Cet essai est un extrait abrégé du livre à paraître le 19 février dans la collection La vie des idées-Puf, intitulé
La fin des partis ?
Que la place centrale [1] prise par l’élection présidentielle au suffrage universel en France sous la Ve République ait transformé en profondeur les partis politiques est une idée déjà ancienne [2]. Selon ses tenants, les partis se seraient mus en « machines présidentielles dont la fonction première serait d’être des tremplins pour une candidature présidentielle et subséquemment d’être une ressource organisationnelle pour le président [3] ». La victoire d’Emmanuel Macron, homme sans passé partisan, porté par une organisation ad hoc créée quelques mois avant le scrutin, mais aussi la performance de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2017, ont été considérés par certains comme un nouveau seuil franchi dans ce processus de présidentialisation, un point de bascule dans une nouvelle ère qui se caractériserait par l’avènement d’entreprises politiques personnelles vouées à se former ou à se défaire à la veille de chaque élection présidentielle [4].
Il convient de relativiser cette interprétation, d’abord en se gardant de prêter à l’élection présidentielle au suffrage universel des effets qui découlent en fait d’autres transformations sociales et politiques, puis en relativisant le caractère univoque et linéaire de son impact sur les partis. L’analyse historique montre en effet que la préparation des autres scrutins, notamment législatifs, n’a jamais été délaissée par les partis, mais aussi que les cultures propres à chacun se sont révélées plus ou moins perméables à la présidentialisation. Ce n’est en fin de compte que récemment et de façon très improvisée que les deux partis dominant la compétition politique depuis la fin des années 1970 ont accepté de se dessaisir du contrôle qu’ils exerçaient sur la nomination de leur champion présidentiel, une décennie après s’être entendus pour écarter les risques de cohabitation par l’adoption du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. S’ils ont ce faisant ouvert la voie à des entreprises subversives, il n’est pas pour autant certain que l’avènement de « partis personnels [5] » soit l’horizon de notre démocratie représentative.
Personnification ou présidentialisation de la compétition politique ?
La personnification de la compétition politique, le recours massif aux sondages et aux experts en communication pour orienter les stratégies de campagne, la production de programmes politiques « attrape-tout » sont des tendances qui affectent de longue date la plupart des démocraties [6]. Certains spécialistes en ont déduit que le processus de présidentialisation serait largement indépendant du type de régime (parlementaire, semi-présidentiel ou présidentiel) et résulterait avant tout du renforcement du pouvoir exécutif corrélatif de la montée de l’interventionnisme étatique et de l’internationalisation des décisions, ainsi que du poids croissant des médias audio-visuels et de l’érosion des grands clivages idéologiques et sociaux. À ces caractéristiques « structurelles », s’ajouteraient des facteurs « contingents », telles les situations de crise économique et/ou politique, propices à l’émergence de leaders charismatiques de type populiste. À l’appui de cette thèse, Thomas Poguntke et Paul Webb avancent que des leaders populaires ont souvent été préférés à des dirigeants de parti expérimentés comme chefs de file électoraux au cours de ces deux dernières décennies dans de nombreuses démocraties parlementaires [7]. Le recours à des élections primaires pour désigner les chefs de parti dessinerait, de ce point de vue, une évolution convergente entre régimes présidentiels, semi-présidentiels et parlementaires.
Tous les chercheurs ne partagent cependant pas cette vision [8]. L’absence de responsabilité devant le parlement du chef de l’exécutif dans les régimes présidentiels autorise selon eux des stratégies de communication directe et de contournement des partis sans commune mesure avec ce que peuvent se permettre les leaders des partis parlementaires. Gianluca Passarelli insiste ainsi sur la nécessité de ne pas confondre « personnalisation » et « présidentialisation » : l’une renvoyant principalement au poids « du “capital” personnel en termes de compétences, caractéristiques et attitudes », l’autre aux « ressources institutionnelles, contraintes et opportunités » qui en découlent.
