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Le débat sur le « droit de mourir », entendu comme le droit des malades de déterminer le moment de leur mort, émerge dans les années 1970, d’abord aux États-Unis et ensuite dans d’autres pays occidentaux. Ce débat pose publiquement les problèmes rencontrés en fin de vie, surtout depuis que les progrès techniques de la médecine permettent de maintenir en vie des personnes qui, autrefois, seraient décédées. En effet, ces interventions ne créent pas toujours les conditions de vie souhaitées par les patients et leurs proches, et la peur des fins de vie prolongées et privées de toute autonomie conduit à un questionnement sur les limites éventuelles des interventions. Le refus le plus radical de ces interventions s’exprime sans doute dans la revendication d’un droit à l’euthanasie. Il se pose alors la question de savoir si une société peut admettre un tel droit et au nom de quels arguments.
Depuis le début, le débat sur l’euthanasie oppose partisans et adversaires d’un « droit de mourir ». Afin de justifier leurs prises de position respectives, ceux-ci s’appuient souvent sur les expériences, perçues comme négatives ou positives, des pays qui autorisent, sous certaines conditions, l’euthanasie. Pourtant, il pourrait être tout aussi pertinent pour ce débat d’examiner et de comparer les pratiques de fin de vie dans les pays où l’euthanasie n’est pas autorisée. En effet, les problèmes qui surgissent en fin de vie sont complexes et ne se limitent pas à la seule question de savoir si l’on peut ou non mettre un terme à sa vie. L’objectif de notre analyse sociologique (recherche documentaire, observations ethnographiques et entretiens) est d’éclairer le débat sur l’euthanasie par une étude du contexte et des situations de fin de vie qui l’ont fait émerger et qui l’alimentent dans deux pays qui interdisent l’euthanasie, la France et l’Allemagne.
L’analyse comparative montre que, bien que les deux pays associent l’euthanasie à un homicide, la manière de discuter les enjeux moraux et de gérer les problèmes pratiques y est différente. Ainsi, on n’y définit pas de la même manière l’euthanasie et on y associe des pratiques différentes. L’interdit d’un tel acte ne renvoie donc pas tout simplement au non respect de la volonté du patient ou à la valeur absolue de la protection de la vie. Les arguments et les termes employés dans les débats de chaque pays ne sont pas identiques et soulignent plutôt des contextes historiques, politiques et légaux différents. On observe également dans chaque pays une attitude médicale différente, relative à la prise en charge des patients en fin de vie et, en particulier, en ce qui concerne le respect de leurs souhaits.
La France : la légalité et la moralité de l’acte médical
En France, l’euthanasie, selon le Comité consultatif national d’éthique, « constitue l’acte d’un tiers qui met délibérément fin à la vie d’une personne dans l’intention de mettre un terme à une situation jugée insupportable » [1]. Cette définition a été reprise par la mission d’information parlementaire qui a présidé à la rédaction en 2005 d’une nouvelle loi, dite Leonetti, relative aux droits des malades en fin de vie [2]. L’euthanasie considérée comme « acte » délibéré qui cherche à causer la mort d’une personne est un homicide qui est interdit quelque soit le motif de l’acteur. Le tiers qui commet délibérément l’acte, dans le but de causer la mort de l’intéressé, n’est pas défini. Il peut être le médecin, le soignant, un membre de la famille ou un proche.
La définition ne mentionne nulle part la volonté du patient ; elle précise seulement que la personne concernée est malade et dans une situation insupportable. La définition ne clarifie pourtant pas un point important : qui juge que la situation est insupportable – est-ce l’auteur de l’acte ou la personne malade ? Il n’est ainsi pas explicité si l’acte est motivé par la souffrance de la personne malade ou par la souffrance de celui qui est confronté à cette dernière.
Depuis le début du débat sur l’euthanasie en France à la fin des années 1970, les dossiers de presse témoignent de la rigidité de la règle qui consiste à classer tout acte qui précipite la mort d’un malade comme euthanasie et donc comme homicide. De nombreuses affaires avaient été médiatisées en terme d’euthanasie, qu’il y ait eu un arrêt thérapeutique, un soulagement antalgique en fin de vie ou bien un acte délibéré d’accélérer la mort d’une personne. Cela a entraîné une hésitation chez les médecins français quant à la légitimité de leurs pratiques en fin de vie en général et quant à l’interprétation de l’article 37 du Code de la déontologie recommandant d’« éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique ». Mais cette incertitude a servi à maintenir une attitude favorable à la volonté de sauvegarder la vie à tout prix.
