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Recension Société

Parentalité tardive

À propos de : Bessin, Marc et Levilain, Hervé (2012), Parents après 40 ans, Autrement.


par Charlotte Debest , le 1er avril 2013


Quel sens social donner au renouveau de la parentalité après 40 ans ? Une enquête sociologique, reposant sur de nombreux récits de vie, fait apparaître les opportunités et les contraintes de cette nouvelle condition parentale, et rappelle que l’entrée en parentalité procède toujours de négociations au sein du couple.

Recensé : Bessin, Marc et Levilain, Hervé (2012), Parents après 40 ans, Paris, Autrement, Mutations, 189p., 19 €

À partir de nombreux récits de vie, qui font la richesse de cet ouvrage, Marc Bessin et Hervé Levilain nous proposent d’entrer dans la logique biographique et temporelle des « parents tardifs », c’est-à-dire des femmes qui ont un (nouvel) enfant après 40 ans et des hommes après 45 ans (p.10). L’apport de l’ouvrage est double. Tout d’abord, il s’agit de déconstruire les idées reçues relativement à la parentalité tardive, et notamment relativement à la maternité tardive, qui surgissent régulièrement depuis quelques années à travers des médias qui en font, dès lors, un nouveau « problème de société ». Ce phénomène, loin d’être caractéristique de notre époque, comme l’attestent les sociologues en choisissant une perspective historique, semble plutôt prendre de nouvelles formes sans faire disparaître les plus anciennes. Tout au long de l’ouvrage, les auteurs vont mettre au jour quatre types de « parentalité tardive » et conséquemment quatre types de logiques d’action : les logiques de répétition et de recommencement qui sont les plus anciennes, et les logiques de refondation et d’ajournement qui sont les plus récentes. Les auteurs, en sociologues expérimentés, s’attachent alors à montrer que la parentalité tardive, qui n’est pas un « problème de société », doit être analysée comme un miroir des transformations contemporaines de la famille et du couple, conséquence, entre autres, des différents temps de la vie (le temps de la jeunesse, de l’âge adulte, de la vieillesse), qui ne sont plus institués mais avec lesquels chacun-e doit composer.

Temps biologique et inégalités de genre

Par une introduction simple et efficace, Marc Bessin et Hervé Levilain rappellent que la « maternité tardive » n’est pas un phénomène nouveau. Bien au contraire elle aurait diminué entre les années 1901 et les années 1980 passant de 6,1% à 1,1%. Toutefois les auteurs confirment que depuis les années 1980, le phénomène tend de nouveau à augmenter du fait notamment des femmes qui ont leur premier enfant passé 40 ans. Aussi pourrions-nous nous demander si l’image de ces « mères tardives » qui se réveillent à 40 ans ne vient pas déranger certaines franges de la société du seul fait que les femmes aient eu la possibilité au fil de leur vie de se saisir des opportunités professionnelles au même titre que les hommes. Cette hypothèse est renforcée par l’analyse statistique, menée en étroite collaboration avec Arnaud Régnier-Loilier [1], qui montre que les enfants sont aujourd’hui plus souvent tardifs « par le père » que « par la mère » (p.12), suite notamment aux recompositions conjugales et familiales. Aussi peut-on voir que le traitement médiatique de la maternité tardive – qui toucherait des femmes carriéristes – occulte le cas des hommes également « pères sur le tard » [2], insinuant dès lors, comme il est souvent de coutume, une pression sociale à la maternité et une exclusion des pères comme acteurs à part entière de la parentalité.

On regrette, à la lecture de l’ouvrage, que les sociologues n’aient pas insisté sur ce point. Bien qu’ils (d)énoncent les « inégalités de genre » (p.11), reflétées par l’étude de la parentalité tardive, ces inégalités se cristallisent principalement autour des calendriers de conception différents entre les femmes et les hommes, les femmes étant plus contraintes par les temps biologiques que ne le sont les hommes. En ce sens, les inégalités de genre mises en lumière par les auteurs s’ancrent principalement dans ce rapport au temps biologique, ce qui peut empêcher de déconstruire le désir naturel des femmes à enfanter. Pour autant, et c’est bien l’objectif de Marc Bessin et d’Hervé Levilain, la différence de calendrier de conception amène nécessairement à poser la question du projet parental, notamment lorsque les femmes ne sont pas encore mère et désirent le devenir, en prenant en compte les enjeux sexués qui se retrouvent au travers des négociations conjugales, les unes étant plus pressées que les autres et les autres apparaissant souvent plus réticents que les unes.

