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Recension Société

La société française malade du logement


par Pascale Dietrich-Ragon , le 6 mai 2008


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D. Vanoni et C. Robert étudient les diverses manifestations du mal-logement et ses causes sociales et politiques. Travaillant dans des organismes non universitaires, au plus proche du terrain, les deux chercheurs mettent principalement en cause la dérégulation politique des dernières années, qui a aggravé un problème chronique en France.

Recensé : Logement et cohésion sociale. Le mal-logement au cœur des inégalités. Didier Vanoni, Christophe Robert, Paris, La découverte, 2007, 24 €.

« La société française, en ce début de XXIe siècle, est malade du logement. » Dès la première phrase, Didier Vanoni, directeur du bureau d’étude FORS-Recherche sociale, et Christophe Robert, directeur d’études de la Fondation Abbé Pierre, plantent le décor de leur ouvrage sur les différentes manifestations du « mal-logement » et ses causes sociales. Alors que cette question est au cœur de l’actualité, les deux auteurs, dont la particularité est de mener leurs recherches dans des organismes non universitaires et de travailler au plus proche des acteurs de terrain, livrent les résultats de leur expérience concrète et de leurs observations.

Un mal chronique

L’introduction du livre contextualise avec finesse la situation actuelle. Tout d’abord, les auteurs rappellent un constat que l’on oublie trop souvent : la crise du logement n’est pas un phénomène temporaire mais bien une pathologie chronique. Un regard rétrospectif à l’échelle du siècle montre en effet que le déséquilibre entre l’offre et la demande de logement a été permanent, hormis quelques courtes périodes de rémission, dont les années 1970-1975. Autre constante au cours de l’histoire : la question du logement redouble toujours la question sociale. Dans la période récente, le développement de formes dénaturées de logement est concomitant de l’évolution qui a touché le monde du travail, où les formes d’emploi et les relations salariales sont de plus en plus marquées par la précarité. Enfin, une évolution essentielle réside dans la baisse des régulations opérées par l’État. L’action publique dans le domaine du logement ne prétend plus réguler ou administrer, elle « accompagne socialement », quand elle ne se contente pas de faciliter le fonctionnement des marchés. Et c’est bien contre ce désengagement que l’ensemble de l’ouvrage entend s’élever.

Un mal diversifié

La première partie dresse un vaste panorama des situations de « mal-logement » et met en évidence l’hétérogénéité et l’extension de cette condition à des couches du corps social qui en étaient auparavant préservées. Sont successivement abordés les cas des sans domicile fixe et des populations en errance, des publics n’ayant pas de logement personnel (hébergés dans des structures d’accueil temporaire, par la famille, des amis ou des tiers), des publics ayant des droits d’occupation limités (squats, ménages en situation d’expulsion, ménages vivant dans des hôtels meublés…), des ménages vivant dans des conditions « indignes » et enfin de publics spécifiques comme les jeunes et les étudiants, les gens du voyage, les travailleurs saisonniers du tourisme et de l’agriculture, les immigrés et les travailleurs migrants. Le mal-logement, même s’il est difficile à quantifier, recouvre donc une gamme très large de situations, ce vaste inventaire témoignant du caractère multidimensionnel de la question. Or, cette situation de précarité a des effets néfastes sur la santé physique et psychique, implique des risques en matière d’insertion sociale et professionnelle, notamment des jeunes, et, même si cela reste à démontrer, peut participer à la production d’actes déviants. Vanoni et Robert proposent alors d’adopter une approche du mal-logement en termes de « coûts sociaux » qui devrait justifier une politique plus ambitieuse.

La dérégulation politique en cause

La deuxième partie du livre s’attache à démontrer que la crise du logement trouve son origine dans des dysfonctionnements politiques et pointe les dangers que recèlent les évolutions actuelles. Après un rappel des grandes étapes de constitution du parc immobilier français et de la manière dont ce dernier a pu satisfaire ou non la demande sociale depuis 1900, la conclusion est sans appel : « La crise récurrente du logement a des origines diverses et procède en fait d’un ensemble de stratégies d’acteurs qui, laissés à leur propre logique, produisent de nombreux effets pervers que des politiques publiques assez peu cohérentes et surtout insuffisamment constantes et ambitieuses peinent à corriger. » (p. 118) La crise actuelle donne une parfaite illustration de ce manque de régulation politique : la production n’a jamais été aussi forte alors que les ménages éprouvent toujours plus de difficultés pour trouver une offre correspondant à leurs ressources. Pour expliquer ce paradoxe, l’ouvrage reprend une analyse largement développée par le rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre [1], à savoir que la politique menée ces dernières années vise seulement la partie supérieure des couches moyennes en laissant croire qu’elle s’adresse à tous. On observe ainsi une crise du logement à loyers accessibles, l’offre étant aujourd’hui complètement en décalage avec la demande. À titre d’exemple, jusqu’en 2002, 60 à 65% du flux de constructions neuves étaient accessibles aux ménages dont les revenus n’excédaient pas le plafond au-dessous duquel il est possible d’accéder à un logement social, sachant que 70% des ménages sont dans cette situation. Ces dernières années, cette tendance s’est renversée : les produits de logement dont les loyers sont inférieurs aux prix du marché et/ou conventionnés par des plafonds de ressources ne sont plus que de l’ordre de 40%.