En réaction à cette tradition d’activisme médical en fin de vie, deux mouvements se sont crées dans le but de lutter contre l’acharnement thérapeutique et pour plus d’autonomie du malade en fin de vie. Ce fut d’abord un mouvement en faveur de l’euthanasie qui réclame le « droit de déterminer sa mort ». Depuis 1980, ses militants se sont organisés autour de l’Association pour le Droit de Mourir en Dignité (ADMD) qui s’est engagée fortement au niveau médiatique. Un autre mouvement a été lancé par les pionniers des soins palliatifs et de l’accompagnement, strictement opposés à l’euthanasie mais plaidant, eux aussi, contre l’acharnement thérapeutique et pour le respect de l’autonomie du malade. Leur but était de préconiser l’abandon de la prise en charge curative dès qu’il n’y avait plus de bénéfice thérapeutique à en espérer, et de focaliser l’intervention sur l’apaisement de la souffrance physique et psychique des malades en fin de vie. Ces militants se sont organisés depuis 1983 dans des associations telles que Jusqu’à la mort accompagner la vie (JALMALV), regroupées aujourd’hui dans la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP)).
Au niveau politique, les propositions en faveur de l’euthanasie ont été rejetées. Pourtant, la critique, commune aux deux mouvements, de l’activisme médicale en fin de vie, a fait grand bruit et une solution a dû être trouvée pour répondre à ce questionnement, de plus en plus médiatisé au niveau public. Ainsi, des mesures politiques ont favorisé l’établissement des soins palliatifs à partir des années 1990. Mais depuis le début, les partisans des soins palliatifs ont eu un rapport difficile avec les médecins hospitaliers qu’ils accusaient de pratiques d’acharnement thérapeutique sur les patients en fin de vie. De ce fait, l’insertion des équipes de soins palliatifs dans les structures hospitalières s’est avérée difficile et a été faite à petits pas. Principalement, mais non exclusivement, ont été créées des équipes mobiles sans lits d’hospitalisation en propre et rattachées à un autre service. En 2004, par exemple, on compte 317 équipes mobiles contre seulement 78 unités de soins palliatifs [3]. De plus, ces équipes mobiles n’ayant pas de services propres, elles se sont heurtées à la réticence des autres médecins et soignants qui craignaient l’intervention d’une équipe étrangère dans leur façon de prendre en charge des patients.
Les problèmes liés à la fin de vie ne concernent pas uniquement les patients. L’on constate de même un malaise chez les professionnels confrontés aux fins de vie et aux questions concernant les bonnes pratiques. Ces problèmes ont été mis en évidence à travers différentes affaires dont celle de Vincent Humbert, en 2003, fut la plus marquante [4].
L’énorme médiatisation de cette affaire a abouti à la création d’une commission parlementaire chargée d’établir un rapport qui a servi de base à la loi Leonetti votée le 12 avril 2005 [5]. Cette loi refuse toute forme d’euthanasie qui consisterait à « faire mourir » un patient, mais instaure un droit au « laisser mourir ». Elle définit ainsi plus précisément les pratiques autorisées et interdites en fin de vie et met l’accent sur la nécessité de procédures collégiales pour les prises de décision en fin de vie. Elle explicite également que tout patient en état d’exprimer sa volonté a le droit de refuser tout traitement, y compris l’alimentation artificielle, sans que le médecin accédant à une telle demande puisse être pénalisé.
Notre travail de terrain, entamé juste après l’entrée en vigueur de cette loi, montre qu’une loi ne change pas du jour au lendemain des attitudes et des habitudes bien ancrées. Les observations et entretiens avec les professionnels ont confirmé la difficulté qu’ont les médecins français d’arrêter un traitement et d’affronter l’idée de ne plus pouvoir guérir un patient ou éviter sa mort. Ils sont nombreux à ressentir ces situations comme un échec. Et alors que la majorité des médecins souhaite le soutien des équipes mobiles de soins palliatifs pour ces questions, plusieurs d’entre eux témoignent des difficultés qu’ils rencontrent pour intégrer une équipe extérieure dans leur travail.
De même, les médecins français se montrent très préoccupés par la souffrance physique et psychologique d’un patient qui se trouve en fin de vie. Les entretiens menés avec eux suggèrent que, pour une part, la perception par les médecins de cette souffrance comme insupportable, relève de leur propre malaise face à la mort et à la non-efficacité de leurs thérapeutiques. Cependant, nous avons souvent constaté que leur souhait de soulager la douleur du patient est inhibé par la crainte d’employer des doses antalgiques trop fortes qui pourraient produire comme effet secondaire une dépression respiratoire, souvent considérée comme une euthanasie. Dans d’autres cas, le désir de soulager est parfois si fort que certains médecins se disent même favorables, sous certaines conditions, à une euthanasie afin d’atteindre ce but.
