Le nouveau Président de la République a tenu à faire des deux premières lois adoptées sous son mandat les symboles d’une nouvelle façon de gouverner et de la rupture avec des pratiques décriées. Cependant, les conditions dans lesquelles ces textes ont été préparés et discutés, ainsi que l’impasse faite sur un certain nombre de questions liées aux abus de fonction et à certains conflits d’intérêts, ôtent à ces textes le caractère décisif que le gouvernement prétendait leur attribuer. La méthode, comme le périmètre de ces lois, se situe dans la tradition française consistant à faire des choix de mesures incrémentales et de demi-mesures dans l’urgence, le dos au mur. Et donc à se condamner à des résultats insatisfaisants.
Une méthode législative opaque
On aurait pu penser que ces lois emblématiques allaient donner lieu à une démarche législative attentive et, pourquoi pas, rigoureuse. Ces textes viennent compléter la loi de 2013 « relative à la transparence de la vie publique » [1]. Mais on n’a pas pris le temps de faire le bilan de celle-ci et des manques que son application a pu révéler. En fait, les textes adoptés en conseil des ministres le 14 juin 2017, soit un mois après l’élection du nouveau président de la République, sont sortis de deux boîtes noires [2]. La principale, en apparence, est la demande de François Bayrou, qui aurait fait de l’adoption de textes en cette matière une condition de son soutien à Emmanuel Macron et de son entrée au gouvernement. Mais, excepté la question des emplois familiaux suscités par « l’affaire Fillon », F. Bayrou n’avait guère été disert sur le sujet. La seconde boîte noire est le cabinet du président de la République, qui a sans doute joué un rôle majeur dans les arbitrages essentiels lors de la finalisation du projet en pleine crise ministérielle [3]. Cependant, l’enjeu de la probité n’était pas particulièrement visible durant la campagne d’E. Macron. Le cinquième chantier de son programme officiel indique : « Je veux moraliser et responsabiliser la vie publique et renouveler la représentation nationale ». Lors de son message au Parlement réuni en congrès le 3 juillet 2017, il avait indiqué qu’il souhaitait « un changement profond des pratiques et des règles de la vie politique ». Le changement annoncé était ambitieux, allant de la réduction du nombre de parlementaires et de la durée de leur mandat à la suppression de la Cour de justice de la République en passant par le non-cumul de fonctions gouvernementales et exécutives locales. Ce que recouvrait la « probité » (notion juridiquement préférable à celle de « moralisation ») n’était pas spécifié [4].
Pour préparer les textes, il est probable que le ministère de la Justice et l’Élysée aient auditionné un certain nombre de spécialistes et de représentants des partis et d’associations. Mais tout cela demeure ignoré. Le ministère de la Justice n’a jamais publié d’avant-projet et la liste des experts consultés pas plus que leurs propositions ne sont connues. L’exposé des motifs des textes signés par F. Bayrou, tout comme les rapports parlementaires [5], est totalement silencieux sur le sujet. Voilà, donc, de nouvelles normes sur des enjeux majeurs élaborées, une fois encore, dans les abysses gouvernementaux. Il serait cruel de rappeler les vibrants plaidoyers menés depuis plus de 20 ans dans les rapports parlementaires et ceux du Conseil d’État sur « l’amélioration de la qualité de la loi ». L’enjeu n’est pas simplement rédactionnel, il est fondamentalement démocratique dans la mesure où il s’agit de rendre traçable la diversité (plus ou moins grande) des points de vue entendus, et compréhensibles les choix gouvernementaux. Mais, malgré la litanie du « mouvement », c’est à nouveau un modèle de production législative autocratique qui a prévalu, où l’autorité publique définit unilatéralement et en secret le « bien commun ». La continuité avec le passé est aussi une production normative faite « le dos au mur », présentée « en urgence » (au sens parlementaire, c’est-à-dire avec un seul examen par chacune des assemblées). Tout comme « l’affaire Cahuzac » avait suscité les deux textes précipités de 2013, « l’affaire Fillon » a servi de catalyseur à des textes aussi ambitieux que partiels. Il est vrai que le temps politique n’est pas le temps de la raison et que l’affichage régulateur est en général préféré aux démarches approfondies.