Selon les auteurs, la décentralisation fait par ailleurs partie des mouvements qui ont structuré le paysage actuel du logement, l’État s’employant à encadrer, autant que faire se peut, les politiques locales du logement tout en essayant de faire porter aux collectivités la responsabilité de la production et de la planification en matière d’habitat. Cette évolution est d’après eux porteuse de dangers pour une politique du logement cohérente. Tout d’abord, les intercommunalités (EPCI) éprouvent des difficultés à orienter la construction vers la production de « vrais logements sociaux », le PLA-I (Prêt Locatif Aidé d’Intégration), perçu comme le vecteur de l’arrivée de personnes en difficultés dans les communes, faisant l’objet d’un net rejet. Un autre problème est celui de la cohérence et de la convergence des objectifs entre les différentes collectivités, ainsi que celui de leur responsabilisation dans le domaine de la politique du logement. Toutefois, certaines collectivités locales, prenant conscience de l’importance de la problématique de l’habitat pour le développement global du territoire, sont engagées dans des politiques volontaristes. D’une façon générale, elles s’attachent à développer, diversifier et mieux répartir la production, à agir sur le marché local (en jouant sur les prix) et à mieux protéger les plus vulnérables. C’est là peut-être la seule note optimiste de l’ouvrage : « On constate que, malgré un environnement institutionnel encore en recomposition, des collectivités tentent de ne pas laisser la question du logement à la seule logique du marché et font la démonstration que ‘la crise du logement n’est pas inéluctable’. » (p. 161).

Crise du logement et ségrégation territoriale

Par ailleurs, selon Vanoni et Robert, il convient de faire le lien entre la crise du logement et la ségrégation territoriale qui ne cesse de se renforcer, comme a pu le mettre en évidence la « crise des banlieues » de l’automne 2005. Les mesures ne semblent pas prises actuellement pour résoudre ce problème. L’État essaie bien sûr de rétablir un certain équilibre territorial. Ainsi, la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbains) vise à corriger le défaut de solidarité entre les territoires et à imposer la construction de logements sociaux dans les communes urbaines qui en sont insuffisamment dotées. De même, plusieurs actions ont été menées ces dernières années pour dynamiser la construction de logements sociaux et réguler les effets de la crise [2]. Pourtant, certains acteurs essaient de se soustraire à cette obligation de solidarité en élargissant par exemple la définition du logement social pour « dissoudre » l’obligation d’en construire. Par ailleurs, l’effort de construction a essentiellement reposé au cours de la période 2002-2004 sur les communes qui étaient déjà le mieux dotées en logements sociaux. Or, celles qui disposent d’un parc social important se trouvent naturellement confrontées à des dépenses sociales plus fortes que celles qui laissent filtrer les entrées sur le territoire. Au bout du compte, les villes au potentiel fiscal le plus faible doivent se résoudre à ne pas offrir la même qualité de services publics alors que la demande y est souvent plus forte. Il y a donc là une nouvelle source d’inégalité, si la décentralisation ne s’accompagne pas d’une redistribution forte entre les territoires.

Un autre danger possible, lié cette fois à la loi DALO, est que les bailleurs sociaux se focalisent sur les plus vulnérables et soient cantonnés à une fonction d’accueil des exclus. Les bailleurs sont en effet placés devant une injonction paradoxale qui les incite à loger les plus démunis et à organiser en même temps la diversité sociale dans les quartiers. Finalement, au-delà de l’avancée indéniable que constitue cette loi, le sentiment qui domine est d’être en face d’un texte qui laisse de côté la refonte de l’architecture des politiques de l’habitat et du logement, nécessaire à l’ordonnancement des obligations et moyens autour de l’obligation de résultats nouvellement instaurée. D’autres exemples, comme l’hébergement d’urgence, trahissent l’absence de réponse structurelle : « Il est urgent de dépasser le système actuel de la réponse au coup par coup et des dispositions prises par rapport à la pression médiatique. » (p. 205) Le législateur se contente donc d’une logique de rectification à la marge des inégalités.

D’une façon générale, les auteurs de ce livre font un réel effort pour penser la crise du logement de façon globale. En moins de 250 pages, ils offrent un bon tour d’horizon de la question et des logiques complexes qui la traversent. On regrettera toutefois qu’ils n’aient pas jugé utile de mentionner leur positionnement particulier, c’est-à-dire leurs liens avec la recherche militante de la Fondation Abbé Pierre. Certains concepts comme la notion de « ménages défavorisés » ou « modestes » auraient aussi gagné à être définis plus rigoureusement. En tous cas, ce livre analyse de façon fine et claire les grandes évolutions contemporaines en matière de logement et constitue un manifeste convaincant en faveur d’une nouvelle régulation publique.

par Pascale Dietrich-Ragon, le 6 mai 2008

Aller plus loin

 Site de la Fondation Abbé Pierre

 Site du bureau d’étude FORS

 Site du pôle national de lutte contre l’habitat indigne

Pour citer cet article :

Pascale Dietrich-Ragon, « La société française malade du logement », La Vie des idées , 6 mai 2008. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/La-societe-francaise-malade-du

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Notes

[1Fondation Abbé Pierre. L’état du mal-logement en France. Paris, Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés, Rapport annuel, 2007, 251 p.

[2Cf. loi ENL (Engagement National pour le Logement)  ; loi DALO instaurant le droit au logement opposable.

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