Formes anciennes & formes nouvelles de la parentalité tardive

Dans une première partie de l’ouvrage, intitulée « La parentalité tardive des années 1960 : le tardillon et le credo », les auteurs s’attachent principalement à décrire les logiques de répétition – caractéristique des familles nombreuses – et de recommencement – caractérisée par l’écart d’âge important entre le dernier-né et ses aînés. Dans ces deux types de logiques, qui dominent avant les années 1960, la contraception n’étant pas encore légalisée et généralisée, les enfants après 40 ans ne semblent ni prévus, ni attendus. Ressort ainsi des témoignages féminins, qui font l’essentiel de cette partie, le champ lexical de la nature, rejoint parfois par celui de la fatalité. Les enfants nés de parents tardifs dans une logique de répétition sont issus de familles nombreuses. Les derniers-nés d’une famille ne sont alors pas très éloignés en âge de leurs aînés et les naissances « tardives » semblent être plutôt bien acceptées par les femmes interrogées. A l’inverse, dans la logique de recommencement, les femmes qui mettent au monde un enfant après 40 ans apparaissent peu enthousiastes Dans ce type de logique, il y a un écart d’âge important entre les aînés et le dernier-né, d’où la notion de « recommencement ».

Ces « mères sur le tard » malgré elles semblent être tenues pour responsables de ces grossesses tardives et ressentent un sentiment de solitude et de honte. La honte venant principalement d’une condamnation morale de la sexualité féminine passée un certain âge. De plus, un malaise intergénérationnel peut intervenir. Ces « mères tardives » accouchent parfois en même temps, voire après leur propre fille. Elles sont donc à la fois grand-mère et mère d’un nourrisson. Cela fait écho aux études des anthropologues qui ont bien montré le tabou qui pèse autour de la sexualité et de la fécondité des femmes qui sont grand-mères, quel que soit leur âge [3]. Par ailleurs, comme l’indiquent Marc Bessin et Hervé Levilain, les hommes, c’est-à-dire ici les « pères tardifs », sont absents des discours de ces femmes, renforçant dès lors le naturel des femmes à enfanter et la responsabilité de ces dernières concernant la fécondité, l’élevage et l’éducation des enfants. Au-delà de la réprobation morale de la parentèle vis-à-vis de la maternité tardive, c’est aussi l’héritage qui peut alors être bouleversé quand naît un enfant que les parents n’attendaient plus. Au travers de cette première partie, Marc Bessin et Hervé Levilain distinguent ainsi deux types de logiques et nous donnent à voir l’hétérogénéité de l’expérience de la maternité tardive à l’époque où la contraception n’était pas encore légalisée et généralisée.

Dans une deuxième partie de l’ouvrage, intitulée « Faire famille autrement », les sociologues s’intéressent aux nouvelles formes de parentalité tardive qui émergent dans un contexte de transformations des relations femmes-hommes où la contraception se généralise peu à peu, où le taux de scolarisation des femmes augmentent sensiblement ainsi que leur accès au salariat. Le travail, après les années 1960, devient pour une bonne partie des femmes un « principe de définition de soi » (p.42) et la société prône un modèle plus égalitaire au sein du couple. Dans ce contexte, la sexualité se dissocie de la reproduction et la question de la parentalité est alors renouvelée. Il ne s’agit plus de subir des maternités mais bien de les choisir et donc de décider de l’arrêt de la contraception, ce qui suppose dans la plupart des cas une discussion au sein du couple sur le bon moment à l’arrivée d’un (premier) enfant.

Ici, les auteurs proposent l’idée que l’individualisation de la société, processus au sein duquel l’individu doit se détacher des déterminismes, apporte de nouvelles contraintes. Les récits des parents tardifs de ces générations expriment la volonté de prendre du temps pour soi, de remplacer les logiques d’institution par des logiques d’expérimentation de soi où les relations conjugales se nouent et se dénouent. Ici, les récits mêlent à la fois les logiques de refondation, qui apparaissent en cas de recompositions familiales, et les logiques d’ajournement qui rendent compte d’une première entrée en parentalité tardive. Cette première entrée en parentalité à un âge « tardif » s’explique, pour les sociologues, par cette volonté d’être des individus, cet « excès de subjectivité », au sens où l’entend Robert Castel (p. 61). Dans cette partie, on voit apparaître les négociations conjugales autour du « projet d’engendrement » qui vont être précipitées par le temps qui passe (vite), notamment pour les femmes.

