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Essai Société

Dossier / Les visages de la pandémie

Les nuits berlinoises après le Covid


par Guillaume Robin , le 21 juillet 2023


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Spéculation immobilière, gentrification, crise sanitaire et climatique : Berlin n’est plus la ville accessible où il faisait bon faire la fête. La ville saura-t-elle se remettre au vert ?

La réputation des nuits berlinoises n’est plus à faire. Celles-ci ont largement profité dans les années 2000 de l’émergence des avions low cost et de l’explosion du techno-tourisme que le journaliste Rapp, dans son ouvrage Lost and Sound (2009) désignait sous le nom d’ « easyjet-set ». Haut lieu du tourisme festif, la ville de Berlin, décrite comme « la Mecque de la techno », a fait des subcultures électroniques un outil central d’auto-promotion, le maire de l’époque Klaus Wowereit qualifiant, par une formule restée célèbre, la ville de « pauvre, mais sexy ». Entre 2000 et 2015, la jeunesse européenne s’y précipitait encore, plus attirée par le mythe des nuits berlinoises que par le salaire et les perspectives de carrière proposés par la ville, comparés aux autres grandes capitales européennes telles que Paris et Londres.

L’attractivité de Berlin dans les années 2010 résidait alors dans une conjonction de facteurs qui la distinguait de ses concurrentes : des loyers bien plus accessibles que dans les autres capitales européennes, des ateliers d’artistes bon marché, des bars, des restaurants et des clubs abordables, une législation propre au Land de Berlin relativement permissive sur la consommation de cannabis, une certaines facilité à se procurer des drogues festives, à se déplacer de club en club le week-end, la nuit, grâce à un réseau de métro fonctionnant 24h sur 24 et au dispositif de la Kurzstrecke trajet court ») qui permettait de faire 2 kilomètres en taxi pour 3 euros seulement. En 2023, la coutume de courir de club en club dans une même nuit s’est perdue. Le coût de la vie ne le permet plus.

Élise Julien écrivait déjà en 2017 que « capitale longtemps hors-norme, Berlin est en train de devenir une capitale de plus en plus normalisée ». Au début des années 2010, le tarif d’entrée d’un club comme le Berghain était de 13 euros ; en 2020, il est passé à 18 et en 2022, au sortir de la crise sanitaire, à 25 euros. Le prix des logements et des appartements de tourisme a explosé. Berlin n’est plus cette ville accessible où il était si simple de faire la fête et de trouver un logement en colocation. Les touristes européens qui s’y rendaient tous les deux mois avant l’épidémie de Covid 19 pour y fréquenter les clubs espacent désormais leur visite. L’eldorado festif berlinois est révolu ou en tant cas désormais réservé à une population socialement privilégiée.

Si les nuits berlinoises continuent à exercer autant de fascination sur la jeunesse, elles deviennent de moins en moins abordables et de plus en plus l’apanage des couches favorisées : CSP+, professions libérales etc. Un phénomène déjà constaté lors de l’étude ethnographique que j’avais pu conduire auprès du public d’habitués de la soirée Klubnacht du Berghain en 2019 [1]. Le phénomène s’est depuis accéléré.

À titre d’exemple, le prix d’un festival de musique électronique tel que le Nation of Gondwana, à quelques kilomètres de Berlin, est passé en dix ans de 45 euros à 190 euros. Celui du festival Garbicz, organisé par le collectif Bachstelzen et le Holzmarkt 25 (les fondateurs du légendaire Bar 25 qui avait été bâti à l’origine par une communauté hippie de Wagenburg), s’élève à quasiment 500 euros pour les derniers arrivés. Plusieurs facteurs expliquent évidemment la transformation des nuits berlinoises : la spéculation immobilière et la gentrification tout d’abord, amorcée à Berlin depuis les années 2000 – la ville opérant un rattrapage express sur Munich et Hambourg.

