Tout laisse à penser que le devenir du RSA va prochainement incarner un point focal du débat de la présidentielle, rôle qu’il n’a pas tenu jusqu’à présent. Le débat sur le RSA et sur les RSistes, victimes de préjugés insensés tant des élites politiques que des classes populaires, repose bien davantage sur le sens commun que sur une analyse scientifique des réalités sociales (Duvoux, 2018). Début 2022, un rapport de la Cour des comptes est venu nous rappeler des éléments incontestables susceptibles d’alimenter un débat informé. Ce rapport sur le RSA (2022) n’a pas retenu toute l’attention qu’il méritait. Certes la presse s’en est fait l’écho, les titres mettant souvent en avant ce qui concordait le mieux aux lignes éditoriales. Pourtant, ce rapport, fondé non seulement sur une évaluation scientifique et financière du dispositif dans son ensemble, mais aussi sur des études départementales (7 départements métropolitains + la Réunion et la Martinique), une étude scientifique sur les droits connexes (confiée à une université) et une enquête par questionnaire (confiée à BVA) auprès d’un échantillon de bénéficiaires et d’anciens bénéficiaires du RSA, mérite que l’on s’y attarde tant pour ce qu’il dit du dispositif et de ses dysfonctionnements.
Si le rapport de la Cour est indéniablement salutaire, il se révèle également inconséquent. Salutaire en ce qu’il évalue de manière détaillée les résultats du dispositif : les allocataires du RSA sortent-ils de la pauvreté ? Le RSA facilite-t-il l’accès à l’emploi ? et fait apparaître des résultats très décevants. Ce faisant, il établit clairement, les limites d’un dispositif reposant principalement sur des incitations financières à prendre un emploi, seul moyen de sortir effectivement de la pauvreté. Il confirme en creux les résultats de très nombreuses études scientifiques qui ont démontré que l’incitation financière n’est pertinente que pour un faible pourcentage d’allocataires du RSA. Le Rapport se révèle dès lors inconséquent, parce qu’après avoir systématiquement identifié la non-effectivité du mécanisme, il se limite à fournir des recommandations de faible portée (renforcer l’encadrement des allocataires), sans jamais mettre à jour la raison de la faible efficience du dispositif : tout faire reposer sur l’activation des dépenses sociales.
Pour aborder ces questions, notre papier souligne en premier lieu les conclusions les plus significatives du rapport de la Cour des Comptes pour en montrer la cohérence et la similarité avec les résultats de nos études en milieu rural. En second lieu, s’appuyant sur deux études de terrains récentes dans un département du sud-ouest [1], il montre une nouvelle fois (La vie des idées, numéro spécial, 2008) que la plus grande partie des problèmes qui font obstacle à la reprise d’emploi des bénéficiaires du RSA ne sont pas d’ordre monétaire, mais d’ordre social, psychologique ou de conditions de vie. Que dès lors, il en découle la nécessité impérieuse de revaloriser le revenu minimum des plus précaires. En dernier lieu, notre essai pose une question plus générale : comment est-il possible que des idées aussi manifestement erronées puissent continuer à orienter les politiques publiques quand bien même les résultats démontrent leur manque d’effectivité ?
L’activation des dépenses sociales et le RSA : une fausse bonne idée
Si les incitations monétaires ont bien été mises en place et qu’une augmentation des revenus du travail se traduit bien par une augmentation des ressources du ménage au RSA, les incitations n’ont qu’un effet mineur sur l’entrée dans l’emploi et la lutte contre la pauvreté.
Prolongement et inflexion du RMI, le RSA se différencie essentiellement par l’introduction de mesures visant à préférer le travail à l’assistance. Le RSA est partie d’un ensemble de politiques fondées sur le paradigme de l’activation [2]. En d’autres termes, le RSA est un exemple de ce que les Anglo-saxons nomment « Incentives-based social policy ». Les politiques fondées sur des incitations financières ont connu un grand essor aussi bien dans les pays du Nord que dans le pays du Sud (Merrien, 2011 ; Chelles, 2012). La théorie offre un schéma de cause à effet particulièrement clair et simple : le maintien dans la pauvreté dérive d’un choix rationnel (l’assistance paie mieux que le travail) ; dès lors, en rendant financièrement attractifs des choix que les pauvres n’auraient pas faits sans incitation, on peut arriver à réduire la pauvreté.