Les recherches comparatives menées sur les partis dans les régimes présidentiels et semi-présidentiels montrent que l’autonomie des candidats et présidents vis-à-vis de leur parti n’en demeure pas moins très variable dans l’espace et dans le temps : celle-ci dépend des règles de financement de la compétition électorale et des moyens de contrôle et de pression dont disposent les présidents élus sur les parlementaires. Même aux États-Unis, où la compétition présidentielle a précédé l’émergence des partis politiques et où les primaires ouvertes et l’absence de plafonnement des dépenses électorales ont conduit à des campagnes centrées sur les candidats, les partis conservent une réelle autonomie. Leur rôle de bailleurs de fonds et leur mode d’organisation souple et décentralisé, que les politistes états-uniens qualifient de « stratarchique », leur permettent de se prémunir contre les candidats indépendants. Seuls certains États latino-américains, dans des contextes de crise économique et/ou institutionnelle, ont vu arriver au pouvoir, au cours de ces trois dernières décennies, des présidents disposant de peu ou pas de ressources partisanes, à l’instar d’Alberto Fujimori au Pérou en 1990, Hugo Chavez au Venezuela en 1998 ou Jair Bolsonaro au Brésil en 2018.
Si l’élection présidentielle au suffrage universel impose donc bel et bien aux instances partisanes de choisir et de s’en remettre à un leader incontestable et populaire au-delà de son parti, à qui il est donc accordé une grande latitude d’expression et d’action et si elle exerce en cela une contrainte sur tous les partis qui y concourent, quelles que soient leurs chances de l’emporter, le cas français montre qu’aucun parti n’est cependant organisé autour de ce seul objectif, que la primauté de l’élection présidentielle a tardé à s’imposer et que, en fonction de leur histoire et de leurs ressources, les partis ne se sont pas ajustés de la même façon à la contrainte présidentielle.
La présidentialisation chaotique et inégale des partis sous la Ve République
De 1958 à 1974 : les élections législatives en ligne de mire
Lors des premières années de la Ve République, d’autres innovations dans les règles du jeu politique que l’élection du président au suffrage universel ont influé sur les stratégies des partis : l’obligation d’obtenir trente députés pour constituer un groupe à l’Assemblée nationale, la difficulté pour le parlement de renverser le gouvernement, la substitution du mode de scrutin majoritaire à deux tours au scrutin proportionnel pour les élections législatives et municipales pour les communes de moins de 9000 à 120 000 habitants, etc. Ce sont ces nouvelles règles qui ont poussé les « vieux » partis à se coaliser, localement et nationalement, et non l’élection présidentielle. Ils ont d’autant plus été incités à le faire que la naissance de la Ve République a également été marquée par la création d’un parti présidentiel tout entier dévoué à son chef et à la défense de la nouvelle constitution : l’Union pour la nouvelle République (UNR), dont la principale finalité est de constituer puis de conserver une majorité parlementaire, une tâche particulièrement malaisée dans le contexte de la guerre d’Algérie finissante [9]. C’est le succès de cette opération, favorisé par les outils du « parlementarisme rationalisé » introduits dans la Constitution de 1958, qui conduira à l’émergence du « fait majoritaire » et à la bipolarisation [10], lesquels décupleront les pouvoirs du président de la République.