Se sont ajoutées à cela deux années de crise sanitaire et la guerre en Ukraine qui entraîna pour corrélat l’inflation. Mais l’inflation ne saurait être le seul élément explicatif, car l’augmentation du coût des loisirs nocturnes suit pourtant une trajectoire largement supérieure à la courbe de l’inflation en Allemagne (+6.4% en juin 2023). Quel bilan adresser des nuits berlinoises en 2023 ? À quels défis sont-elles aujourd’hui confrontées un an et demi après la sortie de crise sanitaire et le déclenchement de la guerre en Ukraine ? Quelles sont les perspectives pour leur développement futur ?

De la soi-disant « résilience » des nuits berlinoises ou l’idéologie du bonheur palliatif

Dans une étude que j’ai réalisée entre février et mars 2022, portant sur les phénomènes de résilience individuelle et collective au sein de la communauté techno berlinoise pendant le Covid et dont les résultats ont été présentés à la conférence NITE à Leiden en 2022, j’ai eu l’occasion d’interroger les participants de la scène techno berlinoise (le public d’habitués) sur la capacité des plateformes de streaming, souvent citées en modèles de résilience par les acteurs de la scène (DJs, clubs, institutions), à maintenir le lien social et à recréer un sentiment de communauté. La solution numérique a été considérée pendant la pandémie comme un moyen d’assurer la reprise en main de la vie nocturne, à rebondir et à s’adapter rapidement à la situation.

Interrogées sur la capacité de ces initiatives à recréer le lien social disparu avec le confinement et à reconstituer la communauté, les personnes interrogées ont répondu majoritairement par la négative. Ce que mettent au jour les témoignages, c’est plutôt le sentiment d’isolement et l’absence de cette énergie collective dépensée ensemble sur le dance floor. Paul B. Preciado explique que le confinement a introduit dans l’espace domestique l’expérience d’une télé-consommation passive, ici en l’occurrence de sets live (sur des plates-formes de streaming telles que Hör Berlin ou encore United we Stream), qui s’est substituée non seulement à l’expérience corporelle individuelle vivante, mais aussi à l’expérience collective. La télé-consommation de ces succédanés de loisirs nocturnes n’a pas recréé ni maintenu le lien social, mais créé l’illusion d’une communauté.

Il semble donc parfaitement exagéré de vouloir projeter dans ces adaptations technologiques des manifestations de résilience collective. Pour reprendre les propos du chercheur en sciences sociales au CNRS Thierry Ribault, « il faut arrêter le délire de la résilience. C’est l’idéologie du bonheur palliatif » [2]. La prétendue « résilience » de la scène techno berlinoise mise en avant par les professionnels de la nuit ne saurait cacher le degré élevé d’insatisfaction de la communauté techno berlinoise privée de ses nuits. En allemand, cela a un nom : « Tanzverbot » (interdiction de danser). Cette privation a eu un prix psychologique lourd à payer.

Appel à projets pour les événements culturels en plein air : le programme Draussenstadt

Impact de la crise sanitaire sur les nuits berlinoises

L’impact social et économique de la crise sanitaire sur les nuits berlinoises a été largement documenté de même que la proactivité des acteurs de la nuit et les programmes de relance déployés par les professionnels (tels le Global Nighttime Recovery Plan) ou les pouvoirs publics, notamment le Land de Berlin [3], pour soutenir économiquement un secteur touché de plein fouet par la crise. Les dispositifs de chômage partiel, d’aides aux artistes et travailleurs indépendants, les aides d’urgences (Soforthilfepaket) ont permis aux clubs de se maintenir à flot pendant la pandémie et d’éviter une fermeture définitive malgré un contexte économiquement très difficile. Plus que les clubs, ce sont les artistes qui furent touchés en premier lieu. Face aux difficultés financières récurrentes et la concurrence post-Covid accrue (nombre d’entre eux peinant à trouver des dates de programmation ou furent contraints à accepter des cachets moins élevés alignés sur les cachets faibles des nouveaux entrants – , beaucoup ont depuis jeté l’éponge et abandonné leur carrière. La pandémie de Covid 19, à cet égard, a représenté une opportunité pour le renouvellement de la scène dans la mesure où elle a créé un appel d’air et provoqué un important turnover, poussant au retrait de la scène les uns, ceux qui songeaient depuis un certain temps à raccrocher, mais donnant aux autres leur chance et l’occasion d’une visibilité dans un secteur ultra concurrentiel.

