Ce texte résume les principaux axes d’un Livre blanc rédigé pour le compte de l’
Observatoire de l’éthique publique par un groupe de cinq juristes et politistes qui sera publié sur le site de l’Observatoire le 9 décembre prochain, date «
anniversaire
» qui marque, non sans ironie, tout à la fois les premières arrestations du Qatargate en 2022 et la journée mondiale de lutte contre la corruption : Antoine Vauchez, Lola Avril, Chloé Fauchon, Emilia Korkea-aho, Juliette Lelieur,
Un an après le Qatargate. Protéger l’Union européenne contre les conflits d’intérêts et la corruption, Livre blanc de l’Observatoire de l’éthique publique, 2023.
Les scandales ont une vertu démocratique. Non seulement ils témoignent, par leur retentissement, de l’attachement des citoyens à l’éthique publique et au caractère démocratique des processus décisionnels, mais ils offrent aussi un éclairage précieux, quoique souvent cruel, sur le fonctionnement concret de nos institutions politiques et administratives. Le Qatargate n’a pas dérogé à la règle avec l’arrestation en décembre 2022 d’une vice-présidente du Parlement européen, d’un assistant parlementaire et d’un ancien député, tous trois accusés d’avoir pris part à un système corruptif visant à peser sur les prises de position de l’assemblée parlementaire à l’égard du pays organisateur de la Coupe du monde 2022. Si l’affaire est extrême à bien des égards, ce qu’elle révèle l’est moins, à savoir le fait que la chaîne de décision européenne est aujourd’hui soumise à la pression continue et soutenue d’une politique de l’influence qui emprunte des voies diverses (corruption directe, conflits d’intérêts, etc.) qui sont autant de courts-circuits et contournements des processus démocratiques.
Mais le Qatargate a aussi rappelé que, dans une Union européenne qui s’est historiquement pensée comme une fabrique de politiques publiques, voire une vaste agence régulant le Marché unique, le « souci de soi » de la démocratie européenne reste encore embryonnaire [1]. Au moment où les États et l’Union européenne sont appelés à conduire la conversion écologique de nos sociétés et nos économies et à faire face à une multiplicité de crises, le Qatargate a fait voir la vulnérabilité et l’impréparation des institutions européennes face à la puissante politique de l’influence qui s’est construite à leur périphérie. Ces défis monumentaux imposent aujourd’hui de jeter les bases d’un nouvel « art de la séparation » [2] qui place en son cœur la protection de l’autonomie des espaces de décision et de délibération politiques et garantisse ainsi la pérennité de la démocratie dans l’Union européenne. Parce qu’elle est le laboratoire et la vitrine commune des États membres, mais aussi parce qu’elle a fait de la lutte contre la corruption un des piliers de sa politique d’élargissement, l’Europe de Bruxelles a ici une responsabilité particulière.
Le faible « souci de soi » de la démocratie européenne
Si certains continuent d’affirmer que la corruption et les conflits d’intérêts sont endémiques dans toute forme de gouvernement, il existe de nombreuses raisons de penser que la vulnérabilité aux stratégies d’influence des démocraties européennes en général, et de l’Union européenne en particulier, s’est accrue au fil des dernières années. À mesure que les pouvoirs publics se transformaient, sous l’effet du tournant néolibéral des années 1990, en une longue chaîne de « régulateurs » (ministères économiques, agences indépendantes, banques centrales, voire cours) qui organisent et surveillent le fonctionnement libre et concurrentiel des marchés privés, les acteurs économiques sont devenus de plus en plus dépendants des orientations de la régulation publique, mais aussi des subventions et des investissements massifs qui orientent aujourd’hui la transition écologique et digitale (Green New Deal, Plans de relance, etc.). Parce qu’elle gouverne un marché de 450 millions de consommateurs et 22 millions d’entreprises, l’Union européenne est une cible privilégiée des stratégies d’influence, qu’elles viennent des grandes entreprises, des groupes d’intérêt les plus divers voire des gouvernements étrangers. Et ce d’autant plus que, par la taille de ce marché et par la concentration de ce pouvoir de régulation, le pôle européen exerce un effet structurant (parfois appelé Brussels’ effect) sur l’ensemble de l’économie globale, bien au-delà de ses frontières [3].