Le consensus conjugal

Dans une troisième partie de l’ouvrage, « Une épreuve pour soi et le couple », Marc Bessin et Hervé Levilain décortiquent la construction du consensus conjugal autour de ce projet d’engendrement. L’intérêt de cette partie est de rappeler que l’entrée en parentalité procède de négociations au sein du couple et que les femmes sont loin d’enfanter sans l’accord de leur conjoint, même si parfois l’enfant semble devenir un ultimatum à la poursuite de la relation conjugale. Les auteurs montrent par ailleurs que les négociations empruntent une pluralité de registres, prenant parfois la forme du « rapport de force » (p.91) au sein duquel femmes et hommes n’ont pas les mêmes armes. Les auteurs parlent, dans cette partie, d’ « épreuve conjugale », le souhait de l’un des partenaires et la réticence de l’autre à entrer en parentalité pouvant mettre « en jeu la définition de la relation conjugale » (p.80). Cependant, les témoignages mobilisés, ici principalement masculins, tendent à faire penser que les hommes sont bien souvent suiveurs en se laissant convaincre par leur partenaire pour qui le temps presse. On s’interroge alors sur la répartition des temps parentaux et domestiques dans ce type de configurations où les hommes semblent être devenus pères suite à la demande insistante de leur compagne. Si Marc Bessin et Hervé Levilain assurent que les pères tardifs s’investissent affectivement et matériellement dans leur nouvelle paternité, les récits ne le laissent pas toujours suggérer.

Les récits des femmes disparaissent d’ailleurs de la dernière partie de l’ouvrage, « Devenir parent tardif », ce qui rappelle que la recherche des sociologues portait à son commencement sur la « paternité tardive ». Dans cette partie, les sociologues portent le regard sur la parentalité tardive qui arrive sans trop de négociation et de tension dans le couple. Sont repérés deux types de paternité tardive : celle faisant suite à un célibat prolongé et celle faisant suite à un contexte généralisé de changement (professionnel et conjugal). Pour le premier cas, il s’avère que lorsque les hommes se mettent en couple tardivement, le projet d’enfant apparaît comme la suite logique de l’engagement dans le couple et fait preuve en ce sens d’une figure traditionnelle du couple qui, à terme, fait famille. Dans le second cas, c’est souvent une transformation professionnelle, une stabilisation ou un moindre investissement, qui, dans ce nouveau contexte, donnent envie aux hommes de (re)devenir père à un âge avancé. Cette partie insiste également sur cette question de l’âge qui renforce les exigences liées à l’exercice de toute parentalité. Les « parents tardifs » doivent, d’une certaine manière encore plus s’investir (notamment du côté des femmes) dans l’éducation de leur(s) enfant(s) afin de ne pas être doublement stigmatisés : à la fois de tardifs et d’indisponibles. Les auteurs rappellent ainsi en creux l’existence d’un contrôle social latent tant en ce qui concerne l’exercice de la parentalité que des normes encadrant les âges de la vie.

Au travers d’une conclusion synthétique de l’ouvrage, les deux sociologues insistent sur le fait que la parentalité tardive peut (doit) être analysée comme le miroir des transformations contemporaines de la famille et du couple, dont l’élément principal apparaît être un nouveau rapport au temps qu’entretiennent nos contemporain-e-s. D’eux-mêmes, Marc Bessin et Hervé Levilain admettent qu’ils n’ont pas suffisamment fait entrer dans leurs analyses les situations économiques et sociales des parents rencontrés. De manière concomitante, on peut s’interroger sur la méthodologie utilisée pour recruter les personnes enquêtées dont les auteurs ne disent rien. Cependant, cet ouvrage est le bienvenu comme tous ceux qui cherchent à déconstruire un « problème social » pour le transformer en phénomène social. Cette conversion de la « parentalité tardive » en « phénomène social » permet alors de regarder les normes et injonctions encadrant la parentalité, et ce à tous les âges. Plus globalement, les auteurs déconstruisent l’évidence du désir de faire famille en s’appuyant sur l’idéologie de la figure de l’individu moderne, qui se doit d’être libre et détaché des déterminismes sociaux et biologiques. Précisément, c’est cette liberté – voire cette injonction à la liberté – qui amène de nouveaux questionnements en ouvrant l’univers des possibles, alors même que l’on a toujours qu’une seule vie à vivre.

par Charlotte Debest, le 1er avril 2013

Pour citer cet article :

Charlotte Debest, « Parentalité tardive », La Vie des idées , 1er avril 2013. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Parentalite-tardive

Nota bene :

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Notes

[1Chercheur à l’Institut national d’études démographiques

[2Bessin, Marc et Levilain, Hervé (2004) «  Pères sur le tard. Logiques temporelles et négociations conjugales  », Recherches et prévisions, n. 76, pp. 23-38

[3Fine, Agnès, Moulinié, Véronique et Sangoï, Jean-Claude (2009) «  De mère en fille. La transmission de la fécondité  », L’Homme, Vol. 3, n. 191, pp. 37-76.

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