L’évaluation du RSA mise en œuvre par la Cour des comptes se place dans cette problématique. À la question principale : le RSA joue-t-il effectivement son rôle d’impulsion vers l’emploi, érigée comme le principal mécanisme de lutte contre la pauvreté [3], la réponse est indubitablement négative.
Particulièrement clairs, les résultats auxquels arrive la Cour méritent que l’on s’y arrête :
– Le taux de retour à l’emploi des allocataires du RSA (3,9 % par mois en 2019) est deux fois inférieur à celui des autres demandeurs d’emploi. En outre, il ne donne qu’un accès répété à des emplois plus courts et plus instables, induisant de nombreux allers-retours dans le dispositif. Fin 2019, 36% des allocataires sont au RSA depuis plus de cinq ans ;
– L’analyse longitudinale d’une cohorte d’allocataires sur une période de 7 ans révèle que 42% sont encore au RSA, 24% sont sortis du RSA sans être en emploi, 34% sont en emploi, mais seulement un tiers de ceux-ci en emploi stable ;
– « Une part significative des personnes orientées vers les agences de Pôle emploi n’est pas préparée à l’emploi et justifierait plutôt d’un accompagnement social (…). Pour un nombre important de bénéficiaires du RSA au chômage de très longue durée, Pôle emploi n’offre plus véritablement de solution. ».
– Dès lors, malgré les aides sociales (RSA et autres aides sociales) les allocataires demeurent très largement en dessous du seuil de pauvreté (dans une fourchette entre « 63,7 % et 78,3 % du seuil de pauvreté » (p. 78).
– Lorsqu’on leur demande les raisons de leur non-accès à l’emploi, les allocataires invoquent non le manque d’incitations financières, mais dans 49% des cas, des raisons de santé physique ou psychologique (santé, handicap, invalidité : 26% ; découragement, manque de confiance en soi : 23%), dans 16% des cas, le manque d’expérience professionnelle (8%) et le manque de qualification et de diplôme (8%). Enfin, 31% des cas, des problèmes de garde d’enfants (17%) et de transport (14%) (rapport, p. 72). [4]
En définitive, le rapport de la Cour révèle qu’alors même que les désincitations financières ont été levées, le RSA n’a que peu d’effet sur le retour à l’emploi des allocataires et que « le RSA n’est plus un filet de sécurité temporaire qui permet de faciliter le retour à l’emploi, mais une allocation de subsistance sans perspectives crédibles d’accès à une activité et partant, de sortie de la pauvreté » (p. 112). Constat accablant qui confirme deux décennies de recherches sur le RSA que les décideurs n’ont pas voulu entendre, parce qu’il contredit leur penchant idéologique ou parce qu’il est socialement difficile à accepter par l’opinion publique (Gomel, Méda, Serverin, 2013 ; Duvoux, 2018).
Face à l’inefficacité du dispositif, la Cour se contente de préconiser la mise en place d’un accompagnement plus efficace qui permettrait selon elle l’amélioration de l’accès effectif à l’emploi. Recommandation sans doute nécessaire, mais dont on peut mettre en doute la cohérence avec les constats précédents. S’agissant des publics les plus enracinés dans le RSA, ceux qui n’entrent que très difficilement et très peu dans l’emploi, il apparaît assez vite que le renforcement de l’accompagnement, même intensif et dès lors très coûteux, n’aurait qu’assez peu d’effet.
Nos enquêtes dans un département rural du sud-ouest (Merrien, 2020, 2021) montrent qu’une frange importante des allocataires du RSA n’est pas apte à l’emploi ou difficilement employable, soit en raison de leur état de santé, d’une socialisation faible, de qualifications insuffisantes ou d’une offre d’emploi réduite. [5] Souvent âgés, ils attendent ou essaient d’entrer dans le dispositif de l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) dont le montant est significativement plus élevé. [6]
Certains sont enracinés dans le dispositif, depuis une longue durée, leurs parents et eux-mêmes ont souvent connu le RMI et parfois l’Aide sociale à l’enfance (ASE) durant leur enfance. Parmi eux, on retrouve des personnes appartenant à la communauté du voyage, des familles ouvrières nombreuses, tous ayant connu et connaissant des difficultés structurelles d’accès à l’emploi sur la longue durée. Dans cette catégorie, nous trouvons également des personnes brisées par la vie, victimes de viols, de violences et d’incestes et des personnes connaissant des problèmes de santé (souvent liés à un travail antérieur), des problèmes psychologiques lourds et des handicaps. Elle comprend également des jeunes à la dérive, des migrants et des réfugiés.