La difficulté majeure à laquelle furent confrontés les clubs à leur réouverture en mars 2022 fut surtout le manque de personnel. Faute de main d’œuvre (vestiaire, nettoyage, bar, sécurité…), ceux-ci furent contraints dans les premiers mois à revoir à la baisse leur programmation et leurs horaires d’ouverture. Pour endiguer la multiplication de raves clandestines pendant la crise sanitaire et reprendre le contrôle sur la nuit que le public techno berlinois, collectifs en tête, s’était approprié en prenant en main l’organisation de raves clandestines, le Land de Berlin fit preuve de grande réactivité. Pour compenser la fermeture des clubs en intérieur, il lança l’appel à projets Draussenstadt (« ville dehors »), un dispositif visant à soutenir les organisateurs d’événements culturels et musicaux en plein air. Le programme Draussenstadt permit d’attribuer aux projets lauréats jusqu’à 20 000 euros de subventions offrant à de jeunes organisateurs et de nouveaux acteurs de la scène tels que le collectif queer Fluid Vision l’opportunité d’organiser dans un cadre légal et avec le soutien logistique et financier du Land de Berlin des événements techno en plein d’air (DJs set, performances, ateliers) et d’acquérir ainsi une visibilité au sein de la scène techno berlinoise. Grâce à ce genre de dispositifs de soutien aux open airs, des performers, des artistes et des collectifs ont pu se faire connaître pendant l’épidémie de Covid et sont désormais programmés régulièrement dans les clubs.

En temps de Covid, les maigres événements en plein air organisés par les clubs tout comme les open airs légaux, soutenus par le Land de Berlin pour éviter des débordements comme ceux survenus dans le parc d’Hasenheide, sembleraient cependant avoir peiné à avoir recréé un sentiment de communauté, à en juger par les témoignages des participants [4]. Car ces événements, surtout durant l’été 2020, étaient soumis à de multiples contraintes sanitaires qui allaient à l’encontre de l’essence même de la culture club berlinoise, très chère à ses libertés : réduction de la capacité d’accueil, limitation de la fête en journée, port du masque obligatoire durant l’été 2020, obligation de test Covid, distanciation sociale, achat en amont des tickets…

Les soirées clandestines, elles, bien que pointées du doigt par les institutions et les professionnels de la nuit, ont largement contribué à la revitalisation des nuits berlinoises moribondes pendant la crise sanitaire. Les free partys ont constitué un espace de (re)socialisation bien plus important pour le public berlinois que les « soirées corona » privées et les open air légales en liberté surveillée. Le phénomène des free parties n’est pas nouveau à Berlin. Des raves clandestines y toujours vu le jour, mais elles se sont multipliées durant les deux étés de crise sanitaire, dans le Brandebourg et en périphérie de Berlin, en zones B et C surtout, plus rarement à l’intérieur du Ring, en raison du risque plus élevé d’intervention policière. Le paysage des clubs techno berlinois, essentiellement concentré dans les quartiers de Friedrichshain et Kreuzberg, semblerait avoir suivi la trajectoire des raves clandestines, les clubs partant eux aussi à la conquête des marges urbaines : le RSO a ouvert dans l’Est de Berlin dans le quartier de Niederschöneweide sur le site de l’ancienne brasserie Bärenquell, d’autres espaces festifs sont nés en périphérie comme le Backsteinboot à Spandau ou Plötze, au bord du Plötzensee.