Une puissante politique de l’influence
De fait, les processus de décision européens sont aujourd’hui soumis dans l’Union européenne à une pression particulièrement forte. Toute une industrie de l’intermédiation et de l’influence s’est ainsi développée le long du « récif corallien » [4] qui va des capitales européennes à Bruxelles [5] et qui n’a pas cessé d’augmenter au fil du temps en taille, en professionnalisme et en influence politique [6]. De fait, les travaux universitaires comme le réseau des acteurs de la lutte contre la corruption, qu’il s’agisse de la médiatrice européenne ou des ONG, ont de longue date documenté la diversité des manières par lesquelles ce champ l’influence et d’intermédiation pèse aujourd’hui sur la prise de décision publique européenne, et ce bien au-delà du seul lobbying : un jeu de « portes glissantes », ou sliding doors, jalonne l’ensemble des institutions de l’UE, enrôlant assistants parlementaires, commissaires, députés européens et hauts fonctionnaires dans une circulation continue entre le régulateur et les régulés [7] ; un espace de cumul d’activités s’est progressivement développé pour les parlementaires dans les mondes du conseil et de l’expertise [8] ; une dépendance enfin s’est constituée à l’égard des grandes entreprises quand il s’agit de financer certains espaces clés, que ce soient des forums d’expertise technique [9], des lieux de délibération politique [10], voire, plus surprenant encore, des présidences du Conseil de l’Union par les divers États membres [11]. Si rien de tout cela n’est illégal en soi, ces pratiques bien ancrées dans le champ du pouvoir européen sont particulièrement propices à l’apparition d’un ensemble de risques (de conflits d’intérêts, de capture, de corruption) qui, mis bout à bout, forment un continuum de menaces permettant à certains intérêts privés (grandes entreprises, groupes d’intérêts, voire États tiers, etc.) de peser de manière disproportionnée sur les processus décisionnels de l’UE.
La chose est d’autant plus préoccupante que l’Union européenne apparaît particulièrement vulnérable aux stratégies d’influence. On l’a dit, celle-ci s’est constituée historiquement autour du grand projet du Marché unique et, tout à cette entreprise monumentale sans cesse relancée, la Commission européenne et à moindre titre le Parlement européen, ont noué avec les entreprises et leurs groupes d’intérêt un partenariat étroit. Au fil de la montée en puissance du pouvoir régulateur européen, ces derniers sont en effet devenus les interlocuteurs privilégiés de la petite bureaucratie bruxelloise de la Commission européenne en quête d’expertise des secteurs économiques, en même temps que ses alliés stratégiques dans la constitution d’une autorité politique vis-à-vis des États membres.
À cette relation symbiotique qui n’a été que partiellement perturbée par l’entrée du Parlement européen dans le jeu législatif, s’ajoute la faiblesse structurelle de la « société civile » de l’UE, qui sape la capacité de mobilisation des citoyens européens face aux scandales. Faute de médias d’échelle européenne qui pourraient faire apparaître les intérêts d’un « public européen », le petit groupe des ONG spécialisées dans le domaine de l’éthique publique (Corporate European Observatory, Transparency International, Follow the Money, etc.) paraît bien isolé dans la « bulle bruxelloise » et tout indique que leur capacité à peser sur l’agenda politique reste limitée. Si les scandales de corruption leur ouvrent bien de loin en loin des fenêtres d’opportunité, ce n’est que de courte durée, comme l’a montré le Qatargate qui n’a suscité qu’une attention éphémère, à l’exclusion des médias des pays « directement » concernés du fait de la nationalité des accusés (Belgique, Grèce, Italie).