Une seconde catégorie, issue d’un milieu ouvrier ou artisan, est beaucoup plus proche de l’emploi, mais la précarité est son lot. Ces personnes ne peuvent trouver un travail que lorsque l’offre de travail est particulièrement élevée. Lorsqu’ils trouvent un emploi, c’est le plus souvent un emploi précaire en intérim, en CDD etc. qu’ils ne vont conserver que pour une durée relativement courte. Ce sont les premiers à souffrir des effets d’une conjoncture économique négative ou de la recherche de productivité des entreprises. Leur parcours de vie est constitué d’une série d’alternances entre le RSA, le chômage et des emplois courts et instables.
Une troisième catégorie de personnes serait susceptible de travailler, mais se heurte à des problèmes de mobilité ou de garde d’enfants. Pour survivre, elles se sont réfugiées dans des territoires du rural profond où les loyers sont bas, mais qui offrent peu d’emploi et sont dépourvus de transports publics. Parmi elles, on compte un nombre très élevé de femmes solo disposant de ressources faibles et de faibles qualifications, trouvant difficilement des solutions pour la garde d’enfants ou pour se déplacer d’un emploi à temps partiel à un autre. Au total, selon nos études de terrain 65% des allocataires ne se situent pas dans une trajectoire de retour à l’emploi.
Les travailleurs sociaux se sentent seuls et totalement démunis à proposer un parcours d’insertion à des travailleurs usés et déqualifiés qu’ils rencontrent, ils ne savent pas quelle solution proposer aux mères seules sans travail et sans moyen de transport, qui ne savent que faire pour garder leurs enfants. Comment pourrait-il en être autrement pour des catégories de personnes (les ex-RMI) dont les perspectives d’emploi sont quasiment nulles ?
À ces catégories sociales, il faut ajouter une catégorie sociale particulière à laquelle ne fait pas référence la Cour des comptes : la population agricole, catégorie sociale qui peut apparaître négligeable ans le cadre national, mais qui représente 19,7% de la population active de ce département (dont 5786 exploitants agricoles). Pour cette catégorie, il est impossible de penser RSA dans une perspective d’activation ; elle se trouve nécessairement dans une perspective de revenu d’appoint, une allocation de survie, même et surtout si les revenus du ménage sont nuls ou très faibles.
Pendant des années, les agriculteurs ont refusé de faire appel à l’aide publique. Les choses sont en train de changer. Si les anciens enclenchent difficilement ce processus, les jeunes hésitent de moins en moins. La plupart du temps, la demande de RSA provient d’un événement exceptionnel qui bouscule l’équilibre financier de l’exploitation. Ainsi, un agriculteur de ce département peut se retrouver au RSA pour de multiples raisons : parce que c’est difficile de se lancer dans le maraîchage bio et les circuits courts quand les pluies incessantes, le gel et la grêle peuvent détruire en un jour tout le travail d’une saison, ou parce que la grippe aviaire a fermé les exploitations, qu’il faut tenir, parce que la COVID bloque l’exportation des veaux vers les fermes d’engraissage italiennes, ou parce que, comme dans le sud du Gers, l’Union Européenne a décidé unilatéralement de modifier les critères de définition de l’agriculture de coteaux, ou encore parce qu’il ou elle divorce et que le foyer ne peut vivre sur le seul revenu de l’exploitation (Merrien, 2021). La demande de RSA découle d’une impossibilité à se dégager un revenu, le plus souvent sans que la responsabilité de l’exploitant agricole soit en cause. Dans son rapport de demande de RSA pour un agriculteur que nous avons pu consulter, un travailleur social écrit : « Les charges qui ont augmenté et les ventes qui n’ont pas suivi provoquent la demande de RSA, l’inflation subite des engrais azotés qui a triplé en 2021 et les augmentations des semences n’arrangent pas les affaires de la société, sans oublier une dette importante due à la coopérative de 150 000 euros. » (octobre 2021).