Avec les open airs légales, les nuits berlinoises se sont transformées en jours, laissant aux raves underground le primat des nuits, plus propices à l’invisibilité. À travers ces free parties clandestines, le public techno, loin de se cantonner dans une fonction de consommateur, a montré son rôle déterminant en tant qu’acteur de la scène et co-producteur du spectacle nocturne, partant à la conquête des marges et des espaces périurbains délaissés : forêts, bunkers de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation soviétique, usines à l’abandon comme l’ancienne usine chimique de Rüdersdorf, piscines et hôpitaux désaffectées, anciennes casernes militaires, entrepôts, ateliers d’artistes convertis en mini-clubs temporaires.

Il est difficile d’évaluer l’impact de cette culture rave sur les nuits berlinoises. Outre une tendance au déplacement des nuits en périphérie, le phénomène des micro-raves clandestines a montré une volonté de diversification de la scène et d’un accès plus démocratique aux fêtes berlinoises, à des nuits moins mercantiles, accessibles à tous et à des formats de fête plus petits, une aspiration nouvelle à des nuits à taille humaine plus qu’à des festivals de plusieurs milliers de personnes. La multiplication de ces micro-événements a montré qu’il est encore possible à Berlin en 2023 de faire la fête à moindre coût tout en faisant preuve d’ingéniosité, d’un sens esthétique sûr, d’une organisation rodée, d’une maîtrise poussée du bricolage et de la technique, d’un sens de l’entraide. Comme par effet de capillarité, les micro-raves clandestines organisées pendant le Covid se sont accompagnées de l’apparition de nombreux micro-festivals à but non lucratif (comptant de 100 à 300 personnes sur un week-end) tels les micro-festivals Rote Mühle ou Minijob. Les collectifs à l’origine de ce genre d’événements montrent que parallèlement à la machine commerciale des clubs, il est possible de proposer un programme musical et une esthétique festive de qualité, pour une somme modique : 25 euros dans le cas du micro-festival Minijob organisé à Fort Gorgast, soit dix fois moins que le prix moyen d’un festival aujourd’hui autour de Berlin.

Le danseur Nicholas King Rose, vers plus d’inclusion dans les clubs ?

Vers plus d’inclusion ?

En 2021, la scène techno berlinoise a été secouée par un scandale discriminatoire survenu au sein du club Revier Südost, ce qui a donné lieu à un vaste chantier sur la question de l’inclusion. Renommée pour ses soirées animées dédiées à la communauté gay et queer (telles que Cocktail d’Amore et Butt’ons), ainsi que ses événements sex-positifs et inclusifs (comme Gegen et Pornceptual), la vie nocturne berlinoise s’est enrichie de l’activisme de collectifs queer engagés tels que Lecken, Room4resistance, Fluid Vision et Floorgasm. Ces collectifs se sont engagés dans l’organisation de soirées queer visant à une meilleure représentation des minorités de genre, en particulier des individus BIPOC (personnes noires et de couleur) et FLINTA (femmes, lesbiennes, personnes intersexuées, personnes non binaires, personnes trans et personnes agenrées). Ces communautés, habituellement sous-représentées au sein de la scène techno berlinoise en comparaison de la communauté gay, ont ainsi trouvé leur voix et redéfini leur place.

Telle est aussi la démarche du Whole festival à l’organisation duquel participent de nombreux collectifs berlinois. La prévention des discriminations et la lutte contre toutes les formes de sexisme, d’homophobie, de transphobie, d’agression sexuelle ou de violence sexualisée dans l’espace des clubs est devenue un axe majeur de travail de la ClubCommission depuis la fin de la crise sanitaire. En témoigne la multiplication des awareness teams (« équipes de conscientisation ») qui ont pour objectif rendre les espaces festifs plus sûrs pour l’ensemble du public. Cette intégration du care dans le domaine de la nuit n’est pas nouvelle, mais l’intensification de ces initiatives témoigne d’une volonté croissante de proposer des soirées plus inclusives en recrutant en interne ou en externe ces équipes, en renfort du personnel de sécurité, sortes de cellules de prévention et de médiation à l’écoute des victimes de discrimination et de violence sexuée ou racialisée.