L’Allemagne : le respect de la volonté du malade
En Allemagne, le mot même d’« euthanasie » est associé aux atrocités commises par des médecins pendant la période nazie et reste un strict tabou dans la société et parmi les médecins. Il a alors été nécessaire de remplacer ce mot par une nouvelle expression, « aide à mourir » (Sterbehilfe), pour permettre une discussion sur les pratiques médicales en fin de vie. Comme l’euthanasie, l’« aide à mourir » peut être qualifiée d’« active » ou de « passive ». L’aide à mourir n’est pas un terme juridique, mais comme en France, il est associé à tout acte qui vise à donner la mort à une personne et est donc assimilé à un homicide (§ 216 StGB [6]). La loi interdisant l’homicide, comme toute autre loi, s’appuie sur la Constitution allemande de 1949, dite loi fondamentale, dont le premier principe est celui de la dignité de l’être humain (article 1 GG). Celle-ci doit être respectée et protégée par les pouvoirs publics. Puis l’article 2 garantit le droit au libre épanouissement de la personnalité (article 2 GG) et le droit à la vie et à l’intégrité physique (article 2 II GG). Enfin, l’article 4 assure le droit à la liberté de conscience et de religion.
La définition de l’« aide active à mourir » que donne le Conseil national d’éthique allemand [7] tient compte de l’importance accordée par la Constitution à la dignité, donc à l’autonomie et au respect de la volonté individuelle, constitutif du principe de la dignité. Selon celle-ci, l’« aide active à mourir » désigne toute pratique médicale ayant pour intention d’accélérer la mort d’une personne avec son « consentement explicite ou présumé ». Malgré la référence au consentement de la personne concernée, un tel acte reste interdit car il constitue un homicide.
En revanche, dans tous les autres cas, le droit fondamental au respect de la dignité est censé protéger la liberté de l’individu contre l’intervention indue de l’État. Ainsi, si l’on suit les affaires allemandes autour des pratiques en fin de vie, nous constatons l’existence d’une jurisprudence favorable au respect de la volonté du patient. Dans de nombreux conflits concernant l’arrêt thérapeutique souhaité par le patient ou sa famille contre l’avis médical, les juges se montrent bien disposés à l’égard de la volonté du patient. La place que prend le respect de la volonté de l’individu souligne une différence fondamentale avec le droit français qui semble fondé sur les idées attribuées à Rousseau selon lesquelles la volonté de tous, représentée par l’État, prévaut sur la volonté du particulier.
La priorité allemande de respecter la volonté du patient renvoie à la fois à une tradition philosophique kantienne, aux principes fixés après la guerre dans le Code de Nuremberg de 1947 [8] et à l’influence de la bioéthique américaine. Car si le débat allemand sur les problèmes liés à la fin de vie émerge, comme en France, dans les années 1970, à la suite de la médiatisation des affaires américaines, les discussions américaines semblent avoir eu un impact plus fort sur la réflexion en Allemagne qu’en France. Les discussions sur les modalités de la prise de décision médicale concernant la fin de vie et sur les droits du patient ont aussi été à l’origine d’un mouvement en faveur d’une mort volontaire. Cependant, depuis les crimes nazis déguisés en « euthanasie », tout propos la concernant est rejeté par un large public. Malgré cela, le terme « aide à mourir » ainsi que l’attention portée au respect de la volonté du patient a permis que le débat ne reste pas fermé à toute réflexion sur les problèmes de fin de vie. Ces derniers ont émergé, comme partout, à la suite de l’amélioration des techniques prolongeant la vie ou plus souvent la fin de vie (réanimation, dialyse, greffe d’organes, etc.) sans pourtant assurer la qualité de vie (autonomie physique, capacité cognitive).
Dans cette atmosphère favorable au respect de l’autonomie du malade, mais opposée à tout acte qui provoquerait sa mort, l’approche des soins palliatifs a pu se développer assez facilement. À la différence de la France, ont été crées, selon le modèle anglais, des hospices prenant en charge des patients dans leurs derniers stades de vie. Ces maisons, au départ désignées comme des « mouroirs », sont gérées, en dehors des structures médicales, par des infirmières et des volontaires avec le soutien de divers médecins attachés. Parallèlement, le mouvement allemand de soins palliatifs s’est développé au sein du milieu médical comme nouvelle spécialisation de prise en charge des patients atteints par des maladies graves ou en fin de vie. Alors que le travail d’hospice a lutté pendant longtemps contre sa mauvaise image, la médecine palliative insérée dans les structures hospitalières a rapidement gagné sa reconnaissance auprès du public.