Une culture institutionnelle permissive
Mais il y a plus : le Qatargate a révélé une culture institutionnelle « permissive » qui vient s’ajouter à l’état général de vulnérabilité des processus de décisions européens décrit jusqu’ici. Ce n’est pas seulement que les puissants pôles économiques des institutions européennes (Direction générale de Concurrence, du Marché intérieur, etc.) sont historiquement sensibles et réceptifs aux stratégies d’influence des grands groupes et de leurs conseils (avocats, lobbyistes, etc.), au nom de la compétitivité et de l’attractivité du Marché intérieur dont ils se posent en garants [12]. C’est aussi que monte dans l’administration européenne depuis la réforme néo-managériale de son organisation et de son recrutement du début des années 2000, de nouveaux profils plus fréquemment passés par le secteur privé que leurs aînés et moins prompts à voir dans les aller-retour un risque de conflit d’intérêts [13], voire considérant ces mobilités comme un plus – comme l’a montré en juillet 2023 l’affaire de la nomination (finalement avortée) de la professeure américaine et consultante multi-casquette Fiona Scott Morton comme Chief Economist de la Direction générale de la Concurrence [14]. En somme, loin d’être une citadelle assiégée que viendraient menacer « de l’extérieur » les stratégies d’influence des grands groupes, la Commission participe également de la sous-estimation structurelle des enjeux d’éthique publique. Ce défaut de vigilance diffus au sein des institutions de l’UE se manifeste dans une préférence générale pour des règles déontologiques non contraignantes (la soft law des chartes et codes de conduite), des comités d’éthique consultatifs privés de véritables pouvoirs d’enquête ou de décision, et des formes d’auto-régulation profondément ancrées dans chacune des institutions qu’il s’agisse de la Commission, le Parlement, la Banque centrale européenne, etc.
Le Comité d’éthique ad hoc de la Commission, créé en 2003 en est un exemple notable. Renommé comité d’éthique indépendant en 2018, cet organe examine l’emploi postérieur à une charge publique (pour faire suite au pantouflage de l’ancien président de la Commission Manuel Barroso chez Goldman Sachs), il a fait preuve d’une efficacité limitée et semble être devenu davantage un outil de protection de la réputation de la Commission qu’un instrument de contrôle solide [15], le nombre d’avis d’incompatibilité étant remarquablement faible et le Comité faisant preuve d’une extrême prudence dans le contrôle de l’application de ses propres avis, au nom de la nécessité de protéger la vie privée et la réputation des entreprises recrutant les anciens commissaires.
Au-delà, le public a découvert à l’occasion du Qatargate la faiblesse à l’échelle européenne de l’arsenal pénal, dont on sait pourtant qu’il est le levier privilégié qui assure aux sociétés contemporaines la protection de leurs valeurs fondamentales. Le Parquet européen, dont la création en 2021 avait été présentée comme l’acte de naissance d’un espace pénal européen, s’est avéré incompétent (au sens juridique du terme) pour poursuivre les personnes mises en cause dans le Qatargate puisque son mandat se limite à la seule protection des intérêts financiers de l’UE tandis que les autres intérêts publics de l’UE, tels que l’intégrité du processus décisionnel public européen, échappent à sa compétence... À défaut, il a fallu que ce soit des juges d’instruction ou procureurs belges, italiens et grecs qui mènent l’enquête et engagent de ce fait des procédures plus complexes, plus longues, mais aussi de ce fait plus vulnérables aux tactiques dilatoires des avocats, que celles que nous aurions connues dans le cadre d’un système répressif européen offrant une protection complète des intérêts publics européens.
Un nouvel « art de la séparation »
Sans doute n’est-il pas possible de défaire, par la seule efficacité d’une combinaison d’outils institutionnels, un système collusif qui s’est consolidé au fil des décennies. Reste que l’UE s’est jusqu’ici montrée bien peu ambitieuse dans l’examen de solutions qui viendraient dépasser sa préférence habituelle pour les outils de la transparence, les instruments juridiques non contraignants (soft law) et l’auto-régulation. Et si le Qatargate a été suivi d’un ensemble de réformes déontologiques, notamment du côté du Parlement, elles tiennent plus à ce stade des « lois de panique » apportant par des solutions institutionnelles ad hoc à certains des symptômes qu’elles ne répondent véritablement aux nombreuses alertes formulées notamment par la Médiatrice Emily O’Reilly quant à la nature systémique de l’enjeu.
