Recensé : Marc Bessin, Claire Bidart, Michel Grossetti (dir.), Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, Paris, La Découverte, coll. « Recherches », 2010, 397 p., 28 €.
Prolongeant une série de rencontres organisées entre 2003 et 2006 par un groupe de sociologues, d’historiens et d’économistes, ce livre présente et interroge à la fois les outils et concepts aujourd’hui à disposition des sciences sociales afin d’étudier les « situations de bifurcation », entendues au sens large du terme : qu’elles recouvrent un événement, une rupture, une révolution, une crise, une catastrophe, un risque, etc., que ces derniers soient vécus individuellement ou collectivement [1]. Bien qu’à dominante sociologique, le présent volume, élargi à d’autres contributeurs ainsi qu’à d’autres disciplines (philosophie, science politique), revêt un caractère pluridisciplinaire qui offre au lecteur un vaste panorama des perspectives de recherche ouvertes par la notion générique de bifurcation. Il serait cependant exagéré et surtout mal approprié de faire comme si les notions d’événement et de bifurcation – en réalité, les deux principaux concepts de l’ouvrage – reflétaient un champ d’investigation clairement délimité, de même qu’en la matière existent des précédents, qui conduisent à en relativiser la nouveauté [2]. L’ouvrage dirigé par Marc Bessin, Claire Bidart et Michel Grossetti n’en demeure pas moins original et s’impose surtout d’emblée comme une référence à part entière au regard du nombre de textes rassemblés – dont plusieurs traductions inédites – et de la diversité des thèmes abordés : vingt-trois chapitres répartis en cinq parties, allant de textes de cadrage généraux à l’étude détaillée du sens et des formes d’incertitude qui travaillent les bifurcations, en passant par leur morphologie ou leur inscription dans des logiques de rupture et de continuité plus traditionnelles.
Plutôt que de dresser un bilan sommaire et nécessairement partiel de ces travaux, extrêmement divers tant dans les approches mobilisées que les terrains étudiés par leurs auteurs, on voudrait ici profiter de la posture de lectores offerte par la rubrique des comptes rendus pour indiquer une lecture possible, bien que non-exhaustive, des différentes contributions réunies dans cet ouvrage. Ce qui conduit, tout d’abord, à ne pas nécessairement suivre l’agencement qui en est proposé et, en grande partie, à le simplifier, afin d’en souligner quelques-unes des idées centrales ; l’autre conséquence, non moins attendue, étant de pouvoir également en proposer une lecture critique, qui pose au passage quelques questions et émet aussi des réserves, nourries essentiellement par d’autres regards.
Bifurcation, une notion générique
Dans leur texte introductif, les trois coordinateurs de l’ouvrage insistent sur la façon dont la tradition sociologique française et notamment la filiation durkheimienne s’est globalement construite – comme en histoire ou en économie – sur un rejet de la contingence et des singularités. En ce qui concerne la sociologie, le regain d’intérêt pour les bifurcations et les événements dont témoigne le présent volume trouve alors ses principaux points d’appui – à l’exception peut-être de Jean-Claude Passeron – à l’étranger : chez Georg Simmel, Anthony Giddens, Peter L. Berger et Thomas Luckmann, certains sociologues interactionnistes (Anselm L. Strauss, Everett C. Hugues, à propos de la notion de « turning point », notamment). La sociologie pragmatique française et son concept d’épreuve sont également mentionnés au titre des recherches qui se montrent aujourd’hui particulièrement attentives aux moments de rupture ou de « décrochage », bien qu’essentiellement centrées à l’origine sur la manière dont se règlent les disputes [3]. Plus largement, toujours selon M. Bessin, C. Bidart et M. Grossetti, le renouvellement de l’attention prêtée à ce type de situations ou de processus, commun à la plupart des sciences sociales, serait aussi à mettre en relation avec l’influence de conceptions dynamiques issues des sciences de la nature, plus ouvertes à l’imprévisibilité et à la complexité du vivant, où la notion de bifurcation, tout comme celles d’événement ou de singularité [4], sont parfois expressément utilisées.