Cette différence dans leur accueil par le public est due à plusieurs facteurs. Premièrement, la médecine palliative est intégrée dans une structure publique et dispose de services cliniques propres, tandis que les hospices ont été développés à l’écart des structures médicales. Deuxièmement, elle propose sa compétence non pas exclusivement aux malades en fin de vie, mais aussi à tous les malades pour lesquels il n’y a pas de traitement curatif. Ces malades en phase palliative ont souvent un espoir de vie de plusieurs mois ou années. Troisièmement, les médecins de soins palliatifs sont moins impliqués dans une approche idéologique et associative que les membres du mouvement d’hospice. Sans critiquer la prise en charge des malades en général, la médecine palliative allemande a surgi comme suite logique de la prise en charge des patients gravement malades et non comme concurrence à la médecine dite curative.
Malgré la forte hiérarchisation du milieu professionnel et de la relation entre médecin et patient, les médecins allemands respectent sans hésitation la volonté du patient ainsi que le tabou absolu de l’euthanasie. Ceci reflète probablement la force des règles juridiques et de la jurisprudence tant sur la question du respect de la volonté du patient que sur celle de l’euthanasie. De même, les demandes d’euthanasie semblent moins courantes qu’en France et les médecins ne se posent guère de questions concernant l’exception d’une telle pratique. Ils répondent avec une certaine tranquillité qu’une souffrance liée à la fin de vie ne peut jamais être soulagée complètement et doit être acceptée. Face aux situations des patients incurables et en fin de vie, ils ressentent l’importance d’assurer l’autonomie décisionnelle des malades. C’est la raison pour laquelle ils se disent tous favorables à proposer aux patients en fin de vie d’arrêter les traitements et non de maintenir un espoir en l’efficacité thérapeutique.
Actuellement, le débat allemand porte non pas sur le droit d’accélérer la mort d’un malade, mais sur la portée des « directives anticipées », expression de la volonté du patient quant à l’arrêt des traitements médicaux pour le cas où il serait un jour hors d’état d’exprimer ses attentes. Quelles sont les limites de cette volonté ? Lorsque le droit du patient à finir sa vie surgit dans le débat, il est posé plus en termes de suicide assisté que d’euthanasie. La discussion autour du suicide assisté est largement engagée par l’organisation suisse Dignitas. Depuis l’ouverture d’un bureau à Hanovre en 2006, elle crée des contacts entre des patients gravement malades et des membres suisses afin de permettre aux patients allemands de pouvoir bénéficier d’une aide au suicide en Suisse. De même, l’ancien sénateur Roger Kusch a suscité des fortes critiques dans les médias lorsqu’il avait rendu publique, en 2007, l’invention d’une machine capable de permettre le suicide d’une personne sans qu’un tiers soit impliqué. Depuis, il a assisté et filmé le suicide de cinq personnes estimant leur vie indigne en raison de leur vieillesse et de leur dépendance envers les autres, en demandant 8 000 euros pour une intervention. Les actes de Kusch ont été unanimement associés à l’époque nazie où un tiers avait le droit de juger la vie d’une autre personne indigne d’être vécue. Bien que les Sénats des divers Länder aient discuté l’introduction d’un nouveau paragraphe dans le Code industriel interdisant l’aide au suicide en tant qu’acte rémunéré [9], il n’est pourtant pas question de sanctionner l’aide au suicide en général. Selon les sénateurs, le suicide est une décision très individuelle que l’État ne doit pas interdire, ce qui nous renvoie à la primauté de la volonté de l’individu dans la loi allemande.
Quelle autonomie pour un patient en fin de vie ?
Nous avons constaté que les médecins français disent être plus souvent confrontés à des patients réclamant une euthanasie que les médecins allemands, et qu’ils sont plus souvent que les Allemands favorables à une telle pratique. Il se pose alors la question de savoir pourquoi, dans un pays où le respect de la volonté du patient n’est pas le premier principe dans des décisions médicales, les médecins sont plus favorables à céder à la demande d’euthanasie que dans un pays où l’autonomie individuelle est le premier souci.