La première élection présidentielle au suffrage universel n’intervient que six ans après la mise en place du nouveau régime et ses effets sont loin d’être immédiats sur les partis. Jusqu’en 1974, leur horizon d’action demeure avant tout parlementaire et local, la conquête des sièges de députés et sénateurs reposant sur celle, préalable, des municipalités et des cantons. La désignation comme candidat de toute la gauche à l’élection présidentielle de 1965 du dirigeant d’un agrégat de clubs de quelques centaines de membres, la Convention des institutions républicaines (CIR), François Mitterrand, n’est pas le fruit d’une stratégie individuelle, mais le produit d’un compromis a minima des forces en présence pour un personnage réputé faible et sans grand avenir. Ses soutiens espèrent surtout que cette union des forces de gauche élargie aux radicaux permettra de mettre en échec le général de Gaulle lors des législatives de 1967. De son côté, le parti gaulliste joue un rôle résiduel dans la courte campagne de ce dernier, qui s’appuie pour l’essentiel sur la radio et la télévision d’État (ORTF). Sa mise en ballottage produit un électrochoc. Le parti gaulliste se réorganise et sa nouvelle équipe dirigeante, sous la supervision du Premier ministre Pompidou, promeut une nouvelle génération de cadres lors des législatives, les recrutant notamment parmi les membres de la haute administration des cabinets ministériels, à l’image de Jacques Chirac, parachuté en Corrèze. [11]
L’élection présidentielle de 1974 : un premier tournant pour la droite
L’élection imprévue de 1974 constitue un premier tournant quant à l’impact de l’élection présidentielle sur les partis politiques, mais surtout à droite et au centre avec la division du parti gaulliste, pris de court par le décès de Pompidou. 39 députés et 4 ministres conduits par Jacques Chirac, appellent alors à soutenir la candidature de Valéry Giscard d’Estaing. Pour la première fois est élu un président qui n’est pas soutenu par un grand parti, mais par une coalition hétéroclite, grâce à une stratégie de communication visant à personnaliser l’élection. Tout en dénonçant l’étatisme économique du programme commun, Giscard d’Estaing cherche à apparaître comme un homme jeune, neuf, moderne contre un Mitterrand vieillissant, « homme du passé », à qui il conteste « le monopole du cœur »… « VGE » est le nouveau « JFK » français, après Jean Lecanuet et l’éphémère Jean-Jacques Servan-Schreiber. Il parvient, le temps de la campagne, à faire oublier son image de haut fonctionnaire et de grand bourgeois, qui finira par le rattraper… L’élection de 1974 démontre pour la première fois l’efficacité d’une stratégie de triangulation et d’une communication fondée sur la mise en avant de qualités personnelles et l’exposition de la vie privée.
Mais elle marque surtout une recomposition en profondeur des partis de la droite et du centre. À partir de 1976, après avoir démissionné de Matignon, Jacques Chirac restructure avec ses proches le parti gaulliste pour en faire une machine entièrement dédiée à la préparation de sa candidature à la prochaine échéance présidentielle [12]. Une stratégie légitimée par la référence au gaullisme et à l’esprit de la Ve République. Les statuts du Rassemblement pour la République (RPR) – nom évoquant le RPF (Rassemblement populaire français) créé en 1947 par de Gaulle pour lutter contre la IVe République – sont calqués sur l’appareil d’État de la Ve République : le secrétaire général, les délégués départementaux et de circonscription du parti sont nommés par le président, qui contrôle étroitement les investitures aux législatives et aux élections municipales dans les grandes villes. La conquête de la mairie de Paris en 1977 ne fera que renforcer sa prééminence.
Pour contrer cette menace, Valéry Giscard d’Estaing pousse les partis de notables qui le soutiennent à se doter d’une structure confédérale : l’UDF (Union pour la démocratie française). Mais focalisés sur la vie parlementaire et la conquête des mandats locaux, ceux-ci refuseront toujours de fusionner et peineront à surmonter leurs divisions internes après la défaite de 1981, précipitant aussi celle de Raymond Barre en 1988.