Afin d’éclaircir cette « nouvelle donne », les coordinateurs de l’ouvrage dressent un tableau fort utile (p. 33) des différentes approches possibles de l’événement et des bifurcations par les sciences sociales, en distinguant deux postures de recherche : l’une « objectivante », dans laquelle l’analyste, tout en écrivant l’histoire, construit l’événement et lui donne sens ; l’autre « subjectivante », où l’analyste, portant la parole de l’événement vécu, adopte une démarche plus compréhensive, où prime le sens donné par les acteurs. Les nombreuses coordonnées et déclinaisons associées à ces modèles (« déterminisme anti-narratif », « positivisme narratif », « narrativisme discursif », etc.) en font alors un découpage particulièrement heuristique, qui profite d’abord au lecteur, en lui offrant un cadre d’intelligibilité global des enjeux et questions soulevés par l’étude concrète des « situations de bifurcation » – les postures ainsi décrites pouvant très bien s’entrelacer ou coexister chez un même auteur et dans un même texte.
Si ce cadrage « sociologique » vaut pour la plupart des contributions réunies, la définition des notions utilisées, et plus largement l’économie de leurs relations, voire leur syntaxe, n’en constituent pas moins des enjeux continus à l’intérieur de l’ouvrage : termes opposés (« modèle linéaire » de la bifurcation versus « modèle stellaire » de l’événement), conjugués (« événement de type bifurcatif ») ou superposés (« rupture événementielle »), ou encore d’intensités variables (événements et turning points majeurs/mineurs). Ce relatif flou sémantique, qu’on peut considérer comme stimulant pour la pensée, en particulier dans un cadre collectif, n’empêche pas un certain nombre d’auteurs de s’accorder a minima, dans le prolongement des réflexions menées par Michel Grossetti [5], pour définir les « bifurcations » comme des séquences d’action qui, marquées par une forte imprévisibilité, se traduisent en irréversibilités, c’est-à-dire déterminent de nouvelles orientations, sur des séquences d’action ultérieures. Dans cette perspective, la thèse de l’événement radical, susceptible à tout moment de faire irruption dans le cours normal des choses pour en modifier durablement le sens – ou de l’« événement-avènement » comme dit aussi, en fin d’ouvrage, Béatrice Veyrassat –, peut tenir lieu d’interrogation transversale à la plupart des contributions : « l’événement "vrai" ou "structurel" serait alors celui qui transforme les "structures" » (p. 11).
Penser la plasticité des structures sociales
Si la formule relève à coup sûr du registre problématique (en quoi en effet un « événement » pourrait-il être en même temps « structurel » ?), il est tout aussi indéniable que se joue dans l’ouvrage un effort, sans doute plus pratique, de conceptualisation de ce qui ne se laisse pas toujours aisément appréhender par le vocabulaire habituel des sciences sociales. L’une des traductions les plus significatives de cette orientation conduit à faire des « bifurcations » un outil d’analyse capable de se saisir de ce que l’on pourrait également convenir de nommer la plasticité des structures sociales, dans ce que celles-ci peuvent avoir de plus dynamique, voire d’« explosif » [6].
Sous ce rapport, plusieurs textes proposent une réflexion théorique ou formelle relativement approfondie : bifurcations conçues comme « opérateur d’échelles », c’est-à-dire processus typiques de déplacement des niveaux d’action, entre logiques micro- et macro-sociales (Michel Grossetti), théorie des « turning points » ou « points de rupture », fondée sur une ontologie sociale du changement, au sein de laquelle la stabilité ne serait qu’une apparence (Andrew Abbott), ou encore « sociologie événementielle » voyant dans les événements (events) une sous-catégorie de faits relativement rares, susceptibles de transformer significativement les structures (William H. Sewell Jr.). Cette capacité de l’événement à travailler en profondeur les structures du corps social – à rebours d’une conception tant instantanéiste qu’« héroïcisante » du changement – trouve encore d’autres échos dans l’étude des crises politiques (Michel Dobry) et des crises économiques (Béatrice Veyrassat), mais aussi, de façon peut-être plus inattendue, de la « dépendance au sentier » (path dependence) qu’empruntent les innovations (Jean-Benoît Zimmermann), ou encore des « bifurcations organisationnelles » (Frédéric de Coninck), qui peuvent entraîner des ruptures brutales dans la vie des salariés et devenir sources de tensions sociales par-delà le monde du travail.