Notre étude comparative des discours et des pratiques relatives à la fin de vie suggère que cette différence peut être comprise à travers divers aspects, culturellement spécifiques, propres à l’histoire et aux rapports entre médecins et patients. Premièrement, depuis la période nazie, il existe en Allemagne un interdit absolu pour les médecins de mettre un terme à la vie d’un malade. Deuxièmement, l’attention portée, plus en Allemagne qu’en France, aux volontés du patient pendant toute la prise en charge peut diminuer, sans éliminer, les souhaits des patients de déterminer leur mort par une euthanasie. Dans une telle culture, il est possible que les souhaits de vouloir finir sa vie soient plutôt exprimés en forme de demandes d’assistance au suicide afin de préserver l’autonomie de son action. Cette hypothèse semble d’autant plus probable que le débat public allemand et la réflexion parmi les médecins allemands portent plutôt sur le suicide assisté que sur l’euthanasie. Troisièmement, une attitude médicale très active qui ne reconnaît que difficilement les limites de ses outils thérapeutiques, comme on peut l’observer en France, peut conduire le patient à exiger cette activité jusqu’au bout – c’est-à-dire à demander au médecin sa mort par injection létale.
La question de déterminer le moment et les conditions de sa mort n’est qu’un aspect de la situation complexe de la fin de vie, qui dépend entre autres du rapport médecin-patient, de l’organisation de la prise en charge des fins de vie à l’hôpital et, plus généralement, de la façon dont l’autonomie est définie dans un pays. Un problème central dans la prise en charge des patients en fin de vie est qu’ils ont des besoins différents de ce qu’un médecin propose habituellement à un malade susceptible de guérir. Nos données d’enquête suggèrent qu’il est plus simple de gérer les situations de fin de vie là où les services de médecine, dans une perspective plutôt curative, sont relayés par les soins palliatifs quand les besoins des patients changent. Les médecins auraient ainsi un intérêt à reconnaître les compétences mais aussi les limites de chaque spécialisation et à collaborer entre eux, ce qui leur éviterait d’être confronté à une situation qui ne relève pas de leurs pratiques quotidiennes et permettrait aux malades de recevoir des soins adaptés à leurs besoins.
Compte tenu de la diversité des éléments ayant un impact sur la façon dont se pose, dans chaque société, la question d’un « droit de mourir », on peut se demander pourquoi, dans les deux pays que nous avons étudiés, la demande de législation ne porte que sur un seul aspect de la fin de vie. En France, par exemple, le débat public sur la fin de vie continue à se
focaliser essentiellement sur la revendication d’une législation sur l’euthanasie, alors qu’une loi récente cherchant à répondre à de nombreux autres aspects de la fin de vie n’est pas encore bien connue et appliquée [10]. Une loi sur l’euthanasie modifierait-elle les attitudes des médecins concernant le respect de la volonté du patient et aurait-elle un impact sur l’organisation du travail hospitalier ? À supposer qu’une euthanasie soit censée représenter le respect absolu de la volonté de l’individu, on peut se demander si les médecins français la pratiqueraient en ce sens. Eu égard à leur attitude « active », une accélération de la mort pourrait aussi les conforter dans une attitude de maîtrise de la vie ou de la mort, par les techniques médicales. De même, en Allemagne, une loi sur les directives anticipées n’éliminerait pas les situations où la volonté du patient est difficile à déterminer et où, par conséquent, certains médecins hésiteraient à arrêter des techniques maintenant en vie un patient.
Malgré les différences constatées dans les deux pays, l’enjeu principal de leurs débats respectifs semble être la question de l’autonomie du malade à choisir les conditions dans lesquelles il souhaite mourir. Bien que l’on puisse éventuellement modifier les circonstances et conditions susceptibles de pousser un malade à demander sa mort, il y aura toujours des patients qui réclameront une euthanasie ou un suicide assisté pour des raisons de convictions purement individuelles. Même si on répond à tous les autres éléments importants dans la prise en charge des situations de fin de vie, le problème moral de savoir si la mort induite d’un individu peut être acceptable (ou non) persiste. Ainsi, l’on peut faire diminuer l’apparition des demandes d’euthanasie par une prise en charge tenant compte des besoins individuels des malades, comme c’est le cas en Allemagne, mais l’on ne pourra jamais éliminer toutes les demandes d’euthanasie ou de suicide assisté. Est-ce que leur accorder le droit de mourir ainsi est une avancée dans le respect de l’autonomie du malade ? C’est une question morale à laquelle une société ne peut échapper, mais qu’une meilleure connaissance du contexte des fins de vie peut éclairer.