Identifier les intérêts lésés de la société européenne
Il faut dire que la démocratie européenne reste opaque à elle-même et qu’elle peine à connaître ce qui se trame à ses frontières au-delà d’un savoir fragmenté. Ce défaut de connaissance n’est pas seulement problématique en ce qu’il empêche d’apprécier l’ampleur et la gravité des risques qui pèsent sur les processus de décision européens et de sensibiliser le public européen à l’importance qu’il y a à protéger la démocratie dans l’UE ; mais aussi parce qu’il permet à toutes sortes de récits démagogiques (sur le mode du « tous pourris ») de prospérer et de délégitimer les institutions européennes dans leur totalité. D’où l’utilité qu’il y aurait à construire, au niveau européen, un Observatoire de l’intégrité de la démocratie, permanent et indépendant, et doté (sur le modèle de l’Observatoire européen de la fiscalité aujourd’hui par Gabriel Zucman) d’un large mandat permettant de construire les méthodologies et d’accumuler les connaissances relatives aux menaces systémiques et aux réseaux d’intérêts qui pèsent sur le fonctionnement de la démocratie européenne (portes tournantes, sous-traitance de l’UE à des sociétés de conseil, commande publique européenne, dépenses de lobbying, etc.).
Un tel Observatoire permettrait également de mieux évaluer les coûts des conflits d’intérêts et de la corruption. Jusqu’ici, ces coûts ont été le plus souvent analysés sous l’angle de l’atteinte portée à la « réputation » des différentes institutions de l’UE (la Commission ou le Parlement) ou des personnes concernées (députés européens, commissaires et hauts fonctionnaires) – sans voir l’atteinte globale et diffuse portée à l’ensemble de la démocratie européenne. Or, les conflits d’intérêts et la corruption sapent avant tout l’idée même de citoyenneté et sa promesse d’égalité devant la loi qui est censée imprégner l’ensemble du fonctionnement des institutions publiques européennes : accès égal aux droits, aux fonctions publiques, distribution juste et transparente de l’argent public, participation égale aux décisions publiques. Si on les juge à l’aune de la promesse égalitaire qui est au cœur de la démocratie [16], les pratiques corruptives et collusoires entraînent encore un coût collectif à long terme pour la société européenne elle-même. Les scandales qui jalonnent l’histoire de l’UE se paient en effet d’une moindre légitimité de ses institutions et, par conséquent, d’une moindre capacité à prendre en charge et à résoudre, à l’avenir, les problèmes d’échelle européenne auxquels nous faisons collectivement face (guerre et paix, destruction écologique, montée des inégalités, etc.), pour lesquels des institutions publiques solides, fiables et légitimes sont nécessaires. De ce point de vue, c’est l’ensemble des citoyens de l’UE qui sont les victimes diffuses de ces pratiques corruptives et collusives.
Des limites de la transparence à la protection pénale de la démocratie européenne
Si on se tourne maintenant vers la boîte à outils institutionnels, il faut bien dire que c’est l’arsenal de la transparence qui s’est imposé comme le principal outil de lutte contre les conflits d’intérêts et la corruption avec l’idée que les obligations de transparence qui pèsent sur les acteurs publics et privés de la décision européenne constitueront une incitation suffisamment forte pour engager une dynamique vertueuse et transformer les comportements [17]. Il ne s’agit pas bien sûr de dénier la valeur démocratique de ces politiques de transparence. Mais leur capacité transformatrice dans le domaine de l’éthique publique a été largement exagérée. Ce n’est pas seulement que la transparence totale (« transparence du bocal ») est illusoire et en grande partie irréalisable ; ni que les mesures de transparence ont tendance à générer un « effet de halo » qui déplace les efforts et débats politiques vers l’instrument lui-même (ses failles, son application, etc.) tout en faisant perdre de vue à la fois l’objectif (la protection de l’éthique publique) et les résultats réels. C’est aussi que la transparence n’offre pas une solution globale : elle peut aider à dresser un inventaire de la situation, mais elle ne peut contrecarrer le développement d’une politique de l’influence à la périphérie des institutions européennes ni faire face au caractère systémique des conflits d’intérêts qui fragilisent la démocratie dans l’Union européenne.