Sur d’autres terrains d’enquête, un certain nombre de contributeurs montrent que cette perspective d’analyse, à la fois dynamique et complexe, vaut également pour étudier les scansions qui marquent le devenir des individus en société : qu’il concerne les bifurcations biographiques en général (Valentine Hélardot, Claire Bidart), les ruptures professionnelles (Sophie Denave) ou les conversions religieuses (Loïc Le Pape), ce « devenir autre » appelle alors constamment à être situé au croisement de logiques structurelles et de logiques actantielles, de dispositions individuelles et de contextes spécifiques, dont les concepts d’événement et de bifurcation visent précisément à saisir les modes de liaisons et d’interactions. C’est dans cette même perspective que les émotions, et plus largement les affects (Marc Bessin), appellent eux aussi à être rattachés au domaine des états indispensables à la rationalité et à la vie des structures sociales. Symétriquement, dans un contexte organisationnel où le « réseau » apparaît de plus en plus comme un capital à entretenir, de nombreux équipements de communication, résultats d’investissements de forme souvent lourds et importants (exemples d’Internet ou de la messagerie électronique), s’introduisent dans la « carrière du lien social » (Bertrand Fribourg, Christian Licoppe et Jérôme Denis), permettant aux individus, le cas échéant, d’amortir plus facilement le coût d’un événement de vie ou d’une bifurcation.
Latence de l’événement et cristallisation
D’autres textes, en continuité avec cette problématique existentielle, s’efforcent d’explorer plus avant encore l’entre-deux qui caractérise les moments de bifurcation individuelle et le temps de l’événement vécu. Chemin faisant, leurs auteurs mobilisent également d’autres concepts, eux-mêmes inscrits dans des langues théoriques parfois très spécifiques, qui contribuent à élargir le spectre de la réflexion : ainsi de la « latence », dans le cas des reconversions professionnelles (Catherine Négroni), qui place l’individu en devenir de lui-même, et conduit à souligner tout à la fois l’importance et la nécessité d’une « contre-effectuation » de l’événement vécu par les individus eux-mêmes, afin de faire émerger un « plan de sens » qui cadre avec le réel ; ou encore, dans une optique proche, d’un « agir faible » de la bifurcation, c’est-à-dire de la production du « savoir où l’on va » (Marc-Henry Soulet), renvoyant également à un moment de latence et plus précisément au maintien d’une « situation ouverte », où peuvent coexister plusieurs « plans de vie », et qui présuppose dans le même temps un long travail de problématisation de soi.
De façon plus diffuse mais non moins récurrente, certains textes associent également à cette ouverture des possibles des formes variées de « cristallisation ». La notion, sans être particulièrement mise en avant par leurs auteurs, ni même toujours très clairement définie, apparaît néanmoins jouer un rôle important dans l’économie générale de nombreuses « situations de bifurcation ». Elle nous paraît, à ce titre, digne d’être relevée. L’idée de cristallisation se prête bien notamment à la description des modes de représentation intermédiaires qui caractérisent la production de l’événement « vrai » ou authentique, telle que l’illustre l’étude des événements impersonnels en histoire : cas du 6 février 1934 interprété comme « danger fasciste » et débouchant sur la victoire du Front populaire (Michel Bertrand), ou cas de la République de Weimar et de l’arrivée d’un nouveau chancelier en 1933, donnant naissance à un « système de domination totale » (Étienne Tassin). Dans les deux cas, la représentation qui cristallise dans l’événement invite alors « à retourner le rapport diachronique de la cause et de l’effet » (p. 101), comme dit Étienne Tassin, au sens où il ne s’agit plus d’expliquer l’événement, mais bien de voir en lui ce qui fait apparaître le cours de l’histoire et ses « géniteurs » sous un jour nouveau. Cette vision non linéaire du temps, en rupture avec un mode de pensée causaliste, permet au passage d’illustrer une autre ambition de l’ouvrage. Dans un prolongement possible de cette réflexion, l’idée de cristallisation sert encore d’autres textes pour décrire la logique interne ou « pré-critique » des événements qui traversent la vie des individus, selon des formes d’alternation plus ou moins radicales : de la formation d’un « calendrier discret », où se cristallise le devenir d’une émotion liée à un événement biographique précis (Michèle Leclerc-Olive), à ce qui précède un basculement brutal ou « tournant dans l’existence » (Marielle Poussou-Plesse).
