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Le phénomène Syriza
Entretien avec Anastassios Anastassiadis


par Nicolas Delalande , le 20 février 2015


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Depuis la victoire de Syriza aux élections législatives du 25 janvier dernier, toute l’Europe observe les premiers pas d’Alexis Tsipras et de son gouvernement. Retour avec l’historien Anastassios Anastassiadis sur les origines d’un mouvement qui, face à l’urgence, mobilise le souvenir de la Seconde Guerre mondiale.

Anastassios Anastassiadis est professeur assistant d’histoire grecque à l’université McGill de Montréal. Auteur d’une thèse soutenue en 2006 à Paris, il s’intéresse tout particulièrement à la formation de l’État grec moderne au XIXe siècle, en croisant les méthodes et les concepts de l’histoire, de la sociologie et de la science politique. Ses travaux portent notamment sur les relations entre « tradition » et « modernité », sur les transferts culturels entre Europe de l’ouest et Europe méditerranéenne, ou sur le rôle de l’Église et de l’évergétisme dans la société grecque du XIXe siècle. L’historien, qui a déjà relaté pour la Vie des idées l’histoire de l’État grec, revient ici sur les élections récentes et répond aux questions suivantes :

1) La victoire de Syriza annonce-t-elle une recomposition durable du système politique grec ?
2) Quelle est l’histoire de ce parti et de ces militants ?
3) L’alliance avec les Grecs indépendants ne brouille-t-elle pas son message ?
4) Pourquoi la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est-elle si présente dans ses discours ?
5) La Grèce a-t-elle un statut à part dans l’imaginaire européen ?

Propos recueillis par Nicolas Delalande. Prise de vue et montage : A. Suhamy.

Transcription de l’entretien

La Vie des idées : La victoire de Syriza annonce-t-elle une recomposition durable du système politique grec ?

Anastassios Anastassiadis : Il faut savoir que depuis la restauration de la démocratie en 1974, après la dictature des colonels, le système politique grec avait été dominé par deux partis politiques : la Nouvelle Démocratie, de centre-droit et pro-européen, et le PASOK, le parti socialiste, qui a fini par s’adapter à l’Union européenne. Ces deux partis cumulaient presque quatre-vingt pour cent du corps électoral jusqu’à très récemment. Depuis 2009 et la crise, ce bipartisme s’est effondré : le PASOK a par exemple perdu quarante pour cent de son électorat en cinq ans. Ainsi sur les trois cent députés grecs au parlement, deux cent vingt députés n’avaient soit jamais eu de mandat, soit moins de trois ans d’expérience parlementaire.


La Vie des idées : Quelle est l’histoire de ce parti et ces militants ?


Anastassios Anastassiadis :
Syriza a obtenu trente-six pour cent des voix lors des dernières élections, alors qu’en 2009 il n’en avait obtenu que quatre pour cent. Syriza est un parti issu de plusieurs scissions et recompositions de la gauche communiste grecque. La première scission a eu lieu en 1968 sous la dictature, lorsque le parti communiste s’est divisé en un parti pro-européen et un parti stalinien. La deuxième recomposition a elle eu lieu dans les années 1989-1991, suite aux événements de 1989 et après une tentative de réunion des deux branches du parti communiste. Cette tentative de réunion a finalement abouti à une nouvelle scission en 1991.
Syriza est une coalition qui regroupe des gens issus de ces scissions, notamment ceux opposés à la tendance stalinienne du parti communiste grec, ainsi que diverses associations écologiques et gauchistes. Entre 1991 et 2009, Syriza oscillait entre trois et quatre pour cent lors des votes. Cependant, en raison de la crise et de la paupérisation des classes moyennes qui se sont éloignées du PASOK, ses rangs se sont fortement accrus.

La Vie des idées : L’alliance avec les Grecs indépendants ne brouille-t-elle pas le message ?

Anastassios Anastassiadis : Qu’on apprécie ou non Syriza, il faut reconnaître que tactiquement parlant, Syriza a très bien joué. Il fallait absolument une continuité gouvernementale pour que la Grèce puisse continuer de négocier avec les européens. Dès le soir de l’élection, Tsipras savait qu’il n’avait pas la majorité absolue. Or cela aurait eu une double conséquence. D’abord le lendemain, le lundi matin, la Grèce se serait retrouvée sans gouvernement : cela aurait provoqué une crise d’incertitude, une panique, à la fois au niveau des marchés financiers et au niveau politique. Cela aurait justifié les discours de la droite grecque qui affirmait qu’une victoire de Syriza équivaudrait à un chaos politique et économique. Ainsi, en faisant cette alliance avec les Grecs indépendants, Syriza pouvait calmer les esprits, à fois à l’intérieur et à l’extérieur de la Grèce. Ensuite, il y a un aspect institutionnel important : si Syriza n’avait pas pu former une coalition, alors le président aurait été dans l’obligation de passer le mandat de former un gouvernement au deuxième parti, Nouvelle Démocratie, qui n’y serait pas parvenu, puis au troisième parti, Aube Dorée, dont la majorité des leaders se trouve en prison !