La délégation de ce rôle à des équipes de médiation dédiées ne saurait naturellement se substituer à la responsabilité individuelle et collective essentielle du public dans un environnement où les pratiques de solidarité, d’entraide et plus généralement de care sont de mises. Ainsi, le cas de discrimination dont a été victime le danseur noir canadien Nicholas King Rose dans le club Revier Südost pendant la crise sanitaire a conduit à la fermeture provisoire du club, suite au scandale diffusé sur les réseaux sociaux, obligeant la direction du club à une refonte de son mode de recrutement et de formation [5]. Ces changements trouvent aussi un écho dans le changement radical de programmation entrepris par certains clubs majeurs de Berlin depuis leur réouverture.

Pointés du doigt pour avoir longtemps privilégié derrière les platines et maintenu en tête d’affiche une majorité de « vieux mâles blancs », certains clubs tels le Berghain ont amorcé un véritable tournant au sortir de la crise sanitaire, réclamé par la scène, en diversifiant davantage la programmation et en recrutant de nouveaux DJs résidents issus des minorités de genre et de couleur : Josey rebelle, Jako Jako, Octa Octa, LSDXOXO, Lakuti, Sedef Adasi ou encore MARRØN. Si la programmation des clubs berlinois est encore loin de la parité, elle tend en 2023 à une meilleure représentation des femmes et des minorités de genre.

L’utopie des nuits vertes

Le clubbing vert serait-il envisageable dans une ville connue pour être à la pointe de l’écologie urbaine, du végétarisme et du véganisme en Europe ou encore des initiatives citoyennes écologiques (100 % Tempelhofer Feld) ? Il est permis d’en douter. Car l’échec cuisant du référendum Berlin Klimaneutral 2030, la poursuite des travaux de l’A100 qui menace l’existence de plusieurs clubs dont About Blank, Else et Zur Wilden Renate, ainsi que l’élection de Kai Wegner, un maire CDU partisan de l’automobile en ville a remis largement en cause les perspectives durables de Berlin. Les objectifs de réduction de l’empreinte carbone laissée par les activités nocturnes semblent peu réalistes si l’on prend en considération la part des touristes dans les clubs berlinois (cf. Rapport de 2019 de la ClubCommission) et en contradiction avec les objectifs de neutralité climatique fixée par le Land de Berlin à l’horizon 2045.

Des clubs comme le Tresor, le Watergate et le Berghain sont constitués à 50 % de touristes venus pour la plupart en avion, même si le porte-parole de la plateforme touristique de la capitale Visit Berlin, lors d’un événement organisé dans le club Ritter Butzke sur le thème « Culture club & tourisme en temps de crise climatique », a affirmé que le nombre de ravers arrivant en train pour un week-end de fête à Berlin serait plus élevé qu’en 2019.

L’objectif affiché par Berlin d’atteindre la neutralité climatique, semble difficile à atteindre au vu des volontés politiques actuelles. Il pourrait pourtant inciter la culture des clubs berlinois à plus de durabilité. Un club de taille moyenne, selon les estimations de l’association berlinoise Club Liebe, est un gouffre énergétique et consomme autant en électricité en une soirée qu’un foyer en un an.

Entre les voyages permanents des DJs à l’autre bout de la planète, planifiés par les agences de booking pour quelques heures de mix seulement et le bilan climatique désastreux des Easy-Jet-ravers, les émissions de CO2 dues aux nuits berlinoises, provisoirement interrompues avec le confinement, ne cessent d’augmenter sans qu’une réflexion ne soit menée en profondeur au sein des clubs. L’idée d’un quota de DJs locaux qui limiterait l’impact carbone des clubs est encore loin de faire son chemin. Côté public, le calcul est vite fait comme le rappelle Hartmann dans la TAZ [6] : pour un jeune londonien, une nuit en auberge de jeunesse et un vol à bas prix pour Berlin, même s’il a drastiquement augmenté en 2023, reviennent toujours moins cher que de faire la fête dans sa ville natale actuellement surtaxée. Les leviers d’une politique durable dans le monde de la nuit sont minces et se réduisent souvent à l’optimisation énergétique des bâtiments.