Sens de l’événement
C’est là peut-être, à cette échelle de l’existence sociale que représente l’individu, qu’une première réserve – on en formulera trois – appelle à être émise. Malgré un nombre important de textes consacrés aux bifurcations biographiques, peu d’entre eux en effet s’interrogent véritablement sur le statut de l’anamnèse et de l’entretien rétrospectif, y compris lorsque celui-ci est réitéré dans une perspective d’analyse longitudinale des parcours individuels, et du « récit symptomatique », selon l’expression de Marielle Poussou-Plesse, qui peut en être fait par le sociologue. Or, au regard des nombreux thèmes abordés (qui vont de la famille au travail en passant par l’amour ou l’amitié, les âges de la vie, la maladie et la mort), il paraît difficile de ne pas songer à ce que les disciplines du monde « psy » auraient pu également avoir à dire d’intéressant sur le sens de l’événement (biographique) et la façon de l’appréhender : place des affects et du corps, rôle et usage de la langue notamment, face à ce qui apparaît toujours pour le sujet comme singulier ou « sans précédent », et appelle une donation de sens. À cet égard, manquerait une confrontation plus directe, voire plus franche, de certains textes ou des sciences sociales elles-mêmes, dont leurs auteurs se font les porte-parole, avec les théories psychanalytiques – dont les rapports avec « la science » ne sont certes pas simples, mais qui ont aussi largement investi la notion d’événement, à travers certains de leurs concepts (à commencer par celui de trauma) [7].
En s’attardant sur d’autres textes, dont le passage en revue reste ici à compléter, une deuxième remarque peut être formulée. Sur un plan touchant davantage à la mise en visibilité et à la légitimité des situations et processus décrits, alors que le statut de l’événement en histoire est largement abordé, celui de l’événement médiatique apparaît, par contraste, comme le parent pauvre des contributions réunies dans l’ouvrage. Le lecteur intéressé par ces questions, régulièrement discutées par les sciences sociales [8], pourra ainsi regretter l’absence de textes traitant plus explicitement, par exemple, du rapport de la médiatisation de l’événement à sa sociologie – l’événementialisation comme méthode de travail conduisant ici a priori à voir dans les événements médiatiques plutôt des « non-événements » que des événements authentiques, mais il faut alors aller voir ailleurs pour trouver une discussion approfondie sur le sujet [9]. Dans une perspective d’analyse proche (l’événement conçu comme enchaînement de séries), l’extension de la « sociologie des épreuves » à certains types de situations (situation d’expertise [10] ou situation d’alerte [11] notamment) aurait aussi pu conduire à relever et à explorer d’autres conceptions sociologiques de l’événement, en relation avec certaines mobilisations sociales ou la construction de problèmes publics [12].
Des « sociétés de bifurcation » ?
Cette dernière remarque permet d’introduire une autre série de textes, en même temps qu’elle soulève une autre question, qui sourd à la lecture de plusieurs contributions : celle du diagnostic de la société dans laquelle nous vivons. Dans leur propos introductif, les coordinateurs de l’ouvrage rappellent ce que Georges Balandier disait déjà, il y a une vingtaine d’années, des sociétés modernes, qu’il qualifiait de « sociétés de bifurcation » [13]. Ce qui peut être également rapproché du diagnostic, livré à la même époque par Gilles Deleuze, autre auteur régulièrement convoqué dans ce volume, selon lequel : « le jeu du monde a singulièrement changé, puisqu’il est devenu le jeu qui diverge » [14]. À quelle(s) actualité(s) ce « jeu des bifurcations » et le monde à la fois singulier et bigarré qui en découle peuvent-ils être rattachés ?
