celle-ci est un ferment absolument indispensable de l’unité et de la solidarité nationales.
Pour faire face à ce cancer, il est indispensable de tourner notre regard vers l’Europe. Il ne faut pas perdre de vue les exigences de prévenir les conflits d’intérêt et de légiférer à l’échelon national, mais à l’échelon européen cette question va se poser de façon de plus en plus lourde. Pourquoi ? D’abord parce que les décisions prises impactent de plus en plus la vie de plus de 300 millions de personnes. Il y a une génération de lobbyistes qui l’a bien compris : ils ont investi Bruxelles et sont tout à fait conscients qu’il faut essayer de retarder, compliquer, d’entraver tout processus de décision publique sur la régulation financière ou le droit pénal de l’environnement. Or il n’y a pas de mécanismes de contrôle préventif qui soient indexés et proportionnels à l’importance de la décision publique susceptible d’être prise à Bruxelles. Des gens sont en situation de conflit d’intérêt ; cela fait l’objet de polémiques et de rumeurs dans les couloirs des institutions européennes ; mais ce n’est pas suffisant : un jour il faudra ouvrir ce grand chantier de la lutte contre la corruption à l’échelle européenne.
Un exemple : l’agence européenne qui est chargée de participer au processus très compliqué d’autorisation de mise sur le marché des médicaments – Dieu sait si c’est important aujourd’hui. On sait qu’elle est investie cette agence par des personnes proches de groupes pharmaceutiques. S’il n’y a pas d’obligations déclaratives adossées à un risque de sanction pénale pour ceux qui participent au processus de décision publique relative à la mise sur le marché des médicaments en Europe, on laisse en fait la voie libre aux laboratoires pharmaceutiques qui ont développé la capacité d’influence sur les décisions publiques la plus puissante qui soit à l’échelon de la planète. Il va falloir que les citoyens européens s’engagent sur ce chantier.
Pourtant, les nouvelles règles qui ont été posées en France sont un petit pas en avant, extrêmement frileux et timide, pas du tout à la hauteur de ce que notre démocratie exige. Les déontologues au niveau de l’Assemblée Nationale, quelque soit leur bonne volonté, disposent de moyens tout à fait insuffisants : recommandations et contrôles font bien sur le papier, l’institution est sympathique, mais relève de l’institution croupion, de l’institution alibi. Il faudrait lui donner la possibilité de saisir le parquet en provoquant des enquêtes. Mais même si elle était dotée de plus de pouvoirs, ça ne suffirait pas. Les déontologues et des chartes anti-corruption existent partout dans les entreprises du CAC 40 : ça n’a pas empêché les scandales. Ces institutions de contrôle peuvent même parfois servir à couvrir la pérennisation d’un certain nombre de comportements frauduleux.
Surtout l’efficacité des mesures dépend des élus eux-mêmes. Or, pour l’instant ils n’ont pas véritablement d’obligation déclarative. Ils remplissent leur déclarations sur papier libre, y mettent à peu près ce que leur conscience morale leur dicte, sans véritable contrôle ni risque de sanction pénale. Le point essentiel est là : on peut faire dire ce qu’on veut à tous les élus de la planète. On peut leur dire « décrivez dans telle ou telle déclaration, si vous avez des intérêts dans telle société, quel est votre patrimoine ? ». Dès lors que le mensonge, l’émission ou la duplicité paient, il y aura toujours des gens qui ne sont pas forcément des grands voyous qui ne joueront le jeu qu’à moitié et cela aura des conséquences lourdes sur les décisions publiques à venir en participant à la perte de confiance des citoyens dans la chose publique. Donc il faut des sanctions pénales, lourdes et dissuasives. Il y a un rapport qui est passé inaperçu il y a deux ans et qui explique que l’environnement à l’échelon européen n’est pas dissuasif parce que les grandes industries polluantes ont incorporé dans leur stratégie financière le coût qui peut résulter des amendes auxquelles ils seraient condamnés. C’est la même chose pour les élus : il faut que les sanctions soient véritablement dissuasives pour qu’il y ait une vraie contrainte qui s’exerce sur eux, une contrainte de vérité, de probité, d’intégrité : c’est ça qu’attendent les citoyens.
Transcription par Stéphanie Mimouni.
Vidéo réalisée par David Bornstein.
Montage : Thomas Grillot.
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Pour citer cet article :
David Bornstein, « Sanctionner la corruption. Entretien avec William Bourdon »,
La Vie des idées
, 30 mars 2012.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr/Sanctionner-la-corruption
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