Beaucoup de gens se sont demandés pourquoi Tsipras a choisi ce parti comme partenaire, qui est xénéphobe et antisémite. On peut répondre à cette interrogation de la manière suivante. La première mission de Tsipras est de renégocier le mémorandum qui lie la Grèce à la Troïka, c’est-à-dire l’Union européenne, la Banque central européenne et le FMI. Or le seul parti « fréquentable » - donc pas Aube Dorée - qui avait aussi dans son programme la renégociation de ce mémorandum, c’était les Grecs indépendants. Il est clair que passée la renégociation, ce gouvernement ne pourra pas continuer puisque tout oppose ces deux partis. Il y aura sûrement d’autres élection cette année, voire avant la fin de l’été.

La Vie des idées : Pourquoi la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est-elle si présente dans ses discours ?

Anastassios Anastassiadis : Effectivement, on a observé ces cinq dernières années un renouveau de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. En Grèce on ne fête pas la fin de la Seconde Guerre mondiale puisque la guerre civile a immédiatement suivi (1946-1949). Ces cinquante dernières années c’est la guerre civile qui avait marqué la mémoire collective grecque. Depuis 1989 on avait essayé d’effacer cette mémoire de la guerre civile grecque en prônant la réconciliation entre droite et gauche et en détruisant les archives de la sécurité intérieure, par un gouvernement déjà à l’époque de droite et de gauche.

Ce qui est nouveau, c’est ce retour à la Seconde Guerre mondiale. Il s’agissait de la part des allemands d’une occupation très dure. La Grèce n’a pas eu droit à des réparations comme d’autres pays, en raison du fait qu’elle se trouvait en guerre civile, puis parce qu’en 1953 elle a accepté l’accord de restructuration de la dette allemande. L’utilisation par Syriza de cette question des réparations est à la fois astucieuse et problématique. Astucieuse parce que Tsipras rappelle aux Européens que la Grèce à l’époque a accepté l’effacement de la dette allemande, et de comparer avec la manière dont la Grèce est traitée aujourd’hui. Cela fait partie de la volonté de Tsipras de proposer un New Deal européen : il faudrait un nouveau « Plan Marshall », une sorte de « Plan Merkel ».

L’effet pervers de cette argumentation c’est qu’on a vu fleurir ces dernières années des représentations de l’Allemagne sous les traits de l’Allemagne nazie. Cela a favorisé la banalisation du nazisme, notamment avec le mouvement néo-nazi Aube Dorée. Tsipras a tenté de redresser la barre lorsqu’il a déposé une gerbe aux monuments des résistants communistes fusillés par les nazis.

La Vie des idées : La Grèce a-t-elle un statut à part dans l’imaginaire européen ?

Anastassios Anastassiadis : D’une certaine manière l’Union européenne s’est elle-même liée les mains au niveau des négociations et de son imaginaire. En présentant la Grèce comme le berceau de la civilisation européenne on s’oblige, en effet, à prendre au sérieux cet argument idéologique. On entend ainsi souvent cet argument : on ne peut pas se passer de ce pays. L’opinion publique allemande est majoritairement opposée à la sortie de la Grèce de l’Europe. Aujourd’hui Syriza surfe sur le retour d’un certain philhellénisme, déjà là en 1946 au moment de la guerre civile grecque lorsque la Grèce était le symbole de la résistance au communisme. Syriza, assez paradoxalement, profite de ce philhellénisme. L’histoire nous enseigne aussi que les phases de philhellénisme ont très souvent été suivies par des phases « mishellénisme » aigues, où les mêmes personnes pouvaient passer du grand amour à la grande haine.

par Nicolas Delalande, le 20 février 2015

Pour citer cet article :

Nicolas Delalande, « Le phénomène Syriza. Entretien avec Anastassios Anastassiadis », La Vie des idées , 20 février 2015. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Le-phenomene-Syriza

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