Un indice du flou dans l’élaboration des textes et des errements dans la définition de leur périmètre nous est fourni par la variation de leur intitulé. Alors que la loi avait été initialement présentée comme une loi de « moralisation de la vie publique », l’expression a été écartée, mais elle demeure dans l’exposé des motifs, dans le langage journalistique et celui des commentateurs. L’intitulé a été successivement : « loi rétablissant la confiance dans l’action publique » (juillet), « rétablissant la confiance dans l’action politique » (septembre), puis finalement « pour la confiance dans la vie politique » (texte final). La substitution de l’expression « action politique » à celle d’« action publique » indique un rétrécissement de l’objet. Si, au départ, il s’agissait de formuler des règles applicables à l’ensemble du pouvoir étatique (exécutif et législatif), au bout du compte ce sont principalement les élus qui sont concernés et la haute fonction publique est pour l’essentiel épargnée. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.
Mais un autre point mérite réflexion : l’usage de l’expression « pour la confiance ». Le premier paragraphe de l’exposé des motifs est le suivant : « Les premières lois du quinquennat doivent viser à moraliser la vie publique. La transparence à l’égard des citoyens, la probité des élus, l’exemplarité de leur comportement constituent des exigences démocratiques fondamentales. » L’objectif premier est clairement l’introduction de nouvelles règles de comportement des acteurs publics en réaction à un ensemble de pratiques considérées comme abusives. La loi aurait alors pu être intitulée « pour une pratique intègre de la vie publique ». Les effets de ces dispositions sur la confiance que les citoyens accordent (ou pas) à leurs gouvernants sont une conséquence : « Elles (les lois) contribuent à renforcer le lien qui existe entre les citoyens et leurs représentants, comme elles doivent affermir les fondements de notre contrat social ». Or le titre retenu inverse les éléments : la loi s’adresse aux citoyens et prétend établir la confiance alors que son contenu a pour cible les responsables politiques et leurs activités problématiques. Avant d’accorder sa confiance, il est nécessaire de regarder les règles de près.
Des normes creuses et un appel à l’autorégulation
Ces textes comportent une série de mesures significatives : suppression de la réserve parlementaire, remboursements des frais de fonction des parlementaires sur justificatifs, interdiction de recruter comme assistant des membres de sa famille pour un ensemble de responsables publics, création d’une peine complémentaire d’inéligibilité de 10 ans pour atteinte à la probité, vérification de la situation fiscale et déclaration obligatoire de patrimoine et d’intérêts pour les ministres et parlementaires, etc. Mais une partie de ces apports perdent de leur force lorsque l’on s’attache à leur champ d’application ou aux conditions de mise en œuvre prévues. Ainsi, la réserve parlementaire qui permettait sans fondement légal et de façon discrétionnaire aux élus de disposer de sommes qu’ils allouaient à leur circonscription (ou autres) sera supprimée à partir de 2018 [6]. Mais, cet automne, à l’occasion du débat sur les lois de finances, les discussions ont repris et d’autres solutions sont proposées par certains députés qui souhaitent participer à l’attribution des fonds alloués aux collectivités locales. Ont été évoquées la création d’une « Dotation de solidarité locale », l’augmentation du « Fonds de développement de la vie associative » ou encore la participation des députés aux décisions en matière de « dotation d’équipement des territoires ruraux ». De plus, sur décision du Conseil constitutionnel, la réserve ministérielle est maintenue sans que des justifications probantes soient fournies et sans que ces décisions soient accompagnées d’un contrôle particulier. Il est donc tout à fait possible que, via leurs représentants au gouvernement, les partis (et les élus) puissent continuer à faire bénéficier certaines circonscriptions et certains acteurs locaux de subsides publics.