Dans un contexte d’imbrication inédite entre les régulateurs publics, les grandes entreprises et les groupes d’intérêt, il ne suffit pas de rendre les activités de lobbying et d’influence « transparentes », pour échapper aux risques liés aux conflits d’intérêts et à la corruption. C’est dire que la proposition de créer un organe d’éthique européen en charge d’assurer le respect des obligations de transparence (sur le patrimoine et les liens d’intérêt), et d’enquêter sur les manquements des députés européens et des commissaires semble incomplète. Il pourrait certes utilement contribuer à rationaliser le patchwork actuel de l’éthique publique dans l’UE, avec ses nombreuses règles et codes de conduite ad hoc. Mais l’expérience de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique française, aujourd’hui érigée en modèle réformateur à l’échelle européenne [18], incite à la prudence, tant son efficacité dans la détection des conflits d’intérêts, mais aussi dans la prise en compte de leur dimension systémique reste incertaine [19].
Mais si c’est bien la « société européenne » qui se trouve aujourd’hui collectivement lésée par l’atteinte à l’intégrité des processus démocratiques dans l’Union, alors c’est bien d’abord du côté de l’arsenal du droit pénal qu’il faut aujourd’hui porter le regard. Pour sa fonction « pédagogique », car il conduit à expliciter les valeurs fondamentales de la société européenne et diffuse une culture de l’intégrité publique non seulement parmi les fonctionnaires, mais aussi parmi les organisations de la société civile et les entreprises. A contrario, l’absence de sanctions pénales marquerait une forme d’indifférence de la société européenne à l’égard des enjeux de probité publique au sein des institutions de l’UE. Mais aussi pour son effet dissuasif, si les sanctions prononcées apparaissent justes et si elles sont proportionnées à la gravité de l’atteinte portée aux valeurs démocratiques.
De ce point de vue, l’adoption d’une directive européenne sur la protection pénale de l’intégrité de la démocratie dans le fonctionnement de l’Union européenne viendrait renforcer la protection des dirigeants politiques et administratifs européens. Les infractions nouvelles pourraient inclure la corruption active et passive, telle que définie dans la convention de l’UE de 1997 sur la corruption, ainsi que le trafic d’influence actif et passif, tel que défini dans la convention pénale de 1999 du Conseil de l’Europe, ou encore les comportements les plus graves résultant de conflits d’intérêts. Au-delà, le renforcement de cette protection pénale par l’extension de la compétence de l’OLAF et du Parquet européen aux infractions pénales contre les intérêts démocratiques de l’Union, ces organes n’étant à ce jour qu’habilités à agir qu’en rapport avec les atteintes aux seuls intérêts financiers de l’Union.
Mais adopter, comme on le fait ici, le point de vue de la « société européenne » et de ses intérêts lésés emporte une dernière conséquence : le degré de séparation et d’étanchéité entre les sphères publique et privée d’activités tel qu’il se construit au travers des règles en matière de « portes tournantes », de cumuls de fonctions, de prévention des conflits d’intérêts, ne relève pas seulement d’une discussion entre experts, ni d’une simple ingénierie institutionnelle. Si « l’art de la séparation » a inévitablement une dimension technique, il convient d’éviter les pièges de la technicisation. Non pas seulement parce qu’il n’y a pas de solution miracle (magic bullet) en la matière et que l’ingénierie institutionnelle ne saurait à elle seule résoudre un problème dont on a dit les racines politiques et économiques profondes. Mais surtout parce que le niveau de perméabilité (ou d’étanchéité) entre la sphère des institutions publiques et le secteur privé marchand et, par conséquent, la nature des protections que nous souhaitons collectivement construire autour de la démocratie européenne, varient selon les positions politiques des uns et des autres, qu’ils soient conservateurs, libéraux, écologistes, sociaux-démocrates, ou gauche « radicale » [20]. Dès lors, la tâche des experts en la matière n’est pas de venir clore le débat, mais bien plutôt de l’ouvrir en envisageant des ensembles de solutions, complémentaires les unes des autres, et des niveaux de protection possibles. La campagne à venir pour l’élection du Parlement européen en juin 2024 offre une occasion unique pour en débattre.