L’idée d’un recyclage de l’énergie produite par les ravers sur le dance floor qui pourrait servir à alimenter les clubs n’en est qu’à son balbutiement. Les externalités négatives générées par les nuits berlinoises sont énormes et les enjeux de réduction de l’empreinte carbone en contradiction envers les pratiques actuelles : booking mondial des DJs, internationalisation massive du public, techno-tourisme… Certaines initiatives, plus au stade de la réflexion et de l’élaboration des guides de bonnes pratiques, sont néanmoins à souligner. L’association ClubLiebe a élaboré à cet effet un « concept de durabilité gratuite » pour les clubs dans lesquels sont prodigués des conseils pratiques (usage de lumières LED, réfrigérateurs à faible consommation…). L’attractivité d’un club réside, certes, dans sa capacité à booker des DJs mondialement reconnus dans le milieu techno, mais certains exemples comme celui du K41 à Kiev ou du Bassiani à Tbilissi, montrent l’aptitude de certains à capter un public d’habitués autour d’une programmation locale stable et de haute volée.

À l’évidence, la place accordée au développement durable est encore très limitée et sans une volonté politique forte pour rendre le train plus attractif que l’avion, la situation est peu encline aux changements. Clubtopia (un projet de coopération de Bund Berlin (Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland) et de l’association ClubLiebe soutenue par l’administration du Sena de Berlin à l’environnement, la mobilité et à la protection du Climat) ainsi que la ClubCommission tentent pourtant d’œuvre dans ce sens, en invitant les organisateurs de soirée et les consommateurs de la culture club berlinoise à un développement plus durable et plus respectueux du climat, à travers notamment l’élaboration de ce « Green Club Guide ».

Des réflexions sont menées pour minimiser l’impact de la livraison de boissons, la publicité pour les événements, protéger contre le bruit, économiser l’énergie ou encore montrer au public que dans le cadre d’un club peuvent s’opérer des comportements plus respectueux de l’environnement. Tel est sans doute le chantier à venir des nuits berlinoises.

par Guillaume Robin, le 21 juillet 2023

Pour citer cet article :

Guillaume Robin, « Les nuits berlinoises après le Covid », La Vie des idées , 21 juillet 2023. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Les-nuits-berlinoises-apres-le-Covid

Nota bene :

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction (redaction chez laviedesidees.fr). Nous vous répondrons dans les meilleurs délais.

Notes

[1Robin, G., Berghain : Berlin Bacchanales, Le Murmure, 2021.

[2“La résilience a un grand pouvoir de séduction. Instrument d’endoctrinement clamant qu’il faut privilégier la vie, elle cultive le travestissement du malheur, allant jusqu’à revendiquer d’en faire un mérite”, in Thierry Ribault, Contre la résilience, à Fukushima et ailleurs, Editions l’Echappée, 2021.

[3LEDERER Klaus, «  Du rôle du Land de Berlin dans la promotion des scènes indépendantes face à la crise sanitaire  », Allemagne d’aujourd’hui, 2022/2 (N° 240), p. 246-255.

[4Guillaume Robin. Facing desocialization : resilience and reconstitition of nocturnal festivities in times of pandemic in the Berlin migrant techno community.. Night spaces : migration, culture and integration in Europe, NITE, University of Leiden, Netherlands, May 2022, Leiden (DE), Netherlands. ⟨hal-03938636⟩

[5Elisabeth Rushton, “This club felt like a torture chamber”, in Berliner Zeitung, 29.08.2021.

[6Hartmann, Andreas, «  klimabewwuster feiern  », 06.03.2023, https://taz.de/Nachhaltigkeit-in-Berliner-Clubs/!5916448/

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