Abordée le plus souvent de façon indirecte, voire secondaire, cette question ne trouve pas véritablement de réponse dans l’ouvrage – seule la dernière partie, intitulée « Logiques collectives de l’incertitude », la laisse sous-entendue. Ce qui n’empêche pas un certain nombre de contributeurs d’indiquer ou d’ébaucher plusieurs pistes de réflexion, qui invitent à prolonger et à approfondir le questionnement : ainsi de l’ouverture de « l’espace des possibles » au plan individuel (en lien avec le développement de la formation continue, l’égalité des chances, etc.) qui encourage à « rejouer sa vie » (Marc-Henry Soulet), ou des dispositifs institutionnels – rendus notamment visibles par l’usage de la comparaison internationale – qui favorisent la flexibilité dans les parcours professionnels et la réversibilité des trajectoires de vie à l’âge adulte (Johanne Charbonneau) ; ou sous des formes plus englobantes : de la multivalence des turning points en situations d’incertitude généralisée de la vie sociale (Harrison C. White, Frédéric C. Godart et Matthias Thiemann), ou encore des irréversibilités latentes liées au devenir technologique des sociétés modernes et à l’émergence de certains risques collectifs (Jean-Pierre Dupuy) – on peut ici penser à l’évolution du climat.
Un « travail de construction »
Ces quelques réserves et interrogations n’entament cependant nullement l’intérêt et la très haute tenue des contributions rassemblées dans ce volume. La richesse des analyses proposées rend en réalité difficile de fournir une vue d’ensemble de l’ouvrage sans en même temps ne faire qu’effleurer certains thèmes (causalité, affects, temps, récit, etc.) et les nombreuses questions qu’ils soulèvent. Certes, on pourra toujours reprocher à ce type d’ouvrage une certaine hétérogénéité de points de vue, et sans doute des textes inégalement développés quant à leur objet d’études et aux questions qu’ils posent ou se proposent de traiter, voire des hybridations partielles, inégalement abouties elles aussi, entre disciplines – ce qui reste un objectif flou de l’entreprise. Mais ce serait sans compter avec l’effort d’élaboration conceptuelle dont leurs auteurs cherchent, le plus souvent, à rendre compte. Les différentes pistes de réflexion évoquées plus haut ne prétendent d’ailleurs pas en épuiser la lecture.
En invitant à jouer des interférences de la pensée entre « sciences dures » et « sciences souples », Bifurcations a le mérite essentiel de contribuer à enrichir le vocabulaire des sciences sociales de nouveaux outils théoriques et méthodologiques. Et c’est bien sur la base et en direction d’un « travail de construction », comme il est dit en introduction, qui vise au renouvellement de ces outils, que ce recueil a d’abord été conçu. Les concepts de bifurcation et d’événement, placés au centre de la réflexion, suggèrent ainsi d’explorer plus en profondeur, voire radicalement, les différentes formes de temporalités qui rythment ou scandent l’existence du monde social et des individus. Le caractère innovant des analyses proposées, tout en reconnaissant leurs dettes à l’égard de travaux parfois déjà anciens, permet alors d’agencer un espace de réflexion relativement inédit, en relation avec et face à des approches prêtant davantage attention à la régularité et au déterminisme, voire au caractère universel de certains phénomènes sociaux [15]. Au-delà de ce qui les sépare ou les rapproche et de la pluralité des régimes de sens dont ils peuvent être investis par leurs auteurs, on peut soutenir que les différents outils et concepts présentés et discutés dans ce volume engagent plus largement ceux qui s’en servent déjà, au même titre que ceux qui souhaiteraient s’en servir, à fluidifier des oppositions et catégories d’analyse devenues classiques en sciences sociales (continu/discontinu, structurel/actantiel, raison/passion, global/local, etc.), apparaissant comme réductrices au regard de la complexité et de certaines dynamiques actuelles de la vie en société.