L’adaptation chaotique du PS à l’élection présidentielle
Pour la gauche, l’élection présidentielle de 1974 n’a pas le même effet. Point d’orgue du programme commun, elle établit, jusqu’à sa rupture en septembre 1977, l’autorité de François Mitterrand. Le PS et le PCF ne voient pas leur organisation interne bouleversée pour autant, connaissant alors un fort renouvellement et un dynamisme militant. Ils se rapprochent des organisations associatives et syndicales, conquièrent de nombreux cantons et municipalités et renforcent leurs modes d’organisation traditionnels respectifs : autonomie des sections et des fédérations et répartition des postes entre les courants en fonction de leur représentation militante, côté PS ; centralisme démocratique, contrôle des élus par les instances du parti et militantisme d’entreprise en liaison avec la CGT au PCF. Si, dans l’esprit des dirigeants du PS, ces succès locaux doivent ouvrir l’accès au pouvoir national, leur priorité demeure la conquête de la majorité parlementaire. Après la défaite aux législatives de 1978, l’échec de Michel Rocard qui cherchait à contester le leadership de François Mitterrand montre que la légitimité partisane prime toujours au PS. Ce que montrent aussi le programme de Mitterrand en 1981 et la manière dont il compose le gouvernement. La politique mise en œuvre entre 1981 et 1983 est bien alors celle du parti.
Si l’épreuve du pouvoir transforme les orientations portées par le PS, elle n’affecte pas immédiatement son mode de fonctionnement. Ce n’est qu’une fois la succession de François Mitterrand ouverte après sa réélection, que le PS va être durablement transformé par l’enjeu présidentiel. Lors du congrès de Rennes de 1990, la rivalité entre Laurent Fabius, Lionel Jospin, Michel Rocard et dans une moindre mesure Jean-Pierre Chevènement, arbitrée par Pierre Mauroy, n’est autre qu’une lutte pour le leadership présidentiel, alors que les motions qu’ils défendent diffèrent peu sur le fond. C’est principalement autour de la conception du parti que se cristallise l’opposition entre Fabius et Jospin, le second accusant le premier de vouloir en faire un parti de supporteurs sur le modèle du parti démocrate américain.
L’incapacité du PS à trancher cette rivalité au moyen de ses règles habituelles va le conduire à changer en profondeur son organisation interne. Le vote par mandat est abandonné en 1992, le candidat à l’élection présidentielle est désormais désigné par un vote direct des adhérents en 1994. La compétition qui oppose, en février 1995, Lionel Jospin et Henri Emmanuelli, signataires de la même motion au congrès de Rennes, n’oppose ainsi pas deux lignes programmatiques, mais bien deux personnalités et deux coalitions.
La répartition proportionnelle des postes de direction selon les suffrages obtenus par les différents courants demeure, mais ne prédit plus le résultat du vote des adhérents. Le parti refuse une présidentialisation totale qui conduirait à la disparition des courants, mais il crée les conditions d’un affrontement permanent entre deux légitimités : celle du premier secrétaire désigné par le comité directeur élu à la proportionnelle des courants et celle du candidat à l’élection présidentielle désigné au scrutin majoritaire direct. La décision de faire élire directement le premier secrétaire par les militants prise en octobre 1995 et le cumul des deux rôles par Lionel Jospin après sa défaite honorable de 1995 escamotent provisoirement cette tension. Dans les faits, elle met le premier secrétaire dans une situation potentiellement impossible : être un primus inter pares qui doit concilier la diversité des courants et tout en incarnant un leadership présidentiel incontesté. La victoire inattendue de la gauche aux élections législatives évitera à Lionel Jospin et à son successeur, François Hollande, de ressentir cette contradiction dans l’immédiat. Mais ce dernier doit cependant renoncer à se présenter à la candidature en 2007 pour préserver l’unité d’un parti profondément fracturé par le référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005.