Comme les autres bénéficiaires du RSA, les agriculteurs en très grande difficulté doivent signer un contrat d’engagements réciproques. Mais quel peut être le sens d’un contrat d’engagement réciproque disposition quand l’exploitant est victime de phénomènes économiques qui le dépassent et sur lesquels il n’a aucune prise ? Il suffit pour s’en convaincre de citer les paroles de ce maraîcher bio du département : « Au RSA je crois que je touche 3500 par an. Je suis en RSA activité. Je prévois d’arrêter (de demander le RSA), mais après, dire quand, je peux pas dire ; depuis le début comme je fais pas d’emprunts, je vis avec le RSA (…) Je bossais comme un dur et il y a des inondations et j’ai tout perdu… Les gens ils se disent « ah c’est bien, le gars il a son entreprise, il essaie de vivre avec ; c’est bien pour le BIO, pour la planète ». Mais ils n’imaginent pas la galère que c’est ! »
Dès lors que toutes les études disponibles soulignent que dans une majorité de cas le maintien dans le RSA est le résultat de situations sociales et non de désincitations au travail, se pose la question de la pertinence du dispositif conçu pour être un filet de sécurité temporaire accélérant l’accès à l’emploi.
Les raisons d’un échec
Après avoir systématiquement identifié la non-effectivité du mécanisme, la Cour des comptes ne s’autorise jamais à mettre au jour les raisons des échecs du dispositif, à savoir le primat accordé à une économie des comportements. Pourtant, la mise en évidence du manque de fondement théorique et pratique du RSA pose deux questions essentielles.
1/ Une question politique en tout premier lieu : si le paradigme de l’activation justifie un bas niveau de revenu minimum, le constat de son inefficience et de pièges à pauvreté (poverty trap) durables et dramatiques pour les bénéficiaires ne devrait-il pas justifier une hausse significative de son montant ?
Comme on le sait, le montant du RSA a été volontairement placé à un niveau très inférieur au SMIC (30% environ) afin de décourager les « pauvres » de s’installer dans l’assistance [7]. Ce niveau de revenu minimum ne permet aucunement aux ménages de sortir de la pauvreté et ne laisse d’autre choix que la simple survie (Duvoux, 2018, Colombi, 2020). Si on tient compte des dépenses pré-engagées (logement, électricité, assurances, frais de déplacement…), les bénéficiaires du RSA se trouvent souvent en difficulté financières. Les pauvres en milieu rural que nous avons interrogés se voient souvent dans l’obligation pour vivre de faire appel aux dons alimentaires (Banque alimentaire, Restos du cœur, Secours populaire). Cette vie pauvre n’est pas sans créer chez les bénéficiaires un mal-être généralisé, provoquant manque de confiance en soi, angoisse, culpabilisation, phobies, boulimie, insomnies, ressentiment. Soulignons que les anciens bénéficiaires du RSA interrogés par BVA [8] évoquent très clairement les raisons pour lesquels ils ne sont pas sortis pas de la pauvreté : découragement, manque d’envie, manque de confiance en soi (18%), problèmes de santé, de handicap, d’invalidité (29%). Loin de créer des incitations à la reprise d’un emploi, cette pauvreté vécue enferme les plus précaires dans le cercle vicieux de la pauvreté et du stress permanent.
Si, comme le démontre le rapport de la Cour après nombre d’études sociologiques, le mécanisme se montre totalement inefficace parce que reposant sur des présupposés erronés, ne convient-il pas de revoir le niveau du revenu minimum afin d’offrir à ces personnes des moyens convenables d’existence ? Est-il utile de rappeler que cette situation est contradictoire avec le principe des droits humains, dans le Préambule de la Constitution de 1946 qui stipule que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »
Sous sa forme actuelle, le RSA socle constitue moins un outil de lutte contre la pauvreté qu’un outil de paix sociale, équivalent à ceux qu’on retrouve sous différentes formes dans l’histoire.