Autre exemple, la mise en œuvre de la mesure phare du texte, qui interdit de recruter comme assistant parlementaire des membres de sa famille [7], révèle actuellement ses limites. En effet, les élus ont jusqu’au 15 décembre 2017 pour se mettre en conformité avec la loi, et des procédures de licenciement de collaborateurs sont en cours. L’échéance approchant, les oppositions et critiques] qui s’étaient manifestées lors des débats parlementaires reprennent. Le texte est qualifié « d’hypocrite », « d’absurde » et « d’incohérent ». Pourquoi les cousin(e)s, les amants ou maîtresses, voire les membres du même parti ne sont-ils pas également visés ? De plus, certains députés, parmi lesquels des membres de LRM, ont trouvé la parade en recrutant un enfant d’un de leurs collègues. Cette situation confuse montre à quel point la précipitation a conduit à mal poser le problème. Celui-ci n’est pas le degré de proximité relationnelle du collaborateur, mais le caractère réel ou fictif de l’emploi. Une autre solution permettait de traiter cette question, mais elle a été rapidement écartée sans véritable débat. Les assistants étant rémunérés sur le budget des assemblées, ce sont elles qui, logiquement, devraient être les employeurs. Elles auraient alors la responsabilité de contrôler le favoritisme dans les recrutements et l’effectivité du travail accompli. Mais il faudrait alors que s’exerce un contrôle des pairs, pratique potentiellement clivante que peu de partis et d’élus ont envie d’exercer.
Tout aussi significatif est le devenir de « l’indemnisation représentative de frais de mandat » [8]. Elle est supprimée sous sa forme forfaitaire actuelle, mais c’est le bureau de chaque assemblée qui « définit le régime de prise en charge des frais de mandat et arrête la liste des frais éligibles ». Il sera possible d’effectuer des prises en charge directe, des remboursements sur justificatifs ou… des versements d’avance. La marge d’action est donc très large et, vu la masse des vérifications à effectuer, il n’est pas sûr que l’intervention des déontologues des assemblées soit une véritable garantie. Et cela d’autant moins qu’il revient à chaque assemblée de définir les conditions selon lesquelles « l’organe chargé de la déontologie (…) peut demander communication aux membres de l’assemblée concernée d’un document nécessaire à l’exercice de ses missions » [9].
Au bout du compte, des mesures présentées comme majeures se révèlent être des normes en partie creuses, car leur contenu sera donné par les mêmes autorités parlementaires dont il s’agissait d’encadrer les pratiques. L’expérience montre que, jusqu’à présent, la capacité d’autorégulation de ces responsables politiques a été faible et souvent laxiste. Ainsi la pratique de la réserve parlementaire s’est développée sans le moindre fondement légal [10]. Ces pratiques déviantes, tout comme les emplois familiaux et emplois fictifs d’assistants parlementaires, et encore le cumul de rémunération publique et privée des parlementaires, la rémunération d’assistants par des groupes d’intérêts, toutes ces formes d’abus de fonction et d’atteinte à l’intérêt général n’ont pas, durant des décennies, retenu l’attention des députés. Ils se sont toujours montrés très tolérants vis-à-vis des transgressions de leurs pairs, même quand ils les réprouvaient. Même dans un contexte de fort renouvellement des élus, rien ne garantit que l’inertie ne perpétue pas les pratiques anciennes. La Haute autorité de la transparence a dû adresser cet automne quelques rappels aux parlementaires au sujet de leurs déclarations de patrimoine et d’emploi de leurs assistants.