On mesure combien l’élection présidentielle est venue perturber l’organisation interne du PS à partir de 1995 : plus aucun premier secrétaire en titre (Henri Emmanuelli, François Hollande, Martine Aubry, Jean-Christophe Cambadélis) n’a depuis lors pu se présenter à l’élection présidentielle, ni les coalitions entre courants peser sur le choix du candidat. L’adoption des primaires ouvertes à tous les sympathisants de gauche en 2011, après l’élargissement en 2006 via l’adhésion à vingt euros, entérine cette double-marginalisation, avec en apothéose en 2017 l’élection comme candidat de Benoit Hamon, leader de l’aile gauche du parti qui n’a jamais représenté plus de 30 % des voix lors des congrès. Cette situation a créé, dès 2006, une tension très forte entre le programme du parti et celui du candidat qui a fragilisé considérablement le PS, mais aussi le président élu en 2012 pour n’avoir pas su ou voulu maintenir l’équilibre entre les différentes tendances qui le composent [13].
Du RPR à l’UMP : la réinvention permanente d’une machine présidentielle
En fin de compte, il semble que ce soit les partis gaullistes qui ont toujours été les mieux ajustés à l’élection présidentielle, car construits par et pour leur chef dans cette optique. Cette représentation est pourtant exagérée. C’est surtout avec la création du RPR en 1976 que la droite se dote d’une machine puissante qui va lui permettre de conquérir non pas la présidence de la République, mais des sièges parlementaires et des collectivités locales tout au long de la décennie 1980 et le poste de Premier ministre en 1986. Sa forte centralisation autour de la garde rapprochée de Jacques Chirac devient toutefois une faiblesse après sa cinglante défaite face à François Mitterrand en 1988, après deux ans de cohabitation. Lors de la seconde cohabitation, entre 1993 et 1995, la déception accumulée encourage le Premier ministre Édouard Balladur à défier son « ami de trente ans ». Il bénéficie alors du soutien de la majorité des élus et cadres de l’UDF et de nombreux jeunes élus du RPR (dont Nicolas Sarkozy) qui ne croient pas dans les chances d’une troisième candidature chiraquienne. À cette occasion, Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur, propose, mais sans succès l’organisation d’une élection primaire pour départager les deux candidats du RPR. Cette division laisse des traces durables, ravivées lors de la dissolution ratée de 1997. Entré en cohabitation, Jacques Chirac multiplie les efforts pour retrouver la confiance perdue des parlementaires de la droite et du centre. Créée en 2001, l’UMP (Union pour la majorité présidentielle) se veut d’abord une entreprise de réconciliation de ces derniers, en faisant la part belle aux centristes et aux balladuriens au détriment des souverainistes du RPR. La victoire inespérée de 2002 permet au président de transformer cette coalition en un groupe parlementaire puis en un parti [14].
L’UMP de 2002 n’a plus rien à voir avec le RPR des années 1970-1980. Elle n’est pas un parti à la main de son président (Alain Juppé) ou du président de la République, mais s’apparente à une confédération et un instrument de réduction des tensions autour de la répartition des investitures parlementaires et locales. En témoigne la nomination d’un Premier ministre (Jean-Pierre Raffarin) issu du parti libéral autour d’un programme de relance de la décentralisation. L’arrivée à sa tête de Nicolas Sarkozy en 2004 va donner à celui-ci l’occasion de réitérer l’opération réalisée par Jacques Chirac dans les années 1970 : recentraliser le parti, empêcher la constitution de courants, promouvoir de nouveaux cadres et recruter de nouveaux adhérents dévoués à sa personne. L’UMP devient une machine de guerre entre les mains de son leader : investi sans adversaire avec 98,1 % des voix comme candidat à l’élection présidentielle en janvier 2007.
Le cas du RPR et de l’UMP montre que la présidentialisation n’est pas nécessairement inscrite dans les « gènes » de la droite, héritière présumée du bonapartisme. Les enjeux parlementaires et locaux ainsi que la diversité idéologique y mettent régulièrement en péril l’autorité de son chef, condamné à réussir pour se légitimer. À la différence du PS, l’absence de règles démocratiques héritées ne vient cependant gêner le leader que quand il est politiquement affaibli et non de façon structurelle. L’inscription dans les statuts du parti en 2015 que le candidat désigné à l’occasion de la primaire de la droite et du centre sera automatiquement désigné comme chef du parti illustre la permanence de ce principe pour le meilleur, mais aussi pour le pire.