Pour avoir interviewé au cours des deux dernières années plus d’une centaine d’allocataires du RSA et du public des Banques alimentaires, nous pouvons témoigner, comme pourraient le faire tous les bénévoles et professionnels de l’action humanitaire, que la pauvreté laisse des traces psychologiques difficilement guérissables. Il ne fait aucun doute, quel que soit le prix politique à payer, qu’il est urgent d’envisager rapidement une hausse significative du revenu minimum.
2/ En second lieu, il est indispensable d’aborder une question théorique : pour quelle raison, malgré un nombre impressionnant d’études scientifiques (Narbier, 2002, 2008 ; Méda, 2008 ; Gomel, Gomel, Serverin, 2013 ; Méda, 2014, Paugam, Duvoux, 2008) établissant clairement qu’une part majeure des bénéficiaires du Rsa ne relève pas d’une politique de l’emploi, mais d’une politique sociale et d’une politique de services publics, continue-t-on à privilégier une politique publique focalisée sur le paradigme de l’incitation (« incentives social policies ») dont les expériences nationales et internationales sur la longue durée montre l’inadéquation aux problèmes (Barbier, 2008, Merrien, 1999, Chelles, 2013) ?
La recherche internationale souligne que, confrontés à des choix difficiles, dans des situations de rationalité limitée, les réformateurs et les élites dirigeants publics ont tendance à choisir les modèles valorisés sur la scène publique (Kingdom, 1984). Ainsi, depuis les années 1990, les organisations internationales et les cabinets de consultants (Saint-Martin, 1998) sont devenus des acteurs majeurs en matière d’orientation des politiques publiques, capables d’influencer les acteurs nationaux, non seulement dans les « pays pauvres » ou les pays en émergence ou en transition, mais également dans les pays occidentaux. Le domaine des politiques sociales est un des domaines dans lequel leur influence s’est fait le plus sentir (Merrien, 2000, 2009, 2013 ; Orenstein, 2008 ; Chelles, 2012). Ces organisations publiques ou privées tirent leur légitimité de leur supposée capacité intellectuelle supérieure [9], et de leur capacité à faire fi des groupes d’intérêts nationaux (syndicats, firmes, partis politiques etc.) [10]. Ce rôle s’est particulièrement développé au cours des années 1990 et du tournant du siècle dans un moment de déclin des idéologies politiques, qui remettait en cause les orientations traditionnellement attachées aux partis politiques. Confrontés à des choix difficiles, dans des situations de rationalité limitée, les réformateurs et les élites des dirigeants publics ont eu tendance à choisir les modèles valorisés sur la scène publique (Kingdom, 1984). Comme le montre l’expérience de 15 ans de RSA, la valorisation d’un modèle de politique publique a peu à voir avec son efficacité réelle. Une orientation politique peut maintenir son hégémonie malgré son inefficacité pour autant qu’elle limite le blâme politique et trouve une légitimité internationale.
Conclusion
Critiqué de toute part en raison du faible taux de retour à l’emploi, le revenu de solidarité active (RSA) est sur la sellette. Ces promoteurs ne veulent cependant pas admettre la non-pertinence du mécanisme d’incitations financières pour lutter contre toutes les formes de pauvreté. Ils veulent renforcer la lutte contre l’oisiveté supposée des pauvres en préconisant des mesures dont il est facile de mesurer le caractère irréaliste et populiste. Le rapport de la Cour des comptes tout comme notre étude des « pauvres » dans un département rural du sud-ouest soulignent ce que tous les sociologues et les acteurs des associations humanitaires savent : le gros des allocataires ne reste pas dans le RSA parce qu’ils manquent d’incitations financières ou parce qu’ils préfèrent l’ « assistanat ». Ils demeurent dans la précarité, survivant d’une allocation indigne, parce qu’ils ont été maltraités par la société, parce qu’ils disposent de qualifications insuffisantes, d’une perte absolue de confiance en leurs capacités, de problèmes de santé, de problèmes de logement et de transport… Sortir de l’impasse suppose de sortir du mythe de la pauvreté volontaire défendu par les organisations financières internationales et les cabinets de consultants et d’offrir un revenu minimum digne pour une population dans le besoin et de mettre en place une politique de soutien social pour les uns, et une politique de service public pour d’autres qui connaissent des obstacles concrets d’accès à l’emploi (services de garde d’enfants, transports publics).