Une conception restrictive des conflits d’intérêts
Un début de régulation des conflits d’intérêts a été amorcé par la loi du 11 octobre 2013, qui a défini cette notion et créé une obligation d’abstention pour un ensemble de décideurs publics lorsqu’ils se trouvent dans une telle situation [11]. Les textes de 2017 complètent les règles applicables aux parlementaires de trois façons. Tout d’abord, en limitant l’exercice d’activités de conseil : la fonction doit avoir été exercée depuis plus de 12 mois avant l’élection, elle ne peut s’exercer au profit d’un certain nombre d’entreprises et d’acteurs étrangers. Ensuite, en interdisant le recrutement comme collaborateur d’un membre de la famille proche (conjoint et partenaire, parents et enfants de l’élu et des précédents) [12]. Enfin, le recrutement d’un assistant parlementaire par un groupe d’intérêt reste autorisé, il doit simplement faire l’objet d’une déclaration au bureau de son assemblée par l’élu.
Avant toute nouvelle réglementation, un bilan de l’application de la loi de 2013 aurait été nécessaire s’agissant des membres du gouvernement [a.2] et des Assemblées [a.3] [13], car une fois encore c’est à ces organes qu’il revient, selon le texte, d’adopter des mesures concrètes et de les faire appliquer. S’agissant des activités de conseil, le problème principal est qu’aucune limitation des revenus obtenus par ce moyen n’est indiquée. Plusieurs sites d’information ont analysé les déclarations d’intérêts des députés et sénateurs et montré qu’au moins une quinzaine d’entre eux bénéficient de rémunérations complémentaires supérieures à celle de leur fonction d’élu et qui peuvent aller jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’euros annuels. Le problème principal est surtout l’impact de ces activités, en théorie « secondaires », sur le mandat d’élu. Les mêmes sources montrent que les élus les moins actifs dans les commissions et assemblées sont souvent ceux qui mènent en parallèle une activité extérieure.
Une autre lacune majeure de ces textes est d’avoir cantonné l’essentiel des dispositions législatives à « la vie politique ». L’ambition initiale était plus vaste et concernait « la vie publique », c’est-à-dire aussi le fonctionnement des ministères et de l’administration. Tout se passe comme si les enjeux de probité publique, les conflits d’intérêts, les abus de fonction, voire la corruption ne pouvaient pas concerner le pouvoir exécutif. De nombreuses situations posant problème [pantouflage, cumul de fonctions] sont identifiées depuis longtemps, mais n’ont pas été prises en compte par les textes. Il y a là un déni intéressé vu l’importance des hauts fonctionnaires dans l’exécutif gouvernemental. Les quelques mesures qui pouvaient cadrer les pratiques de la haute administration ont été retirées et aucun projet d’envergure concernant « la probité de la vie publique » n’est annoncé. Ainsi, les déclarations d’intérêts à la Haute autorité de la transparence des hauts fonctionnaires demeurent non consultables. Le Sénat avait pris quelques initiatives en ce domaine : interdiction pour un ancien fonctionnaire d’exercer des activités de conseil ou une mission de service public en lien avec sa précédente fonction pendant 3 ans et remboursement des indemnités publiques perçues pendant la formation dispensée par un établissement public en cas de « pantouflage ». Ces mesures ont été retirées en commission mixte paritaire et remplacées par « une mission d’information sur la déontologie des fonctionnaires » : une commission de plus. Cette « mission » abordera-t-elle la question des activités de conseil menées par les membres de la haute administration ? Mettra-t-elle en lumière les conflits d’intérêts public-public qui peuvent se produire lorsque sont cumulées des fonctions administratives et politiques dans les exécutifs locaux, ou encore des fonctions dans différents organismes publics ? L’appartenance simultanée au Conseil d’État et à l’administration d’établissement public, en particulier, met potentiellement le fonctionnaire dans une position de « juge et partie ».
Les nouvelles lois font progresser de quelques pas la défense de la probité publique amorcée il y a 30 ans. Mais seuls les effets constatés de ces mesures seront susceptibles de renforcer les rapports de confiance entre les citoyens et leurs dirigeants. Pour l’instant, il est prématuré de supposer cet effet acquis. Surtout quand on demande au sujet régulé de devenir son propre régulateur, compétence dans laquelle les élus, pas plus que les autorités gouvernementales, ne se sont distingués à ce jour.