Le tournant de 2017 ?
L’adoption récente et quasi conjointe de primaires ouvertes aux sympathisants par le PS (en 2010), EELV (en 2011) et l’UMP (en 2014) marque cependant un tournant. Si les règles de parrainage adoptées ont visé à empêcher des candidatures incontrôlées, elles ont renforcé les stratégies de distinction personnelle des prétendants passant par la quête d’une reconnaissance en partie extérieure aux arènes partisanes. Elles ont par ailleurs délégitimé le corps électoral militant et la prétention des partis à peser sur le programme des candidats désignés [15]. En « départisanisant » largement l’élection présidentielle sans pour autant enrôler tous leurs associés-rivaux dans la compétition, le PS et l’UMP (rebaptisée Les Républicains en 2015) ont ainsi ouvert la voie à une dénonciation de leur insuffisante ouverture sans offrir une garantie de loyauté au candidat élu de la part des candidats battus et de leurs soutiens. C’est dans cette brèche qu’ont su s’engouffrer aussi bien Emmanuel Macron que Jean-Luc Mélenchon en 2017. Le bas coût de l’élection présidentielle, les règles d’équité dans l’accès des candidats aux médias audiovisuels garanties par le CSA, les possibilités de médiatisation, de collecte de dons et de soutiens militants ouvertes par Internet, la polarisation de l’élection autour de la candidate du Front national et les déboires de François Fillon ont fait le reste. Si le résultat de l’élection de 2017 a incontestablement un caractère « accidentel », il n’en puise pas moins sa source dans une incapacité des partis installés à avoir su gérer au mieux le défi de l’élection présidentielle et de pas avoir anticipé les effets du quinquennat adopté en 2000 pour éviter une nouvelle cohabitation.
En ce sens la véritable surprise de 2017 vient davantage des élections législatives et de la majorité absolue accordée aux candidats d’En Marche, pour la plupart inconnus et inexpérimentés. Si l’alignement du résultat des deux élections n’est pas un phénomène nouveau, l’amplitude de la victoire du parti présidentiel a surpris tout le monde, y compris Emmanuel Macron. Cette performance est venue accréditer l’idée que seule l’élection présidentielle importait et que la possession d’un réseau d’élus de terrain ne comptait pas.
Ce succès, rendu possible grâce à un record du niveau d’abstention (51,3 % au premier tour, 57,3 % au second), doit aussi à ce qu’il s’inscrivait dans une stratégie globale de subversion et de renouvellement du personnel politique. Il a justifié le refus de LREM lors de son congrès fondateur de novembre 2017 de se doter d’échelons territoriaux permanents et de structurer ses comités locaux. Il nourrit aujourd’hui une stratégie municipale principalement fondée sur une stratégie de « franchisation [16] » de maires sortants de centre-gauche ou de centre-droit plutôt que le soutien apporté à des listes de « marcheurs ».
Ce pari n’en est pas moins risqué. Le cas de la France insoumise, comme celui du MODEM en 2007, montre que la conversion du capital électoral présidentiel en sièges parlementaires puis en positions électives locales n’est pas automatique. Avec un score trois fois inférieur à la présidentielle, le PS a obtenu deux fois plus de députés que la France insoumise et le PCF pratiquement autant. Ce dernier exemple montre du reste l’importance maintenue de la possession de fiefs territoriaux. Rien n’autorise aujourd’hui par ailleurs à penser que la performance de LREM en 2017 puisse être réitérée en 2022. L’évolution de la composition et de la politique gouvernementale vers la droite conduit à conjecturer une perte du monopole de la formation présidentielle sur la majorité. Les partis traditionnels à base parlementaire et notabiliaire ou militante n’ont peut-être pas dit leur dernier mot…